Chapitre 4 : La chambrette

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Une fois hors du bureau, le regard de Roan sur Ilona changea. Si l'izar l'avait ignoré en présence de Thalgarion, ne lui lançant qu'un regard indifférent, il la regardait à présent avec haine et méfiance. La jeune fille fut surprise, elle ignorait pourquoi elle avait le droit à un tel regard de la part de quelqu'un qui devrait pourtant comprendre ce qu'elle ressentait. N'avait-il pas était dans la même situation ? Pourquoi semblait-il véritablement vénéré l'élu ? Elle ne réagit cependant pas. Elle était empreinte d'une grande lassitude et l'échange qu'elle venait d'avoir avec son ravisseur n'avait fait qu'ajouté de la fatigue à celle qui l'accompagnait depuis qu'elle était sortie de la cage. 

— Ne te croit pas plus importante que tu ne l'es ! Cracha violemment le jeune féänorien. Son Excellence est curieuse envers toi, mais dès qu'il découvrira que tu n'as rien d'autre pour toi que ta mémoire, il se lassera !

Ilona le regarda surprise, elle ne savait que répondre. C'était bien la première fois qu'elle était directement confrontée à de la méchanceté. Jamais, on ne l'avait agressé de cette façon. Mais elle ne parvenait qu'à penser au lit qu'on lui avait promis loin de sa cage. Elle ne pensait qu'à un long sommeil réparateur. Elle marmonna finalement poliment :

— Je me plierai en bon vouloir de Son Excellence.

C'était un mensonge, bien évidemment, mais elle espérait que cela suffise pour calmer l'homme qui lui faisait face et qu'il l'emmène enfin dans sa chambre.

Le ton calme et le manque de réaction de la jeune fille déstabilisa Roan qui, après l'avoir longuement observé d'un œil méfiant, finit par prendre enfin le chemin de la chambre de la captive, n'oubliant pas de la bousculer au passage, maquant de la faire tomber. Contrairement à son maître, il marcha d'un pas rapide, sans prêter attention à Ilona. Cette dernière, entravée par ses chaines, subissait encore le contre coup de son enfermement et avait toutes les peines du monde de suivre ses immenses enjambées, de ses petits pas.

C'est essoufflé, les chevilles en feu, au milieu d'un escalier, qu'elle finit par s'arrêter, ayant perdu de vue son guide. Effrayée de commettre un impair qui pourrait la renvoyer dans la cage, elle se mit à trembler. Si elle essayait de retrouver son chemin et qu'on la surprenait à un endroit où elle ne devrait pas être, elle risquait de se faire accuser d'espionnage, de vol ou de vouloir fuir. Mais si elle ne bougeait pas, elle tendait le bâton pour se faire battre à l'izar qui semblait avide de s'en saisir. Elle choisit cependant le mépris de Roan à la colère de son maître et s'adossa sur un mur en profitant pour respirer.

Il fallut peu de temps pour voir l'izar surgir dans les escaliers, le visage rouge et le regard rempli de colère et de haine :

— Tu n'es même pas capable de suivre un ordre aussi simple que de me suivre ! Aboya-t-il plein de mépris. Tu es vraiment un incapable ! Tu n'apporteras que des problèmes au maître !

Ilona fatigué avait presque envie de lui rire au visage qu'elle ne souhaite pas mieux pour son ravisseur. Mais avant même qu'elle puisse songer à le faire, il l'attrapa fermement par le bras et la tira à sa suite. Il ne soucia ni des chaînes qui l'entravaient ni de son essoufflement, marchant à grand pas, insultant et jurant à chaque fois qu'elle trébuchait.

Ilona, les larmes aux yeux à cause de la douleur comme de la tristesse, fit de son mieux pour rester debout. Elle ne doutait pas que si par malheur, elle s'effondrait, il n'hésiterait pas à la trainer par terre. La torture prit fin quand ils arrivèrent dans un sombre couloir menant à de nombreuses portes toutes numérotées. Il la lâcha si violemment qu'elle faillit s'effondrer pour aller ouvrir une porte. Puis, il la projeta sans ménagement dans la petite chambrette et sans qu'elle ait eu le temps de comprendre, il aboya :

— Je viendrai te chercher demain aux deuxièmes cloches du matin et je t'emmènerai à l'église. Tu as intérêt à être propre et bien habillée, je ne supporterais pas plus longtemps ta puanteur !

Et la porte claqua, laissant Ilona seule et totalement déboussolée. Ce monde terrestre qu'elle avait tant rêvé, tant idéalisé était bien trop complexe et elle ne parvenait plus à comprendre. Son ravisseur, l'homme qui l'avait enfermée et qui voulait faire d'elle son esclave, n'avait cessé d'être gentil, patient et prévenant depuis qu'il l'avait sortie de la cage, si bien qu'il lui fallait se concentrer pour ne pas oublier que c'était aussi lui qui l'y avait enfermée. Et l'homme qui avait sans aucun doute subi le même sort qu'elle, l'homme qui avait également été arraché aux siens et à sa culture, l'homme qui aurait dû la comprendre et compatir, cet homme-là était méchant et odieux avec elle, s'amusant à la martyriser. C'était incompréhensible, surtout pour une fille de la mer qui avait toujours vécu protéger de tout cela.

C'est dans cet état de fatigue et d'hébétude qu'elle finit par se retourner et observer la pièce dans laquelle elle se trouvait. C'était une chambrette bien plus petite que la chambre d'enfant qu'elle occupait dans la barge. La pièce était à peine assez grande pour contenir le lit, l'armoire et le petit bureau qui l'occupé. C'était tout juste si l'on pouvait passer entre le lit et l'armoire pour atteindre la petite fenêtre devant laquelle se tenait la table que l'on pouvait à peine appeler bureau.

Avant même d'y penser, elle se retrouva à genou sur la petite table, le nez écrasé contre la vitre et le regard s'abreuvant de tous ceux qu'elle pouvait voir. Si la fenêtre n'avait pas était bloqué, elle aurait passé la tête dehors pour enfin sentir la brise. Mais enfin, elle pouvait voir autre chose que la pénombre et quatre murs, enfin son regard perçant pouvait voir le monde ! Le paysage qu'elle pouvait percevoir, même derrière les barreaux, lui réchauffa le cœur et lui fit oublier pour un temps ses malheurs.

Elle se trouvait sûrement au troisième ou quatrième étage et elle avait une vue plongeante sur toute la ville jusqu'à la mer. Elle observa la ville fourmillant encore sous les lumières rougeoyantes du couché de soleil. Malgré les ombres s'allongeant, la cité était en pleine effervescence. Elle pouvait voir le port profitait de la marée haute pour faire rentrer les derniers navires avant que la nuit rende trop compliqué la navigation. Elle pouvait voir les beaux quartiers et les bourgeois qui s'y promenaient profitant du temps doux. Elle voyait aussi plus difficilement les dockers s'activer pour rentrer des caisses dans les entrepôts. Les lampadaires s'allumèrent un à un, éclairant les nombreuses voitures et calèches qui se trouvaient difficilement à passage parmi les piétons. Ilona reconnaissait la plupart des véhicules, car elle les avait vus dans des livres, mais elle n'avait jamais vu, c'est drôle de calèche qui avançait sans cheveux. Elles devaient fonctionner grâce à la magie, mais la magie est rare dans l'empire, où trouvait-il la source de suffisamment de magie pour les lampadaires et ses véhicules sans mages. Même les pierre de magie s'épuise rapidement et nécessite des mages pour les remplir.

Ce n'était nullement étonnant qu'Ilona puisse voir tous ces petits détails. Elle ne savait pas si c'était un don de la nature ou un talent acquis grâce à des années d'observations depuis les vigies, mais elle possédait une excellente vue. Elle avait passé tant de temps à observer le continent puis la barge qu'elle était capable de voir des détails infimes. De sa petite lucarne, elle pouvait même différentier les commerçants qui fermaient boutique après une bonne journée pleine de bénéfice et qui fermait, dépité d'avoir peu vendu. Elle pouvait savoir quels couples de bourgeois marchaient en partageant un amour réel et lesquels n'étaient que faux semblant. Elle ne devinait pas cela à leur visage, aussi bonne que soit sa vision, cela restait loin. Non, elle pouvait comprendre leur état d'esprit à leur démarche.

Son regard fut soudainement attiré par une minuscule silhouette qui descendait rapidement des remparts séparant le port de pêche du grand port commercial. Elle l'observa plus attentivement, surprise que personne n'ait parue remarquer cette silhouette qui se faufilait à présent entre les caisses de marchandise, profitant des ombres du crépuscule pour passer inaperçu. Elle la regarda passer de caisse en caisse avant de reprendre le chemin par lequel elle était arrivée. Il n'y avait eu qu'un seul témoin de cette scène et c'était la fille de la mer. Elle resta perplexe devant cette scène.

En réalité, c'était une scène qu'il lui était familière. C'était une scène qu'elle avait déjà eu l'occasion d'observer depuis les vigies de Brise-vague. C'était d'ailleurs comme ça qu'elle avait appris ce qu'était réellement le vol. La silhouette qu'elle venait de voir semblait trop petite pour être un adulte, et si elle était trop loin pour le voir, elle savait que cet enfant n'était vêtu que de haillon. Du moins c'était ainsi qu'étaient vêtus les autres enfants qu'elle avait vu commettre des vols. Dans la barge où `presque tout appartenait à la communauté, c'est-à-dire appartenait à la fois à tous et à personne, et où le reste était partagé gratuitement avec équité, le vol n'existait quasiment pas. Personne ne manquait de rien, donc dans la grande majorité des cas, le vol relevait d'un malêtre de la personne et il existait des choristes et des médecins spécialisés pour les aider. 

Ilona avait cependant remarqué, que dans le monde terrestre, le vol était bien plus courant. Et elle comprenait parfaitement ce qui pouvait pousser des enfants et même des adultes à voler. Ce qu'elle ne comprenait pas, c'est pourquoi la seule chose que choisissait de faire la plupart des peuples terrestres, c'était de les condamner à des peines qui souvent aggravaient leur situation plutôt que de régler le problème à la base et de leur proposer de la nourriture et des vêtements décents.

Mais ce qui révoltait davantage Ilona, c'était de ce souvenir du nombre de gamins déguenillé qu'elle avait croisé durant sa courte visite dans le quartier des pêcheurs. Si sur la barge tout le monde vivait équitablement, l'on prenait encore plus particulièrement soin des enfants. Aucun ne souffrait de faim, d'habit et même d'amour. Les orphelins étaient chéris comme les enfants de la barge et étaient aimés d'autant que les autres. Pour Ilona, abandonner des enfants à leur propre sort était aussi révoltant que de mettre d'autres individue en esclavage. 

Alors qu'Ilona était encore plongée dans cette contemplation quand la femme entra dans la petite chambrette. Comme à son habitude, la femme portait le plateau repas. Toutefois, Ilona, plongée dans ses pensées, ne l'entendit même pas entrer. En douceur, la femme déposa son plateau sur le lit et s'approcha de la jeune fille. Ilona sursauta vivement en sentant une main se déposer sur son épaule. 

— Mademoiselle, je vous ai apporté votre repas. 

Ilona se retourna brusquement. La femme avait parlé. Et la femme la regardait. Elle lui portait un regard d'un noir plein de compassion. La femme lui sembla soudainement plus douce, plus gentille. 

— Comment vous appelez-vous ? Demanda aussitôt Ilona sans même descendre de son perchoir. 

— Il ne faut pas que vous me vouvoyez, remarqua d'une voix douce la femme.

Ilona fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi elle lui demandait cela, mais elle insista :

— Comment t'appelles-tu ? 

— Je n'ai pas de nom, mademoiselle.

— Je ne comprends pas. Tout le monde à un nom. Dans toutes les cultures que j'ai étudiées, l'on porte des noms. Cela peu varié, l'on n'y porte pas toujours la même valeur, le même sens. Parfois, cela ressemble plus à un surnom qui représente la personne qui le porte. Parfois, le nom représente sa lignée, son appartenance à un clan ou une famille. Dans certaines cultures, notre nom change en fonction des étapes de notre vie. Le plus souvent, le nom est donné à notre naissance par nos parents, mais parfois ce sont les chamanes, chefs de village ou tribu, ou bien la personne lui-même qui se donne un nom. Mais tout le monde porte un nom !

La femme lui sourit tristement :

— Je ne suis qu'une esclave de bas rang, je n'ai donc pas de nom, mademoiselle, répéta-t-elle. Pour me nommer, l'on utilise le matricule que j'ai reçu à la naissance.

Ilona ne comprenait pas. Ilona ne voulait pas comprendre. Elle avait entendu dire que les terrestres, y compris les zhikerhotes, avait parfois des animaux domestiques à qui il donnait un nom, alors comment pouvait-il ne pas nommer un humain ? 

— Mais quand tu es née, tes parents ne t'ont pas donné de nom ? 

— Je suis née esclave, dès que ma mère a fini de m'allaiter, je lui aie été enlevée. Je ne la connais pas. Et en tant qu'esclave, je dois le mériter pour avoir un nom. Toutefois, par simplicité, l'on peut également me nommer par le poste que j'occupe. En ce moment, je vous sers donc je suis esclave d'Ilona.

Cette réponse glaça le sang d'Ilona. Elle ne voulait pas que son nom soit utilisé pour cela. Elle ne voulait pas que cette femme soit définie par le fait de la servir. Son imagination ne suffisait même pas pour comprendre comment une culture puisse en arriver là. 

Profitant du silence de la jeune fille, la femme désigna le plateau :

— Je vous pris de commencer votre repas, mademoiselle. Il risque de refroidir. 

Toujours agenouillé sur la petite table, Ilona porta son regard sur le plateau. Elle était trop secouée pour pouvoir continuer à penser. Elle remarqua enfin que le plateau que lui avait apporté la femme n'avait rien avoir avec ceux qu'elle lui portait dans la cage. L'écuelle débordée d'un ragout encore fumant et fort appétissant. Le bol était accompagné d'une belle tranche de pain frais et d'un bon morceau de fromage. Au bord du plateau, un fruit magnifique, mur et bien juteux attira son regard. 

Ilona sauta enfin du bureau. Debout devant la femme, elle demanda une dernière fois :

— Comment dois-je t'appeler ?

— Si vous avez besoin de m'apostropher, femme ou esclave conviennent parfaitement.

— Il n'en est pas question ! s'exclama Ilona outrée, ne pouvant s'imaginer appelait quiconque ainsi. 

— Comme il vous plaira. Je vais vous laisser, je dois retourner à mes tâches. Je reviendrais d'ici heure pour votre toilette. 

La femme fit une révérence et quitta la chambrette, laissant une Ilona toujours révoltée de nouveau seule.

Seule, Ilona retomba dans un marasme d'émotion négative et de pensée sombre. Elle dut prendre sur elle et se forcer à manger. Elle devait prendre des forces pour pouvoir résister et s'échapper de cet enfer. Alors qu'elle avalait difficilement son repas, son regard se porta sur l'océan. Ainsi, elle se fit une promesse. Peu importe les obstacles, peu importe que ce fut impossible, un jour, elle retrouverait Brise-vague ! Peut-être que pour eux, elle était morte, peut-être que sa famille et ses amis perdraient espoir de ne jamais la revoir, mais pas elle ! Elle retrouverait son peuple. Ce n'était pas un espoir, c'était une certitude !

Et quand elle aura enfin retrouvé sa barge, elle ne remettra plus un pied sur ce monde terrestre où l'on ne respectait aucune des valeurs qui lui étaient chers. Elle restera loin de ce monde où le respect de la vie avait été depuis longtemps oublié ; où l'on ignorait ce qu'était l'entraide ; où personne ne se révolter en voyant des enfants mourir de faim ; où il est normal que des personnes vivent à la rue tandis que d'autre se vautre dans le luxe ; où enfin, l'on enlève les voyageurs étrangers pour les priver de leur liberté et faire d'eux de simple objet et où il est normal de ne pas leur donner de nom. 

À peine elle eut fini de manger, forte de ses nouvelles convictions, que la porte s'ouvrit sur la femme qui portait à bout de bras une grande bassine haute, qu'elle disposa dans le peu d'espace qui séparait le lit du mur. Elle vida son contenu sur le lit avec délicatesse. Il y avait là Deux longues robes de coton blanc et plusieurs linges accompagnés de savon et d'un peigne. Elle repartit aussitôt sans avoir mot dire. Ilona n'eut guère le temps d'observer ce qui lui avait été apporté que la femme était de retours avec deux lourds seaux d'eau fumante. Toujours aussi muette, elle remplit la bassine. La vapeur d'eau qui se dégagea alla chatouiller les narines de la fille de la mer qui fut conquise par cette agréable odeur. 

Avec agilité, la femme enjamba la grande bassine pour se retrouver en face d'Ilona qui l'observait faire, intriguée. 

— Je vais vous assister pour votre toilette, mademoiselle.

Et elle fit un nouveau pas vers elle. Ilona recula dans le peu d'espace qui lui restait, protestant :

— Je suis parfaitement capable de me laver seule !

— Je ne me permettrai pas d'en doutait, Mademoiselle, cependant toute fille de bonne vertu doit se faire assister pour sa toilette.

Et sans plus attendre, la femme se saisit du bas de la tunique d'Ilona commençant de la soulever malgré la résistance de la jeune fille. 

— Mais les servantes ne font-elles pas leurs toilettes toutes seules ? Demanda cette dernière, cherchant à gagner du temps. 

— Pour certaine, en effet. Mais vous n'êtes pas une vulgaire servante, Mademoiselle. Vous êtes la future izare de son excellence Thalgarion. Il est de votre devoir de vous comporter dès à présent avec toute la grâce de votre rang. Si cela peut finir de vous convaincre Mademoiselle, c'est également un ordre direct de son excellence.

Sur ces paroles, la femme lui demanda de fermer les yeux et de se laisser déshabiller.  Ne voulant pas créer de problème à la femme, Ilona se laissa faire. Si elle avait du mal à accepter qu'on l'aide à se laver, ce n'était pas par pudeur. Le peuple de la mer n'avait pas honte de leur corps, la nudité était presque aussi naturelle qu'être vêtu. Il n'y avait guère besoin de vêtement pour plongée dans les mers tempérées. Non, si elle avait du mal avec la situation, s'était par honte d'être servi. Jamais depuis qu'elle avait quitté la chambre de ses parents, elle n'avait eu besoin d'aide pour se dévêtir. Elle avait l'impression d'être infantilisée. 

Elle fit cependant de son mieux pour aider la femme dans sa tâche, obéissant à la femme. Même s'il lui fallut beaucoup d'effort pour garder les yeux fermés. Elle s'imaginait qu'il était moins gênant pour la femme de la déshabiller sans qu'elle ne la regarde. Mais pour elle, cela était un enfer bien plus grand que si elle avait les yeux ouverts. Plonger dans le noir, elle se sentait vulnérable. Et cette vulnérabilité ne faisait qu'agrandir son sentiment d'infantilisation. Elle n'apprécia pas un seul moment de cette mise à nu, alors elle fut doublement heureuse quand enfin le dernier morceau de vêtement crasseux et puant eut quitté sa peau. 

Elle voulut enfin rouvrir les yeux, mais la voix douce de la femme lui demanda :

— Pouvez-vous lever les bras s'il vous plaît mademoiselle ? 

Surprise, ne comprenant pas la demande, Ilona leva toutefois les bras. Et ce fut avec un grand étonnement qu'elle sentit le tissu de la longue chemise la couvrir et lui tombait jusqu'en bas des chevilles.

— Vous pouvez rouvrir les yeux, mademoiselle.

Aillant retrouvé la vue, Ilona regarda alternativement la longue chemise qui recouvrait entièrement son corps, du bas de ses chevilles jusqu'au ras du coup en recouvrant ses bras jusqu'aux poignets, et celle qui l'avait aidé à la revêtir.

— Je croyais que je devais me laver, remarqua-t-elle. 

— Vous avez raison, mademoiselle, acquiesça la femme avec une légère révérence.

Puis sans plus d'explication, elle repassa de l'autre côté de la bassine, emportant avec elle les vêtements sales dont le pantalon qu'elle avait dû découper pour pouvoir l'enlever malgré les chaines. C'est presque avec tristesse qu'Ilona regarda le dernier pantalon qu'elle ne pourrait porter avant longtemps. Mais très vite son regard se reporta sur la chemise immaculée qui la recouvrait. 

— Comment puis-je faire ma toilette alors que je suis encore habillée ?

Le regard que lui lança alors la femme était rempli de compassion. C'était le regard plein de pitié que l'on lançait à celui qui manquait de connaissance élémentaire. 

— La vue d'un corps nu est impure, expliqua la femme comme si elle s'adressait à un enfant. Il faut se préserver d'un telle vision, enfin de garder son âme de femme vertueuse, démunit de tout vice. Il est dommageable que vous ne l'ayez pas fait jusqu'alors, mais à présent, je suis là pour vous protéger d'un telle vision diffamante. 

Cela lui parut si incongru qu'elle dut retenir un rire. Rien de tout cela n'avait de sens et, plus elle en apprenait sur la culture de l'empire, plus elle comprenait qu'elle n'avait étudié qu'une infime partie de celle-ci. Elle avait inconsciemment évité les livres qui parlaient de ces pratiques qui lui paraissait ridicule et insultante. Elle avait beaucoup lu sur leur histoire, leur religion, leur commerce, mais bien peu sur la façon dont ce peuple traité le corps des femmes. 

— Mais vous ? N'êtes-vous pas « salie » en regardant mon corps ? 

— Je suis une esclave, Mademoiselle, répondit la femme, comme si c'était une explication valable.

— La nudité est naturelle ! Elle ne devrait pas être considérée comme un pêché ! protesta vivement Ilona.

— Il vous reste beaucoup à apprendre, répondit simplement la servante avec ce même air désolé qu'elle portait depuis le début de la conversation.

Sur ce, elle fit signe à la jeune fille d'entrer dans la bassine. Cette dernière, n'ayant guère le choix et voulant de toute manière se débarrasser de ces longues semaines de crasse, s'assit sur le lit pour pouvoir entrer dans la bassine malgré les chaînes qui l'entravaient. Toutefois, elle se jura que, jamais, elle ne considérerait ces croyances infamantes comme la réalité. Un corps, qu'il soit féminin ou masculin, n'avait rien de honteux.

Debout dans la bassine dont les rebords atteignait presque sa taille, la femme se servit d'un des seaux pour récupérer l'eau et la mouiller. Ilona ne put qu'apprécier la chaleur agréable de cette eau qui lui fit oublier le froid de la cage. Alors, malgré le malaise qu'elle ressentait toujours qu'on lui fasse sa toilette, elle décida d'apprécier le moment. D'oublier le malheur qui s'abattait sur ses frêles d'épaules, d'oublier tous ceux qui la mettaient en colère en cet instant. Elle laissa l'eau chaude la détendre, le massage agréable des mains de la femme qui la savonnait fermement, mais sans pour autant être douloureuse. Rapidement, l'eau comme la chemise prirent une horrible teinte boueuse. 

Quand la femme estima qu'elle en avait fini avec le corps, elle demanda à Ilona de s'accroupir dans la bassine avant de sortir avec ses deux seaux. La jeune fille profita de son absence pour finir de se détendre. Elle s'accroupit comme lui avait demandé la femme et ferma les yeux, se laissant portait par la chaleur réconfortante de l'eau et la douce senteur. Elle ne remarqua le retour de la femme seulement quand un filet d'eau vint doucement lui mouiller les cheveux. 

Après que ses cheveux furent lavés, Ilona sentit que la femme lui enduisait sa courte chevelure d'une huile à l'odeur délicate. 

— Vous avez une magnifique chevelure, mademoiselle. Il est vraiment dommage qu'elle soit si courte. Mais ne vous en faîtes pas Mademoiselle, elle va pousser et sera si belle qu'elle rendra jalouse toutes les autres demoiselles. 

Ilona la remercia dans un murmure, trop détendu pour contredire la gentille femme. Elle ne lui avoua pas que si ses chevaux étaient si courts, c'était un choix de sa part.

En grandissant, les enfants pouvaient choisir leurs coiffures. Beaucoup, voyait dans une longue chevelure, souvent coiffée d'une multitude de tresses, un signe qu'il devenait enfin grand. Mais certain, comme Ilona se complaisait d'une courte coupe. Pour Ilona, c'était certes pratique, mais elle aimait comment ses courtes mèches en pagaille encadrait son visage.

Après que ses cheveux furent propres et peignés, elle dut tendre ses mains pour que la femme s'occupe de lui faire une manucure rapide. Et enfin, la servante sembla satisfaite d'elle et demanda à la jeune fille de sortir de la bassine sur un drap épais et de fermer de nouveau les paupières. Ilona trop détendue et fatiguée, ne protesta pas. Elle laissa la femme la dévêtir de la chemise devenue lourde sous le poids de l'eau. Elle se força à rester dans le noir quand elle sentit le contacte un peu rêche du tissu sec la sécher. Elle fit de son mieux pour aider la femme à lui passer une nouvelle chemise sèche et propre qui l'enveloppa dans une douce senteur de lavande.

Quand elle put enfin rouvrir les yeux, la femme l'entraina vers la chaise pour lui passer un dernier coup de peigne :

— Voilà, il me semble que votre toilette est terminée, mademoiselle. Je vous pris de me laisser ranger votre chambre et je vous emmènerais faire vos besoins naturels.

Là-dessus, la femme réussit la prouesse de sortir en une fois la bassine pleine d'eau boueuse, les seaux, les linges sales et détrempés et tous ceux dont elle avait eu besoin pour laver Ilona.

De nouveau seule, Ilona replongea doucement dans ses pensées moroses. Elle savait que même si sa situation s'était grandement améliorée, elle n'avait jamais été aussi loin de retrouver sa liberté.

La femme revint rapidement pour l'emmener aux latrines. Durant ce court voyage en dehors de sa petite chambrette, la femme lui expliqua que si Ilona avait besoin d'elle alors qu'elle était enfermée dans la chambre, elle n'aurait qu'a sonné la petite clochette se trouvant dans l'armoire. La femme viendrait à chaque fois. 

En réalité, durant leur enfance, les enfants de la mer avaient tous les cheveux coupés très court. Si cela était sûrement renforcé par la culture de ce peuple, c'était surtout un choix pratique. En pleine mer, la barge filait à vive allure et le vent soufflait fort son air iodé sur les ponts. Les enfants qui passaient une grande partie de leur journée à courir et à jouer dehors, rentraient les cheveux emmêlaient par le vent et le sel. Et si vous en avez déjà fait l'expérience, les cheveux emmêlés et salés sont bien difficiles à démêler. 

— Avez-vous besoin d'autre chose mademoiselle, demanda enfin la femme alors qu'elles étaient de retours dans la chambre. 

Ilona commença par secouer la tête quand une douleur lancinante au niveau de ses chevilles se rappela à elle :

— Vous croyez qu'il serait possible que l'on soigne mes chevilles ? Demanda-t-elle hésitante.

La femme se baissa pour observer de plus près les chevilles meurtries de la pauvre les filles avant de lui lancer un regard compatissant.

— Je vais voir ce que je peux faire, Mademoiselle. Je reviens au plus vite.

Durant la courte attente, Ilona eut du mal à ne pas fermer les yeux et s'endormir. Malgré son malêtre, sa tristesse, son angoisse, elle était épuisée, harassée. Elle se força à garder une position assise sur le lit qui, bien que bien loin du confort que lui offrait sa couche dans sa cabine, lui paraissait douillé et confortable. 

C'est donc une Ilona somnolente qui releva la tête quand la porte s'ouvrit à nouveau. Pourtant, la vision lui donna un électrochoc suffisant pour qu'elle se lève en sursaut. 

Dans l'encadrement de la porte de sa minuscule et modeste chambrette se tenait le grand Thalgarion, élu de Dieu. La femme qui se faisait toute petite derrière lui cachait avec grand mal son air déboussolé. Et Ilona était tout autant déboussolée. Elle n'était pas d'ici, elle avait bien compris qu'elle ignorait beaucoup de chose sur l'empire Zhikerhote, mais, malgré sa fatigue, elle était certaine qu'un élu n'aurait jamais dû se trouver dans un tel lieu. 

Sans prêter attention au trouble qu'engendrait sa glorieuse présence dans cet humble endroit, l'homme s'avança vers sa prisonnière. N'importe qui, zhikerhote ou non, aurait su qu'un homme parait d'une aussi somptueuse tenue n'avait rien à faire dans une aussi sombre pièce, peu importe la sobriété de son comportement. Et pourtant, il fit une chose encore plus incongrue. Une chose qui mit la femme au bort de l'évanouissement. Thalgarion avec toute sa majesté s'agenouilla devant Ilona. Pire que tout, aussi impensable que ce soit, le puissant élu et vertueux élu souleva le bas de la chemise de la misérable fille de la mer pour révéler ses chevilles ensanglanté. 

Trouvant ce spectacle trop dur, l'esclave détourna le regard de cette honteuse scène. Elle s'avança tout de même dans la pièce, sortant son briquet, elle alluma une bougie comme si cette nouvelle lumière chasserait le déshonneur et la honte de la chambre. Comme si cette douce lumière rendrait grâce à la grandeur de l'élu. 

Ne prêtant guère attention au manège de la femme, Thalgarion fit asseoir Ilona d'un seul geste plein d'autorité. Cette dernière, bien trop perturbée par la tournure des évènements, se laissa faire, le regardant juste avec méfiance. 

— Pour l'instant, je suis le seul qui puisse te défaire de tes entraves, expliqua-t-il d'un ton doux comme pour endormir sa méfiance.

Loin de marché, Ilona refusait de comprendre pourquoi cet homme aussi puissant était dans sa chambre seulement par ce qu'elle avait demandé à être soignée. Si vraiment, il était le seul à pouvoir retirer ses entraves, il aurait parfaitement pu la faire venir à lui. 

Elle l'observa sortir une étrange clé de sa bourse. Il la fit tourner dans les entraves, mais ses dernières ne s'ouvrirent que quand il prononça une courte prière. C'était sûrement la première fois qu'elle assistait à un acte de magie zhikerhote et elle en fut étonné de voir avec quelle facilité l'homme semblait la manier. Elle ne put s'empêcher de se demander si cette apparente facilité venait de la puissance et de la maitrise de l'homme ou si la magie terrestre était plus simple à manipuler que celle du peuple de la mer hérité des sirènes. 

Ce qu'elle ignorait alors c'était qu'aucune magie n'était plus simple à apprendre qu'une autre. Que pour maîtriser un sort avec une telle facilité, peu importe par quelle magie, il fallait beaucoup de travail et d'effort. Bien sûr, pour chaque magie, on pouvait avoir des facilités différentes. Il était certain que ceux qui parvenaient plus facilement à trouver la bonne note apprenait avec un peu plus de facilité la magie des sirènes, aussi appelé magie des sons. De même, une si grande maîtrise de la magie zhikerhote démontre la grandeur de la foi de l'élu puisque que toutes les magies continentale humaine était basée sur la foi. Selon les peuples et les croyances, cette foi pouvait être dirigée vers Dieu, d'autre divinité ou même être la foi du mage en lui-même. Mais dans le cas qui nous occupe, si Thalgarion avait en effet une grande confiance en lui, sa grande maîtrise venait de sa foi inconditionnelle en Dieu.

Le bruit métallique raisonna fortement dans la pièce. Ilona comme la femme s'attendirent à ce que Thalgarion se lève pour laisser les soins à la servante. Mais l'homme resta à sa place, aboyant sèchement :

— Esclave, passe-moi l'alcool et les bandages.

Il était visiblement agacé que ce ne fut pas déjà fait. Mais la femme, bien trop surprise pour réagir avec autant de rapidité qu'à son habitude. Cela lui valut le premier regard de l'élu pour elle. Un regard plein de mépris et de colère. Une colère qui fit également frémir Ilona toujours inquiète par les sautes d'humeur de cet homme lunatique.

L'esclave réagit enfin, gardant les yeux baissés, cachant de son mieux son incompréhension. Ce n'était pas à elle de juger les actions de son maître. Par contre, Ilona, malgré ses craintes, ne put s'empêcher de protester :

— Sir, ce n'est pas à vous…

— Si, la coupa Thalgarion de son ton impérieux. Je t'ai promis ma protection tant que tu respecteras les règles que je te donne. Pourtant, te voilà blessé alors que tu te trouves sous ma responsabilité. Même si cette blessure n'a pas été faite volontairement, cela reste une atteinte à ma parole. Je prendrai soin moi-même de réparer cette atteinte. 

Bien que cela ne semblait n'avoir aucun sens, Ilona ne répliqua pas. Elle était bien trop fatiguée pour essayer de comprendre cet homme étrange et complexe. Étonnamment, Thalgarion fit les soins avec rapidité et efficacité. Les bandages étaient aussi propres que s'il avait été fait par un soignant. Si Ilona avait été plus réveillée, cela l'aurait étonné. L'homme remis rapidement les entraves, prenant soin de s'assurer qu'elles ne soient pas trop serrées, puis se releva enfin :

— Je vais m'assurer que mes artisans trouvent un moyen de les rendre plus confortable. Je m'assurerai également que Roan fasse plus attention à toi et qu'il apprenne à marcher à ton rythme. Malheureusement, je serai absent les deux prochains jours. Mais Roan s'occupera de te changer les bandages, ça lui servira de leçon. J'espère n'apprendre que des bonnes nouvelles à mon retour. Passe une bonne nuit, petite. 

Ilona eut beaucoup de mal à ne pas ressentir une forme de gratitude pour cet homme qui était pourtant son ravisseur. Elle le remercia à demi-mot et essaya de faire disparaître la gratitude par le dégout qu'elle ressentait devant le regard doux et paternel que lui lançait cet homme. 

Ilona n'entendit même pas la porte se fermer qu'elle s'était déjà endormie. 

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