Agatha Petipois accuse

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 La dernière affirmation de la sorcière ne laissait personne indifférent. Chacun l’observait dans l’attente qu’elle poursuive. Le malaise de Théodore Pumpqueen l’avait quitté mais il s’était enfoncé plus profondément dans son siège, horrifié. Le commissaire, enfin, ne paraissait plus fâché. Au contraire, Agatha avait réussi à l’intriguer.

 — Je ne suis pas sûr de comprendre, commença la maman de Jacky en secouant son butternut de tête.

 — Imaginons que vous vouliez assassiner quelqu’un, madame.

 — Grand dieu, je ne pourrais jamais !

 — Imaginons votre mari, alors, ce sera plus facile à comprendre. Lui viendrait-il à l’idée d’utiliser un outil de jardinage pour commettre son crime ? Bien sûr que non, on accuserait tout de suite un jardinier ! Et c’est bien ce qu’a voulu faire le meurtrier en choisissant cette arme qui ne pouvait être reliée qu’à une seule personne.

 — Mais on a testé ! intervint Juliette. Chez moi, on a testé des sarbacanes, c’est pas si facile ! Tout le monde peut pas y arriver !

 — Et puis ce serait pas discret.

 — Justement, Lisa. Ça se verrait, bien sûr, si quelqu’un se posait avec une sarbacane, visait et tirait sur quelqu’un. Pourtant, nous n’avons eu aucun témoin, pas vrai, commissaire ? Sinon, vous auriez arrêté Théodore Pumpqueen avant.

 — Effectivement.

 — Eh bien, c’est parce que l’assassin ne s’est pas servi de sarbacane. Je pense qu’il a simplement glissé la fléchette entre ses doigts. Il sera allé vers Victor Minka, lui aura sûrement parlé comme à un vieil ami, puis lui aura planté la fléchette directement dans le cou, en feintant une tape amicale, peut-être. Discret, précis.

 — Ça alors, s’exclama l’oncle Scott, l’air amusé. Monsieur le commissaire, on dirait que vous avez de la concurrence.

 — Ce ne sont que des suppositions, grommela le loup-garou avec mauvaise foi. Rien n’est prouvé. Et ça n’excuse pas Théodore, au contraire.

 — Je le reconnais. Qui de mieux que le tonton Théo aurait pu agir ainsi sans éveiller le moindre soupçon de la part du pauvre sphinx… Mais poursuivons, voulez-vous. Revenons-en à la lettre. Vous avez affirmé tout à l’heure qu’elle n’avait jamais existé, pas vrai, monsieur ?

 — Je le jure.

 — Et de nouveau, je suis de votre avis. Une lettre écrite en papyrus, disait madame, si je me souviens bien ? Un détail qui relie forcément à l’Egypte, et donc à M. Minka ! Mais c’était le détail de trop. Pensez-vous vraiment que les égyptiens écrivent encore sur du papyrus ? Non, bien sur que non, ils utilisent du papier, comme tout le monde !

 — Mais alors, pourquoi Germaine aurait-elle inventé ça ?

 — Parce que ce n’était pas Germaine Pumpqueen qui a rencontré la police ce jour-là.

 L’exclamation de surprise poussée par Béatrice ne suffit pas à attirer l’attention des adultes sur elle. Tous avaient les yeux fixés sur Agatha. Le commissaire, lui, roulait des yeux.

 — C’est idiot, tu étais là, tu l’as vue comme moi.

 — C’est vrai, Agatha, Grand-mamy était dans les escaliers, tu te souviens ? s’exclama Jacky avec un air coupable.

 — Je concède que nous avons été bien bernés, moi la première. Nous l’avons tous vue, cette épouvantail avec un pâtisson en guise de tête. Mais je soutiens que ce n’était pas ta Grand-mamy, Jacky. Tu nous l’as toi-même prouvé lors de la soirée pyjama.

 — Moi ? Mais…

 — Souviens-toi, tu as défilé dans tout un tas de déguisements et tu nous as montré que tu pouvais changer le légume qui te sers de tête n’importe quand. Vous, les épouvantails, êtes parfaitement capables de vous faire passer pour n’importe lequel d’entre vous.

 — Non, ce n’est pas aussi simple, intervint Florence. Que toi ou le commissaire vous fassiez avoir, d’accord. Mais Gipsy et Jacky côtoyaient Grand-Mamy tous les jours ! Elles auraient deviné que ce n’était pas elle en…

 Elle se figea soudain. Les trous qui lui servaient d’yeux s’agrandirent soudain comme si elle venait de comprendre quelque chose.

 — En écoutant leur voix, compléta Agatha avec un sourire. Précisément, madame. Béatrice, tu veux bien ?

 La gobeline acquiesça et se retourna pour attraper l’ordinateur portable qu’elle avait caché derrière elle. Elle l’ouvrit, dévoilant sur l’écran un épisode de Scary Boo.

 — L’oncle Scott nous a raconté que vous aviez fondé votre petit studio, vous et lui. Hier, nous avons eu la chance de regarder un épisode de votre dessin animé. Je l’ai retrouvé afin de vérifier quelque chose que je pouvais trouver dans le générique de fin.

 — Je ne te suis plus, petite, lança le papa de Jacky en frottant le dos de sa femme d’un air soucieux. Qu’est-ce qu’il y a d’important dans les crédits ?

 — Vous nous aviez raconté que vous aviez appris le métier sur le tas, mais vous ne nous avez pas dit ce que chacun faisait pour réaliser le dessin animé. Naïvement, j’ai cru que vous étiez tous les deux dessinateurs. Mais non, oncle Scott. Vous, vous étiez doubleur.

 Tous les regards se dirigèrent vers l’oncle Scott dans son siège. Il venait de finir d’une traite son whisky et fixait le contenu de son verre comme si cela pouvait le remplir à nouveau.

 — Oui, j’ai toujours eu facile de modifier ma voix, répondit-il enfin en prenant la voix de Verrue, la sorcière qui enquêtait aux côtés de Scary Boo. Un don que je montre rarement depuis que je suis avocat.

 — Et quel talent ! s’exclama Agatha tandis que Béatrice mettait l’écran sur pause. Vous avez doublé une grande quantité de vos personnages, tous avec des voix plus variées les unes que les autres. Il aurait donc été facile pour vous de simuler celle de votre Grand-Mamy.

 — J’en aurais été capable, il est vrai, ricana-t-il ensuite avec la même voix aigre que la défunte. Cependant, je suis au regret de vous dire que je n’étais pas présent au Manoir à ce moment-là. Je faisais des courses.

 — C’est vrai, intervint Gipsy avec précipitation. Monsieur a été tellement gentil de me proposer de l’aide…

 — Bien sûr. En prétextant qu’il partait au magasin, il justifiait son absence pendant qu’il se faisait passer pour sa grand-mère aux yeux de la police. Je ne serais pas surprise d’apprendre que c’est lui qui vous a proposé de passer à cette heure-là, commissaire.

 — Mais c’est vrai !

 — Bravo, mademoiselle, c’est épatant mais ça ne tient toujours pas debout, réfuta l’oncle Scott avec un sourire. Ces courses, je les ai ramenées juste après le passage de la police. Je ne pouvais pas être au Grand Crique qui croque et au manoir en même temps.

 — Pourtant vous avez oublié la glace.

 L’oncle Scott fixa la sorcière. Celle-ci était persuadé d’avoir vu son sourire se rétrécir l’espace d’un millième de seconde avant qu’il ne se lève de son fauteuil. Calmement et sous le regard de tous, il se dirigea vers une armoire dans laquelle ils rangeaient les bouteilles d’alcool fort. Il attrapa celle de whisky et se servit un nouveau verre. Comme il ne disait rien, Agatha y vit une invitation à poursuivre.

 — Ma maman et moi sommes revenus à la maison hier après être passées ici. Nous avions acheté deux pots en prévision de diner à la Dame blanche. Mais suite à une étourderie, nous avons oublié de ranger la glace.

 — Et donc elle a fondu, devina Gipsy en plaçant quatre mains contre sa bouche.

 — Quand vous avez vu la glace sur la liste, vous avez compris que vous ne pouviez pas l’acheter. Parce que vous avez fait ces courses bien à l’avance, le matin peut-être, afin de tout ramener au moment opportun et valider votre alibi. Alors vous ne l’avez tout simplement pas achetée.

 — Ce ne sont que des hypothèses.

 — Mais le vendeur confirmera au commissaire que vous n’êtes pas passé quand vous le prétendez.

 L’avocat ne répondit pas. Il avait le regard plongé dans son whisky. De nouveau, il le but cul sec, sans faire plus de commentaire.

 — Evidemment, ça ne s’arrête pas là. Le lendemain, vous êtes entré dans la chambre de la Grand-Mamy de Jacky pendant sa sieste. Vous avez attendu que quelqu’un passe tout près pour imiter la voix de cette dernière et simuler un appel avec le notaire. Ou bien l’avez-vous vraiment appelé ? J’avoue que pour ça, je ne sais pas. En tout cas, ce qui comptait, c’est que la famille l’apprenne. Afin de donner à votre frère un mobile pour tuer votre Grand-mère.

 — Elle a nié ce soir là avoir pris rendez-vous, se souvint le tonton Théo dans un souffle, abasourdi.

 — J’ai quand même beaucoup de mal à y croire, intervint l’épouvantail au melon. Je veux dire, c’était affreusement risqué. Et si Germaine se réveillait et le surprenait au téléphone ? Si on lui reparlait de ce rendez-vous avec la police qu’elle n’avait jamais vécu ?

 — Je pense que M.Pumpqueen avait pris ses dispositions pour minimiser ces risques. En utilisant du somnifère, il la plongeait dans un profond sommeil. C’est en tout cas ce qu’il a fait le dernier soir. Et pour vendredi, en remontant, il a bien demandé à ce qu’on ne reparle plus de cette histoire. Ce n’était pas Gipsy qui allait lui poser des questions sur le sujet.

 — Mais alors, la dispute que j’ai entendue samedi soir ! réalisa soudain la domestique. C’était aussi Monsieur ?

 — Oui. Pour ce coup-là, il a dû simuler deux voix. Je suis persuadée qu’il avait d’abord pris soin de les endormir, tous les deux même, avant de passer en action. Ce soir-là, l’oncle Théo est le seul à ne pas être passé nous voir dans le jardin, il était sûrement monté se coucher plus tôt.

 — Et comment faisait-il pour quitter la chambre sans être vu ? questionna le commissaire.

 — Quand nous étions petits, répondit Florence, le butternut baissé. Nous avions l’habitude de passer d’une chambre à l’autre en passant par l’extérieur, en nous tenant au lierre. Notre corps est composé essentiellement de paille, nous n’avions pas peur des chutes et les plantes ne devaient pas supporter un poids trop important.

 — Mon frère… Je ne comprends pas. Pourquoi ? Pourquoi voulais-tu m’accuser ?

 — Pourquoi ?

 L’oncle Scott éclata de rire. Il déposa son verre vide, rouvrit la bouteille de whisky et se tourna vers celui envers qui il nourrissait tant de rancœur.

 — Ne m’appelle plus ton frère, Théodore. Pour moi, mon frère est mort avec nos parents, lors de cette croisière. C’est comme ça que tout aurait dû se passer. Mais tu as tant tenu à revenir. Le fils, non, le petit-fils prodigue.

 Il avala une gorgée à même la bouteille puis la déposa violemment sur le rebord de la cheminée.

 — Lorsque tu es parti, on est venu nous voir, Flo et moi. Des types à qui tu devais de l’argent. Des sommes énormes… Ils nous ont mené la vie dure. On a été forcé de payer pour toi. De vendre notre studio. De faire une croix sur notre passion. Grand-mamy était en deuil, impossible d’attendre une aide de sa part. Mais quand tu as surgi de nulle part… Elle t’a tout donné… Tout ce qu’elle nous avait refusé. Tu as tout eu, et nous rien… Alors que nous avons dû nous lancer dans des carrières où nous travaillons durs tous les deux, toi… Tu écris un livre et tu profites de la vie en sortant de temps en temps pour en parler aux gens.

 — Alors vous avez imaginé un plan pour vous venger. Vous venger de votre frère mais aussi de cette grand-mère qui avait été injuste, et de cet ami qui avait participé au fiasco qu’avait été le bar à jeux de Théodore.

 — Il avait aussi causé plein de souci à Florence…

 — J’ai cru comprendre. Quel génie monsieur. Quel talent. C’est tellement dommage que vous ayez été aveuglé par la vengeance. Vous auriez pu mettre ces capacités au service du bien. Au lieu de ça, vous êtes devenu un criminel. Vous êtes un meurtrier.

 — Ça, ce sera à la justice d’en décider, miss Petipois, soupira Scott en se laissant tomber dans son fauteuil. Grâce à ma grand-mère, je suis aussi devenu un bon avocat. Qui sait, j’arriverai peut-être à clamer mon innocence. Vos preuves sont des hypothèses.

 — J’espère au moins avoir fait échouer votre plan. Il ne faudrait pas qu’un innocent paye pour vos crimes.

 — Monsieur Scott Pumpqueen, annonça le commissaire qui venait de retirer les menottes des mains de l’écrivains. Je vous arrête pour les meurtres de M. Victor Minka et de Mme Germaine Pumpqueen.

 L’oncle Scott leva le melon jaune vers le commissaire. Puis il regarda sa sœur. Des larmes coulaient de son butternut. Son mari lui massait les épaules en lui adressant un regard plein d’incompréhension. Puis il détourna la tête vers sa nièce qui pleurait elle aussi. Il souffla du nez et se leva en tendant les mains docilement.

 — Si cette sale gamine n’avait pas fouiné dans mes affaires, vous ne m’auriez jamais suspecté, lança-t-il avec la voix de l’humain capturé par Scary Boo dans le dessin animé.

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