Chapitre 3
Le soir tombait doucement, et Mathis rentrait chez lui avec Clara et Julien, leurs sacs sur l’épaule, le bruit de leurs pas se mêlant au bruissement des feuilles sur le trottoir. L’air était doux, chargé de l’odeur humide de la pelouse et du bitume après la pluie de l’après-midi.
— Tu as vu passer quelqu’un dans la rue cet après-midi ? demanda Clara, curieuse.
— Pas vraiment… juste quelques silhouettes rapides derrière les fenêtres de la maison au bout de la rue, répondit Mathis, jetant un coup d’œil discret.
Ils s’arrêtèrent un instant à mi-chemin. Une voiture venait de s’arrêter devant la maison. Une femme en descendit avec un sac lourd, suivie d’un homme. Ils disparurent derrière la porte d’entrée, et peu après, une autre silhouette passa rapidement vers la porte de côté.
— Ça bouge pas mal chez lui, observa Julien.
— Oui… murmura Mathis. Rien de précis, mais c’est inhabituel.
Ils reprirent leur route, laissant le mystère de la maison derrière eux.
Le lendemain matin, le réveil sonna tôt. Mathis s’étira et observa la lumière filtrer à travers ses rideaux. L’air était frais, chargé du parfum du café venant de la cuisine. Après un petit-déjeuner rapide, il prit son sac et rejoignit Clara et Julien devant le lycée.
En entrant en classe, l’odeur familière du tableau et de la craie lui parvint immédiatement. Les élèves s’installèrent, bavardant doucement jusqu’à l’arrivée de M. Dupont, le professeur de mathématiques.
— Bonjour à tous ! dit-il, d’une voix claire.
— Bonjour, répondirent les élèves.
Il posa ses affaires sur le bureau et écrivit rapidement quelques équations au tableau.
— Aujourd’hui, nous allons revoir les équations du second degré, commença-t-il. Qui peut me rappeler la formule du discriminant ?
— Δ = b² - 4ac, répondit Mathis sans hésiter.
— Très bien, Mathis ! Et ensuite ?
— On calcule x = (-b ± √Δ) / 2a, ajouta-t-il.
— Parfait, continua M. Dupont. N’oubliez pas que c’est fondamental.
Alors que le cours avançait, Mathis leva parfois les yeux vers la fenêtre, pensant à la maison du voisin. Il essayait de rester concentré sur les mathématiques, mais une curiosité tranquille le poussait à imaginer ce que le nouvel élève allait être, lui qui allait bientôt franchir la porte de leur classe.
— Avant de continuer, annonça M. Dupont, demain nous aurons un nouvel élève. Il s’installera avec vous pour le reste de l’année. Soyez attentifs à l’accueillir et à l’aider à s’intégrer.
Clara se pencha vers Mathis, un sourire malicieux sur les lèvres.
— Alors, tu es impatient ?
— Oui… un peu, répondit Mathis, le regard tourné vers le tableau, mais le sourire trahissait son intérêt.
Il ne pensait pas en termes d’obsession, seulement d’anticipation. Il savait déjà que le nouvel élève n’était autre que son voisin. Une partie de lui était curieuse de voir comment il se comporterait à l’école, et comment il vivait cette nouvelle étape loin de chez lui.
— Tu crois qu’il va parler à quelqu’un dès le premier jour ? demanda Julien, penché vers lui.
— Je ne sais pas… répondit Mathis. Il est calme, mais on verra.
Le reste du cours se déroula dans une atmosphère normale, ponctuée des explications de M. Dupont et des exercices au tableau. Mais pour Mathis, chaque son, chaque mouvement, chaque détail prenait un sens particulier. Le simple fait de savoir que son voisin allait apparaître demain rendait tout un peu plus vif, plus intriguant.
À la fin de la matinée, alors qu’ils se levaient pour la récréation, Mathis sentit que la journée allait passer lentement, que chaque minute le rapprochait de ce moment où il pourrait enfin voir le nouvel élève de ses propres yeux. Le mystère n’était pas encore complet, mais la curiosité était déjà bien installée, prête à guider ses observations et ses premières impressions.
Le lendemain matin, Mathis se leva avec une légère tension dans le ventre. La journée s’annonçait différente de toutes les autres. Il savait que son voisin allait franchir la porte de leur classe pour la première fois, et bien que sa curiosité fût grande, il se força à garder son calme. Le parfum du café et du pain grillé flottait encore dans la maison, mais Mathis ne put en profiter vraiment. Son esprit était ailleurs, concentré sur ce qui allait se passer.
Arrivé au lycée, il retrouva Clara et Julien devant l’entrée. Les deux amis semblaient eux aussi excités par l’arrivée du nouvel élève, même s’ils feignaient un calme apparent.
— Tu crois qu’il va parler beaucoup ? demanda Clara en ajustant son sac sur l’épaule.
— Je ne sais pas… répondit Mathis, en jetant un regard vers le portail du lycée. Il va probablement rester discret au début.
La cloche sonna, et les élèves se dirigèrent vers la salle de classe. Mathis s’installa à son bureau habituel, observant les autres élèves s’installer. M. Dupont entra, posant son sac et ouvrant son livre de cours.
— Bonjour à tous ! lança-t-il d’une voix claire.
— Bonjour, répondit la classe en chœur.
Aujourd’hui, le professeur avait décidé de commencer un nouveau chapitre sur les fonctions affines et linéaires, un sujet qui intéressait Mathis, mais son esprit revenait sans cesse au nouvel élève.
— Nous allons commencer aujourd’hui un nouveau chapitre sur les fonctions affines, dit M. Dupont. Prenez vos cahiers et notez bien la définition.
Mathis griffonna quelques lignes dans son cahier, essayant de se concentrer sur les formules et les exemples, mais ses yeux revenaient régulièrement vers la porte. Chaque mouvement dans le couloir semblait lui rappeler que le moment approchait.
Soudain, la porte s’ouvrit doucement. Tous les regards se tournèrent vers l’entrée. Elior, le nouvel élève, entra avec une posture légèrement recroquevillée, les mains crispées sur son sac. Il marchait lentement, comme s’il voulait disparaître à moitié dans l’air de la classe.
— Bonjour à tous, dit M. Dupont en souriant. Nous accueillons aujourd’hui Elior, qui se joindra à nous pour le reste de l’année.
Elior hocha légèrement la tête, un petit geste poli mais nerveux. Ses yeux balayèrent rapidement la salle, fixant un point indistinct devant lui, puis Mathis crut remarquer un léger tremblement dans sa main lorsqu’il posa son sac sur le bureau.
— Elior, veux‑tu te présenter à la classe ? demanda le professeur.
Le nouvel élève inspira profondément. Sa voix était basse, presque hésitante au début :
— E‑euh… Bonjour… Je m’appelle Elior… Je viens de déménager ici… et… j’espère que… je pourrai… me faire des amis.
Quelques murmures parcoururent la classe, mais Mathis observa sans jugement. Il remarqua la nervosité, le regard qui fuyait souvent les autres, et la manière dont ses doigts jouaient nerveusement avec la lanière de son sac.
— Merci, Elior, dit M. Dupont avec douceur. Ne t’inquiète pas, tu vas t’habituer rapidement. Prenons tous place, et commençons notre cours.
Alors que le professeur se tournait vers le tableau pour écrire les définitions des fonctions affines, Mathis jeta un regard discret à Elior. Ce dernier s’installait doucement, ses épaules légèrement voûtées, comme s’il essayait de se fondre dans le décor.
— Mathis, chuchota Clara en se penchant vers lui, tu crois qu’il est toujours aussi nerveux ?
— Oui… répondit Mathis, les yeux toujours sur lui. Mais il ne faut pas qu’il le remarque. Simplement observer.
Au fil du cours, Elior semblait s’adapter lentement. Il suivait les explications de M. Dupont, écrivait quelques notes sur son cahier, mais son regard se perdait parfois dans le vide, comme s’il pensait à autre chose, ou à quelque chose qu’il n’avait pas encore raconté.
— Très bien, poursuivit M. Dupont, qui remarquait la concentration inégale des élèves, je vais vous donner un petit exercice pour vérifier votre compréhension.
Mathis nota attentivement l’exercice, mais il ne pouvait s’empêcher de jeter de brefs coups d’œil vers Elior, observant ses mouvements, la façon dont il hésitait à lever la main, comment il ajustait son sac sur ses genoux. Il y avait une fragilité, une prudence presque instinctive, et pourtant, une volonté évidente de s’intégrer.
— Elior, veux‑tu venir au tableau pour résoudre la première question ? demanda M. Dupont.
Elior sursauta légèrement, ses joues rougissant, mais il acquiesça doucement. Il se leva avec précaution, avançant vers le tableau d’un pas mesuré, le regard baissé. Mathis sentit son cœur battre un peu plus vite : la classe était silencieuse, observant chaque geste du nouvel élève.
— Très bien, dit M. Dupont, prends ton temps.
Elior écrivit lentement la solution, ses gestes précis mais tremblants. Chaque chiffre semblait peser, chaque étape être soigneusement contrôlée. Lorsque le dernier calcul fut posé, il recula légèrement, le regard fuyant.
— Parfait, Elior, félicita le professeur. Très bien, tu t’en es très bien sorti.
Un léger sourire apparut sur le visage du nouvel élève, presque imperceptible mais sincère. Mathis le remarqua immédiatement. C’était un instant fragile, un petit moment de victoire silencieuse qui en disait long sur sa personnalité.
— Merci… murmura Elior.
Alors que le cours reprenait, Mathis sentit une curiosité calme s’installer. Ce n’était plus simplement de l’observation pour noter des détails, mais une volonté de comprendre, de découvrir ce qui rendait Elior si réservé, si prudent. Sans obsession, juste un intérêt sincère.
À la récréation, Clara et Julien se rapprochèrent de Mathis.
— Eh bien… dit Clara, tu as vu comme il est nerveux ?
— Oui… répondit Mathis. Mais ce n’est pas de la peur… c’est juste… une prudence naturelle, un mélange de timidité et d’habitude à observer le monde avec précaution.
— Peut-être… dit Julien. Mais on dirait qu’il cache quelque chose.
Mathis hocha la tête, pensif. Il ne savait pas encore quoi, mais il sentait qu’il y avait une histoire derrière ces gestes, cette nervosité et ce regard fuyant. Une histoire qu’il découvrirait peut-être, doucement, avec le temps.
Lorsque la cloche sonna la fin de la récréation, la classe retourna à son rythme normal. Elior s’installa à nouveau, un peu plus détendu, et commença à suivre le cours avec plus d’assurance, mais ses gestes restaient mesurés, précis, presque calculés. Mathis continua d’observer, notant mentalement ces petites nuances qui révélaient plus qu’elles ne le laissaient paraître.
Pour la première fois depuis longtemps, le lycée semblait un peu plus vaste, un peu plus mystérieux, et la journée qui s’annonçait promettait de révéler des détails que Mathis n’aurait jamais imaginés. Il savait déjà que son voisin, Elior, n’était pas un élève comme les autres, et que sa curiosité naturelle allait le pousser à en apprendre davantage, doucement, sans forcer les choses.
Le cours se poursuivit, mais Mathis n’arrivait pas à se concentrer complètement sur les fonctions affines. Chaque fois que ses yeux se levaient, il croisait le regard furtif d’Elior. Celui-ci avait retrouvé une certaine assurance, ses gestes étaient moins tremblants, mais une tension invisible persistait dans sa posture. Il notait les explications, parfois d’un geste rapide, parfois hésitant, et jetait de brefs coups d’œil autour de lui, comme pour vérifier que personne ne l’observait de trop près.
— Très bien, dit M. Dupont, terminons cette partie avec un exercice un peu plus complexe.
Elior inspira profondément, la main crispée sur son stylo. Il se pencha sur sa feuille, concentré, et Mathis le regardait discrètement. Il avait une manière presque méthodique de tracer ses lignes, de poser ses chiffres, comme si chaque geste devait être exact, irréprochable.
— Tu sais, murmura Clara à Mathis, je parie qu’il a l’habitude de faire attention à tout ce qu’il fait.
Mathis acquiesça en silence. Il ne s’agissait pas seulement de timidité ou de nervosité. Il y avait une discipline derrière chacun de ses gestes, une prudence qui fascinait et intriguait en même temps.
Quand la cloche annonça la fin des cours du matin, Elior rangea lentement ses affaires, prenant soin de ne rien laisser traîner. Son sac était soigneusement fermé, les stylos rangés dans leur trousse avec une précision presque militaire. Mathis nota mentalement ces détails : ce n’était pas simplement un nouvel élève nerveux, mais quelqu’un d’extrêmement attentif à son environnement.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait pour le déjeuner ? demanda Julien en sortant de la classe.
Mathis hocha la tête, mais son esprit restait accroché à Elior.
— Je vais prendre mon temps, répondit-il simplement.
Dans la cour, les rayons du soleil jouaient avec les feuilles des arbres, dessinant des ombres sur le sol et sur les visages des élèves. Mathis remarqua Elior qui se dirigeait vers un banc isolé, loin des groupes bruyants. Il s’assit, sortit un petit carnet et sembla écrire quelque chose, mais il le ferma rapidement lorsque Mathis leva les yeux.
— Il est déjà en train de prendre des notes ? murmura Clara.
— Peut-être… répondit Mathis. Ou alors, il note simplement des choses qu’il ne veut pas oublier.
Le déjeuner passa lentement, entre conversations légères avec les amis et regards discrets vers le nouvel élève. Mathis sentait une curiosité croissante, mais toujours contrôlée. Il ne s’agissait pas de juger ou d’espionner, juste d’observer, de comprendre petit à petit.
Lorsque l’après-midi arriva, les cours se succédèrent, et Elior semblait gagner un peu plus de confiance à chaque séance. Mais à chaque pause, à chaque passage dans le couloir, il restait attentif, comme s’il craignait quelque chose que personne d’autre ne voyait. Mathis le remarqua encore lorsqu’il passa près de la porte de la salle de sciences, les yeux fuyants vers le sol, le sac serré contre lui.
— Tu crois qu’il a des problèmes à la maison ? demanda Clara.
— Je… je ne sais pas, répondit Mathis, pensif. Mais il y a quelque chose. Pas quelque chose de mauvais, juste… particulier.
Le dernier cours se termina, et la classe se vida peu à peu. Mathis resta un instant assis, observant Elior ranger soigneusement son sac, puis se lever et quitter la salle d’un pas mesuré. La lumière de fin d’après-midi passait par les fenêtres, dessinant des reflets sur les bureaux et le tableau. Chaque geste d’Elior semblait chargé de prudence, comme si chaque mouvement avait un sens.
— On rentre ? demanda Julien en posant sa main sur l’épaule de Mathis.
— Oui, répondit Mathis. Mais je vais faire un petit détour, ajouta-t-il avec un sourire.
Il se dirigea vers la rue de son voisin, prenant soin de rester discret. La maison semblait plus tranquille maintenant, mais Mathis remarqua encore une silhouette à la fenêtre du premier étage. Les volets étaient légèrement ouverts, laissant passer un mince rayon de lumière. Une autre silhouette passa à la porte de côté, rapide et précise. Tout semblait parfaitement orchestré, mais d’une manière étrange, presque ritualisée.
— Les gens normaux ne bougent pas comme ça, murmura Mathis pour lui-même.
Il observa un moment de plus, notant mentalement les horaires et les gestes, avant de reprendre le chemin de sa propre maison. La lumière du soir baignait les rues dans une couleur orangée, et les odeurs de terre et de fleurs humides accompagnaient chacun de ses pas.
Arrivé chez lui, Mathis s’installa à son bureau, sortit son carnet et nota tout ce qu’il avait vu : les mouvements précis, la prudence de chaque geste, le rythme des allées et venues. Il n’y avait pas de jugement dans ces notes, seulement des observations, des détails qu’il savait précieux pour comprendre un peu mieux le monde de son voisin.
— Demain, pensa-t-il, on verra encore plus.
Il ferma ses cahiers, éteignit la lumière et alla se coucher. L’air frais de la nuit entrait par la fenêtre entrouverte, portant avec lui l’odeur de terre et de feuilles. Dans le silence de sa chambre, Mathis sentit une excitation tranquille. Il savait que le lendemain, il apprendrait à connaître un peu plus Elior, et chaque détail, chaque geste, chaque expression lui révélerait une histoire encore inconnue.
Et pour la première fois depuis longtemps, l’attente n’était pas inquiétante. Elle était douce, fascinante, emplie de promesses et de curiosité.

Annotations
Versions