La construction des personnages

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Il me semble que c'est Fitzgerald qui disait qu'un roman peut se passer de décor, mais jamais il ne pourra se passer de personnage. Le personnage est l'élément central qui fera que l'histoire mérite d'être racontée. Plus le personnage est fort, plus il marquera le lecteur jusqu'à devenir une icône. Et même lorsque votre personnage principal n'est pas une personne, ce sont les personnages qui graviteront autour ou la personnification qui vont permettre à l'auteur de bâtir un roman.

Dans l'histoire de la littérature, les premiers romans sont tous des histoires qui tournent autour de la construction d'un personnage central et emblématique, de Gilgamesh à l'Odyssée, en passant par le dit du Genji, c'est universel. Même l'Illiade qui tourne autour d'un évènement qu'est la guerre n'est pertinent que par les enjeux des personnages principaux. Que retient-on du siège de Troie sinon la colère de Diomède, l'amour d'Achille pour Briséis, l'orgueil d'Agamemnon ou encore la douleur de Priam de voir le corps de son fils trainé comme le cadavre d'un chien le long des remparts de sa ville. Et naturellement, le cheval, preuve de la malice d'Ulysse.

Donc pas d'histoire à raconter si vous n'avez pas de personnage pour la vivre ou la raconter. Car n'oubliez pas que le premier personnage que rencontre votre lecteur, c'est le narrateur. Au point que dans le mouvement du Nouveau Roman, le narrateur était l'élément central du texte et sa transformation, son évolution était le texte plus encore que les décors ou les évènements du scénario qui pouvait être inexistant. Gardez en tête que le Nouveau Roman a marqué la littérature mais reste illisible dans beaucoup de cas...

Pour construire ses personnages, il y a une méthode que j'ai beaucoup croisée chez les auteurs amateurs : la fiche personnage. En gros la carte d'identité de vos héros et autres. C'est pas compliqué à faire et certains poussent le détail au signe du zodiaque, la date de naissance exacte etc...

Personnellement, ça ne me parle pas. J'ai pas besoin de me noter dans quel quartier est né mon héros pour savoir d'où il vient et ce que je veux faire avec lui.

Partons alors sur une citation de Simenon que je trouve très très intéressante : "Un personnage de roman, c'est n'importe qui dans la rue, c'est un homme, une femme quelconque. Le personnage de roman, lui, ira jusqu'au bout de lui-même."

Presque tout est dit dans cette citation, vous avez deux heures pour en comprendre toutes les implications et je vous laisse vous dépatouiller ! ^^! Blague à part, ça m'a pris une bonne après-midi d'élaborer là-dessus et d'en sortir quelque chose de concret à appliquer. Je tente de vous en faire un petit résumé.

En gros, prenez n'importe qui de votre entourage. Un parent, un ami, qu'importe et prenez deux secondes pour vous intéresser à sa personnalité, à sa vie telle qu'elle est ou qu'elle pourrait être. Vous allez vous rendre compte que cette personne n'est pas allée au bout. Qu'elle n'y sera sans doute pas avant sa mort et encore ! (Ne le faites pas avec vous même, c'est déprimant ! croyez moi ! mais d'un autre côté, ça force la remise en question). Combien de personnes peuvent se vanter d'arriver au bout de sa vie, non pas temporellement parlant, mais existentiellement parlant ? Qui va au bout de son potentiel, de son drame, de sa résolution, de ses désirs, fantasmes, trahison, etc ? Mais dans un roman, vous pouvez faire la vie et la mort de vos personnages et surtout, vous allez au bout de ce qu'ils sont, dans leur sublime comme dans leur médiocre. Le personnage, c'est l'entièreté du potentiel humain sous un seul nom. A vous de décidez vers quoi il va tendre selon le besoin de votre histoire tant que vous allez au bout de lui-même. C'est très important !

Et si ils sont inspirés par des personnes réelles, c'est pareil, la transformation en personnage permet de creuser si loin que la personne originale elle-même n'ira jamais, en explorant tout ce que sa personnalité implique, au bout de ses actions, choix et réactions.

Et c'est avec cette idée en tête que vous allez pouvoir construire des personnages très forts, dans le sens marquant du terme, qu'ils soient secondaires ou principaux.

Maintenant, plaçons nous du côté du lecteur. Le lecteur va saisir le personnage par ce qu'ils font, plus encore que par leur description. L'action, les dialogues, va donner une idée de la personnalité du personnage, de la même façon que lorsque vous rencontrez quelqu'un dans votre quotidien, vous jugez une personne sur ses actes, sa façon de réagir à vos remarques, et parfois, souvent, sur vos préjugés plus ou moins fondés. Donc vous êtes là, avec les actions et réactions de vos personnages et parfois, vos relecteurs vous tirent par la manche pour vous dire : "c'est pas cohérent." Gros problème pour les auteurs, comment faire saisir l'incohérence d'un personnage quand on a autour de soi des personnes incohérentes, qu'on ne comprend pas, qu'on ne saisit pas ?

Petite anecdote.

Personnellement, la seule fois où j'ai allumé CNEWS dans ma vie, j'ai tenu 7 minutes exactement, dont 2 minutes de rediffusion d'un reportage, tant je me suis retrouvée devant des preuves flagrantes d'incohérences de langage, de propos, dansants joyeusement avec la mauvaise foi. Comment la journaliste que j'avais devant moi, personne visiblement d'origine créole, née d'une histoire de l'esclavage, femme noire qui a dû gravir les échelons d'un univers télévisuel ultra patriarcal, se retrouve sur ce plateau à faire des polémiques ultra réactionnaires, à lancer des propos racistes et mysogynes, sur une chaîne d'extrême droite ? Comment une femme qui a fait des études de journalisme et donc qui a potentiellement appris à analyser des faits, à recouper des sources, peut faire devant une caméra autant de désinformation, de blabla sur un non-sujet ? J'étais devant ma télé avec mes préjugés sur la jeune femme en question et qui animait le plateau (préjugés sur son sexe, sa couleur de peau, son niveau d'étude) et la réalité de ses paroles face-caméra et pour moi, c'était pas cohérent. Pourtant c'était vrai. Alors, si de cet évènement j'en fait un personnage de roman, cette femme devient mon sujet et je me dois de ne pas seulement rendre compte de son ambivalence, mais d'aller l'explorer. De creuser pour qu'elle aille au bout d'elle-même en tant que personnage. Et là se déploie quelque chose de fascinant : c'est quoi son histoire ? Comment on en vient à ça ? Par dépit ? Conviction ? Idéologie ? Un travail comme un autre ? Et sa famille ? Ses proches ? Ils le voient comment ? Etc... etc. Le tout pour remonter à la question la plus fondamentale : qu'est-ce qui la motive ?

Toute personne agit. Ne rien faire est déjà une action qui a des causes et conséquences. Toute personne répond à des contraintes, réelle ou qu'elle s'invente. Toute personne est amené à faire des choix. Et toute personne est membre d'un groupe, d'une communauté, qu'elle soit culturelle, familiale, sociale, virtuelle etc... jamais personne n'est seul sans rien, et si c'était le cas, si vous écrivez une histoire où votre personnage est né seul sans contact avec personne, cela implique forcément des conséquences.

Mais si chaque action de votre personnage entraîne des conséquences que vous allez facilement voir et élaborer, ce qui va motiver les actions sont un couple fondamental dans la construction d'un individu : le couple peur/désir. Deux moteurs très très forts, systématiquement présents dans chaque action. Faites le test pour vous, ou pour vos proches. Chercher les motivations de telle ou telle décision importante de votre vie ou de la leur, et à l'origine de toutes, il y a ce couple peur/désir. Même votre choix d'écrire est motivé par une peur qui s'entremêle à un désir. Et quand vous le trouvez, vous savez que vous avez la vraie raison des actions des gens, leur vraie motivation et pas des excuses débiles. Parce que plus vous allez vous astreindre à cet exercice, plus vous allez vous rendre compte de la capacité des gens à se mentir à soi-même, et vous le premier.

Et là, vous allez redonner du sens aux ambivalences de vos personnages, vous les tiendrez bien fermement tout en leurs laissant leur capacité d'action. Ils pourraient même vous surprendre !

Vous allez trouvez également que l'être humain n'est pas très original au fond : comme pour les thèmes des romans, les motivations sont fondamentalements toutes issues de peurs assez récurrentes et de désirs assez communs. C'est la réaction de chacun face à ces éléments qui va singulariser vos personnages.

Exemple : désir d'amour / peur de l'abandon

Plusieurs personnages possibles : la mère possessive qui emprisonne ses enfants dans son giron ; le père incestueux qui se justifie comme il peut ; la fiancée psychopathe qui tue les ex de son compagnon ; le jeune homme ultra perfectionniste qui veut l'approbation de son père ; toutes les formes d'emprise et de manipulation ; la surconsommation amoureuse sans engagement ; le rejet de son homosexualité ; la relation adultère ; etc.

On peut en trouver des dizaines d'autres, à vous de pousser votre curseur de pourcentages pour soit équilibrer la balance, soit faire basculer les choses. Et de garder en tête que selon les circonstances, les mêmes peurs, les mêmes désirs, vont entraîner des choses très très différentes et c'est là que le "background" du personnage entrera en jeu : sa culture, son éducation, son entourage, et les évènements de sa vie. Tout ce qui constitue sa personnalité.

Petite note à garder en tête : la peur est bien plus puissante que le désir. C'est pas un rapport de force égalitaire, loin de là. Avoir peur de mourir de faim est plus motivant qu'avoir envie de manger.

Naturellement, il va y avoir un petit atelier pour illustrer ce chapitre !

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