Chapitre 32
Le matin de la rentrée avait un goût étrange pour Mathis. Le soleil pénétrait timidement à travers les rideaux de sa chambre, mais la lumière semblait glaciale, presque artificielle. Il resta un instant immobile, le téléphone dans la main, le cœur battant à un rythme irrégulier. Huit jours s’étaient écoulés depuis qu’Elior avait disparu des radars, et aucune réponse n’était venue à ses messages. Huit jours de silence, de peur sourde et d’angoisse, que Mathis n’avait pas réussi à chasser de son esprit, même pendant les vacances.
À contrecoeur, il s’habilla, choisissant des vêtements sobres, presque neutres, comme s’il voulait se fondre dans le décor du lycée. Ses parents avaient déjà reçu les photos que Tharah avait prises du rituel, et ils avaient alerté la police. Mais cette démarche, aussi concrète soit-elle, n’avait pas apaisé Mathis. Au contraire, chaque minute de silence d’Elior faisait croître un sentiment de menace omniprésente.
Dans la voiture, le trajet jusqu’au lycée sembla durer une éternité. Tharah et Lina avaient insisté pour l’accompagner ce matin-là. Leur présence était rassurante, mais le silence qui s’était installé dans le véhicule était lourd de sous-entendus. Chacune des filles connaissait l’urgence et la gravité de la situation. Mathis se perdit dans ses pensées : les images d’Elior attaché, ses blessures, le sang séché sur ses vêtements, tout cela revenait avec une clarté insoutenable.
« Tu crois qu’ils… feront quelque chose à Julien si nous ne faisons rien ? » demanda Tharah soudain, brisant le silence.
Mathis secoua la tête, la mâchoire crispée. « Je… Je ne sais pas. Mais je ne peux pas laisser Elior seul. Et si la secte savait que je le protège… » Il s’interrompit, incapable de finir sa phrase. Le simple fait de prononcer le mot “secte” à voix haute lui glaçait le sang.
Arrivés au lycée, Mathis observa les alentours avec un regard de faucon. Les couloirs étaient remplis d’élèves qui riaient, discutaient, ou se pressaient pour ne pas être en retard. Tout semblait normal, presque ridicule, comparé à ce qu’il savait. Chaque visage devenait un potentiel danger ou un témoin de ce qu’il avait vu. Ses yeux cherchèrent instinctivement Elior dans la foule, mais il n’y avait aucune trace de lui.
Lina posa une main sur son épaule, et Mathis sentit une chaleur réconfortante l’envahir.
« Ne reste pas seul dans tes pensées, » murmura-t-elle. « Tu n’es pas le seul à t’inquiéter. »
Ils s’installèrent en classe, mais Mathis ne parvenait pas à se concentrer. Les cours se succédaient, mais son esprit restait fixé sur Elior. Chaque son, chaque bruit de couloir, chaque mouvement suspect attisait son anxiété. Il remarqua des élèves chuchoter entre eux, certains jetant des regards vers la porte du lycée comme s’ils attendaient un événement particulier. Il se demandait si cela pouvait avoir un lien avec la secte, mais rien ne lui permettait de confirmer ses craintes.
Durant la pause, il rejoignit Tharah et Lina près des casiers. Les deux filles semblaient plus inquiètes qu’à l’accoutumée. Lina avait sorti son téléphone et montra discrètement à Mathis des articles en ligne sur des rituels mystérieux et des disparitions inexpliquées dans la région. Le lien était inquiétant, mais rien n’était formel.
« Tu crois que la secte… qu’ils ont encore des projets pour Elior ? » demanda Lina, la voix tremblante.
Mathis hocha la tête.
« Je n’en ai aucun doute. Et je ne peux pas rester les bras croisés. »
Ils échangèrent un regard chargé de compréhension. Tous trois savaient que chaque mouvement pouvait être surveillé, que chaque geste devait être prudent. Ils évoquèrent brièvement Julien, et Mathis ressentit un poids supplémentaire. Julien était leur ami commun, innocent dans tout ça, mais il devenait une cible par association.
Dans l’après-midi, Mathis observa des comportements inhabituels autour de la cour. Des élèves semblaient particulièrement nerveux, certains parlaient en murmurant, comme s’ils craignaient d’être entendus. Mathis sentit un frisson d’alerte traverser sa colonne vertébrale. Il se souvint des photos prises par Tharah et des blessures qu’Elior avait subies. Tout semblait lié.
« Tu devrais rester attentif », murmura Tharah à Mathis, sa voix basse mais ferme. « Même ici, ils peuvent te surveiller. »
Mathis acquiesça. Chaque fibre de son être était en alerte. Il nota mentalement tous les visages inconnus ou suspects, chaque mouvement suspect autour du lycée. Tout devait être noté, enregistré, analysé. Si la secte était consciente de leur plan pour protéger Julien, chaque action pouvait avoir des conséquences dramatiques.
Plus tard, à la fin des cours, Mathis et ses alliées se retrouvèrent dans un coin isolé du lycée. Tharah et Lina avaient prévu de récupérer des informations, de surveiller certains élèves et de noter tout comportement étrange. Mathis sentit une vague de gratitude pour leur présence. Il n’aurait jamais pu faire face à cette situation seul.
« Mathis… » dit Lina, posant une main sur son bras. « On va faire en sorte qu’Elior soit en sécurité. Mais il faut que tu restes calme, même si c’est difficile. »
Mathis hocha la tête, tentant de contrôler son souffle et de calmer son cœur. Mais la peur, la colère, et l’inquiétude pour Elior étaient trop fortes pour disparaître complètement.
Alors qu’ils quittaient le lycée, Mathis observa une silhouette familière à distance. Son cœur bondit, mais ce n’était pas Elior. L’ombre disparut derrière un bâtiment, et Mathis sentit une montée de frustration et de désespoir. Chaque minute sans nouvelle d’Elior était une torture, chaque absence un poids sur sa poitrine.
De retour chez lui, Mathis s’enferma dans sa chambre, seul cette fois, et relut mentalement toutes les notes qu’il avait prises. Les photos, les indices, les informations sur la secte, la disparition de Leo, Tim, et Andrea, tout cela formait un puzzle dont il connaissait une partie seulement. Il se promit de rester vigilant, de ne rien laisser passer, et surtout, de protéger Elior, quel qu’en soit le prix.
Le soir, Tharah et Lina vinrent le rejoindre pour planifier les prochaines étapes. Ils discutèrent de stratégies pour surveiller Elior discrètement, pour protéger Julien, et pour accumuler des preuves suffisantes pour la police. Mais chaque plan était teinté de peur. La secte était partout, et chaque erreur pouvait coûter cher.
Mathis, épuisé mais déterminé, prit un moment pour lui-même. Il regarda son téléphone, espérant un message d’Elior, mais l’écran resta désespérément vide. Une angoisse sourde l’envahit, mais il se rappela les mots de sa mère : ils feraient tout pour protéger Elior. Cela lui donna une force nouvelle. Il n’était pas seul. Et malgré la peur et l’incertitude, il savait qu’il devait rester debout, pour Elior, pour Julien, et pour lui-même.
La nuit tombée, Mathis s’allongea, le cœur lourd, mais avec une résolution renouvelée. Chaque respiration était mesurée, chaque pensée tournée vers Elior et la manière dont il pourrait l’aider. Le sommeil venait par bribes, mais il rêvait d’un moment où tout serait enfin sûr, où Elior serait libre et en sécurité, et où ils pourraient peut-être, un jour, vivre quelque chose de normal.
Le mercredi matin, Mathis se leva avec la sensation d’avoir dormi à peine deux heures. Ses rêves étaient hantés par des images d’Elior : son corps attaché, ses yeux implorants, ses blessures. La frontière entre rêve et réalité était devenue trop fine. Chaque réveil avait ce goût de cauchemar prolongé.
Il se traîna jusque dans la cuisine, où sa mère l’attendait, déjà habillée pour le travail. Elle posa une tasse de café devant lui et s’assit. Le silence s’installa un instant, seulement brisé par le bruit du liquide qu’il touillait. Puis elle dit :
— Mathis… tu es pâle. Tu tiens le coup ?
Il haussa vaguement les épaules.
— Tant que je n’ai pas de nouvelles, je ne tiendrai pas.
Sa mère posa une main douce sur la sienne.
— Je sais. Mais rappelle-toi : tu n’es pas seul. On est tous là. Et ce garçon… Elior… on ne l’abandonnera pas.
Ces mots serrèrent le cœur de Mathis. Il baissa la tête pour cacher ses yeux brillants, mais une gratitude immense naquit au fond de lui. Sa mère ne le jugeait pas, ne cherchait pas à le détourner de ses sentiments. Elle avait compris qu’il l’aimait sincèrement.
En cours, la journée sembla interminable. Les élèves murmuraient encore au sujet des disparitions. Certains osaient plaisanter maladroitement, d’autres chuchotaient des théories absurdes. Mathis, lui, ne participait pas. Chaque rire autour de lui sonnait comme une insulte au silence qu’il endurait.
À la pause, il retrouva Tharah et Lina dans leur coin habituel, à l’ombre d’un escalier extérieur. Julien les rejoignit, l’air distrait, mais un peu moins inquiet que les autres. Peut-être parce qu’il ne connaissait pas encore l’ampleur des menaces qui pesaient sur lui.
— Toujours rien d’Elior ? demanda Lina à voix basse.
Mathis secoua la tête.
— Rien. C’est insupportable.
— On doit rester vigilants, intervint Tharah. La lettre qu’ils ont envoyée à ta mère montre qu’ils savent déjà qu’on protège Julien. S’ils sentent qu’on bouge trop… ils frapperont.
Julien fronça les sourcils, un peu perdu.
— Franchement, je comprends pas pourquoi vous dramatisez autant. Je veux dire… ils vont pas vraiment s’en prendre à moi, non ?
Mathis se tourna brusquement vers lui, les yeux brûlants.
— Si. Ils le feront. Tu crois que Tim, Andrea, Leo… ils ont disparu par hasard ? Tu crois qu’Amanda est morte sans raison ?
Un silence pesant suivit. Julien déglutit et détourna les yeux, mal à l’aise. Il n’avait jamais vu Mathis aussi dur.
Lina intervint pour apaiser les tensions.
— Julien, écoute… ce qu’on essaie de dire, c’est qu’on doit rester groupés. Tu ne dois jamais rester seul, surtout pas en ce moment.
Julien acquiesça, plus sérieux.
— D’accord… mais vous me faites peur, là.
— C’est peut-être ce qu’il faut, souffla Tharah.
Les jours suivants, Mathis et ses amies organisèrent une véritable petite cellule de veille. Ils s’étaient donné des règles : Julien devait être accompagné à chaque sortie, y compris pour rentrer du lycée. Lina se chargeait d’observer les alentours, notant les inconnus trop présents, les silhouettes qui semblaient rôder. Tharah prenait des photos discrètes, convaincue qu’un jour ces preuves serviraient.
Mathis, lui, oscillait entre deux rôles : surveiller Julien et chercher désespérément un signe d’Elior. Le soir, il envoyait encore et encore des messages, suppliant, promettant, ou simplement écrivant son prénom, comme une incantation. L’écran restait noir, mais il refusait d’arrêter.
Sa peur devint obsessionnelle. En cours, son regard glissait vers la fenêtre toutes les cinq minutes. Dans la rue, il se retournait sans cesse, persuadé d’être suivi. Il avait l’impression d’être traqué par une ombre invisible.
Un vendredi après-midi, alors qu’il quittait le lycée avec Julien, il remarqua un détail qui lui fit froid dans le dos. Un homme en manteau sombre, accoudé à un lampadaire, les observait. Ses yeux fixaient Julien avec une intensité glaciale. Mathis sentit son cœur s’emballer.
— Julien… ne te retourne pas. Continue de marcher.
— Hein ? Pourquoi ?
— Fais ce que je dis.
Ils accélérèrent le pas, Mathis jetant des coups d’œil discrets par-dessus son épaule. L’homme resta en arrière, mais son regard ne les quittait pas. Quand ils tournèrent dans une rue adjacente, Mathis attrapa Julien par le bras et le força presque à courir jusqu’à la maison.
Une fois la porte claquée derrière eux, Julien haletait.
— C’était quoi, ça ?
Mathis tremblait.
— Un avertissement. Ils nous surveillent.
Julien pâlit. Pour la première fois, il comprenait que ce n’était pas une paranoïa, mais une réalité.
Le week-end apporta une accalmie trompeuse. Mathis tenta de se détendre, mais il restait collé à son téléphone, attendant un signe. Ses parents l’encourageaient à se reposer, mais son esprit refusait de lâcher prise.
Dimanche soir, alors qu’il se préparait pour une nouvelle semaine de cours, un bruit sec contre la fenêtre de sa chambre le fit sursauter. Il s’approcha, le souffle court. Un petit caillou venait de rebondir contre la vitre. Il ouvrit prudemment, mais la rue était vide.
Il allait refermer quand il aperçut une enveloppe glissée entre le rebord de la fenêtre et le volet. Ses mains tremblaient en l’ouvrant.
À l’intérieur, quelques mots griffonnés d’une écriture hâtive :
« Tu ne comprends pas encore, mais bientôt, tu perdras tout. Protège-le tant que tu veux, il ne nous échappera pas. »
Mathis sentit une sueur glacée envahir son dos. Il reconnaissait la même écriture que dans la première lettre. La secte savait où il vivait, et pire, elle osait défier sa famille en plein cœur de leur maison.
Il montra la lettre à ses parents. Sa mère blêmit, son père serra la mâchoire.
— Ils franchissent un nouveau cap, dit son père. La police doit voir ça immédiatement.
Mais Mathis ne pensait qu’à une chose. « Protège-le tant que tu veux… » C’était Julien qu’ils visaient. Et Elior… pourquoi ne donnait-il toujours aucun signe ? Était-il vivant ? Prisonnier ? Ou pire ?
Cette nuit-là, Mathis ne dormit presque pas. Allongé dans son lit, il fixait le plafond, les poings serrés. Chaque ombre lui paraissait menaçante, chaque craquement un signe d’intrusion. Il pensa à Elior, se demanda s’il était enfermé quelque part, seul et brisé, attendant que quelqu’un vienne le sauver.
Une idée folle germa dans son esprit : aller lui-même chercher Elior, pénétrer dans cette maison maudite, le libérer. Mais une voix intérieure lui rappela qu’il n’était pas seul, qu’il devait protéger Julien aussi. Son cœur était écartelé entre deux urgences.
Le lundi matin, Mathis arriva au lycée avec des cernes profondes. Lina l’accueillit d’un regard inquiet. — Tu as vu ta tête… Tu n’as pas dormi, hein ?
Il secoua la tête. — Ils ont encore envoyé une lettre.
Les filles écarquillèrent les yeux. Mathis leur montra discrètement la photo qu’il avait prise de l’enveloppe et du message.
— C’est Julien qu’ils veulent, dit Tharah, blême. On doit redoubler de vigilance.
Julien, justement, arriva au même moment. Il vit leurs expressions, l’air sérieux, et comprit que quelque chose clochait.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Mathis inspira profondément. Il ne pouvait pas lui cacher éternellement la vérité. — Julien… ils t’ont désigné. Tu es leur prochaine cible.
Le visage de Julien se décomposa. Ses lèvres tremblaient, ses yeux se remplirent de larmes qu’il refoula de justesse.
— Mais… pourquoi moi ?
Mathis posa une main ferme sur son épaule.
— Parce que tu es important pour moi. Et ils veulent me punir.
Le silence s’abattit. Julien avait enfin compris.
À cet instant précis, un professeur entra dans la classe, accompagné de deux policiers. L’un d’eux prit la parole.
— Nous allons avoir besoin de parler à quelques élèves. Merci de coopérer.
Le sang de Mathis se glaça.

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