Texte 1 : Merci @Lucivar@ : extrait sans titre

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La thaumaturge agita ses longs doigts gris d’un geste nonchalant et des eaux surgirent trois flacons de cristal sombre. Elle les offrit à Ariel en grimaçant un sourire. L’un d’eux pour son sang, l’autre pour ses larmes, le dernier pour y enfermer un cri, un chant, peu importe pourvu qu’il soit fort et clair. Ariel saigna, pleura et chanta. Et chaque fois, le flacon se refermait sur son précieux contenu, brillant d’une lueur étrange et irréelle, et retournait au creux des eaux. La sorcière l’invita alors à écouter une histoire tandis qu’elle tisserait ses sorts et ses charmes. Une histoire contre une histoire, car ainsi cela doit-être. Ariel avait conté la sienne, elle devait maintenant entendre celle de son hôte. Peut-être un instant crut-elle déjà la connaître, cela ne dura point. Cette histoire n’était pas une légende de pêcheurs. Dans celle-ci, point de divinité amoureuse ou d'île paradisiaque, point de colère océane ou de jalousie vengeresse. C’était une histoire de femme, d’hommes et de violence, comme bien des histoires alors et depuis. Il était une fois une femme. Elle n’était ni reine ni belle. Et la puissance qui l’habitait l’avait rendue plus prudente qu’ambitieuse. Elle aimait les arbres et les roches, les animaux et les nuages, surtout elle aimait la mer. La voir danser au bout de ses doigts, la voir répondre à ses appels. Elle aimait son parfum et son audace, ses murmures et ses menaces, et voir, comme dit le poète, un peu de son âme, dans le déroulement de sa lame. Elle aima un homme, aussi, un marin, un capitaine. Et ils étaient heureux, se chérissant l’un l’autre autant qu’ils aimaient la mer. Il l’emmenait avec lui lors de ses traversées. Oh ! Comme elle adorait d’être ainsi au milieu des flots, entourée des bras et des vagues chères à son cœur. Déjà alors, l’on voyait d’un mauvais œil sa présence à bord et l’on se signait parfois sur son passage mais de tout cela elle n’avait cure. Elle était à sa place sur l’océan, avec son époux à ses côtés. Un jour, des pèlerins louèrent leur navire pour se rendre au-delà des mers. C’était un voyage paisible en des eaux pacifiques, l’affaire de quelques semaines et elle se réjouissait de reprendre la houle, de retrouver les odeurs et les métamorphoses pélagiques. Quelques jours passèrent, sans qu’elle ne prête attention aux regards méprisants que leurs passagers lui portaient, ils se tenaient à froide distance d’elle et cela lui convenait fort bien. Qu’importe ce qu’ils pensent. Et puis, advint qu’un matin, le vent ne se leva point, la mer resta d’huile et le navire encalminé. Cela arrivait parfois, arrive encore, point d’inquiétude. Mais le lendemain vit le même calme intact, la mer étale et le vent absent. Puis un troisième jour. Les passagers s’agitaient, murmurant des prières et des imprécations à la mer. Le quatrième jour, sans crier gare, ils réclamèrent de débarrasser le navire de sa présence sacrilège, d’en faire l’offrande aux flots pour qu’ils acceptent de libérer la nef. Son époux la défendit, balayant leur superstition de son assurance. Les vents étaient capricieux en ces mers chaudes mais cela ne durait jamais, les provisions ne manquaient pas, qu’ils retournent à leur prières si cela les aidait mais qu’ils ne se mêlent plus de ce qui convenait de faire à bord. L’angoisse n’était pas dissipée dans son cœur. À raison. Ils revinrent à l’aube suivante, armés d’un nouveau plan et de triques. Jetèrent à la mer son époux battu, l’offrant en sacrifice au dieu qu’ils vénéraient, à elle réservant un sort plus méprisable encore. Le chagrin et l’horreur déchainèrent ses pouvoirs, elle se défendit, et les trombes et les geysers qu’elle abattit sur eux prirent quelques vies avant que les coups et les horions ne la mettent à terre. Ils brisèrent ses mains, entravèrent ses bras et l'étouffèrent de baillons. Ce ne fut que le commencement de tourments qui durèrent jusqu’à ce que les pèlerins se lassent d’elle et l’offrent au capitaine d’une galère en échange de son secours. Celui-ci préférait que l’on se débatte et, ne croyant point aux propos des dévots, la libéra dès la première nuit. L’océan aussitôt se rebella, engloutissant le navire dans une tempête colossale, qui ne cessa qu’avec la mort du dernier marin. De l’immense galère il ne restait que débris et fragments dispersés, dont cette proue devenue depuis son palais, sa prison. Et la mer tout autour, gardienne féroce, brisant entre ses crocs chaque vaisseau approchant la sorcière qui l’avait tant aimée.

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