Souper au tribunal

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 Dans la salle à manger, deux tables bien distinctes avaient été dressées spécialement pour la soirée pyjama de Jacky. La première, plus petite et plus simple, accueillerait les quatre amies. On y avait mis tout l’assortiment des sauces : ketchup, mayonnaise, moutarde… Chacune avait droit à une assiette, une fourchette, un couteau et un gobelet de couleur. Une cruche de grenadine trônait au milieu, attendant que les plats viennent lui tenir compagnie.

 Sur la table des adultes, par contre, plusieurs assiettes de différentes tailles se superposaient. À chaque place, une quantité faramineuse de couverts était dressée. Ils étaient tous destinés à un usage spécifique. On avait aussi sorti l’argenterie, les chandeliers, la vaisselle en porcelaine etc. À voir cet étalage, Agatha se demandait bien ce que les adultes avaient à vouloir toujours compliquer tout ce qu’ils touchaient.

 Sans plus se soucier des bonnes manières des grands, elles s’installèrent tandis que les membres de la famille Pumpqueen arrivaient à leur tour. Les parents de Jacky, tout d’abord, s’installèrent l’un en face de l’autre, en bout de table pour être au plus proches de leur fille et des invitées de celle-ci. Tonton Théo arriva ensuite, s’installant à côté du papa de Jacky. Enfin, se fut le tour de la Grand-mamy, soutenue par l’oncle Scott. Elle avançait à petits pas fatigués. Elle jeta un bref regard vers les quatre filles à part mais ne prononça pas un mot. Son petit-fils la conduisit jusqu’à sa place, tout au bout de la table qu’elle pouvait dominer. Il prit ensuite la place restante près de sa sœur et face à son frère.

 Une fois que toute la famille fut installée, Gipsy arriva en conduisant un petit chariot. S’y trouvaient deux plats. Le premier contenait une soupe fumante qu’elle s’empressa de servir aux adultes tandis que le second était rempli de petites fritures pour les enfants. Les gamines se servirent avec joie. Une fois l'apéritif fini, elles eurent droit à une ratatouille et à des frites de légumes tandis que les adultes mangeaient ce qui, de leur place, semblait être des pigeonneaux. Soudain, Lisa comprenait mieux pourquoi les humains se servaient d’épouvantails pour effrayer les oiseaux.

 Bien sûr, chaque tablée avait ses propres conversations. Les enfants parlaient entre elles et les adultes de même. Comme ils avaient commencé par évoquer des sujets banals, Agatha n’avait pas fait fort attention à ce que les adultes racontaient jusqu’à ce que Florence Pumpqueen n’évoque la boite remplie de souvenirs qu’ils avaient retrouvée. Intriguée, la sorcière laissa Lisa raconter une histoire pour essayer de surprendre quelques bribes de conversation.

 — Tu penses que vous avez gardé un magnétoscope, Scott ? demandait le papa de Jacky en se resservant de sauce.

 — C’est bien possible, il faudra fouiller dans le grenier. On regardera demain, pour une fois que j’ai le temps, on pourra en profiter pour ranger un peu.

 — Vous devriez vous débarrasser de ces choses…

 — Mais Grand-Mamy ! s’exclama Florence avec une mine mi-offusquée mi-surprise. C’est des bons souvenirs !

 — Des souvenirs d’échec, rien de plus. Ça n’a aucun intérêt.

 L’aigre voix de la matriarche avait refroidi l’ambiance. Les adultes échangeaient des regards entre eux sans oser croiser celui de leur grand-mère. Celle-ci se contentait de découper sa viande sans se soucier des réactions qu’elle avait suscitées.

 — Tu y vas fort quand même, Grand-Mamy…, lâcha Scott dans un soupir. Nous étions jeunes.

 — Ça n’excuse en rien que je vous avais déjà prévenus, que ça ne marcherait pas. Ni votre studio, ni le café.

 — Je t’en prie, Grand-Mamy, j’ai bien réussi, moi, à percer avec un simple livre ! C’est avant tout une question de chance. Il faut parfois la tenter.

 — D’autant que, contrairement à Scott ou Flo’, tu as pu profiter une deuxième fois de cette « chance », pas vrai, Théo.

 La remarque du papa de Jacky avait eu le même effet que celle de la matriarche. Cette fois, celle-ci releva son pâtisson et fusilla le mari de sa petite-fille d’un regard assassin qu’il soutenait sans honte. Tonton Théo, lui aussi, s’était renfrogné. Florence envoya un appel à l’aide à son autre frère d’un coup de coude discret.

 — Allons, ne déterrons pas les vieilles querelles, voulez-vous. Gipsy, vous pouvez peut-être amener le dessert ?

— Oui, monsieur ! se précipita la dame araignée, qui s’était faite toute petite face à la querelle familiale.

 — Désolé, Scott, tu as raison, je ne devrais pas parler de ça. Néanmoins, je suis sûr qu’un juste retour des choses attend ceux qui en ont trop profité jusqu’à présent.

 — C’est-à-dire ? réagit subitement Tonton Théo.

 — C’est-à-dire que Grand-mamy a pris rendez-vous avec le notaire, tout à l’heure, pas vrai ?

 Pour la troisième fois, silence. Cette fois-ci, même les enfants s’étaient arrêtés de bavarder. Tous les Pumpqueen fixaient la cheffe de famille, entre inquiétude et incompréhension. Le patisson de celle-ci semblait exprimer de la surprise.

 — Je vous ai entendue au téléphone, en passant près de votre chambre.

 — Vous déraillez. Quand bien même ce serait vrai, vous n’avez aucune excuse pour écouter aux portes.

 — Vous parliez bien assez f…

 — Qui veut une part de tarte !

 L’oncle Scott avait profité du retour de Gipsy pour mettre un terme à la conversation. Une nouvelle patisserie à la citrouille reposait sur le chariot de service. Intérieurement, Agatha ne put s’empêcher d’être soulagée. Elle qui n’était pas une grande amatrice des plats salés, un peu de sucre ne lui ferait pas de mal ! La domestique commença par servir les enfants sous le regard fuyant de Florence.

 — Gipsy, vous pourriez peut-être leur rajouter une boule de glace ?

 — Je suis navrée, madame, nous n’en avons plus.

 — C’est ma faute, plaida l’oncle Scott. Je l’ai oubliée en faisant les courses hier.

 — Ohlala, oncle Scott ! s’exclama Jacky, amusée. Tu as intérêt à te faire pardonner ce soir !

 — Popcorn et barbe à papa, j’ai bien compris !

 Il leur fit un clin d’œil et elles rirent de bon cœur. Ces promesses sucrées ravivèrent les petites cellules grises de la sorcière. Elle avait pris soin de laisser un peu de place dans son estomac pour ça. Alors qu’elles finissaient leur morceau de tarte en toute hâte pour rejoindre la tente installée dans le jardin, les adultes, eux, ne dirent plus grand-chose. Agatha en avait appris assez pour avoir de nouvelles idées.

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