Philtre et séjour à la plage

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 Un épais nuage de fumée ocre s’échappait du chaudron. Dedans, le précieux liquide suivait les mouvements d’une baguette magique agitée par Clarisa Petipois. La pharmasorcière surveillait l’évolution de sa préparation avec beaucoup d’attention. Lorsque les premiers pétales de fleur remontèrent à la surface, elle cessa de mélanger. De sa seconde main, elle saupoudra l’ortie pillée. La mixture vira immédiatement au bleu turquoise. En réponse, la maman d’Agatha activa le soufflet à ses pieds pour réchauffer le tout. C’était à ce moment-là que l’opération devenait critique. Il fallait ajouter l’ingrédient le plus important au plus vite, au risque de tout gâcher ! D’un coup de baguette, une petite casserole posée sur sa cuisinière s’envola et versa son contenu dans le chaudron : du caramel. Aussitôt, la fumée devint blanche et un visage souriant s’y dessina. Une appétissante odeur sucrée embaumait désormais la cuisine.

 Après un rapide coup d’œil à sa potion, Clarisa recula, satisfaite. Son philtre de conservation, destinée à empêcher les légumes des épouvantails de pourrir trop vite, avait pris la teinte orangée souhaitée. Il ne lui restait plus qu’à laisser mijoter la soirée en ajoutant toutes les demi-heures quelques graines de cucurbitacées. Elle pouvait donc désormais se soucier du souper.

 Alors qu’elle sortait le gaufrier de l’armoire, la sorcière entendit la porte d’entrée s’ouvrir. Leur chat, poussa un miaulement apeuré et passa rapidement dans la cuisine pour sortir par la fenêtre ouverte. Miss Marple, c’était son nom, réagissait toujours ainsi quand Agatha ramenait son ami Romulus à la maison.

 — Bonjour, les enfants, ça s’est bien passé, aujourd’hui ? lança-t-elle sans se retourner, attelée à préparer la pâte.

 — Mes hommages, madame Petipois.

 Clarisa sursauta. C’était un adulte qui lui avait répondu, et non pas sa fille ou ses camarades de classe. En se retournant, elle découvrit M. Scotyard. Agatha, Lisa et Romulus étaient à ses côtés. Sa fille avait une mine boudeuse qui ne lui ressemblait pas.

 — Commissaire ? Qu’est-ce que…

 — Je suis tombé par hasard sur nos garnements alors que j’inspectais une scène de crime, alors j’ai pensé que je pourrais les ramener ici.

 — Eh bien, c’est… aimable de votre part ! Voulez-vous un chocolat chaud ?

 — Je ne dirais pas non à une tasse de café, de préférence. Les enfants, vous devriez aller faire vos devoirs, je dois discuter avec madame Petipois.

 — Il s’est passé quelque chose de grave ? demanda la pharmasorcière en fronçant les sourcils.

 — Oh, rien les concernant, rassurez-vous !

 Il adressa un sourire insistant aux enfants. Son fils comprit qu’il ne les voulait pas dans ses pattes et attrapa le cadre de Lisa. Ils avaient pour habitude de travailler dans la chambre d’Agatha quand ils venaient chez elle. Mais la petite sorcière ne bougea pas d’un pouce. Pire, elle se renfrogna et croisa les bras, bien décidée à rester. Les traits du commissaire se firent plus durs au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient et c’est Clarisa qui dut rappeler sa fille à l’ordre. Celle-ci ouvrit la bouche pour se défendre, mais aucun son n’en sortit. Finalement, elle fit volte-face et passa devant ses deux amis avant de s’engager dans les escaliers.

 — C’est pas juste ! s’écria-t-elle en se jetant sur son lit. On lui a dit qui était sa victime, il peut bien nous dire comment elle est morte !

 — Tu sais, c’est normal, il peut pas en parler à n’importe qui… À la maison, il ne dit jamais rien sur ses journées de travail !

 — Romulus a raison, on n’est que des enfants, c’est pas vraiment nos oignons.

 — Lisa ! s’exclama alors soudain la petite sorcière en relevant la tête comme si elle avait eu une révélation.

 — Oh non, je n’aime pas quand tu fais cette tête…

 — Il y a un tableau dans la cuisine, tu l’as déjà traversé quelques fois, je crois ?

 — Heu…

 En tant que portrait, Lisa avait cette faculté de passer de toile en toile. Elle ne pouvait sortir que de celle qui l’avait vu naitre, et seulement jusqu’à la taille, mais elle pouvait tout de même entendre et voir ce qui l’entourait. Seulement, Lisa n’était pas très enthousiasmée à cette idée.

 — Oh, non, Agatha, c’est une plage, le tableau de ta cuisine, je vais encore avoir plein de sable dans les souliers ! Puis M. Scotyard sera fâché s’il me voit !

 — S’il te plait, s’il te plait, s’il te plaiiiiit !

 Lisa soupira. Elle ne voulait pas se disputer avec sa meilleure amie. Elle adressa un regard à Romulus qui ne savait pas quoi dire. Il redoutait tout autant qu’elle la réaction de son père s’il s’apercevait qu’ils l’espionnaient. Ça ou les bouderies d’Agatha, c’était à choisir entre peste et choléra.

 — Bon, commencez le devoir de calcul, je reviens…

 La jeune fille disparut pour réapparaitre quelques minutes plus tard, cachée dans le coin du tableau de la cuisine. Elle ne s’était pas trompée, le sable s’infiltrait déjà dans ses souliers. Elle détestait cette sensation. Elle dut prendre sur elle pour ne pas se secouer. Il ne fallait surtout pas attirer l’attention des deux adultes qui discutaient. Par chance, aucun d’eux n’avait le regard tourné vers elle. Clarisa s’occupait de sa pâte à gaufre, dos tourné, tandis que le commissaire buvait son café.

 — D’habitude, ce n’est pourtant pas à moi que vous demandez ce genre d’analyse, lança Clarisa

 — Oui, mais j’ai mes raisons de me méfier de la clinique, cette fois-ci. La famille Pumpqueen pourrait bien être impliquée.

 — Ah, vous avez peur que Florence s’en mêle ? Vous ne la suspectez pas, quand même !

 — Pas elle directement, non. Néanmoins, vous comprendrez peut-être si je vous montre ceci…

 Il fouilla dans sa poche pour en retirer un petit sac plastique transparent. Dedans, Lisa crut y reconnaitre une sorte d’appât coloré pour la pêche, avec de petites plumes multicolores. Mais elle se trompait.

 — Une fléchette ? s’étonna Clarisa en inspectant l’objet de plus près.

 — Oui, on l’a retrouvée dans le cou de M. Minka. Nous avons tout lieu de penser que c’est ce qui l’a tué.

 — C’est assez peu commun comme arme du crime.

 — Ici, sans doute. Mais il parait que certains peuples d’Amérique du sud les enduisent de poison pour chasser.

 — Et vous voulez que je découvre quel poison on a utilisé ?

 — Précisément.

 Lisa se mordit les lèvres. Elle en avait appris assez pour satisfaire sa copine ! Lentement, elle entama la fuite pour retrouver ses comparses et leur faire part de ses découvertes. Engagée dans les couloirs secrets des tableaux, elle fit tout de même une petite halte. Il fallait absolument qu’elle se débarrasse de ce sable !

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