Chapitre 35

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Le vent siffla entre les maisons, charriant des odeurs de cire et d’humidité. Mathis, grelottant malgré sa veste, tenait les jumelles serrées contre ses yeux. Cela faisait trois heures qu’il observait la maison d’Elior, désormais vide, mais le silence qui l’entourait semblait hurler.

Derrière lui, Lina griffonnait dans son carnet : Aucune lumière. Pas de mouvement. Bruit suspect à 21h47 – possible présence humaine derrière le mur est.
Tharah, à côté, fixait la rue, son téléphone prêt à filmer. Julien, lui, faisait les cent pas, nerveux.

« Tu crois qu’ils reviendront cette nuit ? » murmura Lina.
Mathis baissa les jumelles, les yeux cernés. « Ils ne sont jamais vraiment partis. »

Depuis le départ des policiers, il sentait une présence. Quelque chose rôdait. Parfois, il avait l’impression que des regards se posaient sur lui depuis les ombres. Le moindre bruit le faisait sursauter : le craquement d’une branche, un volet qui claque, une silhouette trop lente à disparaître.

La maison, avec ses fenêtres obstruées de papier jauni, semblait respirer. On aurait dit qu’elle attendait quelque chose… ou quelqu’un.

Julien s’arrêta net. « Attendez. Vous entendez ? »
Un bruit, ténu, à peine perceptible : toc… toc… toc.
Trois coups espacés, venant de la cave de la maison abandonnée.

Mathis sentit sa poitrine se serrer. « C’est impossible… Il n’y a plus personne. »
Tharah, livide, posa sa main sur son bras. « Ou alors, il y a encore quelqu’un. »

Ils se regardèrent, figés, puis Julien secoua la tête. « On ne peut pas rester ici. On devrait prévenir la police. »
« Non, » coupa Mathis. « Ils ne feront rien tant qu’ils n’auront pas de preuves. Si Elior est là-dessous, il faut agir maintenant. »

Mais avant qu’ils n’aient pu décider quoi faire, un bruit de pas se fit entendre derrière eux.

Deux silhouettes sortirent lentement de l’ombre. Le garçon et la fille. Toujours ce même sourire poli, presque inhumain.

« Vous n’avez pas écouté nos conseils, » dit la fille d’une voix calme, presque douce. « Vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas. »

Mathis fit un pas en avant. « Où est Elior ? Qu’est-ce que vous lui avez fait ? »
Le garçon esquissa un sourire. « Vous devriez rentrer, Mathis. Votre curiosité pourrait vous coûter cher. »

Tharah attrapa le bras de Mathis, l’empêchant d’avancer davantage. « Laisse tomber, Mathis. Ce sont eux. Ils veulent te provoquer. »
Mais il n’écoutait plus. Tout son corps tremblait, son cœur battant à tout rompre. « Dites-moi où il est ! »

Le garçon s’approcha, si près que Mathis sentit son souffle froid contre sa joue. « Il est là où il doit être. Vous aussi, bientôt. »

Puis ils repartirent, lentement, disparaissant dans la ruelle sans un bruit.

Personne ne parla pendant un long moment. Le silence qui suivit était plus lourd que tout le reste. Même le vent semblait s’être arrêté.

23h12.
Lina avait rangé son carnet. Julien vérifiait les vidéos enregistrées. Rien de visible, mais le malaise persistait.

« On devrait rentrer, » dit enfin Tharah. « Ils savent qu’on est ici. S’ils reviennent à plusieurs, on ne fera pas le poids. »

Mathis acquiesça, mais son regard restait rivé sur la maison. Quelque chose brillait à l’intérieur, une faible lumière vacillante, comme une bougie qu’on aurait allumée dans la cave.
« Tu vois ça ? » demanda-t-il.

Tous se tournèrent vers la fenêtre. Oui, une lumière… puis une ombre mouvante. Quelqu’un était là.

Julien blêmit. « Ce n’est pas possible, les policiers ont tout fouillé ! »

Mathis sentit la panique l’envahir, mais il ne pouvait pas détourner les yeux. L’ombre bougeait, lente, mécanique. Et soudain, dans un éclat de lumière, il vit quelque chose d’impossible : sur le mur du salon, une série de symboles tracés en rouge. Des spirales, des lignes, des cercles… et au centre, un mot : “Purification.”

Lina recula, horrifiée. « C’est… c’est du sang. »

Tharah serra la main de Mathis. « On doit prévenir la police, maintenant. »
Mais Mathis secoua la tête. « Non… pas encore. Je dois comprendre. »

Il s’avança d’un pas, puis d’un autre, traversant la rue malgré les protestations de ses amis. Le vent s’engouffra dans les fissures du portail, faisant trembler les bougies éteintes. L’air sentait la cire froide et le fer.

Il posa la main sur la poignée. Gelée.
Puis il la tourna.

La porte s’ouvrit sans résistance, grinçant faiblement. L’intérieur était plongé dans l’obscurité. Les murs semblaient transpirer la peur.

« Mathis, non ! » cria Tharah à voix basse.
Mais il entra.

Chaque pas faisait craquer le parquet. Les bougies renversées jonchaient le sol, certaines encore tièdes. Au centre du salon, les symboles rouges luisaient faiblement à la lueur d’une flamme mourante.

Et puis, il l’entendit.
Une respiration.
Courte, saccadée. Quelqu’un, quelque part, respirait.

« Elior ? » appela-t-il doucement.

Aucune réponse. Seulement un murmure, à peine audible :
Tu n’aurais pas dû venir…

Mathis se retourna brusquement. Derrière lui, rien. Le silence, à nouveau. Son cœur battait à ses tempes. Il fit un pas en arrière, mais une main agrippa son poignet.

Il hurla, avant de reconnaître la voix de Julien.
« Viens, bordel ! C’est dangereux ici ! »

Mathis sortit précipitamment, suivi des autres. Une fois dehors, il sentit ses jambes trembler. Il haletait, incapable de parler.

Tharah prit son visage entre ses mains. « Qu’est-ce que t’as vu ? »
Il avala difficilement sa salive. « Quelqu’un était là. Je l’ai entendu… et sur le mur, il y avait écrit Purification. »

Julien jura. « Ils ont prévu un autre rituel. »

Lina regarda autour d’elle, nerveuse. « On ne doit plus venir ici. S’ils savent qu’on a vu ça, on est morts. »

Mathis resta silencieux. Au fond de lui, une certitude grandissait : Elior était toujours vivant. Et la secte préparait quelque chose.

Mathis arriva au lycée avec les yeux rougis par le manque de sommeil. Les couloirs bourdonnaient de conversations ordinaires, mais pour lui, tout semblait irréel. Tharah et Lina l’attendaient devant la salle de français.

« Tu n’as pas dormi, hein ? » demanda Lina.
Il secoua la tête. « J’arrêtais pas de repenser à cette voix. »

Tharah jeta un coup d’œil autour d’elle, puis baissa le ton. « J’ai fait des recherches cette nuit. Il y a eu des rumeurs de cérémonies dans les bois derrière le vieux cimetière. Des gens ont entendu des chants, des bruits de tambour. »

Mathis sentit une sueur froide lui glisser dans le dos. « Tu crois qu’ils l’ont emmené là-bas ? »
« C’est possible. »

Julien arriva en courant, l’air paniqué. « Les deux adolescents ! Je les ai vus devant le portail du lycée. Ils parlaient avec le surveillant. »

Tous se figèrent. Mathis se tourna vers la fenêtre. En bas, effectivement, les deux silhouettes étaient là. Calmes. Leurs regards montèrent lentement jusqu’à lui. Et ils sourirent.

Un sourire lent, déformé, comme un avertissement silencieux.

Mathis sentit la panique remonter. « Ils savent où j’étudie… »
Tharah attrapa son bras. « Alors il faut prévenir la police. Aujourd’hui. Pas demain. »

Mais même alors qu’ils s’éloignaient vers le bureau du proviseur, Mathis savait que quelque chose clochait. Ces deux-là ne semblaient pas humains. Il y avait dans leurs regards une fixité troublante, une absence d’émotion totale, presque… mécanique.

La police, alertée par les nouvelles informations et les photos, revint dans le quartier. Mathis et ses parents furent interrogés de nouveau. Les agents prirent enfin l’affaire au sérieux : un dispositif de recherche fut mis en place.

Mais cette nuit-là, alors que Mathis s’apprêtait à se coucher, un bruit le fit sursauter. Un toc discret contre la vitre.

Il s’approcha, le souffle court.
Sur le rebord, une bougie noire. Éteinte.
Et un mot glissé dessous, écrit d’une main qu’il connaissait trop bien :

“Je suis là.” — E.

Le mot tenait encore entre ses doigts tremblants.
Je suis là.
Deux mots, tracés à la hâte, mais sans tremblement, d’une écriture qu’il connaissait. Celle d’Elior.

Mathis sentit ses genoux faiblir. Il recula jusqu’à heurter le mur derrière lui. Le papier glissa de ses doigts, tomba au sol, puis il s’effondra à genoux à son tour.
« C’est… c’est lui… » murmura-t-il, la gorge sèche.

Ses parents accoururent à la porte de sa chambre, alarmés par son cri.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda sa mère, les yeux écarquillés.

Il leva la main tremblante et montra le papier.
Son père le prit, le lut, puis échangea un regard grave avec sa femme.
« C’est de sa main ? »
Mathis hocha la tête. « Oui. Il m’a écrit. Il… il est vivant. »

Mais au fond de lui, une peur sourde s’insinuait déjà. S’il était vivant, pourquoi n’était-il pas revenu ? Pourquoi ne pas l’appeler ? Pourquoi une bougie noire ?

Sa mère posa une main sur son épaule. « On va prévenir la police. »
« Non ! » cria Mathis, la voix étranglée. « Pas maintenant. Si c’est vraiment lui, je veux comprendre pourquoi il fait ça. »

Le silence retomba, pesant.
Son père soupira. « Tu n’es pas en état de mener ça seul, Mathis. Ces gens jouent avec toi. »
Mais Mathis ne répondit pas. Ses yeux restaient fixés sur la bougie noire posée sur le rebord. La cire semblait légèrement fondue, comme si elle avait été allumée récemment.

Quelqu’un était venu. Ici. Devant sa fenêtre.
La maison n’était pas si isolée — mais assez pour qu’on puisse s’y approcher sans être vu.

Le lendemain, le lycée lui sembla plus silencieux que d’habitude. Les rires et les chuchotements semblaient étouffés, comme si une chape de plomb s’était abattue sur tout le monde.
Lina et Tharah l’attendaient à la grille.

« On a vu la lumière dans ta chambre hier soir, » dit Tharah. « Tu n’as pas dormi, hein ? »
Mathis secoua la tête, l’air livide.
Il leur montra le mot, plié dans sa poche.

Lina le lut à voix basse.
Je suis là.
Elle releva les yeux, le cœur battant. « Tu crois que c’est vraiment lui ? »
« J’en suis sûr. Mais il y a quelque chose qui cloche. »

Avant qu’ils ne puissent parler davantage, une voix familière les fit sursauter.
« Vous trois. Toujours ensemble, hein ? »

Les deux adolescents de la secte se tenaient là, appuyés contre le mur de l’entrée, leurs regards presque bienveillants.
Mathis sentit son ventre se nouer.

« Vous… vous voulez quoi ? » lâcha-t-il d’un ton trop sec.
Le garçon esquissa un sourire. « Rien d’autre que vous prévenir. Les disparus ne sont pas toujours perdus. Certains… se repentent. »

Lina fronça les sourcils. « Qu’est-ce que ça veut dire ? »
La fille s’approcha d’un pas. « Trois noms ont été prononcés hier soir, pendant la cérémonie. Leo. Samy. Lisia. »

Mathis sentit le sang se retirer de son visage.
« Leo ? Mais… Leo est mort ! »
« Non, » souffla la fille. « Leo a choisi. »

Elle posa sa main sur le bras de Mathis, son toucher glacé comme la pierre.
« Certains comprennent que la douleur peut être effacée, qu’il existe une lumière pour ceux qui acceptent Lumen Aeterna. D’autres… restent prisonniers des ténèbres. »

Tharah s’interposa brusquement. « Enlève ta main, tout de suite. »
La fille obéit, son sourire restant figé.
« Vous ne pouvez pas empêcher ce qui doit être fait. Vous n’avez pas idée de la portée du choix de Leo. »

Puis ils repartirent, comme si de rien n’était, se mêlant aux élèves qui arrivaient.

Le reste de la matinée se déroula dans un brouillard. Mathis n’écoutait pas les cours. Son crayon tremblait sur la page.
Leo a choisi.
Cette phrase tournait dans sa tête, encore et encore.

Pendant la pause, Tharah tenta de le ramener à la réalité.
« Tu sais qu’ils essaient juste de te déstabiliser, hein ? Peut-être que Leo n’a jamais rien choisi. Peut-être qu’ils veulent juste que tu doutes de tout. »
Mathis secoua la tête. « Non, tu ne comprends pas. Elior m’a parlé du “repentir”... c’est ce que la secte dit quand quelqu’un accepte de servir. S’ils ont dit le nom de Leo, c’est que… c’est qu’il fait partie d’eux maintenant. »

Lina blêmit. « Tu crois qu’ils vont faire pareil avec Elior ? »
Mathis ne répondit pas.

Il se contenta de fixer la bougie noire qu’il avait gardée dans son sac. L’objet semblait irradier une chaleur étrange, comme si une flamme invisible y brûlait encore.

En fin de journée, un attroupement se forma à la sortie du lycée. Des murmures, des regards inquiets.
« C’est quoi ce cirque ? » demanda Tharah.

En s’approchant, ils virent des affiches collées sur le mur du portail.
Des visages. Des noms.
Leo. Samy. Lisia.
Sous leurs portraits, une phrase en lettres noires :

“La lumière les a choisis.”

Mathis sentit ses jambes trembler. Les lettres semblaient danser devant ses yeux. Il recula d’un pas, puis d’un autre.

« C’est un message. Pour moi. »
Tharah le retint par le bras. « Mathis, calme-toi. Ils veulent juste te faire peur. »
Mais il n’entendait plus rien. Ses pensées se bousculaient. Et si Elior avait été forcé d’écrire le mot ? Et si c’était lui qui avait collé ces affiches ?

Le soir, il eut du mal à rentrer chez lui. Chaque pas résonnait dans sa tête. Chaque ombre semblait bouger un peu trop lentement.

Sa mère était au téléphone avec un inspecteur quand il entra.
« Oui, nous avons bien reçu votre message, capitaine. Merci. »
Elle raccrocha, puis se tourna vers lui, inquiète.
« Mathis, ils ont retrouvé quelque chose. »

Il sentit son estomac se nouer.
« Quoi ? »
« Des traces de pas autour de la maison d’Elior. Plusieurs empreintes différentes, certaines d’adultes, d’autres plus petites. Mais aucune trace d’Elior lui-même. »

Il se laissa tomber sur la chaise. « Donc il a été emmené ailleurs. »
« C’est ce qu’ils pensent, oui. »

Il hocha la tête, le regard vide.
« Maman… si jamais il leur arrive quelque chose, c’est de ma faute. J’aurais dû le retenir. »
Elle s’approcha, lui caressa la joue. « Non, mon cœur. C’est eux les coupables. Pas toi. Et on va le retrouver, je te le promets. »

Mais cette promesse sonnait creux dans la pénombre du salon.

Minuit.

Mathis n’arrivait pas à dormir. La lune baignait la chambre d’une lumière pâle.
Il se leva, marcha jusqu’à la fenêtre.
Une silhouette.

Là, dans la rue.
Debout.
Immobile.

Le cœur de Mathis s’emballa. Il cligna des yeux. La silhouette leva lentement la main et fit un signe… un salut étrange, le même qu’Elior faisait parfois, deux doigts posés contre le cœur.

Puis elle disparut dans la brume.

Mathis attrapa son téléphone, les mains tremblantes. Il envoya un message à Tharah :

Quelqu’un était devant chez moi. Je crois que c’était lui.

Pas de réponse.

Quelques minutes plus tard, un bruit résonna dans le couloir. Des pas.
Il ouvrit la porte : personne.
Mais sur le sol, à ses pieds, un papier plié en deux.

Il le ramassa, le cœur battant.
Les mots, tracés d’une écriture familière, disaient :

Ils savent que tu cherches.
N’essaie pas de me sauver.
C’est déjà trop tard.

Le papier sentait la cire chaude.
Et, dans un coin, une petite marque en forme de flamme stylisée — le symbole de Lumen Aeterna.

Mathis chancela, s’adossa au mur.
Tout se mélangeait : les disparus, les menaces, la lumière, les bougies… Leo, maintenant “repenti”.
Et Elior, vivant, mais prisonnier.

Le lendemain, au lycée, la tension était palpable. Des policiers traînaient dans les couloirs. La direction avait convoqué plusieurs élèves.
Mathis essayait de garder son calme, mais son esprit ne cessait de tourner autour de ce mot : repentir.

Lorsqu’il croisa les deux adolescents de la secte, il sentit un frisson le parcourir.
Ils le fixèrent en silence, puis le garçon murmura, sans s’arrêter :

« Il t’a écrit, n’est-ce pas ? »
Mathis s’immobilisa, glacé.
« Comment tu sais ça ? »
« Parce qu’il nous a demandé de te dire qu’il t’aimait. »

Mathis ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.
Le garçon s’éloigna, puis ajouta, presque joyeusement :
« Mais l’amour ne suffit pas, Mathis. Pas contre la lumière. »

Cette nuit-là, Mathis rêva de flammes.
Des bougies par centaines, disposées en cercle.
Elior, au centre, le regard vide.
Et une voix qui chuchotait sans fin :
Repentir. Purifier. Lumière éternelle.

Quand il se réveilla, en sueur, il ne savait plus si ce qu’il avait vu appartenait à son rêve…
ou à la réalité.

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