Chapitre 11

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Le jeudi s’achevait avec lenteur, et la lumière du soleil tombant derrière les nuages projetait des ombres longues sur les trottoirs de la ville. Mathis avait passé la journée à suivre ses cours, mais ses pensées restaient rivées sur son voisin. Depuis qu’Elior était arrivé dans sa classe, il n’avait pas cessé de l’observer discrètement, notant chacun de ses gestes, chaque signe de nervosité ou de malaise.

En traversant les rues familières du quartier, Mathis sentit l’air humide qui s’était infiltré depuis la pluie de la veille. L’odeur de la terre mouillée et des feuilles encore perlées de gouttes lui donnait un sentiment étrange, à la fois calme et lourd. Il s’arrêta un instant sur le trottoir, respirant profondément, puis se remit en marche vers la maison d’Elior.

Dès qu’il aperçut la façade, il remarqua les allées et venues habituelles. Une femme d’âge moyen, vêtue d’un manteau sombre, sortit avec précipitation et monta dans une voiture garée non loin. Quelques minutes plus tard, un adolescent qu’il n’avait jamais vu pénétra dans la maison, un sac à dos sur l’épaule, et disparut derrière la porte. Mathis observa avec attention, son esprit cherchant à comprendre le rythme de ces visites, le rôle de chaque personne.

Il resta un moment à regarder, notant mentalement chaque détail. Le parfum du bois brûlé provenant de la cheminée se mêlait à l’air frais, tandis que l’ombre des branches d’un arbre dans le jardin venait jouer sur les volets mi-clos. Les silhouettes qui passaient devant les fenêtres donnaient à la maison un air mystérieux et presque vivant, comme si elle respirait au rythme des visiteurs.

Alors qu’il s’apprêtait à s’éloigner, Mathis se dit qu’il devait trouver une manière de parler à Elior, mais sans le brusquer. Il se remémora leur courte discussion au club, la timidité et la nervosité du jeune garçon, et comprit qu’il faudrait y aller doucement, avec patience.

— Je ne peux pas me contenter de regarder de loin… murmura-t-il pour lui-même. Il faut que je trouve le bon moment…

Il décida alors de rentrer chez lui pour faire un point sur ce qu’il savait et réfléchir à la manière d’aborder Elior. En traversant les rues calmes, il remarqua un petit attroupement devant l’entrée du lycée. Curieux, il s’approcha et entendit son professeur d’histoire parler à voix basse à un groupe d’élèves.

— Je dois vous annoncer quelque chose… commença-t-il, le ton grave. Quatre élèves ont disparu ces dernières semaines. Les recherches continuent, mais pour l’instant, il n’y a pas de nouvelles. L’un d’entre eux est un ami proche de votre camarade Louise.

Mathis sentit un frisson le parcourir. Il connaissait Louise, et il savait à quel point la disparition de son ami pouvait être traumatisante pour elle. Le mystère autour de ces disparitions, ajouté à ses observations de la maison d’Elior, fit naître une inquiétude sourde dans sa poitrine.

Rentré chez lui, il s’installa à son bureau et prit une feuille pour faire le point. Il nota :

"Les allées et venues incessantes à la maison d’Elior.
Le jeune garçon, toujours discret et nerveux.
Les visiteurs mystérieux, souvent silencieux, parfois pressés.
Les quatre élèves disparus récemment, dont l’ami de Louise."

Il observa ensuite le carnet où il avait noté les petites habitudes d’Elior, les détails subtils qui trahissaient sa nervosité et sa timidité. Mathis savait qu’il devait agir avec prudence. Approcher Elior trop directement pourrait le faire se refermer, mais ne rien faire pourrait signifier passer à côté d’informations cruciales sur ces disparitions inquiétantes.

Le reste de l’après-midi se passa entre réflexions et planification. Mathis ouvrit son ordinateur, cherchant des informations sur les disparitions. Les articles et forums qu’il trouva ne donnaient que des détails fragmentaires, souvent contradictoires. Mais un schéma semblait émerger : les élèves disparus avaient tous des liens indirects avec certaines familles influentes de la ville, et certains avaient mentionné des rencontres mystérieuses ou des invitations étranges.

Alors que la lumière déclinait, Mathis sentit une pointe de nervosité et de responsabilité. Il savait que la semaine suivante serait cruciale : il devait se rapprocher d’Elior, comprendre ce qui se passait chez lui, et en même temps rester attentif aux disparitions qui semblaient étrangement liées à ce mystère.

En s’asseyant près de sa fenêtre, il regarda la maison d’Elior une dernière fois avant la tombée de la nuit. Les volets mi-clos, les silhouettes furtives et les mouvements à l’intérieur continuaient de nourrir sa curiosité et son inquiétude. Il savait qu’il ne pouvait pas rester les bras croisés, mais chaque action devait être calculée, chaque mot mesuré.

— Demain… je vais parler à Elior, pensa-t-il. Juste un peu… pour voir…

L’air de fin d’après-midi sentait encore l’humidité de la pluie et la terre fraîche. Le calme apparent de la rue masquait le tumulte de ses pensées. Les disparitions, les visiteurs, la nervosité d’Elior… tout se mêlait dans son esprit. Une chose était certaine : il devait comprendre.

Le vendredi matin s’étirait avec cette lumière grise qui tombait à travers les rideaux légèrement tirés des fenêtres de la salle de classe. Les ombres des branches d’arbres dans la cour dansaient sur les murs, déformant les silhouettes des élèves installés à leurs bureaux. Mathis, assis à sa place habituelle, observait Elior, qui semblait absorbé par un point invisible sur sa table. Ses mains étaient serrées sur le bord du bureau, ses épaules légèrement voûtées. Il n’avait pas encore levé les yeux pour regarder qui entrait ou sortait de la classe.

La sonnerie annonçant le début des cours résonna comme un rappel métallique que le temps continuait, implacable. Le professeur de mathématiques, d’un ton posé mais monotone, commença à dicter un nouvel exercice sur les équations différentielles. Le grincement régulier de la craie sur le tableau noir et le froissement des feuilles créaient un arrière-plan rassurant, mais pour Mathis, aucune sonorité n’était vraiment apaisante. Tous ses sens étaient concentrés sur Elior.

Lors de la pause, Mathis s’approcha doucement. Il ne voulait pas attirer l’attention, mais il sentait qu’il devait essayer de parler, même un peu.

— Salut… tu… ça va ? murmura-t-il, sa voix hésitante.

Elior leva à peine la tête, ses yeux gris rencontrant brièvement ceux de Mathis avant de se détourner. Sa voix sortit, faible, monotone, presque comme un souffle :

— Ça va… mais peut-être que je ne suis pas vraiment là… juste un reflet de ce que je devrais être.

Mathis cligna des yeux, surpris par l’étrangeté de la réponse.

— Un reflet ? demanda-t-il doucement.

— Oui… un reflet qui ne parle pas aux murs, mais qui écoute quand personne ne regarde… dit Elior, presque sans conviction, les yeux à nouveau rivés sur sa table.

Mathis sentit un frisson. Chaque mot semblait chargé d’une signification qu’il ne comprenait pas. Pourtant, il continua, choisissant ses questions avec soin :

— Et… les disparitions… tu… tu en penses quoi ?

Elior pencha la tête, tapotant lentement le coin de son bureau. Il ne leva pas les yeux vers Mathis, sa voix était basse, étrangement détachée :

— Les disparitions… ce sont comme des pierres qu’on oublie de replacer. Ou peut-être des miettes qu’on laisse derrière soi. Je ne sais plus très bien…

Mathis sentit son cœur se serrer. Le sens exact de cette phrase lui échappait, mais quelque chose dans le ton d’Elior était inquiétant.

— Les pierres… les miettes… tu veux dire que… c’est… normal ? murmura-t-il, hésitant.

Elior haussa légèrement les épaules :

— Normal… peut-être. Ou pas… ça dépend de celui qui regarde. Tout dépend du silence qu’on écoute…

Le silence qui suivit pesait lourd. Les autres élèves discutaient ou riaient à côté, mais Mathis n’entendait rien. Ses sens étaient tendus vers Elior, cherchant le moindre indice, le moindre signe d’émotion ou de détresse.

Quand le déjeuner arriva, Mathis ouvrit son sac et sortit son sandwich et sa bouteille d’eau. Il jeta un coup d’œil à Elior : le jeune garçon n’avait touché à rien. Ni pain, ni fruit, ni boisson. L’assiette restait intacte, comme si elle n’avait pas été posée là pour lui.

— Tu… tu ne manges pas ? demanda Mathis, sa voix basse, presque un souffle.

— Manger… c’est laisser entrer ce qui dort dehors, répondit Elior d’une voix neutre. Ce n’est pas pour moi… dit-il enfin, en inclinant légèrement la tête.

Mathis fronça les sourcils, le cœur battant plus vite. Chaque geste, chaque mot d’Elior semblait chargé d’un message codé, énigmatique et inquiétant. Il observa encore un moment, notant le léger tremblement des mains, le regard fuyant, le silence qui semblait envelopper Elior comme un cocon fragile mais oppressant.

— Et… toi… ça te touche, toutes ces disparitions ? murmura Mathis, tentant une approche plus subtile.

Elior tourna brièvement les yeux vers lui, et un léger sourire presque imperceptible effleura ses lèvres.

— Toucher… je ne sais pas… c’est comme regarder l’eau sans jamais y plonger. On sait qu’elle existe, mais on ne sait pas ce qu’elle cache… dit-il enfin, d’un ton détaché, mais avec une nuance de gravité qui fit frissonner Mathis.

Mathis ne répondit pas immédiatement. Il sentit le poids du silence, la distance étrange qu’Elior mettait entre lui et le monde. Et pourtant, il y avait cette étincelle de communication, si subtile qu’elle aurait pu passer inaperçue à quiconque d’autre.

La fin de la pause approchait, et les élèves retournèrent à leurs places. Mathis s’assit près d’Elior, laissant son regard se perdre un instant sur le cahier ouvert devant lui. La lumière qui tombait des fenêtres baignait la pièce d’un gris doux et mélancolique, tandis que le grincement de la craie et le froissement des feuilles accompagnaient chaque pensée de Mathis.

— Demain… murmura-t-il presque pour lui-même. On pourrait… parler un peu plus… juste toi et moi…

Elior leva lentement les yeux, le regard vague mais attentif.

— Demain… peut-être… murmura-t-il en écho, sans sourire, sans promesse, seulement comme une confirmation que les mots avaient été entendus.

Le reste de la journée passa dans un mélange de cours et de silence. Mathis notait mentalement chaque détail, chaque geste, chaque phrase cryptique. Il observait Elior sans le quitter des yeux, essayant de percer le mystère de ce comportement détaché et étrange. Le jeune garçon semblait vivre dans un monde parallèle, isolé même parmi ses camarades, et Mathis comprit qu’il devait faire preuve de patience, de prudence, et surtout d’attention constante.

À la fin des cours, alors qu’ils quittaient la salle, Mathis marcha un peu à l’écart, réfléchissant à tout ce qu’il venait d’entendre. Chaque phrase, chaque geste d’Elior était une pièce d’un puzzle incomplet, mais il commençait à percevoir une logique derrière ce détachement apparent : Elior se protégeait peut-être, ou essayait de cacher quelque chose de plus profond.

— Il faut que je trouve un moyen de l’approcher… pensa Mathis, le pas lent, le cœur lourd de préoccupations.

Il jeta un dernier regard vers Elior, qui disparaissait derrière le portail de sa maison, seul et silencieux. Le ciel s’assombrissait, les ombres s’allongeaient sur le trottoir, et la nuit semblait promettre plus de questions que de réponses. Mathis sut qu’il devrait continuer à observer, continuer à chercher, et surtout, attendre le bon moment pour comprendre ce que le jeune garçon vivait réellement.

La pluie tombait doucement contre les vitres de la chambre de Mathis, traçant des lignes brillantes et irrégulières sur le verre. L’odeur humide de la terre et du goudron s’infiltrait par la fenêtre entrouverte, mêlée au parfum de son bureau où s’empilaient encore les cahiers et les feuilles de cours de la semaine. Il s’assit sur le bord de son lit, le sac à dos posé à côté de lui, et fixa la lueur diffuse de la lampe qui projetait des ombres tremblantes sur les murs. Tout son esprit était occupé par Elior.

Il repensa à la journée : le détachement de son voisin, ses phrases étranges, son refus de toucher à son repas, et ce silence qui pesait plus que n’importe quel bruit dans la classe. Les réponses d’Elior, cryptiques et presque poétiques, tournaient dans sa tête comme des énigmes.

« Les disparitions… ce sont comme des pierres qu’on oublie de replacer… »
« Toucher… c’est comme regarder l’eau sans jamais y plonger… »
« Manger… c’est laisser entrer ce qui dort dehors… »

Chaque phrase lui revenait en boucle, plus lourde que la précédente. Mathis sentit un frisson parcourir son dos. Il savait déjà que les disparitions concernaient plusieurs élèves de son lycée, dont un ami proche de sa meilleure amie, et le détachement d’Elior ne faisait qu’accentuer son inquiétude.

Il se leva et se dirigea vers son bureau, ouvrant son ordinateur portable. Le blog étrange qu’il avait trouvé quelques jours plus tôt défila devant ses yeux. Les articles semblaient cryptiques eux aussi, certains relatant des rituels, des cercles, des prières et des « purifications » qui lui rappelaient trop ce qu’il avait aperçu par la fenêtre d’Elior. Mais rien n’était clair, tout était fragmenté, comme si chaque auteur avait peur de dévoiler directement la vérité.

Il parcourut les pages, annotant mentalement chaque détail. Il nota la fréquence des publications, les horaires, les mots récurrents, et le ton inhabituellement sérieux et sombre de certains articles. Son cœur s’accélérait lorsqu’il croisa un passage sur un « jeune de trois jours », exactement la formule qu’il avait entendue. Mathis se mordit la lèvre, le sentiment de malaise grandissant.

Il se leva pour faire le tour de sa chambre, les mains dans les poches, le regard se posant sur les affiches de son groupe de rock préféré, la pile de livres sur son bureau et le vieux tapis un peu usé au pied du lit. Tout semblait banal, pourtant, il sentait le poids de l’inconnu peser sur lui. Il savait qu’il devait agir avec prudence, mais la curiosité et l’inquiétude étaient plus fortes que la peur.

Pour se changer les idées, il attrapa son téléphone et composa le numéro de Leo, son ami hors de sa classe. Le bruit léger de la pluie accompagna la sonnerie, et bientôt la voix familière de Leo résonna.

— Salut Mathis ! fit Leo, jovial. Tu vas bien ?

— Salut… oui… enfin… ça va, répondit Mathis, en cherchant ses mots. J’avais juste besoin de parler un peu…

Ils discutèrent d’abord de banalités : le dernier cours, le club de journalisme que Mathis avait rejoint, la musique qu’ils écoutaient, et les dernières anecdotes de leurs camarades. Leo parla de son nouveau boulot, de ses collègues un peu bizarres, et Mathis sourit intérieurement, heureux de cette normalité, même fugace.

— Et toi… le club ? demanda Leo. Tu t’y plais ?

— Oui, enfin… c’est intéressant… on fait des projets, mais… j’ai beaucoup à penser en ce moment, avoua Mathis.

Leo ne posa pas de question. Il avait compris que certaines choses restaient personnelles, et ils continuèrent à parler de musique et de films, laissant le sérieux pour un autre moment.

Lorsque la conversation prit fin, Mathis se laissa tomber sur son lit, le téléphone toujours en main, les yeux fixant le plafond. Il repensa à Elior, à ses phrases, à ce silence inquiétant et à ce refus de manger. Il savait qu’il devait trouver un moyen de l’aider, ou au moins de comprendre ce qu’il vivait.

Un léger bruit dans la maison attira son attention. La pluie s’était arrêtée, et le vent faisait bruisser les feuilles à l’extérieur. Mathis se leva pour jeter un coup d’œil à la fenêtre et vit une silhouette passer rapidement devant la maison d’Elior. Il fronça les sourcils. Cela ressemblait à un adulte qu’il n’avait jamais vu auparavant. Le cœur battant, il retourna à son lit, réfléchissant à ce qu’il venait de voir.

« Il faut que je parle à Elior… pas trop directement, mais assez pour comprendre… » pensa-t-il.

Il prit un carnet et un stylo et commença à noter toutes ses observations depuis le début de la semaine : les allées et venues devant la maison d’Elior, le refus de manger, les phrases étranges qu’il avait entendues, et ce blog cryptique. Chaque mot, chaque note semblait le rapprocher d’une vérité qu’il pressentait, mais qu’il n’arrivait pas encore à cerner.

Alors que l’heure avançait, Mathis sentit ses paupières devenir lourdes, mais son esprit ne cessait de tourner. Il imagina des scénarios possibles, des rituels, des contrôles, et se promit de rester attentif le week-end. Il savait qu’il devrait attendre un moment propice, observer davantage, et peut-être tenter de créer une conversation plus directe, mais toujours subtile, avec Elior.

Finalement, il ferma son carnet, éteignit la lampe, et se glissa sous les couvertures. La nuit tombait complètement maintenant, et le silence de la maison contrastait avec le tumulte de ses pensées. Il pensa à Elior, à son détachement, à la froideur presque mécanique de ses réponses, et à ce refus de nourrir son corps, qui lui semblait un signe de contrôle ou de maltraitance.

« Demain… je trouverai un moyen… doucement… » se promit Mathis, alors que ses yeux se fermaient enfin, mais son esprit restait en alerte, surveillant l’ombre de ce mystère qui pesait sur Elior.

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