Chapitre 26

9 minutes de lecture

Le soleil déclinait sur Amsterdam, jetant des reflets d’or sur les canaux sinueux. Mathis et Elior marchaient côte à côte sur les pavés humides, leurs sacs à dos serrés contre eux. L’air était chargé d’odeurs de pain frais et de café chaud, et les rires des touristes se mêlaient au clapotis de l’eau. Mais malgré ce décor idyllique, Mathis ne pouvait chasser l’inquiétude qui le tenaillait depuis qu’ils avaient quitté l’auberge.

Elior semblait calme, presque serein, mais Mathis avait appris à reconnaître les signes subtils : le regard fuyant, les doigts crispés sur sa bandoulière, le léger tremblement quand il croisait certaines silhouettes. Mathis savait que les « proches » dont Elior parlait n’étaient jamais loin. Ces membres de Lumen Aeterna, sous couvert de touristes eux aussi, observaient chaque geste d’Elior, chaque mot, chaque hésitation.

Le premier signe fut un jeune homme encapuchonné qui les dépassa sur un pont, le visage à moitié caché par un masque noir, les yeux fixes sur Elior. Mathis sentit son estomac se nouer.

« Elior… tu vois ce type ? » murmura-t-il, jetant un coup d’œil discret derrière lui.

Elior détourna le regard, comme si Mathis venait de poser une question interdite.

« Oui… ne t’inquiète pas. Ils ne feront rien ici, pas maintenant. » Sa voix était basse, presque un souffle. Mais le ton tendu, et le claquement sec des pavés sous les bottes des hommes qui suivaient à distance, ne rassura personne.

Quelques minutes plus tard, ils trouvèrent une petite ruelle où la lumière des réverbères se reflétait sur les pavés mouillés. Mathis sentit Elior s’arrêter, crispé. Dans la pénombre, Mathis aperçut un petit groupe de silhouettes, assises en cercle sur le sol, des bougies autour d’eux. Chacun avait la main droite posée sur une fiole rougeâtre. Le cœur de Mathis se serra. Il reconnut immédiatement le rituel, celui dont il avait déjà été témoin chez Elior. Le sang… la fiole… la mise en cercle.

Elior murmura, juste assez pour que Mathis entende :

« Ils… ils veulent vérifier que je n’ai rien oublié… que je reste pur. »

Avant que Mathis ne puisse poser la moindre question, Elior s’avança vers le cercle, les yeux baissés. Il tendit sa main, et une des silhouettes passa sa main sur la paume d’Elior, laissant un petit filet de sang tomber dans la coupelle commune. Chaque membre fit de même, et lorsque ce fut le tour d’Elior, il laissa tomber sa goutte de sang avec un frisson perceptible. Puis, tour à tour, ils burent une gorgée de la fiole rouge.

Mathis eut un haut-le-cœur. Le contraste entre le décor touristique et cette scène sombre lui arracha un frisson. Ses jambes tremblèrent, et il se retourna pour ne pas voir Elior boire, ne voulant pas l’imaginer dans ce rituel qui le dépassait. Une colère sourde et impuissante monta en lui : il comprenait désormais, avec une clarté glaçante, la gravité de la situation. Cette fiole, couleur sang, ce n’était pas qu’une tradition ; quelque chose de bien plus sombre se tramait, lié aux disparitions qu’il avait déjà apprises.

Elior lui lança un regard rapide, presque suppliant :

« Fais attention… Je ne veux pas que tu… que quelque chose t’arrive. »

Mathis sentit le poids de sa responsabilité.

« Je te promets… je serai là, je te protégerai. » murmura-t-il. Mais il savait que ce n’était pas suffisant. Les proches de la secte, même à distance, pouvaient tout voir, tout entendre. Elior le savait.

Ils s’éloignèrent lentement, les pavés glissants sous leurs pieds, et Mathis posa une main rassurante sur l’épaule d’Elior. Celui-ci ne dit rien, se contentant de hocher légèrement la tête. Leurs regards se croisèrent, et dans les yeux d’Elior brillait une vulnérabilité que Mathis n’avait jamais vue auparavant. Il voulait être fort pour lui, mais il se rendait compte à quel point la situation était fragile.

Plus tard, dans une petite salle de leur auberge, Mathis invita Elior à s’asseoir sur le canapé. La musique douce d’un groupe local remplissait la pièce, contrastant avec le silence pesant de ce qu’ils venaient de voir. Elior semblait épuisé, à la fois mentalement et physiquement, mais il esquissa un léger sourire lorsqu’il accepta un verre d’eau que Mathis lui tendit.

« Merci… pour tout. Pour être là. » murmura-t-il, la voix tremblante.

« Tu n’as pas à me remercier… je suis là parce que je veux l’être. Et puis… je commence à comprendre un peu mieux ce que tu traverses. »

Elior baissa les yeux, jouant avec le verre.

« Je… je n’ai jamais eu de vraie liberté. Même ici… même loin de chez moi, ils… je ne peux pas vraiment… être moi-même. »

Mathis inspira profondément, cherchant les mots justes.

« Alors on va essayer de profiter de ce voyage… juste nous deux. Tu n’as rien à craindre pour l’instant. Je suis là. »

Pour la première fois de la journée, Elior sembla se détendre, laissant échapper un petit rire nerveux. Mathis sentit son cœur se réchauffer. Malgré tout ce qu’ils avaient vu, il y avait encore des moments où Elior pouvait sourire, respirer, être lui-même.

Mais dans un coin de son esprit, Mathis savait que cette semaine à Amsterdam ne serait pas uniquement faite de visites touristiques. Les ombres de la secte, le sang, les rituels… tout cela les suivrait, même ici. Et il n’y avait aucun moyen de savoir ce que les jours suivants leur réserveraient.

Le soleil filtrait à travers les nuages bas d’Amsterdam, dessinant des reflets argentés sur les canaux. Mathis et Elior marchaient côte à côte, les mains presque effleurées, chacun absorbé par ses pensées. Pour Mathis, cette ville représentait l’évasion, la liberté ; pour Elior, elle était un cadre presque irréel, qu’il découvrait avec des yeux émerveillés mais empreints d’une inquiétude latente.

« C’est... c’est vraiment différent de ce que j’imaginais, » murmura Elior, sa voix presque perdue dans le bruissement de l’eau et le clapotis des bateaux.

Mathis sourit, content de voir son voisin plus à l’aise, même si son regard s’assombrissait par moments.

« Tu sais, c’est l’une de mes villes préférées. Les canaux, les vélos partout… et puis la bière chaude dans les cafés. Enfin… moi j’aime bien le café chaud aussi. »

Elior esquissa un petit sourire, mais il baissa rapidement les yeux. Mathis sentit son malaise et choisit de ne pas insister, les laissant continuer à marcher. La lumière des bâtiments et les reflets dans l’eau donnaient un air de carte postale à la scène, mais l’esprit de Mathis restait préoccupé par ce que son intuition lui soufflait depuis plusieurs semaines : Elior cachait quelque chose de bien plus grave que la timidité ou l’isolement.

Ils finirent par s’asseoir sur un banc, le long d’un canal, à l’abri du vent. Le silence s’installa un instant, seulement perturbé par le bruit des roues de vélos et le cri lointain d’un mouette. Mathis décida que le moment était venu de parler.

« Elior… je sais que tu as toujours été… différent. Et… je sais que ce que je vais te demander n’est pas facile, mais… il y a quelque chose qui me hante. »

Elior le regarda, le visage impassible, mais ses yeux trahissaient une tension qu’il n’avait pas totalement réussie à masquer.

« Je t’écoute, » dit-il doucement, presque trop calme.

Mathis prit une inspiration, choisissant ses mots avec soin.

« Je… je veux savoir ce que tu sais… sur les disparitions, sur ce qui se passe avec Julien, Tim, et les autres… »

Elior ferma les yeux un instant, comme s’il pesait chaque mot, chaque respiration. Puis, dans un murmure, il dit :

« Je savais… je savais tout depuis le début. »

Le cœur de Mathis fit un bond.

« Tout ? » demanda-t-il, sa voix trahissant la peur.

« Oui… et ce que tu appelles des disparitions… c’est… lié à ce que ma famille… et ceux autour de moi… font. » Elior baissa la tête, les mains crispées sur ses genoux. « Tu dois surveiller Julien… c’est… le prochain à être menacé. »

Mathis sentit un frisson glacial parcourir son échine.

« Menacé ? Mais… Elior, comment peux‑tu savoir ? »

« Je… j’ai assisté à des choses… des rituels… pour purifier… » Sa voix se brisa légèrement, et il avala difficilement sa salive. « J’ai vu des… meurtres. Je sais ce qu’ils font… ce qu’ils font aux autres… aux jeunes… aux enfants… »

Mathis sentit son monde s’écrouler. La beauté d’Amsterdam, la légèreté de la matinée, tout cela paraissait soudain irréel. Il voulait hurler, courir, protéger Elior de tout. Il tendit la main vers lui, cherchant un contact rassurant, mais se ravisa, respectant le silence imposé par la gravité de la confession.

« Elior… » dit-il enfin, d’une voix tremblante mais ferme, « je vais te protéger… je te promets que je serai là. »

Elior leva les yeux vers lui, un mélange de gratitude et de peur dans le regard.

« Je sais… et je… je veux que tu sois là. Mais ça ne change rien… ça ne pourra pas nous protéger complètement. Ce qu’ils font… ce que j’ai vu… c’est… plus grand, plus… » Il ne termina pas sa phrase.

Le silence retomba, mais cette fois, il était plus lourd, plus tangible. Mathis observa Elior, ses traits fins crispés par l’angoisse, les poings légèrement serrés. Il comprit que ce garçon, qu’il commençait à aimer profondément, avait été plongé dans un monde d’horreur depuis bien trop longtemps.

Pour alléger un peu l’atmosphère et éviter que l’angoisse ne devienne paralysante, Mathis changea subtilement de sujet.

« Tu sais… je t’avais jamais demandé… pourquoi tu n’as jamais voyagé avant ? » demanda-t-il avec douceur.

Elior baissa les yeux, jouant avec les lacets de ses chaussures.

« Parce que… Père… et ce que nous devons suivre. Il n’y avait jamais de temps pour voir le monde… ni l’autorisation. »

Mathis comprit que le mot « Père » ne faisait pas référence à un simple parent mais à l’autorité au sein de cette secte. Il choisit de ne pas insister, sentant qu’Elior se confierait quand il serait prêt.

Le reste de l’après-midi se déroula entre promenades le long des canaux, cafés où Elior goûtait timidement à ses premiers gaufres et chocolats chauds, et Mathis racontant des anecdotes sur ses voyages précédents, ses balades, ses amis. Il voyait Elior sourire de temps à autre, se laissant aller à une légèreté rare, mais ses yeux trahissaient toujours une vigilance constante, comme s’il cherchait des signes de danger invisible.

Plus tard, assis sur un pont en regardant les reflets tremblants de la ville dans l’eau, Elior parla d’une voix basse :

« Mathis… je dois te dire… je ne peux pas ignorer ce que je sais… ce que j’ai vu… c’est… je… j’ai peur que ça t’arrive. »

Mathis posa sa main sur la sienne, doucement.

« Elior… je suis là. On va gérer ça ensemble. Je ne te laisserai jamais seul. »

Un silence confortable s’installa, interrompu seulement par le son des oiseaux et le clapotis des canaux. Elior inspira profondément, laissant pour un instant ses épaules se détendre. Il avait trouvé un allié, peut-être même un refuge.

Alors qu’ils commençaient à se lever pour rejoindre leur hôtel, Elior murmura, presque pour lui-même :

« Merci… pour… tout. »

Mathis sourit, un peu nerveusement.

« Tu n’as pas à me remercier… c’est normal. »

Mais dans le cœur de Mathis, une décision venait de se former, claire et ferme : protéger Elior serait désormais sa priorité, quoi qu’il en coûte. La ville d’Amsterdam, avec ses canaux et ses façades colorées, semblait soudain fade face à l’ombre qui planait sur la vie du garçon à ses côtés.

En rentrant à l’hôtel, ils s’assirent près de la fenêtre, regardant les péniches glisser doucement sur l’eau. Elior se laissa aller, posant sa tête sur l’épaule de Mathis, un geste de confiance rare et précieux. Mathis serra doucement sa main, promettant silencieusement de rester à ses côtés, quoi qu’il advienne.

Puis le soir tomba, et les lumières de la ville s’allumèrent une à une, reflétant dans l’eau comme des lucioles dans la nuit. La sérénité apparente de cette dernière soirée à Amsterdam contrastait avec l’horreur des révélations. Mathis savait que les prochains jours seraient déterminants, et que chaque moment passé avec Elior devait être à la fois un refuge et une préparation à ce qui les attendait.

Avant de se coucher, Elior confia :

« Mathis… je n’ai jamais été… vraiment libre. Mais… je sens que… ici, avec toi… je peux… respirer un peu. »

Mathis hocha la tête, ses yeux brillant d’émotion.

« Alors on va profiter de chaque instant… ensemble. »

Et dans le silence de la chambre d’hôtel, alors que le ciel se couvrait de nuages sombres, Mathis comprit que la semaine à venir ne serait pas seulement un voyage touristique, mais une immersion dans le monde complexe et dangereux d’Elior, et qu’il devrait rester vigilant tout en protégeant celui qu’il commençait à aimer plus que tout.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Podqueenly ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0