Drôle de réveil pour Gipsy

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 Lorsque son réveil sonna cinq heures du matin, Gipsy eut plus de mal que d’habitude à se lever. Elle sentait encore le poids de la fatigue sur ses épaules. On était pourtant dimanche, elle aurait pu faire une grasse matinée, mais c’était son compter son emploi à plein temps au service de la famille Pumpqueen. Elle étira ses huit pattes avant de s’extirper péniblement de son lit.

 En aspergeant son visage d’eau pour faire sa toilette, Gipsy commença à retrouver des idées claires. La veille avait été particulièrement éprouvante. Outre la soirée pyjama de la petite Jacky, qui l’avait vue contrainte de préparer un plat à part, les tensions avaient atteint un nouveau stade.

 Gipsy était toujours très mal à l’aise lorsque ses maitres se disputaient. Elle avait toujours peur d’être prise à partie et qu’on lui demande son avis. À son grand soulagement, ce n’était jamais arrivé. Elle pensait pourtant que les querelles étaient terminées. Quand elle était entrée en fonction, les hommes de la famille ne se faisaient pas de cadeaux, mais ils avaient au moins la décence de le faire en l’absence de la Maitresse de maison. Hier, monsieur Georges n’avait pas enfilé de gants pour lui tenir tête.

 Ce dernier n’avait eu aucune honte à évoquer ce qu’ils avaient entendu plus tôt dans l’après-midi. Heureusement, il n’avait dit à personne qu’elle était en sa compagnie sur le moment. Elle portait alors le linge de la salle de bain pour le nettoyer. Elle se souvient avoir voulu s’enfuir dès que la voix de la maitresse avait percé le mur jusqu’à leurs oreilles. Monsieur Georges, par contre, s’était figé et avait tendu l’oreille. Quelle indiscrétion !

 Enfin prête, Gipsy sortit de sa petite chambrette. Silencieusement, elle descendit les escaliers en se servant de sa toile. Il était encore tôt, hors de question de réveiller qui que ce soit avec des bruits de pas. Elle s’engouffra ensuite dans la buanderie où elle récupéra le linge mis à la machine pendant la nuit. Elle repassa une petite heure puis, alertée par un vieux coucou qui trainait là, remonta jusqu’aux cuisines.

 Là-bas, elle prépara les petits-déjeuners. Sur une plaque de cuisson, elle disposa les viennoiseries à réchauffer. Elle en rajouta plus que d’habitude, afin de satisfaire les invitées de la jeune maitresse. Elle pressa elle-même les oranges et mit aussi cuire une casserole de lait. La domestique ignorait ce que préféreraient les enfants mais ainsi auraient-elles le choix. Gipsy prépara ensuite un œuf au plat pour la Maitresse. L’heure de son réveil approchait. Contrairement à ses petits-enfants, Madame Pumpqueen se levait tôt, même le dimanche. Elle compensait en faisant une sieste l’après-midi, chose qu’elle détestait devoir annuler. Elle devenait alors d’une humeur exécrable pour la fin de journée.

 Elle voulut sortir le bacon du frigo mais fut prise de court. Le morceau de viande n’était hélas pas prédécoupé. La dame araignée réprima un soupir. Cela n’arrivait jamais quand elle s’occupait elle-même de faire des courses, car elle était bien consciente de sa maladresse avec un couteau. Mais monsieur Scott lui avait proposé si gentiment d’aller au magasin pour elle qu’elle n’avait pas pensé à lui donner des consignes particulières.

 Après avoir peiné à couper la pièce de bacon en tranches, Gipsy finit de disposer le petit-déjeuner de Madame sur son assiette. Avec ses six membres, elle disposa les différents déjeuners sur le chariot qu’elle poussa jusqu’à la salle à manger. Elle disposa la table comme à l’accoutumée. Seul le plat de la matriarche ne rejoignit pas les autres. Madame prenait toujours son petit-déjeuner au lit.

 Devant les escaliers, au lieu de s’y engager, elle rattrapa son fil de toile et se laissa remonter sans un bruit. Arrivée face à la chambre de Madame, elle hésita. Elle l’avait entendue se disputer la veille au soir avec Monsieur Théodore dans sa chambre. Gipsy priait pour que la nuit ait suffi à éteindre la colère qui grondait alors en elle. Sans quoi, Madame n’allait pas la louper. La vieille dame allait sûrement faire une remarque désobligeante sur la viande, et elle aurait bien raison car on ne pouvait pas légalement appeler ça des tranches. Tant pis. Gipsy s’arma de courage et frappa à la porte.

 Cependant, Madame Pumpqueen ne répondit pas. Après un instant de patience, Gipsy fronça les multiples sourcils. Madame dormait-elle encore ? Cela ne lui ressemblait pas, elle était réglée comme une horloge. La domestique eut peur l’espace d’un instant d’être arrivée trop tôt, mais un coup d’œil à sa montre la rassura. Elle frappa donc à nouveau, puis une troisième fois avec plus de force.

 — Madame ? C’est pour votre petit-déjeuner, je peux entrer ? Madame ?

 Gipsy était désemparée. Même si c’était parfois d’humeur grincheuse, sa maitresse lui répondait toujours quand elle frappait à la porte. Elle était prise au dépourvu. Devait-elle entrer sans sa permission ? Après moult hésitations, elle approcha une patte tremblante vers la poignée. Elle espérait ne pas faire une nouvelle gaffe en dérangeant Madame Pumpqueen. Tout doucement, elle ouvrit la porte.

 Tout d’abord, Gipsy ne remarqua rien d’anormal. La chambre était rangée et sa maitresse était sous ses couvertures. Mais après quelques pas, elle remarqua que le pâtisson de la vieille épouvantail était tombé par terre. Soudain pris d’un mauvais présentiment, la domestique se précipita vers la vieille dame en l’appelant par son nom. Comme elle ne répondait toujours pas, elle retira les couvertures. Ce qu’elle vit la fit hurler d’horreur et lâcher l’œuf au plat qu’elle portait toujours.

 Ce n’était pas le fait qu’elle soit dépourvue de tête qui la mit dans cet état. Gipsy était au service de la famille depuis assez longtemps pour savoir que leurs légumes n’étaient que des accessoires de mode pour eux. Seulement, dans son torse était planté un gros couteau et, tout autour, de la paille s’était échappée de son ventre.

 Madame Pumpqueen ne respirait plus.

 Madame Pumpqueen était morte.

 Madame Pumpqueen avait été assassinée.

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