Chapitre 1 : Le port d'Astremer
— Pourquoi je ne peux pas descendre ?
— Ilona, répondit d'un ton désolé sa mère, tu connais très bien la raison. Tu sais que ce n'est pas contre toi.
N'écoutant que d'une oreille, la jeune fille observait attentivement le groupe qui s'activait pour préparer la chaloupe pour se rendre sur terre. Le brise-vague était arrivé la veille au soir aux abords du port d'Astremer de l'empire de Zhikerhoz. Aujourd'hui, quelques personnes aller descendre à terre pour se rendre aux marchés et faire quelques échanges. Il était triste de le dire, mais les échanges avec l'empire se limitait à des échanges commerciaux froids et sans valeur. Et pourtant, Ilona rêverait de faire partie de l'expédition.
Un sentiment étrange qu'elle ne connaissait pas lui enserra le cœur quand elle aperçut Juraj, un jeune homme de la mer qui vivait dans la même section qu'elle connaissait bien. Il faisait clairement partie de l'expédition et comme s'était sa première, il avait pris un soin particulier pour se préparer. Il avait revêtu une tenue traditionnelle du peuple de la mer aux couleurs du brise-vague. Ilona ne comprenait pas les émotions qui l'assaillaient, mais ne put s'empêcher de demander d'une voix pleine de tristesse :
— Pourquoi Juraj a obtenu le droit de descendre alors qu'il est plus jeune que moi et que contrairement à moi, il ne s'est pas spécialisé sur le monde terrestre ?
Sa mère la prit dans ses bras avec tendresse. Elle connaissait bien sa fille et la voir aussi triste et blessée ne lui plaisait pas. Jamais elle n'avait vu sa fille envieuse et elle comprenait bien qu'il était dur pour son enfant d'accepter la réalité. Parce que la mère savait que sa fille savait parfaitement pourquoi elle ne pouvait pas descendre. Mais qui lui faudrait du temps pour l'accepter.
— Juraj n'a pas les mêmes obligations que toi. Il faut que tu sois patiente, tu auras sûrement un jour l'occasion de descendre. Mais tu sais très bien que tu ne pourras jamais le faire sur les terres de l'empire. Bien trop d'enfant ont disparu sur ces terres…
— Ce sont des contes pour enfant ! Je le serais si vraiment des enfants avaient disparu ! Et je ne suis plus une enfant ! Je suis adulte dans moins d'un mois ! Et je ne suis pas idiote, en tant que choriste, jamais, je ne pourrais quitter la barge… Et ce n'est même pas comme si j'avais voulu le devenir !
Ilona s'éloigna rapidement, laissant sa mère la suivre tristement du regard. La jeune fille était bouleversée. Elle s'en voulait d'avoir levé la voix, elle s'en voulait de ne pas être heureuse pour Juraj qui avait la chance de faire partie de l'expédition, elle s'en voulait de paraître si immature. Et malgré sa culpabilité, elle ne pouvait pas faire taire la colère qui lui enserrait le cœur. Pourquoi avait-on décidé qu'elle serait une choriste ?
Pour le peuple de la mer, choriste était une des fonctions la plus importante de la barge. Bien que tout membre de la barge était considéré égal, s'il avait une dérogation à cette règle, c'était pour les choristes. Ils étaient les mages du peuple de la mer. C'était grâce à eux que la barge fonctionnait. Ils la faisaient avancer, ils servaient de guérisseurs magiques au besoin, ils pouvaient également voir le temps qu'il allait faire et dans les cas les plus extrêmes, ils pouvaient même maitriser les éléments en colère et apaiser les tempêtes. Leur rôle était essentiel dans la survie de la barge et pour cela, ils étaient respectés et surprotégés.
Beaucoup d'enfant de la mer rêvait de devenir choriste. Mais pas Ilona. Ilona avait toujours rêvé de devenir marchande ou négociatrice pour descendre à la rencontre d'autre peuple, ou alors chasseuse ou récolteuse pour découvrir les différents biomes sauvage du continent. Elle s'était intéressée à tous les métiers qui lui permettraient de mettre pied sur terre, ainsi choriste n'était vraiment pas ce qu'elle espérait.
Pour calmer ses humeurs, elle grimpa sur la plus haute vigie de la barge, observant avec tristesse la ville portuaire s'activer au loin. Elle ne souhaitait pas assister au départ de l'expédition, alors qu'il n'y a pas si longtemps, c'était un spectacle que pour rien au monde, elle n'aurait loupé.
***
— Vous aurez vu ça ! Le marché était plein d'odeur et de couleur ! C'était un véritable spectacle vivant ! Et littéralement ! Il y avait des jongleurs et des acrobates qui faisaient des choses incroyables ! Alors qu'ils n'ont même pas de magie, l'on aurait pu croire qu'ils en faisaient !
Ilona s'éloigna, boudeuse de la foule d'enfant qui s'était regroupé autour de Juraj. Comme à leurs habitudes, quand il y avait un jeune qui participer à une expédition, il était questionné de toutes parts. L'exaltation du jeune homme à raconter ce qu'il avait vu chambouler encore plus Ilona. Aggravant sa colère et par conséquence sa culpabilité.
Un marché… Quelque chose encore qu'elle n'avait que vu depuis la vigie, qu'elle ne connaissait qu'à travers les livres. Sur la barge, cela n'existait pas. Sur une barge du peuple de la mer, tous avaient un rôle et participaient activement et librement à la vie de la communauté, en échange les ressources était redistribuée de manière équitable. Et même si pour une raison quelconque une personne ne pouvait servir la communauté, il était invraisemblable pour le peuple de la mer qu'un être ne vive pas convenablement. En dehors des livres et de la théorie, le concept de commerce était inconnu à Ilona comme à la plupart des membres de son peuple. Au mieux, ils connaissaient le troc.
Le troc était la seule forme d'échange que l'on trouvait sur le navire. Ilona, elle-même, échangeait régulièrement les œuvres d'un sculpteur qu'elle appréciait contre des chants. Cela lui permettait de décorer sa petite cabine. Ilona, comme tous les enfants de son âge, avait sa propre cabine qu'elle pouvait décorer à envie. Tous les enfants de la barge se voyaient octroyer sa cabine à onze ans. Avant cela, ils vivaient dans les dortoirs du quartier des enfants qu'ils partageaient avec une vingtaine d'autres enfants.
Ilona avait de bons souvenirs de cette période et la plupart de ses amis venaient de son dortoir. Déjà à cette époque, elle troquait ses services pour décorer la partie du dortoir qui lui était attribué. Avec plusieurs de ses camarades, ils s'étaient mis dans l'idée de décorer le dortoir à leur image. C'était quand, ils ne cherchaient pas à contourner les règles qui encadraient la vie des dortoirs. Elle avait fait de nombreuses frasques avec ses amis. Et elle avait toujours soupçonné que les adultes étaient aux courants de plus de chose qu'il n'y paraissait.
Avant les dortoirs, de leur naissance à leur sixième année, les enfants partagés les appartements de leurs parents. C'était une période nostalgique pour beaucoup. Ilona se souvenait encore des nombreuses émotions qu'elle avait ressenties quand l'heure était venue pour elle de quitter le nid familial. Elle avait alors ressenti beaucoup de peur et de tristesse, mais aussi de l’excitation de faire enfin partie des grands. Bien sûr, le dortoir dans lequel elle avait été placée était dans la même section que ses parents et elle avait continué à les voir aussi souvent que possible.
Et bientôt, Ilona serait considérée comme une adulte par le peuple de la mer, comme tous les enfants de la mer à leurs quinze ans. Dans un mois, elle changerait de nouveau de chambre pour une plus grande cabine. Les cabines pour adulte était suffisamment grande pour accueillir un bureau, une petite bibliothèque, un coin cuisine si l'on n'a pas envie de partagé le repas avec tout le monde aux réfectoires et beaucoup plus d'espace de rangement. L'on pouvait également faire le choix de vivre avec un ou plusieurs amis, un ou une compagne et juste des colocataires. Dans ce cas, on se voyait octroyer plus un petit appartement qu'une grande cabine. L'avantage des appartements, c'est que malgré la chambre aussi petite que les cabines des adolescents, les pièces communes étaient plus grandes. Dans les appartements communs, l'on avait plusieurs pièces pouvant être aménagé à volonté.
Il y a quelques mois, elle avait encore hâte de quitter sa petite cabine. Il y a quelques mois, elle riait encore avec ses amis en imaginant ce qu'ils feraient tous de leur cabine. Certains prévoyaient de se mettre ensemble pour avoir les avantages des appartements. Ilona avait même envisagé de se mettre avec l'un d'eux. Elle s'était déjà imaginé de décorer son nouveau lieu de vie avec les trouvailles qu'elle aurait pu trouver dans le monde terrestre. Elle avait aimé imaginer ce lieu rempli de tout ce qu'elle aimait…
Mais ses rêves avaient pris fin deux mois plus tôt. Ses rêves avaient pris fin quand la doyenne du chœur de Brise-vague, choriste Nœvere était entrée dans sa petite cabine. Ses rêves avaient pris définitivement fin quand cette dernière lui avait annoncé, avec un grand sourire, qu'elle avait été choisie pour rentrer dans la chorale. Ses rêves avaient pris fin quand elle avait appris que sa vie appartenait maintenant à la communauté.
— Et il y avait des créatures que jamais, vous pourriez imaginer !
La voix forte de Juraj sortit Ilona de ses pensées moroses. Elle l'écouta décrire avec énergie les différents animaux que les zhikerhotes exhibaient devant la foule lors des grands marchés. Le plus souvent, c'étaient des animaux qui venaient de l'autre bout du côté du continent, de sorte que les locaux soient aussi émerveillés que l'était Juraj. Les descriptions du jeune garçon, bien qu’exagérée, était suffisamment précise pour qu'Ilona parvienne à donner un nom à chacune d'entre elle. Elle avait lu tous les livres qu'elle avait pu trouver sur le monde terrestre, y compris ceux sur la faune et la flore.
Lors de ses premières lectures, Ilona n'avait pas cru que de telle créature puisse exister. Tant de couleur et de forme semblait aussi fantastique que les animaux imaginaires des contes et des légendes. Pourquoi n'existerait-il pas de cheval volant s'il existe des souris qui volent ? Sur les barges, l'on faisait pousser des plantes du monde entier, mais sur Brise-vague en tout cas, l'on se refusait de faire monter des créatures terrestres sur une barge. Pour le peuple de la mer, il n'est pas moral de forcer un être de quitté son milieu de prédilection. C'est pour cette raison que l'on n'accepte pas d'accueillir de famille avec enfant sauf raison impérieuse. Ilona ne pouvait donc voir les créatures terrestres que depuis la vigie, de loin. Elle aimerait tellement pouvoir les observer de près dans leur milieu naturel…
Et la revoilà à broyer du noir… Frustrée de ne pas pouvoir se réjouir pour son ami et se sentant coupable d'être jalouse, la douce Ilona quitta le pont les larmes aux yeux. Bien qu’elle sache que ce n'était pas bien, elle n'arrivait à se débarrasser du sentiment d'injustice. Contrairement à Juraj, elle avait suivi toutes les études pour faire partie des équipes qui descendent sur terre. Elle parlait plusieurs langues terrestres, elle avait des connaissances sur les coutumes locales, elle comprenait mieux que beaucoup les systèmes d'argent. Pourquoi elle devait accepter d'être mise de côté ?
Ne supportant pas ce que lui faisait ressentir cette situation, Ilona tourna longuement en rond dans sa cabine. Elle ne voulait pas être comme ça. Jamais elle n'avait envié personne. Elle avait toujours été la première à être heureuse du bonheur des autres. Elle était d'autant plus bouleversée que c'était la première fois. Il lui fallait faire quelque chose. Elle ne voulait pas devenir une femme aigrie à cause de tout cela.
Sa décision était donc prise. Après tout, pour une nuit, que risquait-elle ? Elle avait suffisamment de connaissance pour s'en sortir. Et c'était sûrement la meilleure façon de faire disparaître sa frustration. Et quel mal il y avait-il si personne n'était au courant ?
La jeune fille ne mit pas longtemps pour regrouper ses affaires et se préparer. Elle n'avait pas besoin de grand-chose. Elle revêtit la seule tenue zhikerhote qu'elle avait : une tunique bleue brodée avec la méthode traditionnelle du sud de l'empire, un pantalon de toile brun et des botes de cuir qui tout en lui étant agréable au pied et maintenait bien les chevilles. Elle prit également une cape pour dissimuler son visage. Elle savait que sa couleur de peau, typique du peuple de la mer, interpellerait dans cette ville de l'empire. Sa peau était aussi sombre que la leur était blanche.
Une fois prête, elle sortit discrètement de sa cabine. Elle craignit que sa tenue interpelle quelqu'un et que son plan échoue avant même de commencer. Mais la barge était en effervescence. Tous préparaient le grand festin du soir. Comme à leur habitude, le peuple de la mer allait fêter dans la joie et la bonne humeur ce nouvel échange réussit avec un peuple terrestre après plusieurs longs mois loin de toute côte. Chacun occupé à se préparer ou à participer aux mises en place, personne n’aperçut l'ombre de la jeune fille se faufilant de section en section.
Elle était maintenant persuadée d'avoir fait le bon choix. Ce soir, tout le monde ferait la fête et ses amis penseront qu'elle se serait enfermée dans sa chambre, attristée par son sort. Depuis, l'annonce de son intégration dans la chorale, Ilona avait évité toutes les festivités. Donc son absence ne serait pas remarquée.
Elle arriva enfin dans la section destinée à la navigation. La barge était à l'arrêt, cette section était vide. C'était l'endroit parfait pour quitter la barge. Personne dans les parages, ainsi personne pour être témoins de son plongeon.
Avec l'esprit tranquille et le cœur enfin léger, elle s'installa au plus proche de l'eau et finit ses préparations. Elle se redressa, leva la tête vers la lune qui brillait haut dans le ciel. Oubliant les cris et les rires au loin, elle ouvrit doucement ses lèvres. Une douce mélodie s'éleva. Une mélodie évoquant la caresse de l'eau et la douceur de l'air. Un chant qui aurait saisi n'importe quel spectateur. Une mélodie qui se mourut dans un bruit d’éclaboussure.
Ilona avait plongé avec habilité, s'enfonçant dans la noirceur de l'eau. Elle était loin d'être la meilleure nageuse. Pour une fille de l'eau, elle était même presque médiocre. Sans la magie, elle n'arrivait guère à être en apnée plus d'une minute, là où la plupart pouvaient tenir plus de dix minutes. Elle s'épuisait également bien rapidement. Mais elle avait un autre avantage. Ce n'était pas pour rien que l'on avait fait d'elle une choriste, elle était douée en magie. Et les premières magies que l'on apprenait aux enfants de la mer étaient celles liées à l'eau et à la nage.
Le chant qu'elle avait entonné avant de plonger lui permettait de respirer parfaitement sous l'eau pour près d'une heure. Il lui permettait aussi de se glisser dans l'eau sans effort et sans être mouillée. Malgré sa hâte, elle prit tout son temps. Si elle voulait profiter de sa courte escapade, elle préférait ne pas être fatiguée.
Dès l'instant que son corps avait traversé la surface de l'eau, ses dernières frustrations disparurent comme nettoyées par l'océan. Elle ne pensait plus qu'à toutes ces découvertes qu'elle allait pouvoir faire tout au long de cette nuit.
Et ce fut une explosion d'émotion quand enfin, pour la première fois de sa vie, son pied se posa sur la terre. Elle en fut si émue que ses genoux ployèrent et qu'elle tomba sur le sol, ses doigts caressèrent le sable avec hébétude. Il y avait du sable sur la barge et elle avait déjà pris du sable lors de ses plongées, mais jamais un sable lui avait paru si blanc et si fin.
Mais elle se secoua, elle n'avait pas de temps à perdre, la nuit allait être courte. Il ne lui restait que quelques heures avant de devoir remonter dans la barge. Elle se leva donc et se dirigea vers la lumière de la ville. Astremer était une grande ville portuaire connue pour son commerce. Malgré l'heure avancé de la nuit, la jeune fille pouvait entendre l'agitation des animations de la ville.
Très vite, elle quitta la plage pour un chemin de terre menant aux premières habitations du petit port de pêche attenant à la ville. Ilona ne savait plus où poser son regard. Tout était nouveau pour elle, des gens à leurs habitations en passant par leurs habits. Tout était si différent de ce qu'elle avait pu imaginer grâce aux livres, c'était plus grand, plus réel, plus impressionnant.
Elle n'avait jamais rien lu sur ses petites maisons en bois sur pilotis. Mais elle connaissait les petites embarcations qui trempaient le long des quais, typique bateau de pêche zhikerhote. C'est ainsi qu'elle sut qu'elle était arrivée dans le port de pêche.
Elle ne put s'empêcher de fixer certaine personne qu'elle croisait. C'était la première fois qu'elle voyait de près et en dehors des livres des gens à la peau si claire. Elle était impressionnée que ce fut possible d'avoir la peau si claire. S'enfermait-il toutes les journées pour fuir le soleil pour avoir la peau si clair ? Mais ce qui l'interpela davantage, c'est leur manière de se vêtir. Elle s'était imaginée passé inaperçu avec ses habits, mais elle s'était trompée. Déjà, elle remarqua rapidement qu'homme et femme ne s'habillait pas pareil. Elle se souvenait bien d'avoir lu quelque chose de semblable, mais ça lui avait paru si incohérent qu'elle l'avait mis de côté. Si les hommes portaient des habits ressemblant vaguement à sa tenue, les femmes portaient toutes des longues et lourdes robes. Des tenues qui lui paraissaient bien peu pratiques. Comment pouvait-on travailler avec un tel handicape ? Peut-être que seules les hommes travaillaient sur le continent. Ce serait étrange, mais Ilona savait que certain peuple avait des coutumes étranges et parfois loin d'être aussi équitable que celles de son propre peuple.
Toutefois, son grand sens de l'observation lui permit bien vite de contredire cette théorie. Alors qu'elle marchait à travers les rues sous ces étranges perches éclairants les rues, elle observa aux travers de plus vitre pour voir la vie se dérouler à l'intérieur des baraques. Elle put ainsi voir que dans ces petites maisons seules les femmes s'afféraient activement, faisant toutes sortes de tâche ménagère. Mais elle se dit que si elle ne voyait aucun homme s'activer, c'était une malheureuse coïncidence. Après tout, elle ne pouvait pas être assez indiscrète et bien observer chaque maison.
Sa curiosité la poussa à aller vers un quartier plus brouillant et plus lumineux. Et petit à petit, l'exaltation de la nouveauté s’atténua et elle commença à s'apercevoir que tout n'était pas beau et intéressant. La première chose qui la marqua, c'est le regard méfiant qu'on lui lançait. On la regardait comme une pestiférée, ce n'était pas de la curiosité dans leurs yeux, mais une immense méfiance ressemblant presque à de la peur. Elle ne s'en inquiéta guère. Elle avait conscience qu'elle dénotait, cachée sous sa lourde cape. Elle devait sembler louche.
Elle se concentra davantage sur le quartier qu'elle traversait. Très vite, elle trouva enfin sa première taverne. De ce qu'elle avait lu, c'était dans ces lieux que le sort venu tous les habitants se réunissait pour partager de la ripaille et les nouvelles. Cela devait ressembler au réfectoire de la barge. Elle hésita à rentrer pour poursuivre ses observations, mais elle renonça. Elle avait entendu dire que l'argent était très important pour pouvoir rentrer dans ce bâtiment. Alors, elle choisit plutôt de s'installer dans un coin sombre en face du grand bâtiment plein de vie.
De son poste d'observation, Ilona regarda avec attention cette première communauté terrestre qu'elle rencontrait. Cette longue observation lui permit de remarquer d'autre point négatif. Notamment l'odeur. Elle ne s'était pas attendu à cette odeur ignoble qui agressait ses narines. C'était un mélange de relent de pisse, de vomi, de pourriture et bien d'autres odeurs désagréables dont elle ignorait même l'existence. Elle ne connaissait aucun endroit sur la barge où les odeurs étaient si fortes, entêtante et horrible. Même les rares fois où elle avait été condamnée aux corvées de sanitaire, elle n'avait pas senti de telles odeurs.
Puis quand elle put ignorer ces relents, elle remarqua le comportement étrange de certaine personne. Elle était habituée au comportement calme et naturellement bon du peuple de la mer. Jamais, elle n'avait été témoin de violente dispute. Des conflits existaient sur la barge comme partout, mais ils ne se résoudraient pas par la violence. De nombreux moyens permettaient au peuple de la mer de résoudre les conflits pacifiquement. Si Ilona avait entendu parler d'un homme qui cherché toujours à se battre, qui cherchait la violence autant dans le conflit, elle savait juste qu'ils avaient fini par être bannis des années avant sa naissance. La survie de la barge passait par son harmonie, son équilibre et sa cohésion.
Pourtant, ici, ces principes ne paraissaient pas respectés. En très peu de temps, elle avait été témoin de nombreuse forme de violence autant physique que moral. D'une petite bousculade méchante et une véritable bagarre avec des nez cassés et du sang. De la petite moquerie mesquine aux brimades collectives et blessantes. Et à chaque fois cette foule. Cette foule qui ignorait ; ignorait les victimes les laissant partir seule, parfois en sang et tenant à peine debout ; ignorait les gestes sordides sur des femmes pas consentantes ; ignorait les pleurs et les blessures. Cette foule qui encourageait ; encourageait les combattants à se battre jusqu'au sang, encourageant les gestes déplacés, encourageait en rigolant aux mots blessants, aux phrases violente.
Plusieurs fois, l'envie d'intervenir avait été si forte que si elle ne s'était pas rappelé la méfiance des zhikerhotes envers les étrangers, elle ne se serait pas retenue. Quitte à prendre un coup, quitte à y perdre un nez. Mais elle ne savait pas se battre et son intervention en tant qu'étrangère ne pouvait qu'aggraver la situation. Alors, elle était restée témoin impuissance de la violence de ce peuple.
Ce qui la fit rester, c'est que, malgré la régularité de ces évènements, ils restaient suffisamment espacés pour qu'elle ait le plaisir d'assisté à d'autre spectacle plus agréable. Un court moment, des danseurs de rue mirent l'ambiance devant la taverne pour inviter les manants à entrer dans la taverne. Puis plus tard, malgré le brouhaha, les rires et les crie, elle parvint à entendre un ménestrel chanter des chansons typiquement zhikerhote. Ilona les écouta avec attention, essayant de les retenir pour pouvoir les chanter à son retour sur la barge.
Elle se surprit à rire en écoutant les chansons à boire, bien que certaines la firent rougir. Non, qu'elle était ignorante des choses osées qu'elle entendit, les gens de la mer n'ont pas de tabou sur le sexe, mais plutôt que certaines choses même dans ce contexte lui paraissait déplacée. Pourtant, elle n'eut aucun mal à en retenir une ou deux histoires de bien rire avec ses amis.
Malheureusement, une dernière bagarre, plus violente encore que les précédentes, vint refroidir son humeur. Moins joyeuse, elle remarqua ce qui la dérangeait depuis le début. À plusieurs reprises, Ilona avait pu voir des hommes, plutôt mieux habillés que la plupart des soiffards rentrant dans cette taverne, arrivaient avec d'autre personne bien moins vêtue. Ces derniers étaient abandonnés par leur compagnon devant la porte et tandis que le bien habillé allait festoyer, le mal vêtu resté avec les chevaux comme s'il n'était qu'une bête. Les passants ne les considérés d'ailleurs guère mieux qu'elles.
Ilona comprit malheureusement enfin de quoi il s'agissait. C'était une des coutumes dont elle avait entendu parler et qui la révoltait. C'était le genre de pratique qui rentrait en totale opposition avec les valeurs du peuple de la mer. Une pratique qu'elle ne pouvait accepter, malgré tous les enseignements de la barge voulant que l'on ne puisse juger une autre culture. C'était révoltant, inhumain et cruel. L'esclavage.
Pour une fille de la mer, l'observer en vrai, ce fut trop. Sur la barge, l'on considérait que tout être pensant devait être égaux. Quelle que soit la naissance, quelle que soit la nationalité, quelle que soit l'ethnie, que l'on soit humain, sirène, nain, elfe ou dragon. L'on était tous égaux. D'ailleurs, dans les barges du peuple de la mer, il n'y avait ni rang social, ni caste, ni fonction plus importante qu'une autre. Pour la survie de la barge, un menuisier était bien aussi important qu'un capitaine. La seule chose que pouvait servir un enfant de la mer, c'était la communauté.
Définitivement refroidi par cette dernière découverte, Ilona se releva vivement. Plutôt que de perdre son temps ici en déception, elle pouvait passer le temps qui lui restait à aller étudier de plus près la faune et la flore locale. Sortir loin de cette ville, de ces odeurs nauséabondes, loin de ces êtres malfaisants. Voir ses animaux magnifiques qu'elle avait toujours rêvés d'observer, admirait les bosquets pleins de fleurs et de plantes dont elle ignorait l'existence.
Ilona n'eut pas le temps de faire quelques pas quand un homme avenant et bien vêtu se présenta devant elle avec un sourire aimable :
— Je te salue, fille de l'eau. Tu viens de la barge qui a accosté ce matin ?
Ilona ne put cacher sa surprise. En plus de ne montrait aucune méfiance ou méchanceté, cet homme s'était adressé à elle en utilisant le dialecte commun du peuple de l'eau. Certes avec un très fort accent et une grammaire hésitante, mais l'effort était louable. Oubliant vite son désire de fuir cette ville et ses habitants, la jeune fille retrouva rapidement son envie et sa curiosité. Elle répondit avec hâte et excitation. Elle choisit de parler le commun qu'elle maîtrisait mieux que le zhikerhote impérial :
— Oui, en effet ! Comment le savez-vous ?
L'empressement et l’excitation de la jeune fille fit rire l'homme. Il appréciait son geste de parler le commun, langue qu'il employa à son tour pour lui répondre avec un sourire toujours plus jovial :
— Quelle drôle de question, remarqua-t-il. Il est rare de voir une si jolie jeune femme avec pareil habillement. Et votre magnifique teinte ne tromperait personne. Et j'ajoute qu'en tant que marchant, j'ai eu la chance aujourd'hui de pouvoir échanger avec votre peuple.
Ilona rougit autant de contentement devant les compliments que de honte devant sa question idiote. Bien sûr, que même avec sa cape, il était évident qu'elle n’était pas d'ici. Il était rare pour un enfant de la mer de quitter sa barge, forcément qu'elle venait de celle qui trempait à l'entrée du port. Mais l'homme eut la bonté d'ignorer la gêne de la jeune fille et de poursuivre.
— Je me présente, je suis Thalgarion, marchant et passionné du peuple de la mer. Mais puis-je savoir qui est cette étrange beauté devant moi ?
Ilona n'avait jamais été à la flatterie, elle savait ce qu'elle valait et elle portait peu attention au regard des autres. Cependant, quand cela venait du premier étranger terrestre avec lequel elle échangeait, cela lui sembla bien plus agréable. Elle avait envie d'y croire. Alors avec joie, elle retira la capuche qui lui dissimulait le visage et put regarder enfin cet homme sans être cachée sous sa cape. Elle répondit en faisant ce qui ressemblait au salut zhikerhote :
— Je suis Ilona, enfant de la barge de Brise-vague. Je suis honorée de faire votre connaissance. Vous êtes mon rayon de soleil, mon espoir dans la nuit ! Je dois vous avouer que si vous ne m'avez pas accosté, je serais partie avec une bien piètre opinion des vôtres. Je suis vraiment contente que vous soyez le premier terrestre à me parler !
— J'avais bien cru voir de la déception sur votre doux visage, répondit-il doucement. Cependant, je dois vous avouer que ce n'est guère étonnant. Vous n'êtes pas arrivé dans un quartier qui mette en valeur notre magnifique ville. À tout dire, vous êtes encore en dehors des murs d'Astremer. Laissez-moi vous montrer les bons côtés de la ville maintenant que vous avait vu le pire.
La fille de l'eau n'hésita pas, ne se posa pas de question. Après cette nuit, elle n'aurait plus de pareille occasion. Et son éducation ne lui avait pas appris la méfiance.
— C'est vrai ? Vous feriez ça pour moi ? S'exclama Ilona dont l'enthousiasme débordait et dont le sourire resplendissait.
— Bien sûr, assura l'homme amusé par son enthousiasme. Laisse-moi juste prévenir mon compagnon et nous pourrions y aller.
Sans plus attendre, Thalgarion s'éloigna pour rejoindre un homme qui se tenait à quelques pas de là et qu'Ilona n'avait pas encore remarqué. Ce nouvel homme était élégamment vêtu bien que sa tenue n'était en rien comparable avec celle de son compagnon. Ilona le trouva moins avenant que Thalgarion, mais n'y prêta pas attention. Elle savait qu'il ne fallait pas juger trop rapidement les gens. Elle se contenta donc de les observer de loin ne pouvant entendre leur conversation.
Elle ne remarqua pas alors que plutôt que de s'adresser à lui comme à un compagnon, Thalgarion parler comme un supérieur à un subordonné. Elle ne comprit pas non plus le regard que lui lança cet homme. Un regard qui ressemblait plus à celui que lui avaient lancé les autres passant que celui que lui accordait Thalgarion. Mais rien ne pouvait faire déchanter la fille de la mer.
L'homme se retira enfin, laissant Thalgarion seul avec Ilona. Le zhikerhote revient vers elle ayant retrouvé son sourire bienveillant.
— J'espère que tu excuseras mon collaborateur. Il est bien moins social que moi et à préférer rentrer devant.
Secouant la tête, Ilona se concentra sur le visage calme, avenant et plein de sympathie de son nouvel ami. Elle avait bien ressenti une drôle de sensation quelque peu désagréable à la vue de cet homme et son collaborateur discuter. Mais elle l'oublia aussitôt quant elle fut remplacée par la joie de faire de nouvelles découvertes.
— Je peux comprendre. Je ne veux pas l'importuner.
— Oublions donc ce rabat-joie et commençons donc notre visite !
Tout en discutant joyeusement, il entraina la jeune fille dans des rues de plus en plus éclairée jusqu'à ce qu'ils arrivent devant une grande porte dans de haut rempart. Malgré l'heure tardive, les portes étaient encore ouvertes et les gardes laissaient pénétrer les passants sous un regard sévère. Quand, la fille de la mer s'inquiéta de savoir si elle aurait le droit de rentrer, le marchant la rassura, lui assurant que les gardes le connaissait bien et qu'ils étaient aussi au courant pour la barge. Pour autant, elle se crispa en passant sous le regard des hommes d'armes. Pour cacher sa peur grandissante, elle baissa le regard. Elle ne remarqua donc pas les gardes salués cérémonieusement son guide.
Elle ne redressa la tête qu'une fois la porte fortifiée loin derrière. Thalgarion se moqua gentiment d'elle, avant de poursuivre leur visite l'air de rien. Cette balade était bien plus enrichissante maintenant qu'elle avait un guide. Elle se rendit compte que jamais, elle ne serait arrivée ici sans lui. En passant les remparts, ils étaient arrivés dans une tout autre ville. Ici, il n'y avait plus de petite baraque de bois, mais de belle maison de pierre. Ici, les rues n'étaient plus faites de boue et de terre tassée, mais était parfaitement pavé. Ici, les perches qui éclairaient les rues, qui s'appelait d'après son guide lampadaire, était bien plus nombreux et n'était plus alimenté à l'huile, mais au gaz.
Ils traversèrent un quartier d'habitation calme et silencieux. Les rues étaient propres et sentaient bien meilleurs. Ils y croisèrent quelques hommes, mais aucune femme. Tous ces hommes cachèrent bien plus leur ressentiment que ceux du port de pêche. plutôt que de montrer leur méfiance et leur mépris, ils se contentaient de détourner le regard. Puis, ils arrivèrent dans un quartier plus vivant. Thalgarion lui montra des auberges et des tavernes bien mieux tenues que celle qu'elle avait observée. Si en apparence, il semblait y avoir moins de violence. Mais Ilona trouva triste qu'il y ait également moins de joie et de rire. Bien qu'encore bien animé, les gens gardaient une certaine tenue et noblesse.
— Alors, n'est-ce pas mieux ? Demanda son guide.
— En effet, ça sent bien meilleur, répondit-elle tandis que son estomac grondait à cause de la bonne odeur de ripaille qui flotté autour d'eux.
Thalgarion éclata de rire.
— En effet, à l'intérieur des remparts, vous ne trouverez pas de quartier aussi mal odorant que celui part lequel vous êtes arrivée. Mais, je vois que votre ventre crie famine. Puis-je vous inviter à partager un repas typique d'Astremer ?
— C'est une proposition gouteuse, bien sûr que j'accepte.
Mais, malgré son enthousiasme, la jeune fille avait une grande curiosité et elle ne put s'empêcher de poser une question :
— D'où vient une telle différence ? Pas juste pour l'odeur. Je n'ai pas l'impression de croiser les mêmes personnes depuis que nous avons passé les murailles. Les habitations ne sont plus les mêmes.
— Question intéressante. Vous parlez bien le commun, vous semblez également vous débrouiller en zhikerhote impérial. Vous avez beaucoup d'autre connaissance technique sur l'empire. Mais je dois dire qu'il est étonnant que vous vous posiez des questions qui sembleraient évidentes pour n'importe quel autre peuple de continent.
— Pourtant, j'ai lu beaucoup de livre sur le continent. Mais, je ne crois pas avoir lu beaucoup de livre sur l'organisation de vos villes.
— Il y a une grande différence entre la ville intramuros et les quartiers extérieurs. Les remparts offres une protection et pourvoir en bénéficier demande de l'argent. Les habitations et les commerce coûtent plus cher à l'intérieur. En habitant dans les remparts, il faut pouvoir payer les taxes. Quand des individus veulent profiter de la ville, mais ne peut pas habiter ou faire commerce dans les remparts, il s'installe à l'extérieur. Ce sont des quartiers pauvres. De plus, ils ne payent pas d'impôts, donc ce n'est pas à la ville de gérer les infrastructures. Intramuros, en plus des patrouilles assurant la sécurité, le gouverneur et son prédécesseur se sont assurés de la propreté des rues en faisant installer un système d'égout. Et vous auraient peut-être remarqué que les lampadaires du centre fonctionnent tous à la magie.
Le regard d'Ilona se porta sur les lampadaires qui étaient à présent bien plus jolis. C'était de magnifique poteau en métal surmonté d'un orbe magique. Mais elle ne se laissa pas éblouir par leur beauté, trop concentrée à essayer de comprendre l'explication de son guide. En tant qu'enfant de la mer, elle ne comprenait pas bien le principe de pauvreté et de richesse. Elle essaya donc à son tour de faire comprendre à son guide ce qui l'a perturbé :
— Dans la barque, nous vivons tous équitablement. Nous n'avons pas besoin d'argent. En fait, c'est plutôt la communauté qui nous donne tous ce qu'on a besoin. Logement, nourriture, vêtement… Je trouve que c'est mieux. Il n'y a personne qui souffre ainsi.
Le zhikerhote ralentit le pas. Visiblement, tout comme la jeune fille, il avait du mal à comprendre comment une société pouvait être aussi différente. Il la regarda avec intérêt tout en ne cachant pas qu'il était dubitatif.
— Ce système doit fonctionner, car vous êtes peu nombreux, analysa-t-il.
— Nous ne sommes pas si peu nombreux que ça. Il y a plus de mille deux cents individue et nous pourrions être bien plus nombreux. J'ai cru comprendre que beaucoup de vos villes sont aussi, voire moins peuplé que nos barges.
Ilona parla avec fierté, Brise-vague n'était une si petite barge.
— Alors, il doit y avoir des membres de votre communauté qui profite de ce système, répondit simplement Thalgarion.
Ilona s'esclaffa si fort qu'elle dut s'arrêter.
— Bien sûr, que certain profite. Je pense même que nous profitons chacun du système et c'est ça qui est beau. En dehors des tâches communautaires, je suis libre comme le vent. Ou du moins, je le serais quand j'aurai fini mon éducation. Mais je sais que je ne pourrais pas m'empêcher de participer à la vie de l'académie. L'humain ne peut rester sans rien faire et il est étonnant de voir que ce qu'il fait quand il est libre est presque plus utile pour la société que s'il est forcé de le faire pour se nourrir.
— Je suis tout de même certain qu'il y en a qui profite des avantages sans participer.
— Bien sûr, répondit à la jeune fille devant ce qui lui semblait être une évidence. Moi-même, par période, je profite de ce système. Nous sommes humains. Et après, il y a les gens comme le vieux Almi. Il a toujours une excuse pour esquiver ses corvées. Il était malade, blessé, pas au courant… Il n'est d'ailleurs pas vieux, c'est juste qu'il se plaint plus qu'un vieux.
Ilona pouffa au souvenir de ce personnage excentrique. Mais ce qu'elle venait de dire laissé Thalgarion perplexe :
— Ne trouves-tu pas ça injuste qu'il reçoive les mêmes avantages que toi alors qu'il ne fait rien ?
Ilona le regarda, confuse. Elle n'avait jamais pensé ainsi. Tout comme elle n'était pas jalouse, elle ne jugeait pas les autres.
— Je ne vois pas le problème. Le système fonctionne bien malgré lui. Et ne serait-il pas plus injuste de privé tout le monde parce qu'un seul ne respecte pas les règles ? Et puis, il a aussi ses propres moyens pour participer à la vie de la communauté. Il invite de magnifiques histoires et qui fait rêver petit et grand lors des veillés. Et finalement, les belles histoires sont aussi importantes qu'un bon repas !
Thalgarion resta dubitatif, mais préféra ne rien répondre pour la laisser profiter du nouveau spectacle qui lui faisait face.
Ils venaient tous juste de débarquer sur une immense place lumineuse comme en plein jour. Au centre de la place, mis en valeur par une étrange magie, trônait une colossale statue d'un homme agenouillé, le visage plein de bonté levé vers le ciel, les mains jointes. C'était une véritable œuvre faisant appel à la foi. Même Ilona, n'ayant aucune religion, fut inspirée par cet homme.
— C'est l'élu qui fondée cette ville portuaire, expliqua Thalgarion prenant une voix empreint de respect. C'était un prophète. C'est Dieu lui-même qui lui aurait indiqué l'endroit parfait pour faire un port de pêche alors que son peuple mourrait de faim sans trouver un poison. En s'installant ici, la pêche devient abondante. D'ailleurs le nom de la ville d'Astremer vient de cet élu. L'élu Astrius qui à sa mort devient le saint Astrius.
Ilona, passionnée d'histoire et de légende, l'écouta avec attention. Cependant, si son guide semblait persuadé de lui compter une histoire véridique, elle n'y vit qu'un mythe fondateur. Intéressant certes, mais guère original. Elle devait néanmoins reconnaître qu'elle pouvait voir dans la statue quelque chose de presque divin. Une magie était sans nul doute à l'œuvre. Et le savoir ne gâchait rien à sa beauté.
Beauté qui entrait en résonance avec la magnificence du grand temple qui dominait cette place. Ilona n'avait jamais vu en dehors des livres de monument religieux. Elle ne put qu'admiraient la grandeur et la splendeur de cet édifice. Elle avait du mal à comprendre pourquoi se donnait tant de mal pour un édifice sans réel intérêt pour la communauté. De ce qu'elle avait lu du dieu zhikerhote, il ne réclamait pas spécialement ce genre d'édifice, une petite chapelle pour le prier suffirait.
Elle ne dit cependant rien de sa pensée par respect pour son guide qui lui croyait profondément.
— Quelle magnifique temple, complimenta-t-elle.
Thalgarion rit.
— Tu as tellement douée en commun, que je me demandais si tu étais réellement humaine. Que tu fasses enfin une faute me rassure !
— Ah bon ? Ce n'est pas un temple ?
— C'est bien un bâtiment religieux. Mais le terme temple s'utilise pour parler des lieux païens. Temple désigne des lieux où l'on prit des dieux hérétiques. Pour un lieu dédié au seul et vrai Dieu, l'on dit plutôt église. Ici, tu as face à toi une cathédrale comme c'est une église qui est le siège d'un élu.
Ilona hocha la tête, heureuse d'apprendre de nouvelles choses, mais très frileuse d'aborder ce genre de sujet. En effet, comme tous les enfants de la mer, elle ne croyait en aucune divinité. Or, elle savait que les zhikerhotes avaient tendance à détester les athées encore plus que les hérétiques.
— Nous sommes bientôt arrivés dans mon humble demeure. J'espère que vous avez toujours aussi faim !
En effet, ils n'eurent qu'à monter le long d'une grande avenu pour arrivée face à une immense bâtisse. Aussi grande qu'une section de la barge. Ce manoir de cinq étages, richement décoré de sculpture et de dorure, dominait la ville de sa majesté. Les lumières des lampadaires magiques qui l'éclairaient se reflétaient dans les dorures, donnant l'impression que la bâtisse brillait d'elle-même.
Ilona s'arrêta, stupéfaite que son guide, qu'elle considérait comme un simple marchand, vive dans un aussi grand manoir. Ils se tenaient devant un immense portail, magnifiquement ouvragé, gardé par une armée de garde. Thalgarion ne prêtant pas attention au trouble de son invité passa devant les gardes qui le saluèrent et entra sur le domaine comme si de rien n'était. Voyant que personne ne l'arrêtait, Ilona finit par le suivre, trottinant pour le rattraper, mais n'osant pas poser de question, soudainement gênée par son interlocuteur.
Thalgarion, lui aussi, devint plus avare de parole. Il lui expliqua une ou deux choses, mais il se comportait à présent différemment. Il lui semblait plus distingué, plus droit et plus inaccessible. Ils arrivèrent devant de grandes portes en bois massif parfaitement ouvragé. Devant cette porte, plusieurs personne paraissaient attendre le retour de Thalgarion. Ils s'empressèrent de débarrasser les deux nouveaux arrivants de leur cape et manteaux. Aucun d'eux ne prêta attention à la tenue de la fille de la mer et ils s'éclipsèrent rapidement.
— Bienvenue dans mon humble demeure. J'espère que tu t'y sentiras à l'aise. Un bon repas nous attend. J'ai hâte de savoir ce que tu penses de la cuisine de mon chef.
Pour la première fois, Ilona fut prise d'une soudaine envie de faire demi-tours. Un instinct qu'elle ne connaissait pas lui souffla qu'il était l'heure pour elle de rentrer. Pourtant, malgré son malaise, la tentation d'un repas zhikerhote était bien trop forte. Et Thalgarion c'était jusqu'à présent montré être un parfait guide plein d'esprit et de savoir. Il s'était montré poli et patient, là où tous les autres l'avait regardée comme un monstre. Il n'avait rien fait qui puisse éveiller sa méfiance.
Prenant sur elle pour garder le sourire et restait guillerette, elle suivit son guide, ne remarquant pas le sourire de ce dernier. Un sourire qui n'avait plus rien de chaleureux. Un sourire victorieux.
L'intérieur de ce manoir était tout aussi grandiose que l'extérieur. Partout où ils passèrent, la décoration était aussi élégante que riche. Ilona put admirer des œuvres d'art comme elle n'en avait jamais vu. Des vases et des porcelaines qui auraient pu venir des meilleurs artisans féänorien. Le tout était parfaitement agencé pour ne pas donner l'impression d'être dans une surenchère de richesse.
Bientôt, ils arrivèrent dans une grande pièce que son guide lui présenta comme la salle à manger. La pièce était si grande qu'elle aurait pu accueillir une vingtaine de convives. Les y attendait une petite armée de serviteur qui s'empressèrent de leur tenir les chaises pour qu'ils s'installent à table alors que le couvert était déjà mis. Son guide, parfaitement dans son élément, s'installa en bout de table, l'invitant à s'installer à ses côtés. Bien qu'Ilona trouva cela gênant qu'on lui tente un siège pour s'asseoir, comme si elle ne pouvait pas le faire seule, elle s'assit à son tour avec un sourire gêné.
Aussitôt qu'ils furent installés, la petite armée de serviteur se mirent en branle pour remplir la table de met qui semblaient tous plus intéressants les un que les autres. Puis leur assiette furent remplies à leur tour sans qu'Ilona n'ait rien eu à faire. La fille de l'eau essaya de se concentrer sur les plats plutôt que sur le malaise qu'elle ressentait à être servi. Par chance, un chaque plat qui se trouvait devant elle était une découverte alléchante. Elle ne connaissait de ces plats ni l'odeur ni la forme. Elle n'aurait pu dire ce qu'elle avait devant elle, ce qui raviva en elle sa curiosité naturelle, oubliant tout mal-être.
Elle prit de petites bouchées pour déguster et elle ne fut pas déçu. Elle fut surprise d'être autant dépaysée. Sur la barge, en plus de spécialité du peuple de la mer, l'on mangeait de la cuisine de tout le continent. Pourtant, jamais, elle n'avait mangé de chose semblable. C'était une explosion de goût et de sensation. Elle en était tellement subjuguée qu'elle sursauta quand son hôte repris la parole.
— Vous ne m'avez toujours pas dit pourquoi vous avez quitté la barge en douce ?
Ilona rougit, honteuse de son comportement. Elle l'avait totalement oublié, trop concentré à découvrir de nouvelles saveurs. Elle bégaya :
— Comment savez-vous que je suis partie en douce ?
— Je te l'ai dit, je suis me suis beaucoup intéressé à votre peuple. Je ne suis pas sans savoir que vous ne débarquez jamais seul, que vous ne restez pas sur la terre ferme la nuit et que cela s'applique d'autant plus à une enfant comme toi.
La belle peau ébène d'Ilona se fonça davantage sous la honte qu'elle ressentait. Il en savait bien plus qu'elle n'avait imaginé. Elle avait presque honte d'admettre qu'il avait raison alors, elle contra de manière enfantine :
— Je serai adulte dans deux mois, remarqua-t-elle boudeuse.
— Je n'en doute pas, mais cela n'exclut pas les autres points. Vous ne devrez pas être ici.
Soudainement extrêmement concentré sur son assiette, Ilona répondu tout de même.
— J'ai toujours eu une grande curiosité pour le monde terrestre. J'ai lu tout ce que je pouvais sur le continent. J'avais même pour vocation de devenir chasseuse, cueilleuse, marchande, interprète ou toute autre profession qui me permettrait de descendre sur terre. Découvrir la faune et la flore en dehors des bouquins. Pouvoir échanger avec d'autre peuple, découvrir d'autre manière de vivre. Tout cela me passionne.
— Cela explique toutes les connaissances que tu possèdes malgré ton jeune âge. Et pourquoi tu parles si bien le commun.
— Exactement ! s'écria Ilona heureuse d'être comprise et oubliant sa honte. J'ai fait tant d'effort pour pouvoir faire partie des équipes de débarquement ! Et pourtant, tous mes efforts ont été vainc. Je suis condamné à devoir rester sur la barge. C'est injuste !
— Pourquoi ? Je veux dire, aujourd'hui, j'ai rencontré beaucoup de personne de ta barge qui ne maitrisait pas aussi bien le commun ou le zhikerhote impérial que toi.
— Je suis bien d'accord, s'exclama la jeune fille avec colère. Tout ça parce que l'on a décidé à ma place que je devais être une choriste !
Une drôle de lumière éclaira le regard de Thalgarion, mais la jeune fille dans sa révolte ne l'entendit même pas répéter dans un souffle :
— Une Choriste…
Il dissimula son sourire en coin dans ses mains et reprit d'une voix taquine :
— Je croyais que vous étiez tous libres de vos choix dans la barge. Il ne semble que tu me l'as répété à chaque fois que l'on a croisé un esclave. Les choristes seraient-ils l'exception à cette liberté ?
Ilona fronça les sourcils et se mordit la lèvre. Elle n'aima guère la sensation qu'elle ressentit quand le zhikerhote mis en avant les incohérences de son peuple. Elle savait qu'il avait raison. Tous les enfants de la mer étaient libres de leur choix tant que cela n'entrave pas la liberté des autres. Pourtant, le statut de choriste est une exception à la liberté. Le chœur était si important pour la survie de la barge que c'était devenu une exception. En général, cela ne posait pas de problème. Très peu refusait d'entrer dans la chorale, et l'honneur que c'était de devenir choriste, compenser l'interdit de descendre de la barge.
Elle répondit :
— Il est vrai qu'il est interdit pour un choriste de sortir de la barge. Mais c'est là la seule restriction qu'ils reçoivent. Et cela convient à la plupart. D'ailleurs, nous ne sommes pas nombreux à souhaiter descendre de la barge.
— Mais c'est différent pour toi, remarqua-t-il.
Ilona grimaça :
— En effet. Je ne voulais pas devenir choriste. Malheureusement, choriste et musicien sont également les deux postes qu'un individu ne peut pas refuser. Chaque membre du chœur est choisi pour son harmonie avec le reste des choristes et des musiciens. C'est vital pour la survie de la barge.
— Le devoir est dans ce cas plus important que la liberté, comprit-il. C'est quelque chose que je comprends.
Ilona grimaça de nouveau. Elle n'était pas sûre d'apprécier le concept de devoir.
— Et tu n'as jamais pensé quitter totalement le Brise-vague pour échapper à ton devoir ? Lui demande-t-il avec un drôle de sourire.
— Bien sûr que non, répliqua Ilona un peu outré.
— C'est bien dommage…
Avant qu'elle ne comprenne réellement les propos de son hôte, Ilona sentit que sa tête commençait à tourner. Et elle tenta de se lever. Tout tournait autour d'elle. Elle se sentit nauséeuse et sa vision se troubla. Elle bégaya :
— Je… Je me sens fatiguée. Il faut que je rentre.
Des points noirs apparurent dans sa vision et la fatigue fut si forte qu'elle s'effondra avant même d'avant même de pouvoir se rasseoir. Thalgarion la rattrapa avant que son corps s'effondre sur le sol. Il l'assit sur son siège, lui caressant la joue, il chuchota en souriant :
— Je crains malheureusement qu'il te faille rester plus longtemps à terre, naïve petite fille.
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