Chapitre 12
Mathis s’éveilla plus tard que d’habitude ce samedi, le soleil déjà haut filtrant à travers les rideaux gris de sa chambre. L’air avait cette odeur de café et de tartines grillées qui montait du rez-de-chaussée, signe que sa mère était déjà debout depuis longtemps. Il se frotta les yeux, les paupières encore lourdes, et resta quelques instants allongé, écoutant les bruits familiers de la maison : la vaisselle qu’on rangeait, un robinet qui coulait, le pas feutré de son frère dans le couloir.
Il finit par se lever et enfila un vieux sweat à capuche. Dans le miroir accroché à sa porte, il observa son reflet un instant. Il avait l’air fatigué, ses cheveux en bataille, mais ce qui le frappa surtout fut cette ombre de préoccupation dans ses traits. Depuis quelques jours, c’était devenu une habitude : se réveiller avec Elior en tête.
En descendant, il salua rapidement sa mère, qui préparait un gâteau. « Bien dormi ? » demanda-t-elle d’un ton distrait, les mains couvertes de farine.
« Ouais… ça va », répondit Mathis, même si ce n’était qu’à moitié vrai.
Il attrapa une tartine, ajouta un peu de confiture et s’installa près de la fenêtre de la cuisine. De là, il pouvait voir une partie de la rue. Son regard glissa naturellement vers la maison voisine. Les volets restaient clos, comme toujours. Une camionnette blanche s’était garée un peu plus loin, et deux hommes en sortirent. Ils ne semblaient pas pressés, discutant en bas du trottoir, avant de disparaître à l’intérieur. Mathis sentit un pincement dans la poitrine. Encore des visiteurs. Encore ce mystère qui l’obsédait malgré lui.
Il détourna les yeux quand son frère entra dans la cuisine, bâillant bruyamment. « Tu fais une tronche… On dirait que t’as passé la nuit dehors », lança-t-il avec un petit rire.
Mathis se contenta de lever les yeux au ciel et de finir sa tartine. Aujourd’hui, il avait prévu de voir Julien. Ça lui ferait du bien, peut-être. Une bouffée d’air frais au milieu de ce brouillard de doutes.
Julien l’attendait devant le café du centre-ville, une main dans la poche, l’autre tenant son téléphone. Comme toujours, il avait l’air décontracté, son sourire prêt à se déployer au moindre mot. « Hé ! Enfin ! J’me disais que t’allais jamais arriver », lança-t-il en rangeant son portable.
« Désolé, j’ai traîné ce matin », répondit Mathis en haussant les épaules.
Ils entrèrent ensemble. L’intérieur sentait le café moulu et le sucre chaud, avec en fond la musique douce d’une radio. Ils prirent place près de la vitre. Julien commanda un chocolat chaud, Mathis un simple café noir.
« Alors, raconte », dit Julien en s’affalant contre la banquette. « Ta semaine ? Toujours autant de profs relous ? »
Mathis eut un petit sourire. « Bah… oui. Rien de nouveau. »
Julien leva un sourcil. « T’as pas l’air convaincu. Tu fais la tête depuis que t’es arrivé. »
« Non, c’est juste… j’suis fatigué. »
Julien le regarda un instant, mais choisit de ne pas insister. À la place, il lança sur un ton plus léger : « T’as vu le film dont je t’ai parlé ? Celui avec les châteaux hantés ? »
Mathis secoua la tête. « Pas encore. Mais j’me dis que ça pourrait être utile, vu que notre prof d’histoire nous traîne en voyage le mois prochain. »
« Exactement ! T’imagines, une semaine entourés de vieilles pierres, ça va être l’occasion de flipper pour de vrai. » Julien accompagna ses mots d’un grand sourire.
Mathis rit un peu, mais son esprit s’égara vite. Par la fenêtre du café, il aperçut une silhouette familière traverser la rue, un homme qui l’avait déjà vu entrer chez Elior quelques jours plus tôt. Cette vision lui fit serrer sa tasse entre ses mains.
« Mathis ? » fit Julien en claquant des doigts devant lui. « Tu décroches, là. »
« Désolé. J’pensais à… autre chose. »
« Genre ? »
« Rien d’important », éluda Mathis.
Julien fronça légèrement les sourcils, mais préféra changer de sujet. Ils parlèrent alors des clubs du lycée, des projets à venir. Julien plaisanta sur leur prof de sport qui criait plus qu’il n’enseignait, et Mathis répondit du tac au tac, retrouvant un peu de légèreté.
Après leur café, ils décidèrent de marcher dans le parc. L’air était frais, chargé d’odeurs d’herbe et de terre humide. Des familles se promenaient, des enfants jouaient autour de l’aire de jeux. Mathis inspira profondément, profitant du calme relatif.
« Tu sais », dit Julien en lançant un caillou dans l’étang, « parfois t’es trop dans ta tête. Faudrait que tu souffles un peu. »
Mathis esquissa un sourire. « Ouais, j’sais. »
« Sérieux, t’as ce regard… comme si t’avais vu un fantôme. »
Mathis hésita, puis répondit simplement : « Peut-être que j’ai juste trop d’imagination. »
Julien éclata de rire. « Ça, c’est sûr. Mais c’est pour ça qu’on t’aime bien. »
Mathis baissa les yeux, touché malgré lui. Il aurait aimé pouvoir se confier, dire ce qu’il voyait, ce qui l’inquiétait chez Elior et cette maison pleine de secrets. Mais il garda le silence. C’était trop tôt, trop flou.
En revenant vers le centre, ils passèrent devant une petite librairie. Julien insista pour entrer. L’air y sentait le papier ancien et l’encre. Ils parcoururent les rayons, plaisantant sur les couvertures les plus kitsch. Mathis, lui, s’arrêta devant une étagère de livres ésotériques. Des titres étranges, parlant de rituels, d’énergies, de purifications. Son cœur accéléra. Il se força pourtant à détourner le regard, de peur que Julien ne remarque son trouble.
« Hé, regarde ce bouquin ! » Julien lui tendit un roman de fantasy aux illustrations criardes. Mathis rit, se détendant un peu.
Ils sortirent ensuite de la librairie, chacun avec un petit achat. Julien s’était pris une BD, Mathis un carnet vierge sans trop savoir pourquoi. Peut-être pour mettre ses pensées en ordre, loin de l’écran de son téléphone.
Sur le chemin du retour, la conversation se fit plus calme. Le soleil commençait à décliner, enveloppant les rues d’une lumière dorée. Mathis sentit malgré tout ce poids revenir dans sa poitrine. En passant devant une rue adjacente, il aperçut de nouveau la silhouette d’un inconnu qu’il avait remarqué plus tôt. L’homme se tenait non loin de la maison d’Elior, fumant une cigarette, son regard insistant fixé vers les volets fermés.
Mathis ralentit sans s’en rendre compte.
« Quoi ? » demanda Julien en suivant son regard.
« Rien », répondit vite Mathis. « Juste… quelqu’un que je croyais reconnaître. »
Julien haussa les épaules et continua à marcher, mais Mathis ne put s’empêcher de jeter un dernier coup d’œil.
Quand ils se séparèrent devant le café où ils s’étaient retrouvés plus tôt, Julien lui tapa sur l’épaule. « Essaie de pas trop cogiter ce week-end, ok ? Ça fait du bien de décrocher parfois. »
« Ouais… je vais essayer », mentit Mathis avec un sourire forcé.
En reprenant le chemin de chez lui, il savait déjà qu’il ne pourrait pas. Ses pensées revenaient inlassablement à Elior, aux regards des inconnus, aux phrases énigmatiques qu’il avait lues la semaine dernière sur ce blog. Et ce carnet qu’il tenait dans son sac lui semblait désormais moins anodin. Peut-être qu’il aurait besoin de coucher tout ça quelque part, de mettre de l’ordre dans ce chaos.
Le soleil commençait à descendre derrière les toits quand Mathis quitta Julien. Les rues se teintaient de cette lumière orangée qui adoucissait les contours des bâtiments. Le vent frais du soir faisait bruisser les arbres, portant avec lui l’odeur humide du bitume encore tiède. Mathis marchait lentement, son sac sur l’épaule, la tête lourde de pensées.
Julien avait raison : il cogitait trop. Mais comment faire autrement ? Depuis quelques jours, chaque regard en direction de la maison voisine réveillait un sentiment étrange, mélange de curiosité et de malaise. Et ce carnet qu’il avait acheté presque par réflexe lui semblait brûler dans son sac, comme s’il attendait d’être rempli de questions, d’indices, de fragments de vérité.
Arrivé dans sa rue, Mathis ralentit instinctivement. Son regard se porta sur la façade d’Elior. Comme toujours, les volets restaient clos, coupant la maison de la lumière extérieure. La camionnette blanche qu’il avait vue le matin n’était plus là, mais une sensation oppressante persistait.
Alors qu’il passait devant la grille, il s’arrêta net. Une silhouette se tenait assise sur le perron, la tête légèrement penchée, comme absorbée par le sol. Il fallut quelques secondes à Mathis pour comprendre que c’était Elior. Son cœur fit un bond. C’était la première fois qu’il le voyait dehors, immobile, à découvert.
Elior releva la tête, ses yeux pâles se posant sur lui. Il ne sourit pas. Il n’eut pas non plus l’air surpris. Il se contenta de dire d’une voix basse :
— Tu reviens tard.
Mathis sentit une hésitation le traverser. Il aurait pu répondre simplement, continuer son chemin. Mais il s’approcha, comme attiré malgré lui.
— J’étais avec un ami, répondit-il. Et toi ? Tu attends quelqu’un ?
Elior secoua la tête, un mouvement presque imperceptible.
— Non. Je respire un peu… avant la nuit.
Il y avait dans sa voix une inflexion étrange, comme si ces mots avaient un sens plus lourd que ce qu’ils semblaient dire. Mathis fronça légèrement les sourcils et s’assit prudemment sur le muret, à quelques pas.
Un silence s’installa, seulement brisé par le vent qui faisait claquer une enseigne au bout de la rue. Mathis cherchait ses mots. Il ne voulait pas être trop direct, ni trop insistant. Il se souvenait de la façon dont Elior s’était fermé la dernière fois qu’il avait osé aborder les disparitions. Pourtant, l’occasion était trop rare pour la laisser filer.
— Tu sais… commença-t-il d’une voix presque timide. J’arrête pas de penser à… ce qui se passe au lycée. Les disparitions.
Elior tourna lentement la tête vers lui. Ses yeux semblaient plus clairs encore dans la pénombre naissante. Il ne répondit pas immédiatement, laissant planer une tension qui fit battre le cœur de Mathis plus vite. Enfin, il dit :
— Les disparitions… Ce sont des choses qui arrivent.
Son ton n’était pas froid, mais détaché, comme s’il parlait d’un événement banal, inévitable. Mathis sentit un frisson lui parcourir la nuque.
— Comment ça, « des choses qui arrivent » ? reprit-il, essayant de garder un ton neutre.
Elior haussa à peine les épaules.
— Le monde est rempli de gens qui s’en vont… certains reviennent, d’autres pas. C’est normal, non ? Enfin… je crois.
Il avait ajouté cette dernière phrase comme une correction, mais trop tard. Mathis l’avait entendu : ce détachement, cette manière de considérer l’inacceptable comme une évidence.
— Normal ? répéta Mathis en fronçant les sourcils. Tu trouves ça normal que quatre élèves disparaissent sans explication, et que personne ne sache où ils sont ?
Elior ne répondit pas tout de suite. Il baissa les yeux vers ses mains croisées sur ses genoux, comme s’il cherchait ses mots ou hésitait à en dire trop.
— Parfois… il vaut mieux ne pas trop chercher. Les réponses… elles ne sont pas toujours bonnes à connaître.
Mathis sentit son ventre se nouer. Ses doutes, déjà nombreux, se renforçaient. Ce n’était pas une phrase anodine. C’était presque un avertissement.
Il se força à rester calme, à ne pas montrer son trouble.
— Et toi ? Ça t’inquiète pas ? demanda-t-il doucement.
Elior releva les yeux vers lui. Ses traits restaient impassibles, mais une lueur étrange traversa son regard, un éclat indéfinissable.
— J’ai appris à ne pas m’inquiéter. Quand on s’inquiète trop… on finit par disparaître aussi.
Mathis écarquilla légèrement les yeux. Il voulut répondre, mais sa gorge resta sèche. Les mots d’Elior résonnaient comme une énigme, ou comme une vérité qu’il n’avait pas le droit de saisir.
Ils restèrent ainsi, plongés dans un silence lourd, jusqu’à ce qu’un bruit de porte résonne à l’intérieur de la maison d’Elior. Une voix grave appela, indistincte, mais le ton était sec, autoritaire. Elior se leva aussitôt, raide, presque mécanique.
— Je dois rentrer.
Il fit quelques pas vers la porte, puis s’arrêta. Il se retourna vers Mathis, son expression indéchiffrable.
— Tu devrais arrêter de t’intéresser à tout ça. Ce n’est pas… bon pour toi.
Et sans attendre de réponse, il disparut à l’intérieur, refermant la porte derrière lui.
Mathis resta figé sur le muret, incapable de bouger. Son cœur battait à tout rompre, ses pensées se bousculaient. Chaque phrase d’Elior était comme un puzzle dont les pièces ne s’emboîtaient pas encore, mais qui formaient une image inquiétante.
Il pensa aux visiteurs qu’il avait vus entrer dans la maison, aux murmures entendus l’autre soir, à cette idée de « purification » évoquée à voix basse, et maintenant à cette conversation étrange. Tout s’imbriquait dans une logique obscure, mais terrifiante.
« Il a peur », songea Mathis. « Il essaie de dire des choses sans vraiment les dire. Peut-être qu’il veut que je comprenne, sans pouvoir l’expliquer. »
Le vent s’était levé, glaçant la rue. Mathis finit par se lever et rentrer chez lui, la gorge serrée.
Le crépuscule s’était transformé en une nuit complète quand Mathis poussa la porte de sa maison. La chaleur familière l’enveloppa aussitôt, contraste brutal avec le froid de dehors. Il laissa son sac tomber au pied de l’escalier et resta immobile un instant dans l’entrée, encore troublé par ce qu’il venait de vivre.
Les mots d’Elior résonnaient en boucle dans sa tête. « Les disparitions… Ce sont des choses qui arrivent. » Et puis ce ton détaché, comme s’il parlait de la météo. Non… pire : comme s’il répétait quelque chose qu’on lui avait appris à dire.
Il monta les escaliers d’un pas lourd et poussa la porte de sa chambre. Sa chambre n’était pas grande, mais elle avait ce désordre familier qui la rendait vivante : des piles de livres près du bureau, un vieux poster de groupe de rock déchiré au coin, et sur la commode, les petites figurines qu’il collectionnait encore malgré son âge. La lampe de chevet diffusait une lumière chaude qui contrastait avec l’obscurité de la rue derrière la fenêtre.
Mathis s’assit à son bureau, sortit le carnet acheté plus tôt et le posa devant lui. Le papier blanc lui donna l’impression de l’attendre, presque de l’appeler. Il prit son stylo, le fit tourner dans sa main, et se lança.
Samedi soir
J’ai parlé avec Elior. Enfin… si on peut appeler ça parler.
Il était dehors, assis sur son perron, comme s’il attendait quelque chose. Quand je lui ai parlé des disparitions, il a dit que « ce sont des choses normales », comme si la disparition de quatre élèves n’avait rien d’inquiétant. Comme si c’était juste un fait banal.
Mais le pire, c’est quand il a ajouté que ceux qui s’inquiètent trop finissent par disparaître aussi. C’est quoi, ça ? Une menace ? Un conseil ? Ou un avertissement ?
Il leva les yeux du carnet, écoutant un instant la maison autour de lui. En bas, son frère riait bruyamment devant une vidéo, le son montant parfois trop fort. Sa mère passait l’aspirateur dans le couloir de l’étage, comme si elle voulait chasser un dernier reste de poussière avant la nuit. Tout était banal, presque trop banal.
Mathis soupira et reprit l’écriture.
Elior est différent. Je ne sais pas comment l’expliquer. Ce n’est pas juste un voisin un peu bizarre. C’est comme s’il vivait dans un autre monde, où les règles n’étaient pas les mêmes.
Il ne mange pas à la cantine. Il est toujours silencieux en classe. Et quand il parle, c’est pour dire des choses étranges, qui ne collent pas avec ce qu’on attendrait d’un ado de notre âge.
Est-ce qu’il essaie de me faire passer un message ? Ou est-ce que je m’invente des histoires ?
Mathis lâcha le stylo, croisa les bras sur le bureau et posa son front contre eux. Une fatigue lourde l’envahit d’un coup. Mais il savait que ce n’était pas le sommeil. C’était le poids de l’incompréhension, ce mélange de peur et de fascination qu’Elior faisait naître en lui.
Il repensa à Julien. À la conversation légère qu’ils avaient eue au café. Julien lui avait semblé si simple, si normal, si loin de ces histoires de disparitions, de cérémonies étranges et de voisins inquiétants. Pourquoi je ne peux pas juste me contenter de ça ? se demanda-t-il. Pourquoi je m’accroche à Elior, alors qu’il me fait flipper la moitié du temps ?
Une autre pensée, plus sourde, se glissa en lui : son ex. Leur rupture, sept mois plus tôt. Cette révélation brutale qu’il n’était pas fait pour elle, mais pour lui. Pour « eux », les garçons. Il avait mis longtemps à l’accepter, à trouver les mots. Et même aujourd’hui, il se sentait fragile à ce sujet. Peut-être que son obsession pour Elior avait aussi un lien avec ça. Peut-être qu’il cherchait à comprendre chez lui quelque chose qu’il n’osait pas affronter en lui-même.
Il referma le carnet, incapable de continuer.
La nuit s’épaissit peu à peu. La maison s’endormit autour de lui, les bruits familiers s’éteignirent un à un. Son frère finit par fermer sa console, sa mère par monter se coucher. Le silence devint presque pesant.
Mathis éteignit sa lampe et se glissa sous ses draps. Mais il ne trouvait pas le sommeil. Son esprit, au lieu de s’apaiser, se mit à lui jouer des tours.
Chaque craquement du bois de la maison lui paraissait plus fort que d’habitude. Le frottement d’une branche contre la fenêtre ressemblait à des griffures. Et, par instants, il avait la sensation – absurde mais tenace – que quelqu’un l’observait.
Il ferma les yeux, espérant que ça passerait. Mais les images revinrent aussitôt. Elior, ses yeux pâles dans la pénombre. Les visiteurs du soir, assis en cercle dans la maison voisine, les bougies dessinant des ombres inquiétantes. Et cette voix qu’il avait déjà entendue, chuchotant des phrases incompréhensibles.
Il rouvrit brusquement les yeux, le cœur battant. Une sueur froide perlait sur son front. C’était comme un cauchemar éveillé. Il se redressa dans son lit, essuya sa nuque humide et resta assis dans le noir, les mains tremblantes.
Il pensa un instant à descendre boire un verre d’eau, mais renonça. Le silence de la maison l’écrasait trop pour oser franchir le seuil de sa chambre.
Alors, presque mécaniquement, il ralluma sa lampe et rouvrit son carnet. Il nota, d’une écriture tremblée :
Je crois que je deviens fou.
Même quand je ferme les yeux, je le vois. Elior. Ses phrases bizarres. Sa façon de parler comme si tout ça était normal.
Je voudrais en parler à Julien, ou à Léo, ou même à mon frère. Mais je n’arrive pas. J’ai peur qu’ils se moquent. Ou qu’ils me disent d’arrêter de m’inventer des histoires.
Pourtant… je sais que ce n’est pas une invention.
Il posa son stylo et se laissa tomber en arrière sur le matelas. Son regard erra un long moment sur le plafond. Puis, lentement, il se tourna sur le côté et tira la couverture jusqu’à son menton.
Ses paupières se fermèrent malgré lui. Les images revinrent aussitôt, plus sombres, plus floues. La maison d’Elior. La voix dans la nuit. Des yeux pâles qui l’observaient à travers une fente de volet.
Quand il rouvrit les yeux, il était trempé de sueur. Le réveil indiquait cinq heures du matin. Impossible de se rendormir.
Mathis resta assis, haletant dans le silence. Son cœur battait vite, trop vite. Et, au fond de lui, une certitude naissait, glaciale : il ne s’agissait plus d’une simple curiosité. Quelque chose se passait, juste à côté. Quelque chose qui concernait directement Elior.
Et il devait comprendre.

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