Chapitre 9
Le lundi matin s’annonçait gris et humide. Un léger crachin recouvrait les toits du quartier, glissant sur les vitres des voitures et formant de petites flaques sur le bitume. Mathis marchait rapidement, le sac sur l’épaule, le parapluie replié dans sa main. Ses pensées étaient absorbées par Elior et par ce qu’il avait vu derrière les volets : les silhouettes en cercle, la voix mystérieuse, les yeux noirs. Même le vent froid et humide semblait accentuer son inquiétude sourde. À chaque pas, le bruit des feuilles détrempées sous ses chaussures lui semblait amplifié, comme un écho de ses propres angoisses.
En arrivant au lycée, il fut frappé par l’animation inhabituelle dans la cour. Les élèves, groupés par petits clusters, échangeaient des murmures et des regards anxieux. L’odeur de terre mouillée se mêlait à celle du café fumant que certains transportaient dans des gobelets en plastique. Les rires paraissaient forcés, parfois interrompus par des chuchotements inquiets. Mathis chercha immédiatement Leo, et le vit près du portail, les cheveux encore humides et décoiffés, son sac pendu sur l’épaule.
— Salut ! lança Leo en le voyant, un sourire aux lèvres. Alors, tu as survécu au week-end ?
— Salut… répondit Mathis avec un léger sourire, essayant de paraître détendu. Oui… ça va… et toi ?
— Moi ? Bof… trop calme à la maison, pas assez de sport, et puis il pleut… soupira Leo. Mais au moins, il y a du chocolat chaud au foyer, ajouta-t-il en riant.
Ils échangèrent quelques plaisanteries sur les professeurs, la météo et le chocolat chaud avant de se séparer. Leo rejoignit sa classe tandis que Mathis se dirigeait vers la sienne, ressentant déjà une tension croissante dans sa poitrine. Même les conversations joyeuses autour de lui semblaient incapables de dissiper cette inquiétude.
En entrant dans sa salle, Mathis remarqua le chuchotement nerveux des élèves. Certains lançaient des regards furtifs vers la porte, d’autres semblaient préoccupés. Le professeur de français entra enfin, l’air préoccupé, et frappa légèrement sur son bureau pour capter l’attention.
— Bonjour à tous, dit-il. Nous allons commencer par un exercice d’écriture : rédigez un court texte sur un souvenir marquant du week-end.
Mathis ouvrit son carnet, mais ses pensées dérivaient sans cesse vers Elior et le cercle qu’il avait aperçu. Les bougies, la voix, les silhouettes… Chaque geste semblait chargé de sens. Il griffonna quelques lignes, des phrases incomplètes, avant de lever les yeux et d’apercevoir Leo qui passait à côté, sa classe ayant changé de salle.
— Salut ! lança Leo à mi-voix. Tu écris quelque chose d’intéressant ?
— Juste un résumé… murmura Mathis. Et toi ?
— Pareil… enfin… c’est surtout pour meubler le temps, répondit Leo avec un léger sourire.
La sonnerie annonçant la pause retentit. Mathis rangea rapidement ses affaires et se précipita vers le couloir, où il aperçut Leo qui l’attendait, inquiet.
— Eh, tu as entendu ? chuchota Leo. Un élève de ma classe est absent depuis ce matin… personne ne sait où il est.
— Vraiment ? demanda Mathis, fronçant les sourcils. Comment ça se fait qu’on n’en parle pas davantage ?
— Apparemment, il y a eu d’autres absences récemment, murmura Leo. Les profs disent que c’est juste un problème personnel, mais certains élèves commencent à s’inquiéter…
Mathis sentit un frisson glacial parcourir son échine. Une disparition, et pas n’importe laquelle : un élève que Leo connaissait bien. Son instinct lui criait que quelque chose clochait, que cela pouvait avoir un lien avec ce qu’il avait vu chez Elior. La voix mystérieuse, le cercle en tailleur, les silhouettes dans la pénombre… Tout se mélangeait dans son esprit, formant un puzzle qu’il devait résoudre.
— Comment s’appelle-t-il ? demanda Mathis à voix basse.
— Mathéo, dit Leo. Ses parents sont inquiets, mais l’administration ne donne pas plus de détails.
Mathis observa son ami s’éloigner, puis resta un moment dans le couloir, scrutant les allées et venues des élèves. Chaque geste, chaque expression, chaque chuchotement lui semblait suspect. Il nota mentalement ceux qui semblaient nerveux, ceux qui évitaient certains regards, et ceux qui paraissaient trop calmes, comme s’ils cachaient quelque chose.
Pendant quelques minutes, il resta là, immobile, analysant chaque détail. Les absences répétées et les rumeurs concernant Mathéo le plongeaient dans un mélange de curiosité et de malaise. Les disparitions, les secrets des adultes et adolescents qu’il observait, tout cela formait un réseau invisible qu’il voulait comprendre.
Il se souvint alors de la voix derrière les volets, des mots cryptiques qu’il avait entendus. « Le vide est autour… ne regarde pas l’intérieur… mais le vide autour… » La phrase résonnait dans son esprit comme un avertissement, et il sentit son cœur battre plus vite. Les liens entre la disparition de Mathéo et ce qu’il avait vu chez Elior semblaient se dessiner, même si tout restait flou.
Lorsque la pause arriva, il s’éloigna légèrement de la cour bondée, s’installant près d’un mur pour observer la scène d’un point discret. Il remarqua les élèves qui se regroupaient pour discuter de la disparition, les regards inquiets et les murmures anxieux. Chaque détail semblait lui fournir une information potentielle, même s’il ne pouvait encore rien confirmer.
Il pensa à Elior, à ses absences, aux passages nocturnes d’adultes et d’adolescents devant la maison. Tout cela formait un tableau inquiétant, mais Mathis savait qu’il devait avancer avec prudence. Ses sens étaient en alerte maximale, et il se promit de ne rien laisser passer. Chaque regard, chaque mouvement, chaque silence pouvait être un indice.
Alors que la sonnerie annonçant la reprise des cours retentit, Mathis rangea son carnet, prêt à affronter la fin de la matinée. Son esprit restait absorbé par l’idée d’observer, de comprendre et de relier les indices. Les disparitions et le mystère d’Elior étaient désormais au centre de ses préoccupations, et il sentait qu’il devait commencer à agir avec intelligence et patience.
La sonnerie annonçant la fin des cours résonna dans la salle, mais Mathis n’écouta pas vraiment. Ses yeux étaient fixés sur Elior, assis quelques rangs devant lui. Il observait la façon dont le jeune garçon rangeait ses affaires, le léger tremblement de ses mains, et cette manière qu’il avait de jeter parfois un regard furtif vers la fenêtre, comme s’il craignait quelque chose à l’extérieur. Mathis sentit son cœur battre plus vite.
Il voulait parler, comprendre, savoir. Mais il savait qu’il devait choisir ses mots avec soin. Les disparitions dans la ville et les absences inexpliquées d’élèves lui tournaient encore dans la tête. Et il se demandait si Elior pouvait être lié à tout cela… ou si lui-même avait simplement imaginé la voix et le cercle.
Lorsque la plupart des élèves quittèrent la salle, Mathis s’approcha doucement :
— Elior… murmura-t-il, pour ne pas se faire entendre des autres. Tu as vu… toutes ces disparitions ? Dans notre classe… et ailleurs…
Elior leva les yeux vers lui, surpris. Ses pupilles semblaient scruter l’espace, comme s’il cherchait à mesurer l’ampleur du danger dans le simple fait de répondre. Après un silence pesant, il parla :
— Les disparitions… C’est des choses qui arrivent, c’est normal de nos jours… Enfin… Je… Je pense…
Mathis cligna des yeux, bouche bée. Il ne s’attendait pas à ce ton presque détaché, cette phrase si simple qui semblait pourtant cacher une inquiétude ou un secret immense.
— Normal ? murmura-t-il. Mais… mais des gens disparaissent ! Et personne ne sait où ils sont… c’est… c’est effrayant !
Elior haussa légèrement les épaules, ses doigts jouant nerveusement avec la lanière de son sac à dos.
— Peut-être… Peut-être que c’est juste comme ça, dit-il doucement. Il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer…
Mathis sentit une colère sourde mêlée à la frustration. Il avait envie de hurler, de secouer Elior pour obtenir la vérité, mais il se retint. Au lieu de cela, il s’accroupit légèrement pour se mettre à son niveau, essayant de capter le moindre indice dans ses expressions.
— Elior… tu sais… je veux juste comprendre. Si tu as besoin de parler… je peux écouter. Vraiment, je veux t’aider…
Elior détourna les yeux, fixant un point invisible dans la salle vide.
— Merci… dit-il doucement, presque inaudiblement. Mais certaines choses… certaines choses sont difficiles à partager… Même avec quelqu’un qu’on connaît.
Mathis hocha la tête, le cœur serré. Il avait l’impression de tenir au creux de ses mains un secret immense et fragile. Mais il savait aussi qu’il ne pouvait rien forcer. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était être là, observer, attendre, et peut-être, avec le temps, gagner la confiance d’Elior.
Une fois les derniers élèves partis, ils sortirent de la salle et marchèrent ensemble dans le couloir presque désert. Le bruit de leurs pas résonnait contre les murs carrelés, se mêlant au vent qui sifflait à travers les fenêtres entrouvertes. Le parfum subtil de peinture fraîche et de poussière flottait dans l’air.
— Je… je ne voulais pas te faire peur, dit Elior en marchant doucement. Mais certaines choses… certaines choses dépassent ce qu’on peut expliquer.
— Je comprends… un peu, dit Mathis, bien que son cœur reste serré. Mais tu sais… si tu pouvais juste me dire un peu… juste ce que tu vois ou ce que tu sais…
Elior secoua légèrement la tête, les cheveux tombant sur son visage.
— Ce n’est pas encore le moment, murmura-t-il. Mais… merci de t’inquiéter.
Mathis sentit une vague de frustration et de détermination en lui. Il savait qu’il devait rester patient, mais chaque seconde où Elior restait silencieux ne faisait qu’augmenter sa curiosité et son inquiétude. Il se promit de rester attentif, d’observer chaque geste, chaque mot, chaque mouvement. Les disparitions, les voix, les cercles… tout formait un puzzle, et il voulait comprendre comment les pièces s’emboîtaient.
Arrivés à la sortie du lycée, Mathis jeta un regard vers la maison d’Elior. Derrière les volets, il y avait encore ce mystère, cette vie secrète qu’il pressentait depuis des semaines. Chaque pas vers la maison lui semblait lourd, chargé d’anticipation et de crainte.
— Demain… on pourra… peut-être parler un peu plus ? osa Mathis, sa voix presque suppliante.
Elior s’arrêta un instant, ses yeux se perçant dans les siens.
— Peut-être… murmura-t-il. Mais il faut du temps. Beaucoup de temps…
Alors qu’ils se séparaient, Mathis sentit un mélange de soulagement et de tension. Il savait que demain serait un autre jour, un jour où il devrait être encore plus attentif, encore plus vigilant. Et dans le fond de son esprit, la phrase d’Elior résonnait : « Les disparitions… c’est normal de nos jours… enfin… je… je pense… »
Il reprit le chemin du retour, les épaules légèrement voûtées, mais l’esprit en alerte. Chaque détail de la rue, chaque ombre, chaque bruit lui semblait désormais signifiant. Le mystère n’était pas terminé, il ne faisait que commencer.
La pluie avait cessé depuis quelques heures, mais le ciel restait gris et lourd. Mathis rentra chez lui, son sac accroché à l’épaule, ses chaussures encore humides. L’odeur de terre mouillée et de bitume lui collait aux vêtements, et il secoua ses manches en passant la porte de son appartement. La lumière chaleureuse de l’entrée contrastait avec l’atmosphère froide et morose de l’extérieur.
— Salut Mathis ! lança sa mère depuis la cuisine. Tu as passé une bonne journée ?
— Oui… répondit-il, essayant de paraître détendu, bien que son esprit soit occupé par Elior et les disparitions.
Il monta dans sa chambre, referma la porte et s’assit à son bureau. La pièce était simple mais confortable : des étagères remplies de livres, quelques posters de films et de groupes de musique sur les murs, et son ordinateur portable posé face à la fenêtre. Il sentit l’odeur du bois légèrement ciré du bureau, mêlée à celle du linge fraîchement lavé qui séchait encore sur la chaise.
Mathis alluma l’ordinateur et ouvrit un moteur de recherche. Les mots de la voix qu’il avait entendue plus tôt lui revenaient en tête : « le vide autour », « ne regarde pas l’intérieur », et surtout ces phrases cryptiques qu’Elior n’avait pas prononcées à voix haute. Il tapa les quelques termes qui lui semblaient reconnaissables.
Les résultats étaient maigres, mais un blog attira son attention. Le nom était étrange, presque incompréhensible : Le Cercle du Vide. Il cliqua dessus et une série de posts apparut, écrits à la première personne, décrivant des expériences mystérieuses, des disparitions inexpliquées et des rituels nocturnes. Les phrases étaient souvent fragmentées, cryptiques, parfois poétiques, parfois inquiétantes.
Mathis lut plusieurs posts, ses yeux parcourant chaque mot avec une attention fébrile. Certains semblaient parler directement de ce qu’il avait vu derrière les volets : des cercles de personnes, des bougies, des murmures, et un climat de peur mêlé de fascination. Il sentit un frisson parcourir son échine. Tout cela ressemblait étrangement à ce qu’il avait observé, et le lien avec Elior devenait de plus en plus concret dans son esprit.
— Qu’est-ce que… c’est que tout ça ? murmura-t-il pour lui-même.
Il nota mentalement certaines phrases, les surlignant dans un carnet à côté de l’ordinateur : « Il faut accepter le vide autour », « La lumière est dans le silence », « Celui qui observe ne doit pas juger ». Tout lui semblait à la fois abstrait et terriblement concret.
Après une heure de lecture, son esprit était en ébullition. Il se leva pour prendre un verre d’eau dans la cuisine, le goût frais et neutre lui permettant de reprendre son souffle. Il regarda par la fenêtre les lumières des autres appartements, se demandant si quelqu’un d’autre voyait ou vivait des choses similaires. Puis il retourna à son bureau, décidé à noter tout ce qu’il savait et ce qu’il avait observé.
Il rédigea une sorte de journal personnel, listant chaque détail concernant Elior : les allées et venues, les voix entendues, les gestes des visiteurs, les absences de classe, et bien sûr, la phrase déroutante qu’Elior lui avait dite. Chaque mot était précieusement noté, chaque détail analysé, comme un enquêteur qui construit peu à peu son dossier.
— Je dois comprendre… pensa-t-il. Il y a un lien entre Elior, les disparitions et ce blog… je le sens.
La fatigue commença à se faire sentir, mais Mathis continua de travailler. Il nota même les rumeurs sur les élèves disparus et celles rapportées par Leo. Chaque connexion possible était ajoutée à son carnet : les heures, les dates, les visages, les comportements suspects. Il se rendit compte que même les petits détails anodins – un passage furtif, une lumière allumée trop longtemps, un mot chuchoté – pouvaient être des indices cruciaux.
Vers 23h30, il se leva enfin et fit le tour de sa chambre, observant les étagères, les posters, le petit carnet ouvert sur le bureau. Le silence pesant de l’appartement l’enveloppait. La seule lumière venait de la lampe de bureau, projetant des ombres mouvantes sur les murs. Il respira profondément, essayant de calmer l’excitation et l’inquiétude qui bouillonnaient en lui.
Avant de se coucher, il réfléchit à la suite. Demain, il devait trouver un moyen de parler de nouveau à Elior, peut-être plus directement. Il devait aussi continuer à observer la maison, noter les mouvements suspects et chercher à relier chaque élément entre eux. Une stratégie prenait forme dans son esprit : patience, observation, collecte de preuves.
Finalement, il éteignit l’ordinateur et s’allongea sur son lit. Les yeux fixant le plafond, il repensa à la phrase d’Elior : « Les disparitions… c’est normal de nos jours… enfin… je… je pense… » Elle tournait en boucle dans son esprit, plus inquiétante à chaque répétition. Il savait qu’il venait de toucher quelque chose de plus grand que lui, quelque chose qui le dépassait, et pourtant, il sentait qu’il devait continuer, coûte que coûte.
Le sommeil finit par le gagner, mais il se réveilla plusieurs fois, l’esprit agité par les images de la journée, par les mots du blog et par le visage d’Elior. La nuit s’étira, longue et troublante, et lorsqu’il se leva enfin, il savait qu’il entamait un chemin qu’il ne pourrait plus abandonner.

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