Chapitre 17
Les heures passèrent lentement, et la journée s’effaça dans un flou de lumière dorée. Mathis resta seul dans sa chambre, son esprit tourbillonnant entre inquiétude et curiosité. Les événements récents, les disparitions, les rituels dont il avait seulement entendu parler, et les paroles étranges d’Elior ne cessaient de revenir en boucle.
Il avait essayé de se concentrer sur ses cours et ses recherches, mais tout semblait insignifiant à côté de ce qu’il voulait comprendre. À mesure que le crépuscule se transformait en nuit, il sentit un besoin irrésistible de reprendre contact avec Elior, de l’entendre parler, de le connaître un peu plus, même si une part de lui tremblait à l’idée de briser l’équilibre fragile qu’ils avaient jusqu’ici maintenu.
Le silence de sa chambre, le tic-tac régulier de l’horloge et le souffle du vent contre les volets lui donnaient l’impression que le monde entier retenait son souffle, comme si quelque chose d’important était sur le point de se produire.
Mathis prit une profonde inspiration avant de taper son message, ses doigts hésitant un instant sur le clavier :
"Si tu veux, on pourrait se voir un jour… juste pour parler en vrai, pas seulement par téléphone ou SMS."
Quelques secondes plus tard, le message d’Elior apparut, court et précis :
"Se… voir… en vrai… ? C’est… un rendez-vous ?"
Mathis sentit un frisson parcourir son dos. Il tapa rapidement, cherchant à clarifier sans faire peur à Elior :
"Non, Elior… ce n’est pas ce genre de rendez-vous. Ce n’est pas romantique… enfin… pas comme un rendez-vous amoureux."
Presque aussitôt, le petit tic d’Elior se manifesta dans ses messages, trahissant sa nervosité :
"Rendez-vous… ? Mais… on… on n’est pas… un homme et une femme… alors…"
Mathis prit une profonde inspiration et choisit ses mots avec précaution :
"Oui… c’est vrai, on n’est pas un homme et une femme. Mais… deux garçons peuvent aussi avoir un rendez-vous amoureux. Et… je… je suis gay, Elior. C’est pour ça que je voulais clarifier ce que je voulais dire."
Il y eut un silence sur l’écran, puis le message suivant d’Elior arriva, simple et direct :
"Gay ? Ca… veut dire quoi ?"
Mathis resta un instant interdit, choqué qu’Elior n’ait jamais entendu ce mot. Puis, avec calme, il expliqua :
"Ça veut dire que j’aime les garçons, pas les filles… que je suis attiré par eux. Mais ce n’est pas ce que je propose pour nous… ce que je veux, c’est juste qu’on se voie pour discuter, partager, rien de romantique pour l’instant."
Elior resta silencieux quelques secondes, puis il écrivit timidement :
"Att… tu aimes les garçons… depuis longtemps… ? Mais… c’est… normal ?"
Mathis sentit qu’il devait être patient et clair :
"Oui… c’est normal pour moi. Pour certaines personnes, ça peut sembler étrange, mais c’est juste ce que je ressens. Et c’est normal d’être curieux ou confus au début. Ce qui compte, c’est de savoir qui tu es et ce que tu ressens."
Elior hésita, puis la curiosité prit le dessus, et il enchaîna :
"Alors… tu n’aimes pas les filles… jamais ? Tu… tu sais comment… on… on sait… qu’on aime quelqu’un… ? Et… on peut… aimer quelqu’un et ne pas être sûr… ? Et… est-ce que ça fait mal… ?"
Mathis prit le temps de répondre calmement, expliquant en détail :
"Oui, je n’aime pas les filles. Je sais que j’aime les garçons… parce que je me sens bien avec eux, je veux passer du temps avec eux… je veux les connaître. On peut aimer quelqu’un et ne pas être sûr tout de suite… c’est normal. Ça fait réfléchir, ça peut faire peur, mais c’est normal."
Elior, encore intrigué, posa un flot de questions, révélant sa curiosité sincère :
"Et… tu as… déjà eu… des rendez-vous avec d’autres garçons… ou… tu n’as jamais… ?"
Mathis secoua légèrement la tête, un sourire discret aux lèvres :
"Oui. Et ce n’est pas ce dont je voulais parler maintenant. Je voulais juste que tu comprennes ce que ça veut dire. Je ne propose rien de romantique pour nous, pas encore."
Elior sembla réfléchir longuement, puis écrivit avec hésitation :
"Mais… si on aime quelqu’un… comment on sait… comment on… le dit… ou le montre… ?"
Mathis prit le temps de répondre avec douceur :
"On sait parce qu’on a envie de passer du temps avec cette personne, qu’on se sent bien avec elle, qu’on pense à elle… Pour le dire ou le montrer, chacun choisit sa façon. Tu peux juste commencer par parler, écouter, être là… et apprendre à connaître la personne."
Après un silence, Elior ajouta, presque timidement :
"Je… je n’avais jamais parlé… de ça… à quelqu’un… jamais… je… je me sens étrange… mais… bien."
"C’est bien… murmura Mathis. C’est normal de se sentir étrange la première fois qu’on parle de quelque chose d’aussi personnel. Et c’est bien que tu te sentes bien."
Puis Elior osa une question plus générale :
"Et… tu as des amis… qui savent… et… qui comprennent… ?"
"Oui, quelques-uns… mais je n’en parle pas à tout le monde. Tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit à qui que ce soit. Tu peux juste me poser des questions… ou ne rien dire. C’est toi qui choisis."
Le flot de questions d’Elior continua, maladroit mais sincère :
"Alors… si je ne sais pas… qui je suis… ou ce que je veux… c’est normal… ? Et… si je découvre que j’aime quelqu’un… mais que c’est un garçon… je… je dois faire quoi… ?"
Mathis répondit doucement :
"Oui, c’est normal. Tu peux découvrir petit à petit ce que tu ressens. Tu n’as pas à agir tout de suite. L’important, c’est de comprendre tes sentiments et de les accepter."
Puis Elior écrivit encore, avec curiosité :
"Et toi… tu es heureux… d’être comme ça… d’aimer les garçons… ?"
"Oui… je crois. Ce n’est pas toujours facile, mais ça fait partie de moi. Et toi… tu pourras être heureux à ta façon, même si ce n’est pas facile maintenant."
Elior resta silencieux un long moment avant de murmurer :
"Je… je crois que je veux… comprendre… je… je n’avais jamais pensé à tout ça… je… je pose tellement de questions…"
"C’est normal… je suis content que tu veuilles comprendre. Tu peux poser toutes les questions que tu veux. Je te répondrai."
Leur conversation dériva ensuite vers les voyages, les goûts et les expériences quotidiennes. Le flot de questions maladroites mais sincères d’Elior et la patience de Mathis créaient une complicité nouvelle, fragile mais palpable. Pour la première fois, Elior semblait s’ouvrir complètement, et Mathis comprit que leur lien venait de franchir un cap : confiance, curiosité et compréhension mutuelle.
Les heures passèrent, et la journée se mua doucement en soirée. Mathis posa son téléphone sur la table, mais quelques minutes plus tard, un nouveau message d’Elior apparut :
"Tu… tu fais quoi… quand tu n’es pas à l’école ?"
Mathis sourit légèrement avant de répondre :
"Je lis beaucoup, surtout des romans fantastiques et des histoires de science-fiction. J’aime aussi dessiner de temps en temps et écouter de la musique, du rock et du jazz. Et toi ? Tu as des passions ?"
Elior mit un moment avant de répondre, comme s’il pesait ses mots :
"Je… je lis aussi… mais pas souvent… j’aime… les vieux livres, les choses qui racontent des histoires… et… je… j’écoute parfois de la musique…"
"Qu’est-ce que tu écoutes ?", demanda Mathis avec curiosité, essayant de rendre l’échange plus naturel.
"Je… j’aime… les sons calmes… piano… violon… parfois des chansons anciennes…"
Mathis hocha la tête, heureux de la précision :
"Tu sais, moi j’aime le jazz parce que c’est vivant, imprévisible… ça me fait voyager. Et le rock, parce que c’est brut et intense. Mais j’aimerais écouter ce que tu aimes. Tu pourrais me recommander une chanson ou un morceau ?"
Elior sembla hésiter avant d’envoyer son message :
"Oui… je… je peux… essayer… je te dirai demain…"
Mathis sourit, content de cette ouverture. Puis, il proposa un sujet qu’il savait passionner Elior :
"Et les livres ? Qu’est-ce qui te plaît ? Histoire, aventures, poésie…"
"Je… j’aime… les histoires anciennes… celles qui parlent de magie ou de mystères… mais je n’ai pas… beaucoup de livres…"
"Tu sais quoi ?", répondit Mathis, se sentant inspiré. "Samedi, si tu veux, on pourrait aller à la librairie du centre et regarder quelques livres ensemble… juste pour voir ce qui te plaît. Tu n’as pas besoin d’acheter quoi que ce soit, juste regarder et parler."
Elior resta silencieux un instant, puis répondit simplement :
"D’accord… je veux bien…"
Un flot de questions et de réponses suivit, mais cette fois sur des détails plus légers : quels films ou séries ils appréciaient, quels jeux les captivaient, s’ils faisaient du sport, dessinaient, ou collectionnaient quelque chose. Mathis se surprit à sourire, heureux de découvrir ces petites choses sur Elior, tandis qu’Elior commençait à répondre avec un peu plus de fluidité et de curiosité.
"Tu dessines souvent ?", demanda Elior.
"Oui, quand j’ai du temps… je fais surtout des croquis ou des illustrations inspirées des livres que je lis. Et toi ? Tu dessines ?"
"Je… parfois… des silhouettes… des choses que j’imagine…"
"J’aimerais voir ça un jour," répondit Mathis, sincèrement intéressé.
Leur conversation devint un échange presque naturel, ponctué d’humour subtil et de petites confidences sur leurs goûts. Mathis proposa finalement le rendez-vous pour samedi, mais cette fois sous l’angle des passions communes :
"Si tu veux, on pourrait se retrouver samedi après-midi, aller à la librairie et puis prendre un chocolat chaud quelque part… juste pour parler de livres, de musique et de dessins. Pas de pression, juste nous deux."
Elior répondit après quelques secondes :
"Oui… ça me va…"
Mathis sourit, soulagé. Il ajouta :
"Super. On pourra parler de tout ce qu’on aime, découvrir des choses ensemble… ça me fera plaisir."
"Moi aussi…" répondit Elior, d’un ton presque surpris, comme s’il prenait conscience que partager ses passions pouvait être agréable.
Les messages continuèrent encore un moment, sur des détails anodins mais passionnants pour eux : les instruments de musique qu’ils aimeraient apprendre, les auteurs qu’ils rêvaient de découvrir, et même des anecdotes personnelles. Pour la première fois, Elior semblait s’ouvrir vraiment, et Mathis sentait une complicité naissante, fragile mais palpable.
Alors que la soirée avançait, Mathis posa son téléphone et inspira profondément. Le samedi semblait soudain plus proche et plus réel. Pour la première fois depuis longtemps, il avait l’impression que les choses pouvaient aller dans le bon sens : comprendre Elior, partager avec lui, et peut-être, petit à petit, l’aider à s’ouvrir à la vie malgré tout ce qui semblait peser sur lui.
Le samedi matin, Mathis se réveilla avec un mélange d’excitation et de nervosité. Le ciel était clair, et la lumière filtrait à travers les rideaux de sa chambre, dessinant des formes mouvantes sur le sol. Il s’habilla rapidement, choisit un pull confortable et son sac, et relut une dernière fois les messages d’Elior sur son téléphone. Tout semblait simple et naturel sur l’écran, mais l’idée de le rencontrer en vrai le faisait battre le cœur plus vite.
Il sortit de chez lui, respira l’air frais et sentit l’odeur du pain chaud provenant de la boulangerie du quartier. Il marchait vers la librairie, essayant de penser à autre chose pour calmer ses nerfs, mais chaque pas le ramenait à Elior et à l’étrange détachement qu’il avait perçu chez lui.
Lorsqu’il arriva à la petite place près de la librairie, il aperçut Elior, debout contre un lampadaire, le regard un peu baissé, ses mains serrant son sac contre lui. Mathis sentit un pincement au cœur : Elior paraissait à la fois vulnérable et sur la défensive.
"Salut, Elior !" dit Mathis doucement en s’approchant.
Elior leva les yeux, un peu surpris, mais esquissa un léger sourire.
"Salut…", murmura-t-il.
Ils entrèrent ensemble dans la librairie. L’odeur des livres neufs et anciens emplit leurs narines. Les rayons semblaient infinis, remplis de couvertures colorées et de titres intrigants. Mathis remarqua qu’Elior s’arrêtait souvent, regardant les étagères sans toucher les livres, comme s’il avait peur de déranger quelque chose.
"Tu peux regarder ce que tu veux… pas besoin de demander," dit Mathis pour le rassurer.
Elior hocha la tête et s’avança vers un rayon de romans historiques. Ses doigts effleurèrent les couvertures, mais il ne prit rien. Mathis sentit que le malaise d’Elior venait de plus loin que la simple timidité. Il voulait comprendre, mais sans le brusquer.
Ils commencèrent à discuter des livres, et la conversation se concentra sur les passions d’Elior. Il parla avec une lenteur hésitante, mais chaque mot semblait pesé, comme s’il révélait une part de lui-même qu’il n’exposait jamais.
"J’aime… les histoires de royaumes anciens… les légendes… et les mystères," dit-il enfin.
"Ah oui ? Moi aussi, j’adore les mystères. Il y a quelque chose de fascinant à imaginer ce qui s’est passé avant, ou ce qui pourrait arriver," répondit Mathis avec un sourire.
Ils parcoururent les rayons, parlant des auteurs qu’ils connaissaient, de leurs dessins et de la musique qu’ils écoutaient. Pour la première fois, Mathis vit une étincelle de curiosité dans les yeux d’Elior. Pourtant, il remarqua aussi que ses gestes étaient tendus, qu’il regardait parfois autour de lui comme s’il craignait quelque chose.
Après un moment, ils quittèrent la librairie et s’installèrent à la terrasse d’un petit café. L’odeur du chocolat chaud et des pâtisseries fraîches enveloppa Elior et Mathis, leur offrant un cocon de normalité. Elior commanda timidement un chocolat chaud, mais ne toucha presque pas à sa tasse.
"Tu… tu ne manges pas beaucoup…", observa Mathis, hésitant à poser la question.
Elior haussa légèrement les épaules, détaché :
"Je n’avais pas faim… c’est tout."
Mathis sentit un frisson d’inquiétude : ce comportement confirmait ses soupçons de maltraitance. Il choisit pourtant de ne pas insister, laissant Elior parler à son rythme.
Leur conversation dériva doucement vers leurs passe-temps. Elior parla de ses dessins, de ses histoires imaginaires, de ses lectures préférées. Il posait des questions à Mathis, curieux de savoir comment il organisait ses journées, quelles musiques l’inspiraient, et même quels lieux il aimait visiter. Mathis, avec patience, lui raconta ses voyages aux Pays-Bas, décrivant les canaux, les vélos, les marchés et les petits cafés.
"Ça a l’air… incroyable… j’aimerais voir ça un jour," murmura Elior, presque rêveur.
"Tu le verras… un jour. Je pourrai te montrer des photos ou t’emmener visiter des endroits similaires ici…" répondit Mathis avec un sourire, essayant d’éveiller un peu de curiosité et de normalité chez lui.
Puis, presque timidement, Mathis aborda le sujet des disparitions, d’une manière détournée, sans révéler ce qu’il savait des rituels :
"Tu sais… parfois, certaines personnes disparaissent… c’est étrange… mais il faut toujours faire attention à soi. Et à ses amis…"
Elior haussa les épaules, d’un ton détaché :
"Les disparitions… c’est des choses logique de nos jours…"
Mathis sentit un frisson lui parcourir l’échine. La réaction d’Elior était si étrange, si détachée, qu’il se demanda ce que le jeune garçon avait vécu pour réagir ainsi. Il choisit de changer de sujet, pour ne pas le brusquer, et parla encore de musique, de dessins, et de livres.
Au fil de l’après-midi, Elior semblait s’ouvrir un peu plus. Il parlait de ses petites routines, de ses dessins, de ce qu’il aurait aimé faire comme voyages. Mathis sentit une vraie complicité naissante, fragile mais réelle. Il était heureux de voir qu’Elior pouvait sourire et discuter normalement, même si quelque chose de lourd pesait encore sur lui.
Alors qu’ils quittaient le café, Mathis proposa doucement :
"On pourrait refaire ça… bientôt. Juste toi et moi, parler de ce qu’on aime… et découvrir d’autres endroits."
Elior hocha la tête, cette fois avec un petit sourire sincère :
"Oui… j’aimerais…"
En les regardant marcher côte à côte vers la place où ils s’étaient rencontrés, Mathis se sentit rempli d’un mélange de soulagement et de vigilance. Il savait que la situation d’Elior était fragile, et que les disparitions et les secrets autour de lui ne disparaîtraient pas. Mais pour la première fois depuis longtemps, il sentit qu’il pouvait être là pour lui, l’aider à s’ouvrir et, peut-être, à retrouver un peu de normalité.

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