Autre méthode : la pelote de laine !

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Vous avez donc lu les deux derniers chapitres, (désolée pour le côté très théorique, mais parfois, il faut en passer par là) et vous avez compris que selon votre thème, vous n'allez pas choisir le même schéma narratif (même si, je le rappelle, rien n'est figé et chaque schéma peut coller à chaque oeuvres, ce sera juste moins intuitif), et donc pas la même façon de construire votre plan.

Il existe toutefois une autre méthode qui consiste à penser le texte comme une très très très longue phrase. En gros vous ne pensez pas en termes de personnages ou d'actions, mais de sens, et c'est ce qu'en stylistique on appelle la progression thématique. Plus simplement : vous mettez un pied devant l'autre.

On associe habituellement cette méthode à celle du jardinier, je pense que c'est une erreur. La métaphore du jardinier ne correspond pas du tout à cette façon d'écrire ou de penser son texte qui est beaucoup plus dirigiste qu'on le pense. J'y vois plutôt la métaphore de la pelote de laine ou du squelette. En gros, vous avez votre thème principal, vous avez pensé votre point de vue narratif, et vous avez en tête toutes les contraintes de ce point de vue et ce qu'il implique. Pour bien le cadrer ce narrateur (et qu'importe qu'il soit externe ou interne, qu'importe qu'ils soient plusieurs), 3 questions clés : qui parle ? à qui ? et pourquoi maintenant ? (et on peut rajouter le quand et d'où ?). Là, c'est votre squelette qui va structurer le texte et faire en sorte qu'il tienne debout.

Là-dessus, pas besoin de bâtir un plan, juste de rajouter tout autour la chair, les muscles, la peau, avec tous les membres que vous désirez tant qu'ils respectent le squelette. L'ensemble donne un élément polymorphe qui peut sortir du cadre mais doit rester bien accroché au squelette.

Comment fait-on pour garnir ce fameux squelette ?

Si vous bâtissez ce squelette, vous replacez votre texte dans son action la plus fondamentale : la narration. Vous n'écrivez plus une histoire, vous la racontez. Vous reprenez donc les règles d'énonciations de la linguistique classique.

Dans ces règles, la phrase peut se décomposer en deux éléments très importants : le thème et le rhème. Le thème, c'est ce qui est établi comme commun aux deux locuteurs et le rhème c'est le propos, ce qu'on dit du thème. Ex : "Ta grand-mère fait du vélo". Le thème c'est "ta grand-mère" que les deux locuteurs semblent connaître. En revanche, le fait qu'elle fasse du vélo est une information nouvelle pour le destinataire de la phrase. En gros le thème c'est de dont on parle et le rhème ce qu'on en dit. Et ce qu'on peut appliquer à une phrase, on peut l'appliquer à un roman. C'est pour ça que je vous ai demandé précédemment d'extraire votre thème et votre proposition. La progression thématique, c'est l'évolution de la répartition de l'information en thème et en rhème, la suite logique des phrases qui font évoluer le thème par rapport au rhème.

On définit 3 types de progression thématique :

  • La progression thématique linéaire. Cette progression se prête bien à l'avancée du récit, à l'enchaînement du récit et de la description. Il produit un effet stylistique de continuité : le rhème d'une phrase est à l'origine du thème de la suivante.

Ex : "L'autre jour, j'ai vu Pauline faire du vélo. Elle avait même piqué celui du facteur. Depuis, il ne peut plus distribuer son courrier. Ce qui est fâcheux parce que tous les habitants du village attendaient la lettre de l'inspecteur des impôts." Dans cet exemple, le thème est d'abord JE sur la première phrase, et Pauline le rhème. Pauline (elle) devient le thème de la seconde et le facteur le rhème. Le facteur (il) passe thème à son tour sur la troisième phrase. Etc. JE commence à parler de lui pour finir en 3 phrases par parler du facteur et enchaîner sur le village et l'inspecteur des impôts. On en oublie que Pauline a volé le vélo, n'est-ce-pas ? ;-) Le chagement de thème s'est fait de manière douce et naturelle car le nouveau thème était l'ancien rhème et ainsi de suite de saut de puce en saut de puce.

Cet effet de continuité entraîne une très grande fluidité de lecture, il n'y a qu'à dérouler le fil de la pelote pour que le récit se construise tout seul. (Tiens, ça serait un chouette exercice ça pour un prochain atelier ;-) )

  • La progression à thème constant. Il s'agit de reprendre le même thème et de lui apporter des rhèmes différents. On peut donc ralentir la progression pour déplier le thème.

Ex : "L'autre jour, j'ai vu Pauline faire du vélo. Elle tenait en équilibre sur les pédales, les fesses très au-dessus de la selle et ça lui donnait l'air de danser tout en roulant. Elle filait comme une flèche parce que le facteur lui courait après. Faut dire qu'elle lui avait piqué sa bicyclette, le pauvre. Elle moulinait de ses jolies jambes tout en riant et lui ne parvenait pas à la rattraper. Elle traînait sur le porte bagage les grosses sacoches noires de la Poste, pleines à vomir de courrier et sans doute que parmis les enveloppes, se trouvaient celles de l'inspecteur des impôts que tout le village attendait."

Dans cet exemple, Pauline reste le thème et les différentes phrases se rapportent à elle. On peut alors étirer le thème sur un paragraphe entier et dans ce cas, changer de rhème au paragraphe suivant en embrayant par exemple sur l'inspecteur des impôts. C'est aussi idéal dans les cas de scène d'action où le personnage va réaliser plusieurs actions consécutives. (Ce qui est le cas ici si on regarde bien). Au lieu de dérouler la pelote, on l'entortille un peu.

  • La progression à thèmes dérivés. Alors là, c'est plus complexe. En gros on tourne autour d'un thème principal ou hyperthème et on le découpe en sous-thème. (Tiens ? ça vous rappelle rien dans la construction du récit ? ^^! Ce qui s'applique à une phrase, un paragraphe, peut s'appliquer au livre entier !) C'est souvent très utilisé pour les descriptions.

Ex: "L'autre jour, j'ai vu Pauline faire du vélo. Ses pieds étaient tendus sur leur pointes, en équilibre sur les pédales, ses fesses ondulaient au-dessus de la selle, comme une danseuse et ses cheveux, eux, faisaient écho à sa jupe qui claquait dans le vent. Les joues rouges sous l'effort, le sourire plein les dents, elle était belle. Même le facteur qui courait derrière elle ne parvenait pas à gâcher la scène."

Voilà en gros. Dans cette progression en thèmes dérivés, l'hyperthème n'est pas forcément explicite, il peut très bien être vague et ce sont les sous-thèmes qui vont faire deviner le thème. Si on reprend notre petite pelote : au lieu de la dérouler ou de l'entortiller, on a séparé les fils qui composent le fil principal pour les regarder un par un et on les rassemble de nouveau pour reprendre le déroulé.


Si vous pensez votre roman selon ce schéma, y'a plus qu'à enchâiner les phrases en vous assurant de ne pas rompre la progression thématique (ne pas couper le fil de la pelote). Comme votre roman doit être un thème et un rhème à lui tout seul, comme vous êtes en train de le concevoir comme une immense phrase, et bien vous allez devoir forcément lui donner une finalité. Quand vous êtes perdus, il suffit de retrouver la phrase précédente et le thème/rhème précédent. Un peu comme quand vous parlez avec vos proches.

Et si jamais vraiment vous tournez en rond, les schéma narratifs peuvent déblayer un peu le terrain.

Cette façon de faire présente l'avantage d'être très naturelle et intuitive car elle se rapproche au plus près de ce que nous faisons tous les jours dans notre langage. En outre, elle s'attache à la cohérence du discours et fluidifie grandement la narration. De même, elle vous permet des grosses digressions sans perdre votre lecteur, à partir du moment où vous retombez sur le thème initial et donc sur vos pattes. Elle inclut aussi tous les schéma narratifs que vous voulez et vus dans le chapitre précédent car si les schémas sont la trame, elle est ce qui va remplir vos petites cases. Soit vous les bâtissez autour, soit vous laissez la progression thématique vous guidez où elle vous porte.

Attention tout de même, elle ne dispense pas d'un petit travail debout : qui parle ? à qui ? et pourquoi maintenant ? Si vous répondez à ces questions, vous tenez votre narrateur et ses déictiques, pas besoin que ce soit explicite dans le texte, ça va infuser dans les mots que vous choisirez.


Voilà, j'espère que vous trouverez dans ces différentes approches une qui vous ressemble et n'hésitez surtout pas à les mélanger !



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