Chapitre 19

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Mathis s’installa sur son lit, le pendentif d’Elior toujours serré dans sa main. L’air de sa chambre était calme, éclairé par la lumière douce de la lampe de chevet. Il hésita un instant avant d’ouvrir la conversation avec Elior. Leur dernier échange au musée lui était resté en tête, et il voulait prolonger ce moment, mais cette fois-ci par écrit, à son rythme.

"Salut… je suis bien rentré," écrivit-il doucement.

Quelques secondes plus tard, le téléphone vibra.

"Moi aussi… c’était bien, j’ai… aimé être avec toi."

Mathis sourit et répondit :

"Moi aussi… tu rends tout plus simple, tu sais. Même quand on parle de choses banales, ça devient agréable."

Elior mit un petit moment avant de répondre, puis tapota quelques mots :

"Oui… parler… c’est pas facile pour moi… mais toi, tu… tu écoutes vraiment."

Mathis sentit une chaleur monter dans sa poitrine. Il voulait qu’Elior continue, qu’il se confie à son rythme.

"Prends ton temps… et dis-moi ce que tu veux. Même si c’est rien de spécial… je veux t’écouter," écrivit Mathis, sincère.

Elior envoya un petit emoji souriant, puis un texte plus long :

"Je… je n’ai jamais eu quelqu’un… qui reste… même quand je ne parle pas beaucoup… merci."

Mathis lui répondit doucement :

"C’est normal… je veux juste que tu te sentes bien. Et j’aimerais qu’on se connaisse, vraiment, à fond… pas juste pour quelques heures."

Le ton de la conversation devint plus léger lorsque Mathis changea de sujet :

"Alors… aujourd’hui, qu’est-ce qui t’a le plus marqué au musée ?"

Elior répondit :

"La grande peinture… le marché… tous les détails… je voulais tout regarder… tout comprendre."

"Moi aussi," répondit Mathis. "J’adore me perdre dans les détails… ça me fait oublier le reste du monde."

Elior envoya un autre message, plus fragile :

"Parfois… le reste est lourd… je me sens… petit…"

Mathis répondit avec douceur :

"Je sais… et c’est normal de se sentir comme ça. Mais je suis là… et si tu veux partager ou juste parler, je suis là."

Quelques minutes de silence, puis Elior écrivit :

"Je… je veux essayer… d’être plus ouvert… avec toi."

Mathis sentit son cœur se serrer de bonheur. Puis, avec un peu de malice, il écrivit :

"Alors… on se refait une sortie bientôt ? Un autre musée, ou une expo ?"

Elior répondit après quelques instants :

"Oui… je veux bien… tu me montres ce que tu aimes… ça m’intrigue."

Ils échangèrent encore des messages sur leurs passions : musique, livres, films. Elior se montrait curieux et sincèrement intéressé, posant des questions que Mathis trouvait touchantes. Il lui demanda même comment se passaient les relations amicales et sentimentales chez Mathis, preuve de sa confiance.

À un moment, Elior murmura, par écrit :

"Je ne sais pas encore… comment tout ça marche… avec les sentiments."

Mathis répondit avec patience :

"C’est normal… chacun découvre à son rythme. Moi, j’ai mis du temps à comprendre mes sentiments… mais je veux partager ça avec toi."

Elior resta silencieux un instant, puis :

"C’est étrange… mais je veux bien… apprendre avec toi."

Un sourire sincère illumina Mathis. La légèreté de cet échange contrastait fortement avec l’ombre de ce qu’il savait se passer autour de la vie d’Elior. Mais pour le moment, il voulait profiter de cette proximité.

Le dimanche matin s’annonçait froid et gris. Mathis était encore assis sur son lit, le téléphone à la main, hésitant à envoyer un nouveau message. Les événements des derniers jours, et surtout la disparition de Jannie, pesaient lourd sur lui. Son cœur battait vite rien qu’à l’idée de reprendre contact avec Elior, mais il sentait que parler avec lui pourrait lui offrir un peu de normalité, une échappatoire à la peur et à l’inquiétude qui l’accablaient.

"Salut… je voulais te raconter un peu la Belgique, si tu veux," écrivit-il enfin.

Quelques minutes plus tard, la réponse d’Elior apparut, hésitante :

"Oui… je veux bien… je n’ai jamais voyagé."

Mathis prit une profonde inspiration et commença :

"Alors imagine Bruxelles… les rues pavées du centre, les bâtiments anciens avec leurs façades colorées, les cafés où tu peux sentir l’odeur du chocolat chaud et des gaufres… et les canaux de Bruges, où l’eau reflète les maisons médiévales. Il y a aussi les champs de fleurs qui s’étendent à perte de vue et les forêts calmes où tu peux marcher pendant des heures."

Elior répondit presque aussitôt :

"Wow… c’est… magnifique."

Mathis poursuivit, décrivant les marchés animés de Gand, les statues et monuments, la douceur de la pluie sur les toits de tuiles, et les bruits des tramways qui traversent les villes. Il parla des musées, des chocolateries, et même des coins secrets où les locaux se retrouvent pour écouter du jazz ou simplement se promener.

"J’aurais aimé voir ça…", écrivit Elior après un moment de silence.

"Tu pourras peut-être un jour… et je t’y emmènerai," répondit Mathis, le cœur battant à l’idée de partager ce rêve avec lui.

Pendant quelques minutes, la conversation se fit légère, presque comme un jeu d’évasion face à la peur qui planait sur eux. Mais Mathis savait que le sujet qui les préoccupait le plus finirait tôt ou tard par remonter : les disparitions. Il prit son courage à deux mains et écrivit :

"Je sais que tu as entendu parler de tout ça… les disparitions. Ça te fait quoi ?"

Elior ne répondit pas immédiatement. Mathis sentit un silence pesant, comme si chaque seconde d’attente augmentait son inquiétude. Puis le message arriva, court, détaché :

"Les disparitions… c’est des choses qui sont naturel"

Mathis frissonna. La réponse d’Elior, si froide et détachée, contrastait tellement avec l’horreur de ce qui était arrivé à Jannie et aux autres qu’il ne sut pas quoi répondre immédiatement. Il choisit de rester doux, patient, pour ne pas le brusquer :

"Je… je ne sais pas si c’est normal… mais c’est effrayant… je m’inquiète pour tous ceux qui disparaissent… surtout pour Tharah, pour Julien et pour leurs amis."

Elior mit un moment avant de répondre. Lorsqu’il le fit, ses mots étaient étrangement réfléchis, presque codés :

"Je… je sais que c’est effrayant pour vous… je… je vois ça de loin… mais je… je me demande si on ne regarde pas toujours les choses à travers la peur… il y a… des règles, des raisons… que vous ne voyez pas."

Mathis sentit un frisson le traverser. Elior parlait avec un détachement qui inquiétait plus qu’il ne rassurait. Pourtant, il continua, essayant de comprendre ce qu’Elior voulait dire :

"Comment ça, des règles ? Qu’est-ce que tu veux dire exactement ?"

Elior hésita, puis écrivit enfin :

"Je… je ne peux pas vraiment dire… mais certaines choses sont… prévues… et parfois… il y a des gens qui disparaissent… et ça fait partie… de quelque chose de plus grand…"

Mathis sentit son cœur se serrer. Il y avait dans ces mots quelque chose d’angoissant, de codé, qui semblait confirmer ses pires craintes sur la situation d’Elior. Mais il ne voulait pas brusquer son voisin, il choisit donc de parler de quelque chose de plus concret :

"Je veux te montrer autre chose… la Belgique… même si ce n’est pas réel, tu peux imaginer que tu es là. Je te décris la forêt de Soignes… tu marches sous les grands arbres, le soleil filtre à travers les branches, et il y a l’odeur de la terre humide et des feuilles mortes…"

Elior répondit timidement :

"Je… je peux presque sentir… oui… c’est… beau… merci."

Ils continuèrent à échanger sur la Belgique, Mathis décrivant les petites rues de Bruges, les canaux et leurs ponts, les marchés et l’animation des habitants. Chaque message d’Elior était ponctué de "vraiment ?", "ça doit être incroyable", ou de simples emojis qui trahissaient une émotion sincère.

Après quelques minutes, Mathis osa de nouveau aborder le sujet des disparitions, plus doucement cette fois :

"Tu penses à Jannie… à Julien… à tous ceux qui ont disparu… ça te touche d’une manière différente de nous ?"

Elior mit du temps à répondre. Lorsqu’il le fit, sa voix écrite était froide mais légèrement tremblante :

"Je… je ne sais pas… je vois… je sais que c’est terrible… mais… c’est… distant… comme si ça ne m’atteignait pas… je ne peux pas… expliquer…"

Mathis sentit une inquiétude sourde monter en lui. Il avait peur qu’Elior cache quelque chose, ou qu’il soit lui-même en danger. Il choisit donc ses mots avec soin :

"Je ne sais pas si c’est normal… mais je m’inquiète pour toi aussi. Même si tu sembles détaché, je veux que tu saches que je suis là. Si jamais tu es en danger, je veux que tu puisses me le dire."

Elior resta silencieux un moment, puis répondit avec un mélange d’étrangeté et de sincérité :

"Je… je comprends… merci… je… je ne peux pas dire ce qui se passe… mais je sais que tu es… quelqu’un de rare… et… je… je me sens moins seul."

Mathis sourit, malgré l’angoisse qui persistait dans sa poitrine. Le lien qu’il tissait avec Elior était fragile, mais réel. Il reprit la conversation, évoquant à nouveau la Belgique, les musées, les parcs et les promenades qu’ils pourraient faire ensemble un jour.

Puis, dans un message plus long, Elior confia :

"Je… je n’ai jamais voyagé… jamais vu autre chose que cette ville… mais… je commence à comprendre que ma vie… et celle des autres… ce n’est pas pareil… et je… je veux apprendre."

Mathis sentit la force de ces mots. Pour la première fois, Elior s’ouvrait vraiment, même partiellement, et il savait qu’il devait être patient et attentif.

"Alors… on peut commencer doucement… je peux t’apprendre ce que je sais… te montrer des images, des textes, t’envoyer des histoires… tout ce que tu veux."

Elior répondit, avec un petit emoji souriant et une phrase qui fit battre le cœur de Mathis :

"Oui… je… je veux bien… merci d’être là."

Mais la légèreté de l’échange fut brutalement interrompue par un message de sa mère :

"Mathis… assieds-toi, il faut que je te parle."

Son visage se ferma, son ton était grave.

"Mathis… Jannie… elle a été retrouvée… morte."

Le souffle de Mathis se bloqua. Une douleur glaciale traversa sa poitrine. La conversation avec Elior, la Belgique, les sourires et les échanges légers… tout cela semblait si lointain, presque irréel. Son corps se raidit, sa respiration devint saccadée, et un vertige d’angoisse l’envahit.

Il se recroquevilla sur son lit, les mains tremblantes sur le téléphone, incapable de détourner le regard de l’écran. Les images de Jannie, de ses rires, des moments partagés dans la classe, se superposaient aux mots d’Elior et aux descriptions lumineuses de Bruxelles et Bruges. Le contraste était insoutenable. Pourtant, au milieu de cette tempête intérieure, une pensée persistait : Elior. Malgré la peur et la tristesse, ce lien fragile et sincère était toujours là, un phare dans l’obscurité.

Mathis leva les yeux vers la fenêtre, voyant la lumière douce du matin filtrer à travers les rideaux. Il se promit qu’il continuerait à échanger avec Elior, à écouter, à partager… à être présent. Même si le monde autour d’eux sombrait peu à peu dans la peur et la tragédie, il garderait ce petit fil de normalité. Et peut-être, un jour, ils pourraient marcher ensemble dans un parc ou visiter un musée, loin de tout ce qui leur faisait peur.

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