Au clair de lune

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Rassasiées autant en nourriture qu’en informations, les filles se dirigèrent ensemble vers le grand jardin. Avant de quitter le manoir, elles récupérèrent d’abord leurs affaires. Esquivant habilement les bosquets de plantes carnivores, elles trouvèrent une belle tente près du potager. Elles y déposèrent leurs trois sacs de couchage. Celui de Lisa se trouvait déjà dans sa peinture. Désireuse de se mettre dans l’ambiance, elle avait demandé à son père qu’il lui en peigne un. Agatha n’aurait ensuite qu’à poser son cadre contre la bâche.

 Mais l’heure n’était pas encore au dodo. La lune de sang ne s’était pas encore manifestée et les gamines comptaient bien veiller jusqu’à pouvoir l’observer, aux alentours de 22h30. En attendant, elles avaient de quoi s’occuper.

 L’oncle Scott avait bien installé le télescope, réglé pour leur offrir une belle vue des étoiles. Comme la nuit peinait encore à remplacer le jour, elles filles ne s’y intéressèrent pas de suite. Par contre, Jacky avait aussi fait descendre toute une malle à déguisement. Démarra ainsi un petit défilé improvisé au crépuscule. Lisa prit le rôle de juge, attribuant une note à chaque passage de ses copines. Loin d’être sévère, elle ne donna jamais plus bas que huit sur dix. Béatrice mélangea des costumes chics et des habits de clown tandis qu’Agatha s’essayait à l’imperméable qui, avec sa baguette en forme de loupe, lui donnait des airs de détective. Le plus saisissant fut cependant Jacky, qui imita à la perfection les membres de sa famille avec ses tenues : D’infirmière, elle devint jardinier, en passant par avocat. Chaque fois, elle poussait jusqu’à changer de tête, troquant sa citrouille contre un légume du jardin. Il ne manquait qu’à les sculpter pour la rendre crédible au possible.

 Elles terminaient tout juste que les adultes venaient aux nouvelles. La maman de Jacky et son oncle Scott paraissaient encore un peu chamboulés. Ils allumèrent un petit feu de camp. L’épouvantail à tête de melon jaune ouvrit un paquet de marshmallow qu’elles purent griller tandis que Florence leur racontait une histoire d’horreur. Plus rigolote qu’effrayante, elle captiva son auditoire.

 — Nous allons bientôt vous laisser seules, les filles, avertit Florence une fois son récit terminé. Ne veillez pas trop tard, une fois que vous avez vu la lune rouge, vous irez dormir !

 — Hey, et le popcorn et la barbe à papa ?

 — Ça arrive, ça arrive, s’excusa l’oncle Scott en levant les bras en signe d’apaisement. Je vais vous chercher ça puis je vous laisse.

 — Papa et Tonton Théo ne viennent pas nous souhaiter bonne nuit ?

 — Je vais lui dire de passer te faire la bise, mais je crois que Tonton Théo est déjà au lit.

 Florence serra sa fille contre elle tout en lui donnant un gros bisou sur la citrouille puis repartit en compagnie de son frère. Béatrice, elle, s’était installée au télescope où elle s’amusait à regarder les étoiles. Comme elle poussait de grandes exclamations suite à ses observations, Jacky la rejoignit bien vite, laissant Agatha et Lisa seules un instant.

 — Ça avait l’air animé, la conversation des grands, tout à l’heure, lança discrètement le portrait vivant.

 — On peut dire ça. J’ai saisi l’essentiel, c’était très enrichissant.

 — La Grand-Mamy de Jacky me fait froid dans le dos. Tu penses toujours que le tonton est innocent ?

 — Je pense surtout qu’il y a d’autres coupables possibles. Tiens, par exemple, lorsqu’on a découvert les photos, le papa de Jacky a vite caché une photo. Je suis sûre qu’il y avait son épouse et la victime dessus, et qu’il lui faisait un bisou.

 — Oh, il serait jaloux ! s’écria Lisa d’une voix un peu plus forte qu’elle ne l’aurait voulu. C’est classique, dans les histoires d’amour !

 — Et ça, c’est toi la spécialiste. Mais il n’y a pas que ça qui m’intrigue…

 — Voilà, les filles !

 Elles sursautèrent. Dans la pénombre, elles n’avaient pas vu l’avocat à tête de melon jaune revenir du manoir. Il apportait avec lui un saladier rempli de popcorn. Le père de Jacky le suivait. Dans chaque main, il tenait deux barbes-à-papa sur un bâton. Béatrice et Jacky abandonnèrent aussitôt leur contemplation.

 — Ne tardez pas trop pour les manger, ça va attirer les insectes.

 — J’ai du produit pour les moustiques dans la tente ! s’exclama la gobeline en s’y précipitant.

 — Bonne nuit, les louloutes, lança le jardinier. Profitez bien de la lune de sang et dormez bien !

 Chacune armée d’une douceur rose, les copines bavardèrent ensemble des commérages dont elles n’avaient pas eu le temps de discuter jusqu’à présent. Lisa manifesta ensuite son désir de regarder au télescope elle aussi et Agatha l’y guida, laissant Jacky et Béa jouer à action ou vérité autour du feu. Lisa regardait le ciel avec beaucoup d’admiration. Il y avait presque autant d’étoiles dans ses yeux que dans la voûte céleste.

 Mais tandis que son amie admirait les beautés de l’espace, Agatha remarqua qu’une lumière venait de s’allumer dans une chambre du manoir. Tout d’abord, cela ne l’intrigua pas plus que cela. Seulement, en repensant à ce qu’elle avait pu voir à l’intérieur, quelque chose la fit vite tiquer. Même si elle était restée au rez-de-chaussée tout du long, la sorcière devinait à qui appartenait la chambre en question. C’était certainement celle de la Grand-Mamy de Jacky.

 Ses réflexions furent interrompues par une grande exclamation de Lisa. Aussitôt, leurs copines les rejoignirent, terriblement excitées. Était-ce dû la quantité de sucre ingérée ou le phénomène les intéressait-elles à ce point ? Toujours était-il que la lune, conformément aux prévisions de la Feuille de chou, troquait peu à peu son blanc coutumier pour une nouvelle teinte. Contrairement à ce qu’elles avaient imaginé, la lune n’était pas aussi rouge que le sang. Non, elle était plutôt orangée.

 — On dirait une grosse citrouille !

 — C’est la tête de Jacky qui est dans le ciel !

 — Mouhaha ! Je suis tellement grande !

 — C’est trop beau !

 Elles se lassèrent cependant du spectacle au bout d’une vingtaine de minutes. C’est qu’il était tard. Malgré toutes les sucreries qu’elles avaient ingurgitées, le sommeil commençait petit à petit à peser de tout son poids sur les filles. Elles abandonnèrent donc le télescopes pour se retrouver dans la tente. Juste avant d’y pénétrer, Agatha adressa tout de même un dernier regard au manoir. La lumière de la Grand-Mamy s’était éteinte. Ne subsistait que celles du rez-de-chaussée.

 Elle se glissa dans son sac de couchage après avoir enfilé son pyjama. Elle avait posé le cadre de Lisa près d’elle, debout pour le protéger de l’humidité du matin. Elles se souhaitèrent chacune une bonne nuit mais papotèrent encore un peu. Agatha laissa Béa et Lisa monopoliser la conversation, serrant contre elle Hercule, son hibou en peluche. Plongée dans ses hypothèses, elle s’endormit.

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