Chapitre 33

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La salle d’interrogatoire semblait rétrécir à mesure que Mathis y pénétrait. Le néon au plafond projetait une lumière froide et impersonnelle, et le cliquetis régulier de l’horloge semblait marteler son rythme cardiaque déjà accéléré. Ses mains étaient moites, et chaque pas lui semblait lourd, comme s’il marchait dans du sable. Tharah, Lina et Julien, assis à l’extérieur derrière la vitre sans tain, lui envoyèrent des regards pleins d’encouragement. Il capta les yeux de Tharah, qui lui fit un petit signe discret, et celui de Lina, qui lui sourit avec douceur, puis il inspira profondément. Il savait qu’il n’y avait plus de retour en arrière. Si jamais il ne disait rien, Elior pourrait être en danger. Tout ce qu’il avait gardé pour lui jusque-là devait être révélé maintenant.

L’agent chargé de l’interrogatoire l’invita à s’asseoir en face de lui. Mathis prit place, les jambes légèrement tremblantes, la poitrine nouée. L’air était lourd, chargé de l’odeur métallique des stylos et du papier, et d’une tension qu’il n’avait jamais ressentie auparavant. L’agent posa son carnet sur la table et le fixa calmement.

« Bonjour, Mathis. Nous savons que vous êtes dans la même classe qu’Elior. Nous aimerions savoir si vous avez remarqué quelque chose d’inhabituel ces derniers jours… ou si vous avez des informations sur les disparitions », dit l’agent, d’une voix posée mais ferme.

Mathis sentit une boule se former dans sa gorge. Chaque mot qu’il allait prononcer le rapprochait d’un abîme, mais il savait qu’il ne pouvait plus reculer. Il inspira profondément. « Je… je crois savoir où Elior se trouve, et ce qu’il vit… je… je dois tout vous dire », murmura-t-il, sa voix tremblante.

L’agent hocha lentement la tête, l’encourageant à continuer.

« Il… il y a une secte. Je sais, ça peut paraître fou… mais je l’ai vu de mes propres yeux. J’ai vu Elior attaché, entouré de bougies… il y avait du sang… sur son corps, sur son visage. » Mathis sentait ses mains se serrer en poings. « Il était… terrorisé. Il n’avait aucun moyen de se défendre. »

Les policiers prirent des notes rapidement, fronçant les sourcils en silence. L’agent, visiblement surpris mais professionnel, demanda :

« Pouvez-vous être plus précis, Mathis ? Vous avez vu cela chez lui, dans sa maison ? »

Mathis hocha la tête.

« Oui… dans sa maison. Des membres de sa famille… ou proches… faisaient… un rituel. Ils avaient tous le poignet coupé, et ils versaient leur sang dans une coupelle… Elior… Elior aussi… il était obligé… il avait la tête baissée. Puis ils ont ajouté une fiole rouge… et tous ont bu une gorgée… c’était… du sang, je crois… » Sa voix se brisa légèrement, et il déglutit difficilement. « J’ai eu un haut-le-cœur et j’ai dû partir en courant. Mais je… je voulais le protéger. »

Les policiers échangèrent un regard inquiet. L’un d’eux murmura :

« Vous êtes sûr de ce que vous avez vu, Mathis ? »

Mathis hocha de nouveau la tête, le souffle court.

« Oui… je suis sûr… et je crois que si on n’intervient pas rapidement, il pourrait leur arriver quelque chose de grave. »

Il raconta ensuite les disparitions.

« Tim et Andrea ont été retrouvés morts… Leo est introuvable… et je crois… je crois qu’il y a un lien avec cette secte. » Il hésita, les larmes aux yeux. « Et… Matheo… Julien.D… ils… ils ont été tués… et Elior… je suis sûr qu’il est en danger. »

L’agent nota tout méticuleusement, son visage impassible mais concentré. « Avez-vous d’autres preuves ? », demanda-t-il.

Mathis sortit la lettre de menace qu’il avait reçue quelques jours auparavant, la tenant à deux mains. « J’ai reçu ceci chez moi. Ils savent que je m’intéresse à Elior, qu’ils savent que je veux le protéger… ils me surveillent… »

L’agent prit la lettre, la lit attentivement et fronça les sourcils.

« Nous allons devoir vérifier cela immédiatement. »

Mathis expliqua ensuite l’état psychologique d’Elior. Il parla de son visage, de ses poignets bandés, de ses spasmes et de son comportement distant depuis qu’il avait été témoin des rituels. « Il est terrorisé, complètement détruit… et il n’a personne vers qui se tourner à part moi », dit Mathis, la voix brisée.

Les policiers, désormais conscients de l’ampleur du problème, commencèrent à poser des questions plus ciblées. « Connaissez-vous l’endroit exact où ils pourraient être ? »

Mathis hocha la tête et donna tous les détails possibles : la disposition des pièces, les horaires où il avait aperçu des mouvements suspects, et la description approximative des membres de la famille ou proches impliqués. Il insista pour que toute intervention soit discrète, craignant les représailles si la secte réalisait qu’ils avaient été dénoncés.

À l’extérieur, Tharah, Lina et Julien attendaient, silencieux mais attentifs. Ils virent Mathis passer la vitre sans tain et leurs yeux se croisèrent. Ils savaient tous trois à quel point la situation était critique et combien le courage de Mathis était immense. Lina lui fit un petit signe pour lui rappeler qu’elle était là, prête à soutenir, et Tharah hocha doucement la tête, comme pour lui dire qu’il n’était pas seul. Julien, quant à lui, croisa les bras, le regard déterminé : ils feraient tout pour protéger leurs amis.

Mathis poursuivit, décrivant les menaces implicites dans la lettre, le comportement de la secte et la surveillance constante. Chaque mot était une charge qu’il déposait sur la table, mais il savait que c’était nécessaire.

« Je… je crois que si on n’intervient pas maintenant, Elior pourrait mourir », avoua-t-il, sa voix tremblante mais déterminée.

Les policiers commencèrent à planifier leur intervention, demandant des informations précises sur la sécurité de la maison, les fenêtres, les issues possibles et les moments où les membres de la secte pourraient être absents. Mathis donna tous les détails qu’il pouvait fournir, le cœur battant la chamade.

« Il faut qu’on soit discrets », insista-t-il. « Si ils découvrent qu’on est au courant… » Il laissa la phrase en suspens, la peur palpable dans sa voix.

Tharah lui posa une main sur l’épaule à travers la vitre, lui offrant un soutien silencieux. Mathis sentit une vague de soulagement et de courage le traverser : il n’était pas seul dans cette épreuve. Lina lui fit un petit sourire encourageant, et Julien hocha la tête avec gravité, prêt à intervenir si nécessaire.

Mathis continua de détailler les habitudes de la famille et des proches de la secte.

« Ils surveillent Elior de près, chaque geste est observé… et ils utilisent des rituels pour le contrôler. » Il raconta comment il avait tenté de le nourrir, comment il avait essayé de le rassurer, et comment Elior, malgré tout, avait essayé de lui sourire. Mais derrière ce sourire, il voyait la peur.

Les policiers prirent des notes sur chaque mot, échangeant des regards inquiets mais concentrés.

« Nous devons agir rapidement, Mathis », dit l’un d’eux. « Avez-vous d’autres informations qui pourraient nous aider à localiser Elior et protéger les autres ? »

Mathis inspira profondément et se lança dans les détails des événements récents : comment il avait vu Elior avec des blessures, la fiole rouge, les rites sanglants, et les réactions d’Elior face à cette horreur. Chaque phrase était un fardeau, mais il savait que c’était essentiel.

« Je suis prêt à aider de toutes mes forces », ajouta-t-il, sa voix déterminée malgré les tremblements.

Les policiers finirent par lui demander de rester disponible pour fournir tout complément d’information et pour accompagner l’équipe lors de l’intervention. Mathis hocha vigoureusement la tête, le cœur serré, conscient que chaque seconde comptait. Il sentait la peur monter en lui, mais aussi une détermination farouche à sauver Elior.

Après l’interrogatoire, Mathis sortit de la salle, ses jambes encore légèrement tremblantes. Tharah et Lina se précipitèrent pour le prendre dans leurs bras. Julien, silencieux, posa une main rassurante sur son épaule. Mathis ferma les yeux un instant, reprenant son souffle, et laissa ses amis lui transmettre une force nouvelle.

« Merci d’être là… » murmura-t-il, la voix étranglée par l’émotion.

Ils discutèrent brièvement de la suite : comment rester vigilants, comment protéger Julien et les autres amis, et surtout comment attendre la décision de la police sans paniquer. Mathis savait qu’il devrait rester fort, mais il se sentait soutenu. Pour la première fois depuis longtemps, il sentit que l’espoir existait encore.

Alors qu’ils sortaient du commissariat, Mathis regarda son téléphone et envoya un dernier message à Elior, presque par habitude, même s’il savait qu’il ne pourrait pas y répondre immédiatement. « Je ne t’abandonnerai pas », écrivit-il. Il ferma les yeux, inspirant profondément, et se promit de tout faire pour ramener Elior sain et sauf.

Tharah posa sa main sur son bras et dit doucement :

« Tu fais ce qu’il faut, Mathis. Nous sommes tous avec toi. »

Lina acquiesça.

« On est là pour toi et pour lui. Tout ira bien, d’accord ? »

Mathis hocha la tête, le cœur encore battant, mais avec une certitude nouvelle. Il savait que la route serait longue et semée d’embûches, mais il avait pris une décision irrévocable : protéger Elior, coûte que coûte.

Et tandis qu’ils s’éloignaient du commissariat, Mathis sentit pour la première fois depuis longtemps que la vérité, aussi effrayante soit-elle, pouvait être une arme pour sauver quelqu’un qu’on aime profondément.

La voiture de police s’immobilisa devant la maison. Mathis, Tharah, Lina et Julien descendirent, le cœur battant à tout rompre. L’angoisse qui avait commencé dès qu’ils avaient aperçu le portail se renforça à mesure qu’ils approchaient de la porte. La maison semblait… vide. Aucune lumière dans les fenêtres, aucun bruit. Seules des traces de bougies éparpillées au sol, éteintes ou à moitié consumées, témoignaient que quelqu’un avait été là récemment. Le silence pesant enveloppait le quartier comme une couverture glaciale.

Mathis sentit ses mains se crisper sur la sienne. Ses yeux balayaient chaque recoin, cherchant un signe, un mouvement, un souffle de vie.

« Il n’y a personne… » murmura-t-il, la voix étranglée. Tharah lui prit la main et la serra avec force, tandis que Lina observait les alentours avec un regard acéré, prête à réagir au moindre danger.

Ils pénétrèrent doucement dans l’entrée. L’odeur de cire et de bois brûlé flottait dans l’air, rappelant les rituels qu’Elior avait subis. Mathis sentit un frisson lui parcourir l’échine. Les bougies étaient disposées en cercle, comme si un dernier rite avait été laissé à moitié achevé. Il s’agenouilla pour observer de plus près.

« Pourquoi… pourquoi ces bougies ici ? » murmura-t-il, la gorge serrée. Il avait l’impression de toucher du doigt une horreur qu’il n’était pas sûr de pouvoir comprendre.

Alors qu’il se relevait, un bruissement derrière lui fit sursauter tout le monde. Deux adolescents s’avancèrent du côté de la rue. Un garçon et une fille, d’environ leur âge, s’approchèrent d’un pas hésitant mais assuré. Le garçon s’arrêta à quelques mètres et dit calmement :

« Salut… vous allez bien ? On… on vous voit un peu tendus. »

Mathis plissa les yeux et recula d’un pas.

« Euh… je… je ne crois pas qu’on se connaisse », répondit-il, méfiant. Ses instincts le mettaient déjà en garde. Tharah et Lina échangèrent un regard inquiet. La méfiance de Mathis n’était pas infondée.

La fille, aux cheveux châtains tirés en queue de cheval, s’avança un peu plus, un sourire doux mais étrange sur les lèvres.

« On ne voulait pas vous effrayer. On habite juste en face. On a vu… que vous n’aviez pas l’air très bien. »

Mathis fronça les sourcils.

« Vous voulez dire… à cause de la maison ? »

Le garçon secoua la tête.

« Pas exactement… c’est vous. On a senti… quelque chose. Vous semblez… perturbé. »

Mathis sentit un frisson parcourir son dos. La précision de leur remarque le déstabilisait. Il ne savait pas quoi dire, son cerveau oscillant entre prudence et curiosité.

« Euh… merci, je suppose. Mais je… je dois y aller », murmura-t-il, prêt à reculer.

La fille fit un pas en avant, son regard brillant d’une intensité inhabituelle.

« Vous pouvez nous parler. On ne vous veut aucun mal. »

Mathis sentit une tension sourde monter en lui. Il aurait dû écouter son instinct : quelque chose dans leur façon d’être le mettait mal à l’aise. Et pourtant, il était curieux… mais cette curiosité se mêlait à une peur viscérale qu’il n’arrivait pas à ignorer.

Tharah posa doucement sa main sur son bras, un geste pour le retenir et l’avertir en silence. Lina, plus proche, se mit légèrement devant lui, prête à intervenir. Julien, silencieux, observait attentivement chaque mouvement.

Le garçon s’avança encore, posant une main à moitié ouverte vers Mathis, comme pour lui montrer qu’il était désarmé.

« On sait que ça peut sembler étrange… mais on peut aider. Vous… vous avez l’air d’avoir besoin de soutien. »

Mathis sentit son cœur battre plus fort. Il ne savait pas si ces deux inconnus étaient sincères ou s’ils faisaient partie de quelque chose de plus sombre, comme la secte qui avait déjà pris Elior. Chaque fibre de son corps criait la prudence.

« Écoutez… je… je n’ai pas le temps pour… » Il s’interrompit, observant attentivement le visage du garçon. Il y avait quelque chose d’inquiétant dans son calme.

La fille s’agenouilla légèrement pour se mettre à sa hauteur, les yeux brillants d’une inquiétude presque trop intense.

« Vous êtes inquiet pour quelqu’un, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle, presque comme si elle lisait dans ses pensées.

Mathis sentit ses poils se hérisser. La précision de leur questionnement, la façon dont ils semblaient savoir ce qu’il pensait… tout cela le rendait nerveux. Son instinct lui criait que ces deux inconnus n’étaient pas simplement des voisins bienveillants.

« Oui… pour un ami », répondit-il prudemment, essayant de garder sa voix neutre, mais son corps tremblait malgré lui.

Le garçon inclina légèrement la tête, un sourire calme mais troublant sur le visage.

« On peut aider… mais vous devez être honnête. »

Mathis recula d’un pas, sentant le danger invisible flotter dans l’air. Tharah posa sa main sur sa poitrine pour l’empêcher de s’avancer imprudemment. Lina serra ses poings, prête à protéger. Julien murmura à voix basse :

« Fais attention… quelque chose cloche. »

Mathis inspira profondément. Il devait rester concentré. Il savait que s’il se laissait emporter par la curiosité ou la peur, il pourrait compromettre tout ce qu’il avait mis en place pour protéger Elior.

« Je… je dois y aller », dit-il fermement, tentant de détourner leur attention.

Mais la fille pencha légèrement la tête, son sourire toujours aussi étrange, et dit d’une voix douce mais insistante :

« Pensez-y… parfois, on croit être seuls, mais on n’est jamais vraiment seuls. »

Mathis sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Ses yeux passèrent du visage de la fille à celui du garçon. Il comprit qu’il venait d’entrer dans un jeu dangereux sans même le savoir. Leur calme, leur manière de parler, et surtout leur intérêt soudain pour lui et son inquiétude pour Elior… tout cela mettait ses nerfs à vif.

Il recula encore, Tharah et Lina à ses côtés, et murmura :

« Je… je ne peux pas vous parler ici. On doit y aller. »

Le garçon hocha la tête lentement, sans agressivité, mais avec une intensité qui fit réfléchir Mathis.

« Comme vous voulez… mais souvenez-vous… on observe. »

Mathis sentit son sang se glacer. Sans attendre une seconde de plus, il fit signe à ses amis de le suivre et ils reculèrent vers la rue, jetant un dernier regard vers la maison. Les bougies à terre semblaient les regarder, silencieuses témoins d’un rituel passé et d’un danger imminent.

Tharah serra son bras.

« Mathis… on doit prévenir la police de ce qu’on vient de voir… et de ces deux-là. »

Mathis acquiesça, le souffle court. Son cœur battait à tout rompre, et il sentit un mélange de peur et d’urgence le pousser à agir.

« Oui… on ne peut pas laisser ça… Elior… il doit être protégé, peu importe ce qu’il en coûte. »

Alors qu’ils s’éloignaient, Mathis jeta un dernier regard vers la maison silencieuse, comprenant que la semaine à venir serait encore plus critique. Les vacances et les moments volés avec Elior semblaient désormais loin, remplacés par un véritable enfer de menaces et d’inconnues.

Mais une chose était certaine : il ne laisserait personne nuire à Elior, même si cela signifiait faire face à des dangers qu’il n’aurait jamais imaginés.

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