Chapitre 15
Les couloirs du lycée semblaient plus silencieux que d’habitude. Même les bavardages des élèves paraissaient étouffés, comme avalés par un voile invisible. Depuis l’annonce de la disparition de Léo, l’atmosphère s’était transformée en quelque chose de lourd et de pesant, et Mathis le sentait à chaque pas. Ses yeux glissaient sur les murs, les affiches, les regards des camarades, mais il ne voyait que l’inquiétude gravée sur les visages.
Clara marchait à ses côtés, la mâchoire crispée. Elle jetait de temps en temps un coup d’œil nerveux autour d’eux, comme si elle s’attendait à voir surgir Léo au détour d’un couloir. Julien, lui, avait l’air plus calme, mais son front plissé et ses mains crispées sur son sac trahissaient son malaise. Tharah, pour sa part, marchait légèrement en retrait, le dos droit, les yeux fixés droit devant elle, mais Mathis pouvait sentir la tension qui irradiait de chacun de ses mouvements. Elle ne disait rien, mais on devinait qu’elle réfléchissait déjà à un plan pour retrouver Léo.
Ils s’assirent dans un coin tranquille de la cour, à l’écart de la plupart des élèves. Clara sortit son téléphone et consulta rapidement les dernières nouvelles. Son visage se décomposa.
— Non… murmura-t-elle.
— Quoi ? demanda Mathis, le cœur battant.
Elle leva les yeux, la voix tremblante.
— Julien D… Il a été retrouvé mort.
Mathis sentit son estomac se nouer. Julien D., l’un des quatre disparus récents, retrouvé… mort. Il revit instantanément l’image floue, celle qu’il avait observée dans la maison d’Elior, les bougies disposées en cercle, la pénombre inquiétante. Un frisson glacé lui parcourut l’échine.
— Quoi… comment… quand ? balbutia Mathis, incapable de contenir sa peur.
— Hier soir, dit Tharah d’une voix basse mais tranchante. Il a été retrouvé dans son appartement… au milieu de bougies, exactement comme… comme les autres.
Mathis sentit son souffle se couper. Les souvenirs refirent surface : la voix murmurée qu’il avait entendue, les cercles en tailleur, la lumière tremblante des bougies, l’air saturé d’encens. Tout ce qu’il avait vu chez Elior. Et maintenant, c’était réel. Julien D. était mort ainsi.
— C’est… un cauchemar, murmura Clara, serrant les bras contre elle.
Tharah fronça les sourcils, ses poings serrés.
— Non. Ce n’est pas un cauchemar. C’est la réalité. Et si on ne fait rien, ça continuera.
Mathis baissa les yeux. Le papier qu’Elior lui avait glissé dans la main ce jour-là était toujours dans sa poche. Ce numéro, ce mystère… Et maintenant, cette mort. Était-ce un avertissement, ou… quelque chose de plus sinistre ?
— On ne peut pas rester là à se lamenter, dit Tharah. Je refuse. Je vais chercher Léo. Et je ne m’arrêterai pas tant que je ne l’aurai pas retrouvé.
Clara acquiesça faiblement, la voix tremblante.
— On doit faire quelque chose… mais quoi ?
Julien posa une main sur l’épaule de Mathis.
— On peut commencer par rassembler toutes les informations. Parler à ceux qui ont vu Julien D. pour la dernière fois, et vérifier les lieux où il a été vu. On doit être méthodiques.
Mathis hocha la tête, bien qu’une partie de lui ait envie de fuir, de se cacher sous sa couette et d’oublier tout ce qui se passait. Mais il savait qu’il ne pourrait pas. Pas après ce qu’il avait déjà vu et entendu. Pas après cette mort qui ressemblait trop à celle de Matheo, et aux bribes de rituels qu’il avait observés chez Elior.
Ils se levèrent et commencèrent à marcher vers le bâtiment principal. Les élèves dans les couloirs murmuraient entre eux, jetant des coups d’œil inquiets aux affiches de disparition et aux photos encadrées de Léo et des autres. La peur était palpable.
— Vous croyez que la police fait vraiment tout ce qu’elle peut ? demanda Clara, le ton amer.
— On dirait pas, répondit Tharah. Ils suivent des procédures, mais ils ne comprennent pas. Ou ils refusent de voir ce qui se passe vraiment.
Mathis sentit une boule se former dans sa gorge. Il savait que Tharah avait raison. Il avait entendu trop de choses, observé trop de détails pour pouvoir ignorer la vérité. Et pourtant, parler à quelqu’un d’autre de ce qu’il avait vu chez Elior semblait impossible.
Ils passèrent devant la salle de permanence où plusieurs élèves discutaient avec un professeur. Mathis entendit des bribes de conversation : «…retrouvé mort… bougies… cercle… étrange… » Son cœur se serra. Le sentiment de déjà-vu était écrasant. Il ferma les yeux un instant, essayant de chasser ces images de son esprit.
— Mathis ? murmura Tharah. Ça va ?
Il rouvrit les yeux et secoua la tête.
— Oui… je… je vais bien.
Mais il n’était pas bien. Pas du tout.
En classe, le silence était lourd. Chaque mouvement, chaque respiration semblait amplifié par la tension ambiante. Tharah prit place à l’avant, près de la fenêtre, le regard fixé sur l’horizon, comme si elle cherchait quelque chose. Clara s’assit à côté de Mathis, sa main se glissant discrètement dans la sienne. Julien, lui, s’efforçait de paraître concentré sur ses notes, mais son front plissé trahissait l’inquiétude qui le rongeait.
— Tu crois que… ils vont continuer ? murmura Clara à Mathis, la voix à peine audible.
— Je… je sais pas, répondit-il. Mais… il faut qu’on fasse attention.
Le professeur entra, ignorant les regards chargés d’angoisse des élèves, et commença son cours comme si tout était normal. Mais Mathis n’écoutait presque rien. Son esprit revenait sans cesse à cette image : Julien D., entouré de bougies, et ce cercle inquiétant. Il sentit un frisson glacé parcourir sa nuque.
À la pause, il s’éloigna un peu du groupe, le papier toujours serré dans sa poche. Il ne pouvait pas s’empêcher de repenser à Elior, à sa phrase murmurée, à ce numéro de téléphone. Pourquoi lui avait-il fait ça ? Et maintenant… ce lien, cette ressemblance entre ce qu’il avait vu et ce qui venait de se passer… tout cela formait un puzzle qu’il n’arrivait pas à déchiffrer.
Clara et Tharah le rejoignirent, remarquant son expression troublée.
— Mathis ? Tu sembles… ailleurs, dit Tharah, les yeux perçants.
— Rien… je… je réfléchis juste, répondit-il, essayant de paraître calme.
— Tu penses à ce qui s’est passé avec Julien D., dit Clara doucement.
Mathis hocha la tête, incapable de parler.
— Il faut qu’on agisse, murmura Tharah. Je refuse de rester là à attendre que d’autres disparaissent.
Julien s’approcha, posant une main rassurante sur son épaule.
— Elle a raison. On ne peut pas rester passifs. On va s’organiser, collecter toutes les informations qu’on peut. Même si c’est effrayant… on doit faire quelque chose.
Mathis sentit un mélange de peur et de soulagement. La présence du groupe lui donnait un peu de force. Mais l’image de Julien D. dans le cercle de bougies refusait de s’effacer de son esprit.
Alors qu’ils sortaient pour la récréation, Mathis jeta un coup d’œil autour de lui. Les élèves semblaient plus silencieux, certains parlaient à voix basse des disparitions, d’autres évitaient simplement le sujet. Et dans un coin de sa tête, une seule pensée persistait : le numéro, le murmure, et Elior.
Pourquoi m’avoir donné ton numéro ? se répétait-il.
Et maintenant, avec la mort de Julien D., il savait que ce numéro n’était plus juste un mystère. C’était peut-être une clé. Une possibilité… ou un avertissement.
Mais pour le moment, il devait se concentrer sur ce qu’il voyait devant lui : Tharah déterminée à ne rien lâcher, Clara fragile mais courageuse, Julien prêt à affronter ses peurs. Ensemble, ils formaient un petit rempart contre la peur qui s’infiltrait dans le lycée.
Mathis serra le poing, le papier toujours dans sa poche. Il ne savait pas encore pourquoi Elior lui avait fait confiance de cette manière, ni ce que cela signifiait. Mais il savait une chose : il ne pouvait pas rester passif. Et il ne pouvait pas ignorer ce qui se passait, pas maintenant.
Le déjà-vu glacé qu’il avait ressenti en apprenant la mort de Julien D. n’était que le début. Quelque chose de bien plus sombre et d’inquiétant se dessinait à l’horizon, et Mathis sentait que leur vie, ainsi que celle de tous ceux qu’il aimait, ne serait plus jamais la même.
Le lycée semblait s’éteindre peu à peu autour d’eux, mais le feu de leur inquiétude et de leur détermination, lui, ne faisait que s’allumer.
Le lendemain matin, le ciel était gris et bas, comme un voile posé sur la ville. Mathis marchait aux côtés de Tharah, Clara et Julien, le souffle court et l’esprit chargé. Les pavés des rues humides reflétaient la lumière blafarde des lampadaires encore allumés, et le vent glacial qui s’engouffrait dans les ruelles s’infiltrait sous leurs manteaux. Chaque pas semblait résonner, trop fort, trop présent, comme si la ville elle-même retenait son souffle.
— On doit vraiment commencer par faire un plan, dit Tharah, sa voix ferme tranchant le silence. Il faut qu’on sache qui contacter, quels lieux vérifier, chaque détail compte.
— Je suis d’accord, murmura Clara, le visage pâle et les yeux sombres. Mais… par où commencer ?
— Par ce qu’on connaît déjà, répondit Mathis, la voix basse. Les disparitions, la mort de Julien… tout ce qui a été confirmé. Et puis… tout ce qu’on entend dans les rumeurs. Même les détails qui semblent insignifiants.
Julien hocha la tête, l’air grave.
— On pourrait commencer par les amis de Julien, non ? Ceux qui l’ont vu ces derniers jours… ils ont peut-être remarqué quelque chose d’étrange.
Mathis serra la main sur le papier dans sa poche, où le numéro d’Elior brûlait comme un secret vivant. Il devait rester concentré, ne pas se laisser submerger par le mystère qui pesait sur son voisin. Mais il savait que tout ce qu’ils feraient aujourd’hui pourrait finir par le rapprocher de la vérité, d’une manière ou d’une autre.
— D’accord, dit Tharah. On se sépare en deux groupes. Clara et moi, on va interroger les amis de Julien. Mathis, Julien, vous pouvez vérifier les lieux et essayer de recouper les horaires. On note tout, chaque détail, chaque regard, chaque mouvement suspect.
Le vent soulevait les cheveux de Mathis et sifflait à ses oreilles alors qu’il suivait Julien dans les ruelles étroites menant aux différents immeubles du quartier. L’odeur des feuilles mouillées et de la terre froide flottait dans l’air, et quelque part, au loin, un chien aboyait, brisant le silence avec une agressivité sourde.
— Tu crois qu’Elior pourrait être impliqué ? demanda Julien, le pas rapide.
Mathis secoua la tête, choisissant ses mots avec prudence.
— Je ne sais pas. Mais je pense qu’il pourrait être en danger. On ne sait pas encore quoi exactement, mais il vaut mieux rester attentif.
Julien acquiesça, mais un frisson parcourut son échine. Il ne savait pas si c’était la peur, la prudence ou simplement le sentiment d’impuissance qui lui donnait cette sensation.
Le premier arrêt fut l’appartement de l’une des amies proches de Julien. Mathis et Julien frappèrent doucement à la porte, et une jeune fille aux yeux rouges et bouffis par le sommeil ouvrit.
— Bonjour… je… je suis venue… pour Julien, dit Mathis avec hésitation.
La jeune fille le regarda avec suspicion, puis sembla comprendre.
— Vous êtes ses amis…? murmura-t-elle. Entrez, je vous en prie.
Ils s’assirent dans le salon, la lumière pâle filtrant à travers les rideaux à moitié tirés. L’air sentait la cigarette froide et le café renversé sur la table.
— Vous avez remarqué quelque chose d’étrange avant… avant sa disparition ? demanda Julien, tentant de ne pas montrer son inquiétude.
La jeune fille secoua la tête, mais ses yeux trahissaient la peur.
— Je… je ne sais pas. Julien était… différent ces derniers jours. Plus silencieux, plus nerveux. Il évitait certains endroits, certains… certaines personnes. Je ne sais pas pourquoi.
Mathis nota mentalement chaque détail, songeant que cela pouvait avoir un lien avec les disparitions et le climat oppressant autour de certaines familles du quartier.
— Merci, murmura-t-il, avant qu’ils ne prennent congé.
Dehors, le vent s’était levé. Les branches des arbres s’entrechoquaient contre les fenêtres, produisant un cliquetis métallique qui résonnait dans l’air. Mathis serra son manteau autour de lui, les pensées tourbillonnant. Chaque détail comptait. Chaque murmure pouvait être une clé pour comprendre ce qui se passait.
— Tu penses qu’on trouvera quelque chose ? demanda Julien, le regard fixé sur le pavé luisant sous leurs pas.
— Je l’espère, répondit Mathis. Mais il faut être prudents. Tout ce qu’on fait doit être discret.
Le reste de la matinée fut un mélange de visites, d’observations et de discussions prudentes. Chaque ami de Julien interrogé ajoutait une pièce au puzzle, mais les pièces semblaient plus confuses que jamais. Certains avaient entendu des bruits étranges, d’autres avaient vu des silhouettes se déplacer la nuit. Mathis sentait une tension croissante, un mélange de peur et de détermination qui le poussait à ne rien laisser passer.
À midi, ils se retrouvèrent dans le parc près du lycée pour échanger leurs notes. L’air froid piquait leurs visages, mais aucun d’eux ne semblait y prêter attention. Tharah était déjà là, avec Clara, leurs visages graves et concentrés.
— Alors ? demanda Tharah. Qu’est-ce que vous avez trouvé ?
— Des détails qui ne collent pas, répondit Mathis. Certains ont vu Julien agir bizarrement, éviter des lieux… d’autres parlent de gens qui semblent surveiller… Je ne sais pas qui, ni pourquoi, mais ça ne me dit rien de bon.
— Tu penses que ces gens pourraient être liés aux disparitions ? demanda Clara, anxieuse.
— Peut-être… murmura Mathis. Et je continue de penser qu’Elior pourrait être en danger.
Tharah fronça les sourcils, mais le ton calme de Mathis lui imposa de ne pas poser plus de questions. La prudence était essentielle.
— Bien, dit-elle finalement. On va continuer à recouper les informations. Chaque détail compte. Si quelqu’un essaie de nous manipuler ou de cacher la vérité… on doit être prêts.
Les heures passèrent ainsi, entre interrogations discrètes, prises de notes et observations attentives. Mathis sentait son esprit en ébullition, chaque image, chaque murmure, chaque regard lui rappelant la gravité de la situation. Le numéro dans sa poche lui brûlait toujours, mais il savait qu’il ne devait pas agir sans comprendre.
Le soir arriva rapidement, les lampadaires s’allumant dans la rue, projetant des ombres tremblantes sur les façades des immeubles. Le groupe se retrouva pour faire le point une dernière fois avant de se séparer.
— On se retrouve demain, dit Tharah, la voix ferme. Même heure, même endroit. On ne laisse rien au hasard.
— Oui, répondit Mathis, sentant le poids de la journée peser sur ses épaules.
De retour dans sa chambre, la maison silencieuse semblait plus oppressante que jamais. Les volets mi-clos laissaient passer des rayons de lumière froide qui dansaient sur les murs décorés de posters et de photos. Mathis s’assit à son bureau, sortit le papier avec le numéro d’Elior et le regarda longtemps. Chaque seconde lui semblait un compte à rebours vers l’inconnu.
Il respira profondément et murmura pour lui-même :
— Bientôt… il faudra que je sache.
Mais pas ce soir. Ce soir, il devait digérer, réfléchir, et préparer ses forces. La vérité était là, juste devant lui, mais il fallait avancer avec prudence. Les jours à venir seraient décisifs.
Et tandis qu’il posait la tête sur son bureau, le vent sifflant à travers les fissures des fenêtres, Mathis sentit un frisson le parcourir. Le danger était réel. La peur était présente. Et le mystère d’Elior, silencieux mais brûlant dans sa poche, ne demandait qu’à éclater.

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