Le récit de Scott Pumpqueen

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 M. Pumpqueen s’installa dans le siège le plus proche et ouvrit la boite en carton sur ses genoux. Il chercha quelques secondes avant d’extirper une vieille photo de famille sur laquelle posaient sept épouvantails aux cucurbitacées différents, parmi lesquels un pâtisson, un butternut, une courge verte et un melon jaune. Une banderole d’anniversaire annonçait, au-dessus de la petite famille, "tout plein de bonheur pour vos dix-huit ans".

 — Vous l’ignorez peut-être, mais Florence, Théodore et moi-même sommes des triplés. Lorsque nous sommes devenus adultes, nos parents et nos grands-parents étaient encore tous bien vivants. Cependant, c’était déjà la Grand-Mamy de Jacky qui gérait toutes les finances de la famille.

 — Germaine a toujours été très proche de ses sous, ajouta le papa de Jacky depuis son fauteuil. Elle surveillait les moindres dépenses. Ces trois-là n’avaient presque rien en argent de poche pour faire la fête.

 — C’est vrai que Grand-Mamy était un peu, disons, économe…

— Pingre.

 La remarque du jardinier dut mettre Gipsy mal à l’aise car elle s’extirpa de la pièce à cet instant dans un hoquet, dans le but de se changer les idées avec un peu de ménage.

 — Si tu veux. Bref, la famille était soucieuse de nous voir exercer un métier capable de nous assurer une certaine sécurité financière. Seulement, nous étions jeunes et nous avions nos propres projets. Depuis plusieurs années déjà, ma sœur et moi projetions de fonder notre propre studio de dessins animés. Nous avons tout appris par nous-même. Tout ce qu’il nous manquait, c’était une somme d’argent pour nous lancer. Autant vous dire que les négociations ont été… compliquées.

 — Mais madame Pumpqueen a fini par céder ?

 — Grâce à l’appui de son mari et de nos parents, oui. Nous devions juste nous former pour un autre métier en cours du soir afin de rebondir en cas d’échec.

 — J’étais déjà bon ami de Scott à l’époque, ajouta le papa de Jacky en hochant la tête. Je peux vous dire qu’ils en voulaient, tous les deux !

 — Et votre frère ? demanda Lisa, qui était autant accrochée à leurs lèvres que la petite sorcière.

 — Théodore avait d’autres passions. Lui, il voulait ouvrir un café littéraire dans lequel on pourrait jouer à des jeux de société. C’était une idée à lui et à son ami, Victor.

 — Le sphinx qui a été retrouvé mort ce jeudi.

 — C’est ça. Contrairement à nous, son métier se passait aussi en soirée et il a réussi à esquiver les cours du soir de cette manière. Sur le papier, le principe de son affaire semblait intéressant.

 — Mais ça n’a pas bien marché, compléta la tête de melon classique. Il a très vite eu du mal à joindre les deux bouts, à payer le loyer du café, les clients étaient rares, et lui et son ami fermaient dès qu’il y avait une fête pour ne pas la manquer.

 — De notre côté, Florence et moi sommes parvenus à produire les premiers épisodes d’une petite série. C’était l’histoire d’une bande de jeunes monstres d’Halloween qui enquêtaient sur des humains déguisés infiltrés dans la ville.

 — Oh, ça aurait pu te plaire, ça, Agatha !

 — C’était un peu kitsch, fort centré sur l’humour. Ça s’appelait Scary Boo, du nom du loup-garou gourmand qui servait de mascotte à la bande. Ce n’était pas des chefs d’œuvres, mais nous avions un petit succès et nous avions décroché un premier contrat.

 — Ils travaillaient tous les deux comme des malades, ajouta son beau-frère avec fierté. De vrais passionnés. Et franchement, c’était marrant, leurs dessins animés.

 — Mais finalement, Théodore a fait faillite. Sur le moment, Grand-Mamy ne lui adressait même plus la parole, elle était furieuse de son échec. C’est alors que nos parents lui ont proposé de se joindre à eux pour une petite croisière en amoureux qu’ils avaient prévue. Histoire de lui changer les idées. Il a demandé pour prendre Victor avec. Florence et moi, de toutes façons, nous étions trop occupés.

 — Et là, c’est le drame, soupira le papa de Jacky.

 Agatha se mordit les lèvres. Elle connaissait la suite, car Théodore Pumpqueen le leur avait raconté à la bibliothèque. Le bateau avait coulé, il avait été sauvé par son ami et ils étaient restés plusieurs années bloqués en Amérique du sud. Quant à ses parents, ils avaient été engloutis par l’océan…

 — Nos grands-parents ont été sous le choc. Ils avaient perdu leur fille, leur gendre et un petit-fils d’un coup. Grand-Papy n’y a pas survécu. Ça a été très dur pour Grand-Mamy qui ne sortait plus de chez elle.

 — C’était un coup dur aussi pour vous deux. Vous n’étiez plus que l’ombre de vous-même…

 — Oui, heureusement que tu étais là pour nous soutenir. Suite à ça, nous avons traversé des phases difficiles. Et finalement, nous avons dû abandonner notre studio et nos projets, nous aussi.

 — Ce que tu oublies de dire, Scott, c’est que Germaine aurait pu vous aider. Elle aurait pu débloquer des fonds supplémentaires pour vous aider à tenir le coup. Mais elle a refusé !

 — C’est vrai. Elle affirmait qu’elle nous avait déjà donné bien assez. Alors nous avons fait une croix sur nos rêves et nous avons repris nos études pour des postes… respectables.

 L’avocat soupira. S'il portait un costume chic et était réputé comme l’un des plus brillants avocats de la ville, il n’avait jamais voulu de cette vie. Il en était de même pour la maman de Jacky, qui bossait à la clinique du Saint-Sortilège. Deux métiers aux antipodes de l’animation de cartoons.

 — Lorsque j’ai demandé Florence en mariage, Germaine s’y est d’abord opposée. Un simple jardinier, vous comprenez. Elle a été très compliquée à convaincre, mais Florence a fini par l’avoir à l’usure en la menaçant de partir à jamais. Et je crois que Scott a aidé aussi.

 — Je l’ai menacée de devenir clown dans un cirque si elle continuait comme ça.

 Les deux copines rirent de bon cœur. Les épouvantails souriaient et partageaient un air complice. Un instant, Agatha se demanda s’il était bien sérieux ou si c’était une plaisanterie.

 — Mais finalement, Théodore est revenu, souligna Agatha en surveillant leurs réactions.

 — Le fils prodigue, commenta le papa de Jacky d’une voix pleine d’amertume.

 — Grand-Mamy n’en revenait pas. Elle s’est sentie pousser des ailes. C’était bon de la revoir ainsi.

 — Mais quand il lui a demandé de l’argent pour avoir l’aide d’un agent littéraire et lancer son livre, elle a immédiatement accepté.

 — Alors qu’elle ne vous avait pas aidés, Madame Pumpqueen et vous, comprit Lisa en ouvrant grand les yeux.

 — Ça a été sujet de nombreuses disputes, répondit l’oncle Scott en acquiesçant. Mais il faut la comprendre. Elle avait été odieuse avec lui, puis l’avait cru mort. Elle avait vécu en pensant avoir renié son petit-fils avant qu’il disparaisse. C’était une seconde chance pour elle de se rattraper.

 — Mais ce n’était pas correct envers Florence et toi.

 — Et donc, quand vous parliez d’un juste retour des choses, c’est parce que vous pensiez que, en changeant son testament, elle allait réduire la part revenant au tonton Théo ?

 — C’est ça, petite sorcière. Tu as vu juste.

 Agatha reporta son attention sur la photo de famille prise plus tôt par Scott Pumpqueen. Dessus, ils souriaient tous. Ils semblaient heureux. Comment un drame et une histoire d’argent avaient-ils pu briser une si belle harmonie ?

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