Le dilemme de l'auteur : l'analyse à la rescousse !

10 minutes de lecture

@Anna Soa@ :

Sur la confusion, je me permets de copier coller le paragraphe qui me pose "problème". Il s'agit de la réflexion d'une de mes narratrices (effectivement mon "avatar" enfant à 7 ans).

"J'aime pas le journal télé, c'est pas drôle comme Homer Simpson. Papa non plus aime pas le journal, mais il regarde quand même. Il dit qu'il y a que des Blancs qui donnent du riz aux Africains alors qu'ils ont quand même pris toutes leurs richesses et des Juifs et des Arabes qui se tapent dessus parce que les Juifs ont dit aux Arabes qu'ils allaient habiter chez eux maintenant parce en fait c'était chez eux à la base, mais aussi chez les Arabes parce que les Juifs et les Arabes sont en fait cousins et c'est les Blancs qui ont « foutu le bordel » parce qu'ils ont fait la guerre à d'autres Blancs qui aimaient pas les Juifs, ni les Arabes. Je suis pas sûre d'avoir tout compris. Les Simpson c’est mieux."

Je me permets également de copier-coller l'annotation de @Komakai@ car peut-être pourra-t-elle si elle le souhaite, développer d'avantage ce commentaire que j'ai déjà eu plusieurs fois : "Cette phrase paragraphe est hyper complexe à suivre... Un vrai manque de ponctuation. Je comprends que tu essayes de marquer son débit, mais ici ça devient illisible."

La raison pour laquelle je ne veux pas changer ma phrase-paragraphe, c'est parce que comme je l'ai dit plus haut, je veux créer la même confusion dans la tête du lecteur que dans celle de l'enfant. Et je pense que Isabelle K. a bien cerné la chose sans le vouloir, c'est que je veux créer cet effet "Tu comprendras plus tard" que ressent l'enfant à ce moment là. Donc je veux placer le lecteur dans quelque chose de justement "désagréable". Peut-être que j'ajouterai quelque chose autour du "Tu comprendras plus tard" (j'ai essayé avec "Je suis pas sûre d'avoir tout compris") pour accentuer la frustration, je ne sais pas.

Cet effet désagréable est un peu compliqué à mettre en place pour moi. En effet, une autre de mes narratrices, la mère, est un personnage antipathique. Je veux le rendre tel quel, désagréable, je veux que le lecteur le ressente, MAIS, je veux et il est nécessaire qu'elle soit aussi une narratrice (car j'ai aussi choisi le JE) pour qui on ressent de l'empathie. Ça marche chez certains lecteur(ice)s, mais pas chez tout le monde. Mon intention est que les réactions de la mère placent l'enfant dans une instabilité émotionnelle et questionnent l'amour entre une fille et sa mère. J'ai opté pour "adoucir" le caractère de la narratrice mère au début (ce qui a aussi provoqué un débat entre mes relecteurs entre celles qui ne veulent pas que je l'adoucisse et celles qui la trouve trop antipathique -donc risquent de lâcher la lecture à ce moment là).

Donc ma question est la suivante, et pardon si elle est redondante, mais comment fait-on pour trouver le bon dosage entre l'intention de l'auteur et le ressenti du lecteur ?

@Lucivar@ :

On dialogue avec ses lecteurs ^^ Enfin je sais pas pour toi mais je pense que l'intention de l'auteur est de procurer un ressenti au lecteur. Comme dans ton exemple, de faire partager l'incompréhension et la perplexité de l'enfant face à la géopolitique. Tu veux que l'auteur ressente la même confusion et tu essaies de nous retranscrire à l'écrit le flot de pensées confuses qu'elle peut avoir, et ce qu'elle retient avec ses mots et ses concepts d'enfants. Mais, derrière il faut aller vérifier que tout cela permet le résultat de ton intention. Si le ressenti est autre, il ne faut pas changer ton intention mais la façon d'y arriver.
Par contre, il ne faut pas mélanger attentes et ressentis des lecteurs. Si tu veux que la mère soit antipathique par exemple et que tes lecteurs disent "non, je la trouve trop antipathique, ça me plait pas", bah quelque part tu as atteins tes objectifs. (ici ça reste très superficiel comme analyse, bien sur). Bref, évidemment c'est quelque chose qu'on ne peut pas demander au premier lecteur venu et qui demande du temps et de la motivation, et un vrai échange en profondeur.
Et d'ailleurs, si tu veux mon avis sur ton paragraphe, c'est pas évident sans lire le reste, mais ça me parait à moi aussi un peu maladroit et peu maitrisé comme rendu. (j'essaierai de passer sur ton texte si je trouve un peu d'énergie)


@Anna Soa@ :

J'avais surtout donné cet exemple pour illustrer mon questionnement intention auteur / ressenti lecteur / attentes lecteur. Pour mieux la formuler : comment trouver le bon dosage entre les intentions de l'auteur de faire ressentir telle émotion au lecteur (confusion ou antipathie par ex) tout en répondant aux attentes (qualité, exigence entre autres) du lecteur ?

Car dans le passage que j'ai écrit, j'ai réussi à faire ressentir ce que je voulais au lecteur (match intention / ressenti), mais là où je suis en échec c'est que ça ne comble pas les attentes du lecteur.

Isabelle K. tu disais : "La linguistique peut aider à analyser dans quels cas ça fonctionne et dans quels cas ça coince." Si jamais tu peux donner un exemple avec mon texte ou un autre (c'est juste que je retiens mieux les concepts avec des exemples^^)

@Komakai@ :

Alors, concernant ta phrase-paragraphre : le problème est que tu enchaînes beaucoup d'informations sans les séquencer. Dans le sens où tu pars du point A en passant par B, C, D, E, F avant d'arriver à G. Or A et G sont plutôt très éloignés en étant coincé dans la même phrase.
Visuellement, ce sont des passages comme celui-ci qui me font reculer : je sais d'avance que je vais galérer à les lire. Car mon cerveau comprend :

  • qu'il va falloir être hyper attentif (donc j'arrête de m'immerger dans le texte pour le voir comme un enchaînement de mot au lieu d'une narration),
  • et que, si je ne veux pas perdre le fil plus tard, je vais me forcer à le lire voire le relire x fois jusqu'à avoir le texte en entier.

Pas très agréable en somme. Par contre, si on reprend cette phrase-paragraphre et que la tu la séquence :

  • mon cerveau se relaxe, je sais que les éléments sont liés sans être étouffés les uns avec les autres,
  • si je me déconnecte à un moment, ou si mon cerveau par trop loin sur une phrase : pas de problème, je reprends maxi une ligne plus haut et pas 6 lignes.


Voilà, il y a donc un mélange de visuel "compact" du à la mise en page, d'effort fournis. Aussi ce personnage est un enfant de 7 ans. Donc je comprends que Malala a un débit de ouf, mais à l'oral ça passe mieux car tu as plusieurs éléments qui te forcent à rester sur l'enfant (son entrain, sa simple présence physique, s'il fait des gestes en racontant son histoire ou des moues). Or, là on n'a que le texte. Donc mon trouble de l'attention me fait un sourire à la cheschire... Et, comme je te l'avais dit en commentaire, tu as trouvé sa voix, mais par moment elle casse les oreilles Malala (donc on retrouve vraiment le côté pipelette) et j'ai juste pas le courage d'ingurgiter une énième phrase-paragraphre.

@Anna Soa@ :
Merci Komakai pour ton éclairage ! La méthode de relecture que je me suis imposée m'oblige à ne pas aller tout de suite sur mon texte, mais comme je cherchais un exemple pour illustrer mon interrogation, je me suis permise de te demander ici ton ressenti :)

Tu m'as encore fourni un exemple concernant l'intention de l'auteur et le ressenti du lecteur quand tu dis que par moments, Malala casse les oreilles :) c'est exactement ce que je cherche à faire ressentir, mais encore une fois, je dois faire attention au bon dosage !


 Dans son commentaire initial, Komakai pointe surtout un problème de rythme et donc d'ergonomie de lecture et préconise un séquençage.

 Est-ce pour autant judicieux de la retoucher ? Et si oui, comment ? En replaçant la ponctuation ? En faisant plusieurs phrases ?

 Et bien si on analyse ton paragraphe, on devrait pouvoir répondre à ta question ;-)


  •  "J'aime pas le journal télé, c'est pas drôle comme Homer Simpson. Papa non plus aime pas le journal, mais il regarde quand même."

 Première partie, pas grand chose à dire, on tombe dans le phrasé puéril qui est marqué par l'absence de négation compète, et les phénomènes de comparaison. Dans la seconde phrase, l'incompréhension de l'enfant est mis en lumière par le phénomène d'opposition illogique "il aime pas et regarde quand même". Les deux phrases s'articulent entre elles, le thème étant de ne pas aimer le journal. Jusque là, tout va bien.

  •  "Il dit qu'il y a que des Blancs qui donnent du riz aux Africains"

 Ici premier écueil, le "il y a" peut avoir plusieurs valeurs et prête à confusion par la juxtaposition de deux pronoms IL qui n'ont pas le même sens, le premier désigne le père quand le second est impersonnel. Ce "il y a" impersonnel ne désigne rien de précis, c'est la plupart du temps une locution verbale de lieu. Or je pense que tu cherches à désigner le journal télé, qui n'est pas un lieu pour le lecteur, là se trouve un premier décrochage. (Alors que la confusion de ton personnage ne se situe pas ici, elle sait de quoi elle parle, c'est le contenu du journal qui n'a pas de sens pour elle car les évènements du monde sont incohérents. Là, j'ai une incohérence entre ton intention et l'endroit où tu places la confusion, je ne sais pas avec ce "il y a" de quoi tu me parles.)

  • "alors qu'ils ont quand même pris toutes leurs richesses et des Juifs et des Arabes qui se tapent dessus"

 Ici, le "alors que" montre l'opposition des idées (blancs qui donnent du riz après avoir pris toutes leurs richesses) mais le "et" montre un lien entre deux proposition de même teneur or il ne se réfère pas aux richesses, mais aux blancs qui donnent du riz, pour ensuite avec un autre "et" qui lui sert de liaison entre juifs et arabes, donc deux fonctions différentes pour le même mot dont un qui relie des éléments de phrases très lointains et l'absence de ponctuation qui commence à se faire sentir, car tu relies des idées qui ne sont pas les mêmes, qui n'ont en commun que de posséder le même contenant : le journal télé. Que tu ne rappelles pas alors qu'il s'agit du thème principal du paragraphe : le père qui regarde le journal. Je poursuis.


  • "parce que les Juifs ont dit aux Arabes qu'ils allaient habiter chez eux maintenant parce en fait c'était chez eux à la base, mais aussi chez les Arabes parce que les Juifs et les Arabes sont en fait cousins"

Ici, tu as tes connecteurs logiques qui montrent bien le lien de cause à effet tout en se contredisant, mais tu te perds chez l'un ou l'autre, la thématique est cependant maintenue mais bancale, en outre, ce n'est plus en lien avec la thématique initiale... ça vaudrait le coup de séparer ? d'en faire une phrase ?


  • "et c'est les Blancs qui ont « foutu le bordel » parce qu'ils ont fait la guerre à d'autres Blancs qui aimaient pas les Juifs, ni les Arabes. Je suis pas sûre d'avoir tout compris. Les Simpson c’est mieux."

Et tu tentes par le retour des blancs de retomber sur tes pattes pour reboucler sur le thème du journal télévisé.

Si je reprends :

  • Ton intention = n'est pas un "tu comprendras plus tard" comme tu le laissais suggérer mais le fait qu'il n'y a rien à comprendre au journal télé et aux conflits du monde, c'est ça qui est pertinent pour le lecteur, le regard de l'enfant qui dénonce l'absurdité du monde au travers de l'incohérence du père, tout aussi absurde de regarder quelque chose qui ne lui fait pas plaisir.
  • Ton effet = tu perds le lecteur dans une phrase très longue car tu utilises un effet de forme où tu retires la ponctuation pour imprimer un débit qui n'a pas trop d'intérêt alors que les mots et leur sens suffisent.

Imaginons une reformulation "douce":

"J'aime pas le journal télé, c'est pas drôle comme Homer Simpson. Papa non plus aime pas le journal, mais il regarde quand même. Il dit que le journal parle toujours de la même chose : des Blancs qui donnent du riz aux Africains alors qu'ils leur ont pris toutes leurs richesses. Et aussi des Juifs et des Arabes qui se tapent dessus parce que les Juifs ont dit aux Arabes qu'ils allaient habiter chez eux, parce qu'en fait c'était chez eux à la base. Mais papa dit que c'est aussi chez les Arabes, parce que les Juifs et les Arabes sont cousins, et c'est encore les Blancs qui ont « foutu le bordel » parce qu'ils ont fait la guerre à d'autres Blancs qui aimaient pas les Juifs, ni les Arabes. Je suis pas sûre d'avoir tout compris. Les Simpson c’est mieux."


Des petits ajustements à la marge, comme tu le vois, qui te permettent de ne plus avoir de doutes sur les pronoms, les conjonctions de coordinations et qui rythme de nouveau la phrase sans perdre la confusion de la petite ni l'absurdité. Il faudrait voir si Komakai y trouve son compte ;-)

Cela dit, cette phrase est isolée, elle s'inscrit dans un ensemble et arrive peut-être à un moment où ce genre d'écriture, ça fait trop surtout si elle est bancale. Donc toujours noter que parfois les corrections ne se font pas là où le correcteur a pointé.

Autre petite vigilance, attention au ressenti que tu veux imprimer au lecteur. Le lecteur n'est pas une petite fille de 8 ans, tu ne peux donc pas le placer dans le ressenti d'une fillette, tu ne peux pas imposer un ressenti au lecteur, tu ne peux que laisser de la place à ses propres émotions.


@Komakai@ :

Merci Isabelle K. ! Avec cette reformulation, je comprends enfin toutes les infos. Il y a aussi le fait que la narration de Malala a beaucoup de passage comme celui-ci, et des "tics" de langages très oraux. On arrive à lire et suivre l'histoire, mais comme dit en commentaires sur certains chapitres, ça fait parfois trop et une pause est nécessaire. Car, Malala a une voix/un débit d'enfant qui "casse" les oreilles (ce qui montre que l'un de tes objectifs est très bien atteint !).


Attention tout de même a ne pas trop casser les oreilles du lecteur au risque de lui faire poser le texte ! ;-)

Dosage et équilibre. C'est le plus dur à faire, mais c'est aussi pour cela que les relecteurs sont précieux.


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