Le commissaire arrête son suspect

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 Quand les parents de Jacky étaient venus les réveiller, ils leur avaient expliqué qu’un drame s’était produit. Ils n’avaient pas évoqué de meurtre, bien sûr, mais Agatha avait vite compris que la coïncidence était trop grande. Elles avaient rassemblé piteusement leurs affaires pour rentrer au manoir. Là-bas, les Pumpqueen leur avaient proposé d’appeler leurs parents.

 Madame Grindriz était venue aussi vite que possible pour récupérer Béatrice. Agatha, par contre, était parvenue à retarder l’échéance en prétextant que sa maman avait profité de son absence pour rendre visite à une amie. Il n’y avait donc, prétendait-elle, personne chez elle. Le papa de Lisa, quant à lui, avait simplement demandé à Agatha de lui ramener le portrait enchanté quand elle rentrerait.

 Agatha n’aurait pas manqué cette occasion d’assister aux fouilles de la police. Malheureusement pour la petite sorcière, le commissaire était bien décidé à ne pas la mêler plus que de raison à l’enquête. À son arrivée, il l’avait brièvement fusillée du regard. Il n’avait rien dit, cependant. Avec ses hommes, il était monté à l’étage. Ils s’étaient enfermés dans la chambre de la défunte afin d’y collecter tout le nécessaire à leur enquête. Pendant ce temps, le reste de la famille, chamboulé, patientait au salon.

 Lisa et Agatha firent de leur mieux pour consoler leur amie qui pleurait à chaudes larmes la perte de sa Grand-Mamy. Elle avait même refusé de prendre un pain au chocolat. Par acquis de conscience, ses deux copines avaient elles aussi boudé le petit-déjeuner. Perdre un membre de sa famille, même âgé, n’était jamais chose facile. Sa maman aussi, était au bord des larmes. Les trois hommes, par contre, avaient une attitude qui ne manqua pas d’attirer l’attention d’Agatha.

 Le papa de Jacky, tout d’abord, se tenait derrière le fauteuil de son épouse, les mains sur ses épaules pour la consoler. Cependant, il jetait aussi des regards suspicieux en direction du tonton Théo. Il n’était pas le seul. L’oncle Scott fixait son frère, les doigts entremêlés devant sa bouche et les sourcils froncés.

 L’écrivain, enfin, était accoudé dans son propre fauteuil, la courge baissée retenue par une main. Il respirait fort, comme en proie à l’angoisse. Agatha aussi lui jetait parfois quelques regards furtifs, plus emplis de curiosité que de doute. Alors qu’elle tapotait le dos de Jacky, elle réfléchissait à tout ce qu’elle avait appris ces derniers jours.

 Lorsqu’on entendit des bruits dans les escaliers, tonton Théo fut le premier à se lever, pris d’un sursaut. Il se tourna vers la porte et Gipsy, suivie du commissaire et de deux agents, entrèrent. La domestique se plaça sur le côté, tête baissée, presque honteuse, tandis que le papa de Romulus poussait un soupir. Les autres adultes l’observaient comme s’il allait rendre une sentence irrévocable.

 — Madame, messieurs, compte tenu de nos observations et du témoignage de votre domestique, je vais demander à Mr Théodore Pumpqueen de me suivre au poste.

 — Le témoignage de… de Gipsy ? répéta le concerné avec un rire nerveux. C’est ridicule, je… Qu’est-ce qu’elle vous a dit ?

 — Ne rendez pas les choses plus compliquées, monsieur. Veuillez nous suivre.

 Tonton Théo eut encore un petit rire qui se transforma en hoquet. Il balaya la pièce du regard. Sa sœur avait la main contre la bouche, l’air abasourdie. Son mari serrait plus fort ses épaules tandis qu’il se mordait les lèvres, plongé dans ses propres pensées pour fuir la demande à l’aide silencieuse de son beau-frère. L’oncle Scott, enfin, avait ouvert la bouche pour parler, mais aucun son n’en était sorti. Finalement, il acquiesça.

 — Tu devrais l’écouter, Théo.

 — Scott, je… Je suis innocent, tu le sais, mon frère, pas vrai ?

 — Ce n’est pas moi que tu devras convaincre, cette fois-ci.

 L’air abattu, tonton Théo se tourna finalement vers les agents de police. Il hésita, puis fit un pas en leur direction. Aussitôt, les hommes du commissaire se placèrent de chaque côté pour l’escorter. Ils allaient partir quand Jacky se leva, toute secouée.

 — C’est pas lui ! C’est pas tonton Théo qui a fait ça !

 — Jacky, ma chérie…, l’interrompit sa mère en se précipitant vers elle.

 — Maman, il faut les arrêter ! Il est pas coupable ! Dis leur, Agatha !

 Ainsi désignée, la petite sorcière se sentit bien mal à l’aise. Elle qui avait tant apprécié raconter ce qu’elle savait sur la disparition d’Oscar ou de la poupée de Béatrice était prise au dépourvu. C’était trop tôt. Elle n’en savait pas encore assez pour affirmer quoi que ce soit. Et, même si elle doutait encore de la culpabilité de l’oncle Théo, cela n’en restait pas moins possible. Pire, c’était même probable au vu de tout ce qu’elle avait découvert.

 Heureusement, elle n’eut pas à s’expliquer. Le papa de Jacky était venu aider sa femme à la consoler et ils étaient à deux en train de la calmer, sans prêter attention à la sorcière. Le commissaire, lui, en avait profité pour s’éloigner au plus vite de là. Il n’avait décidément pas envie que la jeune sorcière s’en mêle.

 L’oncle Scott finit par rejoindre les parents de Jacky pour les aider. Ce faisant, il adressa un regard lourd sur Gipsy qui, silencieuse, gardait la tête baissée. Dès que Florence emmena sa fille dans sa chambre pour lui parler seule à seule, il interrogea la dame araignée.

 — Qu’est-ce que vous leur avez dit, exactement, pour qu’ils suspectent Théodore ?

 — Ils m’ont demandé si j’avais entendu quelque chose, bredouilla-t-elle, penaude. Et c’était le cas, monsieur. Hier soir, j’ai entendu madame et monsieur Théodore se disputer.

 — Et de quoi parlaient-ils ?

 — Je n’en suis pas sûre, monsieur, mais j’ai entendu le mot « testament »…

 — C’est ma faute, je n’aurais pas dû en parler, hier soir, grommela le papa de Jacky en se laissant tomber dans le fauteuil qu’avait occupé sa femme.

 — Tu n’aurais pas pu deviner non plus, le rassura l’oncle Scott. C’est tout ce que vous leur avez dit, Gipsy ?

 — Oui, monsieur.

 — Rien n’est encore établi, alors. S’ils n’ont rien d’autre,…

 — Même avec la mort du sphynx ?

 L’oncle Scott soupira. Agatha observait les adultes avec attention alors que Lisa, plus soucieuse de l’état de leur amie, regardait toujours les escaliers que Jacky et sa maman avaient empruntés. C’est alors que l’oncle Scott se tourna vers elles, l’air curieux.

 — Dis-moi, Agatha, c’est bien toi ? Pourquoi est-ce que ma nièce t’a désignée spécifiquement, tout à l’heure ?

 La petite sorcière hésita. Il aurait peut-être été plus simple pour elle de poursuivre son enquête sans en parler aux adultes. De plus, ces derniers avaient la fâcheuse tendance de l’écarter de tout ce qui s’y rapportait. Néanmoins, il y avait eu un second meurtre. La situation devenait plus grave chaque jour. Pire, elle n’avait aucune autre excuse à donner, si ce n'est des semis-vérités.

 — Jacky sait que j’adore lire les romans policiers. Elle sait aussi que j’étais au courant, pour Victor Minka. Puis, je lui ai dit que je pensais pas que c’était son tonton…

 — Je vois. J’étais du même avis que toi encore hier. J’ai défendu mon frère bec et ongles lorsqu’ils sont venus l’interroger une première fois. Aujourd’hui, je ne sais plus.

 — Monsieur Pumpqueen… Est-ce que… Est-ce que je peux vous poser quelques questions ?

 — Tu veux faire le travail de la police ? demanda-t-il avec un sourire triste. Tu peux toujours essayer…

 — Est-ce que vous pourriez m’expliquer de quoi vous parliez, hier soir, lorsque vous disiez qu’il y aurait « un juste retour des choses » ?

 Le papa de Jacky et l’oncle Scott échangèrent un regard. Ils n’avaient aucune obligation de raconter leur histoire à une gamine qui n’était même pas de la famille. Pourtant, ils soupirèrent de concert. L’avocat à tête de melon jaune attrapa la boite à photo retrouvée la veille et observa la sorcière et le portrait d’un air grave.

 — Tout commence lorsque nous avons atteint notre majorité.

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