Négociations avec une citrouille

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 Lorsque la cloche, merveilleuse annonciatrice de la récréation, sonna le lendemain, Agatha fut l’une des premières à se lever. Très vite, elle souleva le portrait de son amie, posé contre le dossier de la chaise voisine. Elle le plaça dans la brouette et se pressa de sortir, sous le regard surpris de leur enseignant. Cela ne lui ressemblait pas de sortir de cours aussi vite.

 Et pour cause, Agatha avait une idée derrière la tête. Forte des informations collectées par Lisa la veille, la petite sorcière avait déjà émis quelques hypothèses. Toutes avaient un point commun, cependant. Pour elle, il était indéniable que la mort de Victor Minka était liée, d’une manière ou d’une autre, à Théodore Pumpqueen et à son livre.

 — M. Scotyard est sûrement du même avis que moi ! s’était-elle enhardie après le retour de Lisa dans sa chambre.

 — Tu crois ?

 — C’est pour ça qu’il préfère que ce soit ma maman qui s’occupe des analyses ! Florence, c’est le nom de la maman de Jacky.

 — Ah, et donc la sœur de Théodore Pumpqueen !

 — C’est ça, Lisa ! Jacky nous a déjà dit qu’elle travaillait à la Clinique du Sacré Sortilège. Alors, pour être sûr que la famille de son suspect ne s’en mêle pas, il préfère les tenir éloignés !

 — Bon, d’accord, ça se tient, soupira Romulus avec embarras. Mais maintenant, qu’est-ce que tu comptes faire ? À quoi ça nous avance de savoir ça ?

 — À poursuivre notre enquête en suivant la piste, pardi ! Et pour ça, il va falloir investiguer sur place…

 C’est pour cela qu’elle était si excitée aujourd’hui. Afin de pouvoir fureter sans en être empêchée par un commissaire ronchon, elle devait se rapprocher de la famille Pumpqueen. Quoi de mieux que d’être invitée sur place par une camarade de classe ! Mais cela ne s’avèrerait pas si simple. Jacky n’apprécierait sûrement pas de la voir suspecter son oncle. Elle devait donc ruser et même passer sous silence ses connaissances actuelles.

 Elle avait passé la nuit à réfléchir sur la manière de s’y prendre. Ce n’était qu’au petit matin qu’une opportunité s’était imposée à elle, sous forme d’un article dans « La Feuille de chou », le journal local. Elle en avait discuté avec ses camarades sur le chemin de l’école. Ensemble, ils avaient convenu d’une marche à suivre.

 — Béa, Jacky ! Vous allez bien ? démarra Agatha en se dirigeant vers la gobeline et l’épouvantail qui étaient toujours fourrées ensemble.

 Les deux gamines se tournèrent vers eux, tout sourire. Il leur arrivait parfois de passer la récréation ensemble. D’ordinaire, Romulus en profitait pour jouer au foot avec les garçons. Il laissait alors les apprenties commères bavarder sur les derniers potins. C’était aussi le cas cette fois-ci. Pour éviter que son père ne suspecte quelque chose, Romulus avait accepté de se tenir à l’écart pour le moment. Mieux, Agatha lui avait confié la tâche de lire Aventure en pleine jungle, pour voir s’il pourrait en tirer des informations intéressantes. C’était déjà le devoir que leur avait donné M.Mate. Pour une fois, Romulus était satisfait de son sort dans les plans de son amie.

 Les quatre gamines discutèrent d’abord quelques instants d’une dispute qui avait opposé Jonas et Moly deux jours plus tôt. Rien de bien intéressant, ni même de surprenant quand on connaissait le caractère épouvantable de la cyclope. Agatha ne voulait rien brusquer, même si cela devenait difficile pour elle de se contenir.

 — Oh, vous êtes au courant, pour la lune de sang, demain soir ? finit-elle par lancer plus tôt que prévu.

 — La quoi ?

 Lisa attrapa La Feuille de chou que son amie avait glissée dans sa brouette ce matin. Elle tourna quelques pages avant de tomber sur l’article qu’elle tendit aux deux copines. On y expliquait pourquoi la lune du samedi soir prendrait une teinte rouge, d’où le nom que les scientifiques lui donnaient.

 — C’est un spectacle à ne pas rater, vous ne croyez pas ? insista Agatha.

 — Oh c’est marrant, je n’étais pas au courant que ça existait.

 — C’est l’autre Jérémy qui doit être enthousiaste, plaisanta Béatrice en jetant un bref regard au vampire.

 — Faudrait qu’on aille voir ça, qu’est-ce que vous en dites ? Soirée pyjama chez moi !

 — Mais Agatha, y a les travaux, chez toi, en ce moment, mentit Lisa en suivant scrupuleusement le plan de la petite sorcière.

 — Ah bon ? s’étonna Béa en fronçant les sourcils. Vous faites quoi ?

 — Ah, c’est vrai qu’on repeint les murs, c’est dommage…

 — On peut le faire ailleurs, proposa Jacky d’une voix hésitante. On peut essayer de le faire chez moi, pour changer ! En plus, j’ai reçu un super télescope de mon tonton.

 Ce télescope, Jacky leur en avait beaucoup parlé, quelques semaines plus tôt. C’était la raison pour laquelle la lune de sang avait soudain jailli comme le prétexte parfait pour aller chez elle. La seule faille du plan aurait été que Béatrice leur propose de se rendre au Manoir Grindriz à la place, mais tout semblait rouler comme sur des roulettes.

 — Ce serait gé-nial ! s’écria Agatha avec beaucoup d’enthousiasme.

 — Vous n’avez qu’à venir chez moi après les cours, on essayera de négocier avec Grand-mamy ! Mais ça fait longtemps que je n’ai plus eu de copines qui logent au manoir, alors y a pas de raison !

 Peu de temps après, la cloche retentit à nouveau, invitant les enfants à aller se ranger pour rentrer en classe. Alors que Béatrice et Jacky se pressaient pour obtenir une place à l’avant, Agatha et Lisa furent rejointes par Romulus et son ballon. Il leur adressa un regard interrogateur, auquel elles répondirent par un sourire satisfait. Elles avaient désormais une raison innocente de se trouver au plus près de l’enquête.

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