Chapitre 8
Le dimanche matin s’annonçait doux et silencieux. Les rayons du soleil filtraient à travers les rideaux de la chambre de Mathis, dessinant des lignes dorées sur le parquet. L’air frais s’infiltrait par la fenêtre entrouverte, mêlant l’odeur humide du jardin à celle du tilleul. Mathis s’était réveillé tôt, encore marqué par son cauchemar de la veille, où il avait vu Elior au centre du cercle, sous le regard oppressant de la voix mystérieuse. Même si la sueur avait séché sur son front, le malaise persistait, et son cœur battait à un rythme irrégulier.
Son regard se posa instinctivement sur la maison d’Elior. Les volets étaient partiellement fermés, mais un mouvement furtif derrière l’un d’eux attira son attention. Un frisson de curiosité et d’appréhension le parcourut. Ce dimanche, il devait se rapprocher d’Elior. Comprendre ce qu’il se passait derrière ces volets mystérieux devenait une obsession, mais il savait qu’il devait avancer avec prudence.
Alors qu’il enfilait son sweat et ses baskets, il vit un livreur déposer un colis volumineux devant la porte d’Elior. L’opportunité était parfaite :
— Voilà mon prétexte… pensa-t-il.
Ses pas résonnaient sur le trottoir, mêlés au bruissement des feuilles et aux chants d’oiseaux. Il frappa doucement à la porte, et quelques secondes plus tard, Elior apparut, surpris, le visage pâle et légèrement tendu.
— Salut… murmura Mathis, hésitant. Je t’ai vu avec ton colis… si tu veux, je peux t’aider à le porter à l’intérieur.
Elior cligna des yeux, puis répondit simplement :
— Merci… c’est gentil.
Leur marche jusqu’au hall d’entrée se fit dans un silence confortable, ponctué par le léger froissement du papier d’emballage. L’odeur de cire et de poussière flottait dans l’air, mêlée à un parfum métallique presque froid. Mathis observa la maison : des rideaux tirés, des bougies éteintes sur une table basse, des étagères remplies de livres et de cartons, et un mobilier choisi avec soin mais manquant de chaleur. Chaque détail renforçait le mystère d’Elior.
— Tu reçois souvent ce genre de colis ? demanda Mathis pour engager la conversation.
— Parfois… répondit Elior, d’une voix basse. Rien de spécial.
Le silence qui suivit n’était pas gênant, mais chargé d’une tension subtile. Mathis sentait qu’il devait avancer doucement, tout en apprenant à connaître son voisin.
Après avoir installé le colis, Mathis osa proposer une sortie :
— Tu veux… aller prendre un café ou un chocolat chaud ? Il y a un petit endroit sympa pas loin. Ça pourrait être agréable pour se changer les idées.
Elior hésita, puis acquiesça timidement :
— Oui… pourquoi pas.
Le vent frais caressait leurs visages tandis qu’ils marchaient vers le café. Les feuilles des arbres frissonnaient légèrement et les rayons du soleil créaient des taches lumineuses sur le sol. Mathis observa chaque geste d’Elior, chaque mouvement nerveux ou hésitant, et sentit sa curiosité se mêler à une empathie profonde.
Le café était presque vide. Le parfum du café, du chocolat chaud et des croissants chauds flottait dans l’air, réchauffant un peu l’atmosphère. Mathis s’installa en face d’Elior, et ils prirent un moment pour observer la salle presque déserte. Les murs étaient décorés de tableaux abstraits et de photographies en noir et blanc, donnant une impression de calme et de sérieux.
— Alors… comment ça se passe, ta semaine ? demanda Mathis.
— Bien… autant que possible… répondit Elior, les mains autour de sa tasse chaude.
Ils parlèrent de tout et de rien : le temps, les lectures, quelques anecdotes du quartier, des bruits de la ville. Mathis remarqua la prudence et la fragilité dans la voix d’Elior, mais aussi cette volonté de participer à une conversation normale malgré sa réserve.
— Tu lis beaucoup… dit Mathis, remarquant un carnet posé dans le sac d’Elior.
— Oui… j’aime… j’aime que ça m’échappe un peu, murmura Elior.
Mathis sentit qu’il avait touché un point sensible. Elior était quelqu’un de prudent, mais il laissait déjà un petit espace pour la confiance. Ce petit signe l’encouragea à continuer.
Ils parlèrent encore de lectures, de films et de quelques musiques qu’ils appréciaient. Mathis partagea ses goûts en rock et jazz, et Elior parla de ses livres de fantasy et d’histoire. Les échanges étaient simples, mais chargés d’une intimité naissante. Chaque sourire, chaque mot échangé renforçait un lien qu’aucun des deux n’osait encore nommer.
Après leur café, Mathis proposa une promenade dans le parc, prétextant profiter du soleil. Elior accepta. La marche était lente et tranquille. Les feuilles craquaient sous leurs pas, et le vent portait des effluves de terre humide et de fleurs printanières. Mathis observait attentivement Elior : la manière dont il évitait parfois le regard direct, ses mains dans ses poches, ses épaules légèrement tendues. Tout semblait raconter quelque chose sur lui, même dans le silence.
— Tu fais quoi le week-end, d’habitude ? demanda Mathis, en essayant de maintenir une conversation légère.
— Je… je reste un peu chez moi, parfois je sors… murmura Elior. Rien de particulier.
— Tu dois te sentir un peu… isolé parfois, non ? tenta Mathis, avec douceur.
— Oui… parfois. Mais c’est… ça me va, répondit Elior, sans lever les yeux.
Ils continuèrent de marcher, parlant de banalités, du parc, de la lumière changeante et des sons du quartier. Mathis notait chaque nuance, chaque hésitation, chaque sourire timide. Ces moments étaient cruciaux : il apprenait à connaître Elior, tout en respectant ses limites.
Alors qu’ils rentraient vers la maison, Mathis ressentit une détermination nouvelle. Chaque sortie, chaque moment partagé, même simple et léger, était un pas vers la compréhension. Il devait continuer ces incursions dominicales, observer, écouter, poser de petites questions, et peu à peu percer le mystère qui entourait Elior. Même si beaucoup restait encore à découvrir, ce dimanche avait été un premier pas vers cette vérité qu’il voulait atteindre avec patience, douceur et prudence.
Le retour à la maison se fit dans un silence presque total. Le vent léger faisait bruisser les feuilles mortes, et l’odeur humide du jardin et du tilleul voisin flottait dans l’air. Mathis marchait rapidement, le sac à dos encore sur l’épaule, mais son esprit était ailleurs, tourné vers Elior. Chaque geste, chaque silence, chaque regard du garçon au cours de la journée lui revenait en mémoire. Même si la promenade et le café avaient été agréables, il ne pouvait chasser le malaise persistant qui s’était installé depuis quelques jours.
En franchissant le seuil de sa chambre, il sentit immédiatement le contraste avec l’extérieur : la chaleur de la pièce, le parfum des livres et des vêtements, la lumière tamisée du lampadaire qui filtrait par les rideaux. Son ordinateur et son carnet étaient posés sur le bureau, à portée de main. Mathis s’assit, reprit son souffle, et tenta de remettre un peu d’ordre dans ses pensées. La voix qu’il avait entendue derrière les volets, les phrases cryptiques, le cercle de personnes en tailleur… tout tournait en boucle dans son esprit.
Il alluma son ordinateur et ouvrit le navigateur. Le blog qu’il avait trouvé quelques jours plus tôt lui parut soudain plus important encore. Les billets, écrits dans un français correct mais volontairement cryptique, semblaient tous parler de cercles, d’initiations et de rassemblements secrets. Le sens précis lui échappait, mais chaque mot semblait chargé d’intention. Il nota quelques mots clés dans son carnet : « Cercle », « lumière », « éveil », « vide », et relut chaque passage plusieurs fois, tentant de relier le tout à ce qu’il avait vu chez Elior.
Alors qu’il était plongé dans ses recherches, son téléphone vibra. C’était Leo. Mathis décrocha rapidement et mit la conversation sur haut-parleur.
— Salut ! lança Leo, joyeux. Alors, qu’est-ce que tu deviens ce soir ?
— Salut… répondit Mathis, la voix un peu tendue. Je… je suis en train de regarder ce blog… et de réfléchir à quelque chose que j’ai vu… murmura-t-il, détournant le regard de l’écran.
— Ah… tu as déjà commencé ton enquête, hein ? s’amusa Leo. Toujours en train de fouiller partout.
Mathis esquissa un léger sourire.
— Oui… mais c’est que… je veux comprendre, dit-il, hésitant.
— Je comprends… dit Leo, plus doucement. Tu as l’air stressé. Ça va ?
— Oui… enfin… je ne sais pas… il y a juste… quelque chose d’étrange chez mon voisin… murmura Mathis.
— Encore lui ? demanda Leo, taquin. Tu ne peux pas t’empêcher de t’inquiéter pour lui, hein ?
— Je… peut-être… répondit Mathis. Je ne sais pas trop…
Ils parlèrent ensuite de choses plus légères pour détendre l’atmosphère. Leo raconta son nouveau boulot, comment ses collègues essayaient de le faire rire toute la semaine, et comment il avait trouvé un petit café sympa près de chez lui. Mathis écoutait attentivement, savourant ce moment de normalité.
— Et toi alors ? demanda Leo. Qu’as-tu fait aujourd’hui ?
— J’ai passé du temps dehors… pris un café… marché un peu… dit Mathis, un sourire discret aux lèvres.
— Et tu as parlé à quelqu’un de spécial ? demanda Leo, curieux.
— Disons que… j’ai eu une conversation tranquille… répondit Mathis.
— Mh, je vois… murmura Leo, amusé. Tu me raconteras ça un jour, hein ?
Ils continuèrent à discuter encore un moment, des séries qu’ils avaient vues récemment, de petites anecdotes du quartier, de la météo et des courses de dernière minute. Mathis riait parfois, oubliant un peu l’inquiétude qui pesait sur lui depuis la matinée.
Finalement, ils se dirent au revoir. Mathis raccrocha et resta un moment immobile, le regard perdu dans le vide. Les mots de la voix mystérieuse et les passages du blog tournaient en boucle dans sa tête. Chaque détail qu’il avait vu chez Elior, chaque geste, chaque silence, prenait désormais une importance particulière. Il savait qu’il devait continuer à observer, mais il devait aussi se protéger mentalement pour ne pas sombrer dans l’obsession.
La maison était silencieuse. Les lampes du salon diffusaient une lumière chaude et douce, et le parfum de la cuisine encore tiède flottait dans l’air. Mathis monta dans sa chambre, ferma la porte et s’allongea sur son lit. Il resta un long moment à fixer le plafond, essayant de calmer son esprit et de trouver un sens à ce qu’il avait vu. Puis, peu à peu, ses yeux se fermèrent, et il sombra dans le sommeil…
Le cauchemar commença rapidement.
Il se retrouva dans la pièce sombre, avec les bougies et les silhouettes en cercle. Elior était là, la tête baissée, tremblant légèrement. La voix qu’il avait entendue résonna de nouveau, plus claire et plus insistante que jamais :
« Viens au centre… comprends le vide… embrasse la lumière… »
Mathis sentit une terreur glaciale l’envahir. Il vit Elior lever lentement les yeux, et ses pupilles étaient entièrement noires, sans la moindre étincelle de vie. La voix continua, insistante et impérieuse :
« Le vide est autour… ne regarde pas l’intérieur… mais le vide autour… »
Elior se leva lentement et se plaça au centre du cercle. Les bougies projetaient des ombres qui se tordaient sur les murs, prenant des formes inquiétantes. L’air semblait se comprimer autour de Mathis, le rendant presque incapable de respirer. Chaque respiration était un effort, chaque battement de cœur un tambour de peur.
Soudain, la scène changea brutalement. Mathis se retrouva dans le couloir désert du lycée. Elior avançait lentement vers lui, les yeux toujours noirs et froids, le regard fixe et impassible.
— Ne regarde pas l’intérieur… mais le vide autour… dit Elior d’une voix glaciale et détachée.
Mathis voulut crier, reculer, bouger, mais son corps refusait de lui obéir. Une paralysie totale s’empara de lui. La peur et la fascination se mêlaient dans une angoisse glaciale. Le couloir semblait s’allonger à l’infini, les murs se tordant comme des branches tortueuses autour de lui, et chaque pas d’Elior résonnait comme un écho sinistre.
Puis, brusquement, tout disparut. Mathis se réveilla en sursaut à cinq heures du matin, trempé de sueur, haletant. La chambre était plongée dans l’obscurité, seul le tic-tac régulier de l’horloge sur le bureau lui indiquait le temps. Il resta assis, le souffle court, les mains crispées sur les draps. Le cauchemar avait été si réel, si oppressant, que ses muscles tremblaient encore.
Après plusieurs minutes à respirer profondément, il se leva et marcha jusqu’à son bureau. L’écran de l’ordinateur l’attira de nouveau. Les mots du blog, les phrases cryptiques, les indices… tout semblait former un puzzle qu’il devait résoudre. Mathis nota chaque mot, relut plusieurs passages et commença à formuler des hypothèses sur ce qui pouvait se passer dans la maison d’Elior. Il savait qu’il ne pouvait en parler à personne, pas encore, mais il sentait que chaque détail comptait.
La lumière du matin commençait doucement à filtrer par les rideaux. Mathis resta un moment assis devant l’écran, le regard fixé sur les mots, chaque phrase renforçant sa détermination. Ce dimanche, bien que calme et banal en apparence, avait ouvert une porte vers un mystère qu’il était déterminé à explorer. La peur et les cauchemars n’étaient que des signaux de ce qui l’attendait. Il savait que la semaine à venir allait être cruciale : observer, écouter, noter, et tenter de comprendre Elior, petit à petit, avec patience et prudence.
Le soleil se leva complètement, projetant une lumière dorée sur le parquet de sa chambre. Mathis prit une profonde inspiration, ferma son ordinateur, et s’allongea à nouveau sur son lit, le cœur battant mais la volonté intacte. Il savait qu’il ne pourrait pas encore dormir, mais il sentait qu’il avait fait un pas supplémentaire vers la vérité. Le mystère d’Elior l’obsédait, et il était prêt à avancer, même si la peur persistait.

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