Chapitre 30

10 minutes de lecture

La fin des vacances arriva plus vite qu’ils ne l’avaient imaginé. Mathis et Elior avaient passé une semaine intense, ponctuée de moments de complicité et de confidences, mais désormais il fallait reprendre le lycée. Mathis sentit un poids s’abattre sur lui lorsqu’ils franchirent le portail de l’établissement. Le calme apparent du lycée contrastait violemment avec l’angoisse qui le rongeait : Elior n’était plus là. Pas un mot, pas un message de sa part depuis leur retour.

Le cœur de Mathis se serra. Il scrutait la foule, cherchant son visage familier dans les couloirs bondés, mais c’était comme si Elior s’était évaporé. Chaque minute passée sans nouvelles était une torture. Il s’assit à sa table, la main tremblante, le souffle irrégulier. Il essayait de se concentrer sur ses cours, mais tout son esprit était ailleurs, focalisé sur l’absence du garçon.

Soudain, une agitation inhabituelle se fit sentir dans le hall. Deux policiers pénétrèrent dans la salle, leurs regards sérieux et déterminés. L’enseignant demanda le silence, et la tension monta instantanément. Les élèves échangèrent des regards inquiets, mais personne n’osait parler.

« Bonjour à tous, » commença l’un des policiers, sa voix ferme mais calme. « Nous enquêtons sur une série de disparitions récentes dans votre lycée. Nous savons que certains d’entre vous ont été proches des victimes, et nous devons poser quelques questions. »

Mathis sentit son estomac se nouer. Son corps se raidit alors qu’il écoutait les mots prononcés. Il connaissait chaque disparition, chaque absence, chaque visage manquant… et la peur commença à monter en flèche.

Les policiers évoquèrent brièvement les faits connus : les disparitions de Tim, d’Andrea et d’autres élèves. Puis ils abordèrent Leo. Mathis sentit un frisson glacé parcourir son dos lorsque le nom du garçon fut prononcé. Certaines affaires personnelles de Leo avaient été retrouvées éparpillées dans la ville, loin du lycée et des lieux habituels, ce qui ne correspondait pas au schéma des autres disparus. Une inquiétude sourde s’installa dans la poitrine de Mathis : quelque chose d’encore plus sinistre semblait entourer Leo.

L’ordre fut donné : chaque élève devait être interrogé individuellement. Les questions semblaient banales au début, mais chaque mot, chaque silence des policiers faisait grimper la tension. Quand ce fut enfin le tour de Mathis, il trembla comme une feuille, incapable de masquer sa peur. Ses mains étaient moites, son souffle court.

« Mathis, » dit l’un des policiers d’une voix posée, « nous savons que vous étiez proche de certaines des victimes. Nous devons vous poser quelques questions sur les habitudes et les relations de vos camarades. »

Mathis sentit la panique l’envahir. Il hocha la tête, incapable de parler immédiatement. Les policiers continuèrent : ils lui apprirent que Tim et Andrea avaient été retrouvés morts. Leurs corps avaient été découverts dans des circonstances terrifiantes, laissant peu de doutes sur le danger qui planait encore sur les élèves du lycée. Quant à Leo… il restait introuvable. Mathis sentit son cœur s’arrêter. Introuvable. Personne ne savait où il était, et chaque minute qui passait renforçait l’angoisse.

Les policiers lui posèrent des questions sur ses habitudes, ses relations avec les disparus, et sur toute information pouvant aider l’enquête. Ils lui tendirent aussi un petit prospectus avec le numéro d’une psychologue scolaire, lui assurant que s’il avait besoin de parler, ils étaient disponibles. Mathis hocha la tête, incapable de prononcer un mot. L’idée de mettre des mots sur ce qu’il ressentait le terrifiait.

Une fois l’interrogatoire terminé, les policiers le ramenèrent en classe. L’ambiance était lourde, oppressante. Les élèves chuchotaient à voix basse, jetant des regards inquiets autour d’eux. Mathis s’assit, le corps raide, les mains crispées sur le bureau. Ses pensées tourbillonnaient : Elior n’était toujours pas là, Leo restait introuvable, et le poids des disparitions pesait comme une chape de plomb sur ses épaules.

Discrètement, Mathis sortit son téléphone et envoya un message à Elior, tentant de masquer sa panique :

« Elior… tu es là ? Tout va bien ? »

Il resta figé quelques secondes, le pouce suspendu au-dessus de l’écran, espérant une réponse immédiate. Mais rien ne vint. Le silence était total, presque assourdissant. Chaque minute qui passait semblait durer une éternité. La peur se mélangeait à l’angoisse, et Mathis sentit les larmes monter. Il avait l’impression de perdre le contrôle, comme si le monde autour de lui se dérobait.

Ses pensées se tournèrent vers Julien et les autres amis. Si Elior n’était pas là pour l’avertir, qui pourrait prévenir les autres ? Et si la secte savait déjà qu’ils essayaient de protéger certains élèves ? L’urgence de la situation se faisait plus réelle que jamais.

Mathis prit une profonde inspiration, essayant de calmer son cœur affolé. Il se rappela les paroles d’Elior, ses confidences sur la surveillance et les menaces. Tout concordait avec ce qu’il venait d’apprendre : Leo introuvable, Tim et Andrea morts, et la secte toujours active. Chaque instant sans Elior semblait le rapprocher d’un danger imminent.

Le cours commença, mais Mathis ne pouvait se concentrer. Ses yeux se tournaient constamment vers la porte, espérant apercevoir Elior. Le temps semblait s’étirer, chaque seconde renforçant la tension. Il tenta d’envoyer un second message, plus bref, presque désespéré :

« Elior… s’il te plaît, réponds… »

Encore une fois, aucune réponse. Le silence du téléphone était insupportable. Mathis sentit la panique atteindre son paroxysme, mais il se força à rester assis, à ne pas attirer l’attention. Il savait qu’il devait rester discret, que la moindre réaction visible pourrait alerter les autres, et peut-être même la secte.

À la fin de la journée, lorsque les cours se terminèrent enfin, Mathis resta un moment à sa table, le regard vide, les mains crispées sur son sac. Le lycée semblait plus oppressant que jamais, et l’absence d’Elior transformait chaque bruit, chaque mouvement en menace potentielle. Il savait que les jours à venir seraient critiques, et que chaque information pourrait faire la différence entre protéger ou perdre un autre ami.

Alors qu’il rangeait ses affaires, il fit un dernier geste, presque instinctif : il écrivit sur un petit papier un rappel à lui-même, un plan pour vérifier la sécurité de Julien et pour rester en contact avec Elior dès que possible. Même si le cœur battant et l’esprit en alerte, il savait qu’il devait continuer à se battre, à surveiller, et à protéger ceux qu’il aimait. Et, surtout, il devait garder l’espoir qu’Elior lui répondrait bientôt.

Quatre jours. Quatre jours sans un seul message, sans un seul « OK » sur l’écran. Quatre jours où chaque minute avait l’air d’être passée sous eau, ralentie, froide. Mathis avait compté les heures, relu cent fois les dernières conversations, tenté d’imaginer des excuses plausibles — fatigue, pas de réseau, obligation familiale — mais au fond de lui la même note aiguë revenait : ce silence n’était pas normal.

Heureusement — ou plutôt indispensablement — Tharah et Lina ne le lâchaient pas. Elles étaient devenues ses ancrages ; des présences concrètes qui lui rappelaient de manger, de respirer, de ne pas céder aux pires scénarios. Lina, d’un pragmatisme sec, organisait les rondes, prenait des notes, triait les indices. Tharah, plus nerveuse, mettait sa force au service de l’action : elle venait avec lui, marchait à ses côtés, lui tenait la main quand la panique montait. Sans elles, Mathis aurait déjà foncé tête baissée.

Le matin suivant, la professeure de français entra, pâle, les mains croisées sur un dossier. Il y eut un silence. Elle prit la parole d’une voix qui se voulait douce mais qui fit s’éteindre le peu d’air joyeux :
— Je dois vous annoncer qu’Elior sera absent pour une durée indéterminée. Un certificat médical a été fourni à l’administration. Nous lui souhaitons évidemment un prompt rétablissement.

Autour de la table, des murmures. Mathis sentit le monde se contracter. « Certificat médical. » La phrase résonna dans sa tête comme une confirmation sinistre. C’était le geste administratif parfait pour couvrir une disparition organisée : du papier, de l’« officiel », un rideau qui se tirait sur la réalité. Il savait, au fond de lui, ce que cela signifiait. La secte avait des moyens. Des complicités. Des certificats factices, un médecin en poche.

Cette nuit‑là, l’impatience devint acte. Il n’y eut pas de grand plan, seulement une décision silencieuse prise entre trois respirations : aller voir. Espionner. Voir juste assez pour savoir. Tharah, sans discuter, se glissa dans la voiture de Lina. « On fait ça proprement », murmura Lina en démarrrant, « pas de cascades, pas d’héroïsme. On prend des preuves. On revient. »

Ils prièrent pour l’obscurité comme on prie pour un allié. La maison d’Elior se dressait comme d’ordinaire dans la rue, banale et humide, mais ses fenêtres étaient — comme Mathis l’avait remarqué déjà — gainées de journaux, papier froissé collé contre la vitre. L’odeur de la rue : essence, feuilles mortes, une humidité qui remontait des caniveaux. Le cœur de Mathis cognait si fort qu’il avait l’impression que les tympans allaient imploser.

Ils se faufilèrent, silencieux, jusqu’à la fenêtre du salon. Personne n’était devant la maison. Tharah sortit son téléphone, l’écran en veille, la lampe éteinte. Lina prit position derrière un arbuste, jumelles prêtes. Mathis se plaça près de la fenêtre, peinant à faire une respiration longue.

Et la vision qui leur apparut traversa toute la préparation : Elior, immobile, attaché à un radiateur. Les bougies disposées autour de lui dessinaient un cercle tremblant de lumière. Son visage, son t‑shirt froissé, ses cheveux collés par la sueur — il était marqué, des traces rouges, des bleus étaient visibles, mais rien d’excessivement graphique ; suffisant toutefois pour faire comprendre l’ampleur du geste. Ses mains retenues, son corps en tension. Le silence de la pièce était plus effrayant que n’importe quel cri : il y avait ce genre de calme qui n’annonce rien de bon.

Elior leva la tête et leurs regards se croisèrent, brutaux, immédiats. Ce contact dura une seconde, une éternité. Aucun sourire n’éclaira son visage — seulement la reconnaissance muette de ceux qui voient venir le pire et n’osent l’arrêter. Mathis ressentit comme un coup au plexus ; sa mâchoire se crispa, ses poings se fermèrent jusqu’à faire blanchir les jointures.

— Ne bouge pas, souffla Tharah, sa voix un souffle contre l’oreille de Mathis. Pas de gestes stupides.

Mathis sentit la haine monter, une colère aveugle, l’envie de briser la porte, d’arracher les attaches, d’arracher Elior à tout cela. Il sentait aussi, net et froid, l’idée d’échouer qui venait le frapper : si la secte voyait leur mouvement il y aurait des conséquences. Il pensa à toutes les fois où « partir en héros » n’était qu’un raccourci vers le désastre.

Tharah le prit par l’avant‑bras, ferme. « Tu veux le sauver maintenant ? On le sauvera en faisant tomber ceux qui lui font du mal. On ne va pas leur offrir la gloire d’une confrontation stupide. » Elle avait la rage, mais la tête froide. Ses doigts tremblaient légèrement contre sa peau, mais sa voix ne flanchait pas.

Lina, qui avait observé depuis l’ombre, sortit un petit appareil. « On prend des photos », dit‑elle. « Rapides, précises. On récolte la preuve. » Ses mains, professionnelles, se déployèrent. Tharah s’assura que la droite de Mathis était libre : il recevrait les fichiers. « Fais‑les parvenir à tes parents tout de suite », murmura‑t‑elle. « Montre‑leur ça comme preuve de maltraitance. On peut les forcer à agir sur un plan légal. »

Mathis sentit une lueur — ténue, mais réelle — d’espoir. Si ces images pouvaient déclencher une intervention policière, un placement d’urgence, une mesure de protection, alors ils tenaient quelque chose. Ils ne pouvaient pas, par imprudence, aggraver la situation. Les procédures auraient plus de force que leurs muscles.

Alors, avec des gestes rapides et coordonnés, Tharah prit des clichés : Elior, les cordes autour du radiateur, ses mains liées, le cercle de bougies, la fenêtre scellée par le papier journal. Lina prit des vues plus larges montrant la maison, les volets, la porte arrière. Mathis reçut les photos en direct, fébrile ; ses doigts tremblaient lorsqu’il les consulta sur l’écran. Elles étaient crues, impossibles à ignorer.

— Montre‑les à tes parents dès qu’ils rentrent, ordonna Lina d’une voix qui n’admettait pas la tentative d’échappatoire. Et sauvegarde‑les en plusieurs endroits. Envoie‑moi une copie chiffrée. On va… on va préparer un dossier.

Tharah, la gorge serrée, posa une main sur l’épaule de Mathis. « Tu n’es pas seul. Si on va porter plainte pour maltraitance, on le fera avec des preuves. On exigera intervention, placement, protection. Ils ne pourront pas réduire ça à un fait divers si les images sont nettes. »

Mathis répondit d’un mouvement la tête, la voix étranglée : « D’accord. Je… je le ferai. Mais… et Elior ? »

— On va aussi parler à la psy du lycée, dit Lina. Et à un avocat si besoin. On ne laisse rien au hasard. Mais pour l’instant, ces photos, c’est la clé. Elles prouvent qu’il y a maltraitance. Elles créent l’obligation d’agir.

Leurs silhouettes s’allongèrent dans la nuit quand ils se remirent à marcher, le cœur lourd mais le pas plus assuré. Mathis gardait son téléphone serré contre lui comme un talisman. La montre indiquait qu’ils avaient vingt-cinq minutes avant que tout le monde ne rentre — assez pour qu’il envoie les fichiers, appelle, et tente d’activer ceux qui pouvaient réellement faire quelque chose.

Avant de partir, Tharah jeta un dernier regard vers la maison. « Tiens bon », souffla‑t‑elle. « On revient. » Sa promesse n’était pas une assurance naïve ; elle portait la détermination de quelqu’un qui sait que l’on peut transformer la peur en action mesurée.

Dans la voiture, Mathis n’arrivait pas à empêcher les images d’Elior de s’imprimer dans sa rétine : le cercle de bougies, la pâleur du visage, l’indifférence apparente du monde qui continuait dehors. Mais il y avait maintenant une trajectoire : preuve — parents — plainte — intervention. C’était fragile, bureaucratique, lent parfois, mais c’était le droit et la force qui pouvaient arracher Elior de la main d’une secte.

Quand il envoya les photos à ses parents, son message était simple, haché : « Regarde. C’est Elior. Il est maltraité. On doit porter plainte. Appelle‑les. » Sa main tremblait au moment d’appuyer sur « envoyer », mais il le fit.

La nuit ne leur promettait pas de victoire instantanée. Elle leur promettait un combat long, légal et dangereux. Pourtant, en refermant son téléphone, Mathis sentit quelque chose comme une obligation soulagée : il avait fait le pas qui transformait l’angoisse en dossier. C’était la première fois, depuis des jours, qu’il se sentait utile pour de vrai.

Et quelque part, quelque part dans la maison où brûlaient encore — pour combien de temps ? — des bougies vacillantes, Elior avait levé les yeux vers la fenêtre et avait vu trois silhouettes s’éloigner. Il avait lu dans leurs gestes ce que Mathis, Tharah et Lina ne pouvaient pas prononcer : ils n’avaient pas abandonné.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Podqueenly ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0