Chapitre 37
Le lundi matin arriva plus vite que prévu.
La veille, Mathis avait relu le mot laissé sous son pendentif, ses doigts crispés sur le papier humide, et chaque phrase résonnait encore dans sa tête. Trois jours… trois jours pour le voyage scolaire. Trois jours pour comprendre si la menace se rapprochait de lui ou s’il s’agissait d’un piège mental.
Dans la voiture, ses parents conduisaient silencieusement, leurs regards alternant entre la route et Mathis. Tharah et Lina étaient à l’arrière, échangeant des chuchotements que Mathis ne pouvait déchiffrer, mais leurs expressions trahissaient une inquiétude profonde. Le trajet, d’habitude si banal, était devenu un long couloir étouffant, chaque panneau, chaque voiture croisée lui rappelant qu’il pouvait être surveillé.
— Mathis, dit sa mère doucement, tu dois respirer, essaye de penser au voyage, juste au voyage, tenta-t-elle.
Il hocha la tête, mais son regard était fixé sur le pendentif. Il sentait le métal froid contre sa peau, comme un lien ténu qui le maintenait ancré à Elior. Elior… il n’avait plus donné signe de vie depuis les photos prises dans sa maison, et l’idée que la secte puisse agir aussi vite le terrifiait.
Arrivés au lycée, l’atmosphère était lourde.
Les bus attendaient, les élèves riaient, parlaient de vacances, d’excursions, mais Mathis se sentait suspendu dans un espace hors du temps. Ses mains tremblaient légèrement quand il serra son sac. Il avait envoyé un message à Elior avant de partir, un message simple : “Sois prudent.” Aucune réponse. La peur, sourde, se faisait sentir plus forte encore.
— Ça va ? demanda Lina, posant une main sur son épaule.
— Oui… juste nerveux, murmura-t-il.
— Nous sommes là, rappela Tharah.
Il leur sourit faiblement, mais son esprit revenait sans cesse à Elior. Le regard qu’il avait croisé dans la maison abandonnée. Le sang. Les bougies. Le lien ténu entre lui et Elior. Il savait que la menace n’était pas imaginaire. Elior n’était pas seulement victime ; il était pris au piège, surveillé. Et Mathis, pour la première fois, se rendait compte qu’il devait devenir plus qu’un ami ou un amoureux : il devait être un protecteur.
Le bus démarra.
Mathis observa les paysages défiler, chaque arbre, chaque colline, lui rappelant Amsterdam et les moments qu’ils avaient partagés. Les souvenirs de cette semaine là-bas, l’air frais, les rires partagés, tout cela contrastait avec la peur rampante qu’il sentait maintenant. Les rituels, les menaces, les disparitions… tout cela n’était pas derrière eux. Il s’enfonça dans ses pensées, son regard perdu dans la vitre.
Puis Tharah brisa le silence.
— Tu sais… je crois que certains de tes camarades sont déjà surveillés par eux, dit-elle doucement, presque en murmurant.
Mathis se raidit.
— Qui ?
— Je ne sais pas. Mais fais attention. Certains ne sont plus tout à fait… eux-mêmes.
Il fronça les sourcils. Était-ce possible ? Après tout ce qu’il avait vu, Mathis savait que la secte pouvait agir rapidement, corrompre les esprits, manipuler, punir. Et maintenant, l’idée que certains de ses camarades puissent être influencés le paralysait d’angoisse.
Pendant la pause déjeuner, Mathis sortit son téléphone discrètement.
Une fois de plus, il envoya un message à Elior.
“Réponds-moi, s’il te plaît. Je t’en prie.”
Puis il attendit, ses doigts crispés sur l’appareil, les yeux fixés sur la notification qui n’arrivait jamais.
Soudain, un bruit derrière lui le fit sursauter.
— Mathis ? dit une voix douce mais glaciale.
Il se retourna, et vit deux élèves du lycée, un garçon et une fille, qu’il ne connaissait pas vraiment, mais qui le fixaient intensément.
— Nous savons ce que tu fais, dit le garçon. Et nous savons ce que tu veux…
Mathis sentit son cœur s’arrêter.
— Qui êtes-vous ?
La fille avança, un léger sourire froid aux lèvres.
— Disons… des observateurs. Nous voulons juste t’aider à comprendre que tout le monde ne souhaite pas ton bien.
Mathis recula, sentant une boule d’angoisse monter dans sa gorge.
— Vous êtes de la secte ? demanda-t-il, la voix tremblante.
— Pas exactement… dit le garçon. Mais tu devrais être attentif à ceux qui t’entourent. Même ici. Même maintenant.
Le message était clair : il n’y avait pas de refuge, pas de lieu sûr. La secte pouvait être partout, et Mathis le savait. Mais au lieu de fuir, il sentit une étrange détermination le traverser. Il devait retrouver Elior. Peu importait le prix.
Plus tard, dans l’après-midi, le professeur annonça que chaque élève serait interrogé individuellement.
Mathis sentit ses genoux flancher. Il connaissait la routine : les policiers avaient encore besoin d’informations sur les disparitions. Il ne savait pas quoi dire. Tout ce qu’il savait pouvait mettre Elior en danger. Mais rester silencieux pourrait également être fatal.
— Mathis, dit un agent avec douceur, nous savons que tu es proche de certains des disparus. Nous avons besoin de savoir tout ce que tu sais.
Il prit une profonde inspiration.
Tout ce qu’il allait dire risquait d’être le dernier fil de sécurité pour Elior. Il devait choisir ses mots avec soin, mais le cœur battant à mille à l’heure.
— Elior… dit-il enfin, la voix tremblante. Il est… il est pris au piège. Dans sa maison. Dans la secte. J’ai vu ce qui se passait là-bas… avec les bougies, le sang, les rituels. Je… je dois le protéger.
Les policiers échangèrent des regards rapides.
— Nous n’avons aucune preuve, murmura l’un.
— Mais nous enquêtons, répondit le second.
Mathis continua, ses mains crispées sur ses genoux :
— Tim et Andrea… ils sont morts. Leo… on ne sait pas où il est. Mais Elior… il est vivant. Il a besoin qu’on le sorte de là.
Un silence pesant emplit la pièce.
Mathis sentit une sueur froide parcourir son dos. Il savait que chaque mot, chaque confession, pouvait rapprocher ou éloigner Elior de la sécurité.
De retour dans la classe, Mathis s’effondra presque sur sa chaise.
Lina posa une main sur son bras.
— Ça va aller, murmura-t-elle.
Tharah hocha la tête.
— On trouvera un moyen.
Mais le silence, à nouveau, le rattrapa.
Le bus de retour vers la maison passa comme un cauchemar. Chaque détour, chaque stop, chaque panneau semblait lui rappeler Elior.
Il n’y avait plus de vacances pour lui.
Plus de moments tranquilles.
Juste l’attente. L’angoisse. Le silence.
Une fois rentré, Mathis tenta encore une fois de contacter Elior.
Mais aucun signal.
Alors il prit le pendentif dans sa main, l’odeur métallique, froide, le rappelant aux moments passés avec Elior, aux brefs moments de tendresse, aux baisers volés, aux mains liées.
Et il comprit que le monde autour de lui était devenu un piège : l’école, les amis, la rue, la maison, même ses parents, tout pouvait être observé.
Tharah et Lina s’assirent à côté de lui.
— Mathis, dit Tharah, on va trouver un moyen. On va le sortir de là.
— Oui, acquiesça Lina, mais il faut être prudents. Chaque mouvement compte.
Il hocha la tête, serrant le pendentif.
Le voyage scolaire n’était plus une simple sortie. C’était une course contre la montre. Une partie d’échecs psychologique et mortelle.
Elior était en danger.
Et cette fois, Mathis savait qu’il ne pouvait plus attendre.
La chambre d’hôtel baignait dans une obscurité presque totale, seulement troublée par les lumières lointaines de la ville qui filtraient à travers les rideaux tirés. Mathis avait essayé de trouver le sommeil, mais son esprit restait tendu, comme un fil prêt à se rompre. Chaque ombre semblait contenir une menace, chaque bruit résonnait dans son crâne avec une précision inquiétante. Depuis le début de ce voyage scolaire, l’angoisse le suivait partout : la disparition de ses camarades, les menaces voilées de la secte, et la pensée constante d’Elior le tenaient éveillé bien plus qu’il ne voulait l’admettre.
Il finit par fermer les yeux, convaincu qu’au moins dans le sommeil, il pourrait se protéger un instant du monde extérieur. Mais le silence de la nuit avait un poids inquiétant, presque tangible. Chaque respiration semblait amplifier le moindre mouvement autour de lui.
Soudain, un bruit léger le fit frissonner. Un froissement de tissu, un souffle étouffé… Quelqu’un était dans la chambre. Le cœur de Mathis s’accéléra instantanément. Il se retourna sur le côté, tentant de distinguer quelque chose dans l’obscurité. Son souffle s’était fait rapide et superficiel. L’angoisse lui nouait la gorge, lui broyait la poitrine.
Et puis, sans qu’il ait le temps de réagir, une douleur fulgurante traversa sa main. La lame d’un objet tranchant, froid et précis, entailla sa paume. Un cri étouffé monta dans sa gorge. Il se redressa violemment, le cœur battant à tout rompre, la paume pressée contre sa poitrine pour contenir le sang qui s’écoulait. Son regard fouilla la pièce, mais il était trop tard : la silhouette qui avait attaqué s’était déjà fondue dans l’ombre. Tout ce qu’il put apercevoir fut une main gantée disparaissant derrière le rideau.
— Qui… qui est là ? murmura-t-il, la voix tremblante, presque étranglée par la peur.
Aucune réponse. Seule la nuit lui renvoyait son propre souffle précipité. La panique commença à s’insinuer dans son corps comme un poison glacé. Il avait le sentiment que quelqu’un qu’il connaissait, qu’il croisait chaque jour, était capable de gestes aussi extrêmes. Son esprit tourbillonnait : pouvait-il encore faire confiance à quelqu’un de son groupe ? Était-ce lié à Elior ? La secte savait-elle déjà qu’il s’était rapproché de lui ?
Mathis se mit à trembler, la paume encore douloureuse pressée contre lui. Les lumières de la ville qui filtraient à travers le rideau semblaient maintenant des témoins indifférents de sa terreur. Il essaya de calmer sa respiration, de se convaincre qu’il n’était pas seul, que Tharah et Lina veillaient sur lui, mais chaque bruit, chaque ombre persistante lui rappelait la fragilité de sa situation.
Il resta assis un long moment, scrutant la pénombre, conscient que cette attaque n’était pas un hasard. Quelqu’un voulait l’intimider, l’avertir qu’il ne pouvait pas protéger Elior comme il le souhaitait. Le poids de la responsabilité et de l’impuissance l’écrasait. La peur s’infiltrait dans chaque fibre de son corps.
Finalement, après ce qui sembla être une éternité, il se leva avec précaution, marchant pieds nus sur le sol froid de la chambre. Il vérifia les portes et fenêtres : tout semblait intact, mais il savait que c’était illusoire. L’intrus pouvait être n’importe où, encore dans l’hôtel, ou avoir laissé des traces invisibles. La simple idée qu’Elior soit en danger, que la secte puisse agir aussi librement, le paralysait.
Le lendemain matin, Mathis se réveilla avec la paume douloureuse, encore tachée de sang séché. Ses doigts étaient engourdis, et le souvenir de la lame lui donnait des frissons glacés. Il prit le temps de panser sa main avec précaution, ses gestes tremblants trahissant son état de choc. Ses camarades, plongés dans le sommeil, ne se doutaient de rien. Personne ne pouvait savoir à quel point la nuit avait été terrifiante pour lui.
Lorsqu’il rejoignit le petit-déjeuner, son esprit était encore embrouillé, et chaque mouvement semblait lourd. Il ne pouvait s’empêcher de penser à Elior, à ce qu’il vivait chez lui, enfermé par la secte. Chaque minute loin de lui lui paraissait insupportable. Il avait besoin de savoir qu’il allait bien, et que les mesures qu’ils avaient prises pour protéger Julien et les autres suffisaient. Mais dans son cœur, il savait que la menace persistait, que la secte était toujours là, invisible mais présente.
Tharah et Lina furent les premières à remarquer son état. Elles s’assirent près de lui, posant doucement leurs mains sur ses épaules.
— Mathis… ça va ? demanda Tharah, la voix douce mais inquiète. Tu as l’air… épuisé.
— Oui… enfin… non, murmura-t-il, la gorge nouée. C’est juste que… j’ai mal dormi.
Lina le regarda avec insistance, comme si elle savait qu’il ne disait pas toute la vérité. Elle avait compris, dès les premières semaines, que ce voyage scolaire n’était pas comme les autres. Le simple fait d’être éloigné d’Elior, de savoir que ce dernier pouvait être en danger à tout moment, rongeait Mathis de l’intérieur.
Pendant le reste de la matinée, il tenta de se concentrer sur le programme du voyage scolaire, mais chaque détail semblait insignifiant comparé à la terreur latente qui l’habitait. Les visites, les explications du guide, même les rires des autres élèves ne faisaient que renforcer son sentiment de décalage. Mathis se sentait seul, accablé par une responsabilité qui n’était pas la sienne, mais qu’il avait acceptée en tombant amoureux d’Elior.
Le soir, alors qu’ils revenaient à l’hôtel, Mathis sentit à nouveau ce poids sur ses épaules. La journée avait été longue, mais il savait que la nuit serait pire. Les souvenirs de la lame, la sensation du sang sur sa paume, et l’ombre de la menace de la secte le hantaient. Il devait rester vigilant.
Lorsqu’il entra dans sa chambre, Tharah et Lina le suivirent pour s’assurer qu’il allait bien. Elles s’installèrent discrètement sur les lits voisins, tandis que Mathis s’asseyait, le regard perdu.
— Mathis… murmura Tharah. Tu peux nous dire ce qu’il se passe ? Il faut qu’on t’aide.
Il prit une profonde inspiration, tentant de calmer le tremblement qui secouait encore ses mains. Lentement, il raconta ce qui s’était passé la nuit précédente : la lame, la douleur, le sang sur sa paume, et surtout, la peur viscérale que quelqu’un parmi ses camarades puisse être impliqué.
Lina écouta attentivement, les sourcils froncés.
— On doit prévenir quelqu’un, dit-elle enfin. La police… ou tes parents. Mais là, tu ne peux pas rester seul.
Mathis hocha la tête, incapable de parler davantage. La peur et l’angoisse avaient laissé place à une fatigue écrasante. La réalité de la situation, la menace constante, et le poids de la responsabilité envers Elior le tenaient prisonnier dans un état de vigilance extrême.
Durant la nuit suivante, Mathis ne dormit presque pas. Chaque bruit dans le couloir, chaque craquement du plancher le faisait sursauter. Son esprit revenait sans cesse sur l’attaque, sur la silhouette gantée qu’il avait aperçue, et sur le fait que la menace venait de plus près qu’il ne l’aurait imaginé. Il se demanda combien de temps il pourrait tenir ainsi, combien de temps il pourrait protéger Elior tout en se protégeant lui-même.
Au petit matin, il écrivit un message discret à Elior, son cœur battant à tout rompre. Il voulait savoir si son voisin allait bien, si la secte le laissait respirer au moins un instant. Mais il n’y eut aucune réponse. L’absence de nouvelles fit naître une panique glaciale dans sa poitrine. Chaque minute sans réponse semblait une éternité.
Tharah et Lina remarquèrent son agitation. Elles essayèrent de le rassurer, mais leurs mots semblaient dérisoires face à la peur qu’il ressentait. Mathis savait que la situation était hors de contrôle, que les cartes étaient empilées contre eux, et que la moindre erreur pourrait être fatale.
Il passa le reste de la matinée et de l’après-midi à observer discrètement ses camarades, à analyser chaque mouvement, chaque regard. La menace invisible planait sur eux, et Mathis sentait qu’il n’avait plus de temps pour hésiter. Il devait agir, mais comment ? Comment protéger Elior et les autres, sans se mettre lui-même en danger, sans se faire repérer par des yeux qui le guettaient déjà ?
Chaque instant semblait étouffant, chaque respiration pesante. La peur, la vigilance et l’angoisse formaient un mélange qui le paralysait presque. Il savait que cette nuit et celle qui suivrait seraient décisives. Il devait tenir, mais à quel prix ?
Et alors que le soleil commençait à se coucher sur la ville, Mathis resta assis, le regard perdu dans le vide, la paume encore douloureuse pressée contre sa poitrine, se demandant combien de temps il pourrait survivre à cette angoisse, combien de temps il pourrait protéger ceux qu’il aimait avant que la secte ne frappe à nouveau.

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