Chapitre 7 : Manuscrit
Le lendemain fut une journée parfaitement identique. Après avoir reçu une toilette sous les soins de la femme, Roan l'avait emmené à l'église en prenant encore un autre chemin. Puis Silur lui avait dispensé ses enseignements peu agréables et guère instructifs. La cruauté du prêtre n'avait cessé de croitre. Cruauté alimentée par l'indifférence d'Ilona face aux punitions qu'il lui donnait et par les connaissances de la jeune fille qui s'amusait à le ridiculiser dès qu'il lui en donnait l'occasion.
Quand Silure se fut suffisamment défoulé sur ses chevilles et ses mains. Quand il n'eut plus assez d'imagination pour trouver une nouvelle posture aussi douloureuse qu'humiliante à lui faire tenir. Quand il lui eut enlevé le droit à la parole, quand il l'eut privé du droit de le regarder, il ne trouva pas d'autre chose à lui faire faire que de lui faire copier de texte. Il la força à se tenir debout devant un haut pupitre avec ses mollets ensanglantés et lui demanda d'écrire avec ses mains gonflées et rougit jusqu'à la grandeur des textes sacrés purifie son âme noire. Bien sûr, aussi buté et rempli de préjugé qu'il soit, il savait qu'elle connaissait déjà un grand nombre de textes sacrés. Toutefois, il restait un homme de préjugé, un homme inculte. Et comme l'homme qu'il était, il était persuadé qu'une sauvage comme elle ne savait ni lire ni écrire. Il se voyait déjà la ridiculisée, se moquait de son écriture brouillonne.
Il fut donc surpris de la voir commencer à écrire, utilisant correctement la plume. Il vit rouge, sentant qu'encore une fois, elle allait s'en sortir. Puis, il vit une grimace de douleur qu'elle ne put cacher. Il prit plaisir avoir le parchemin se tacher de quelques petites taches rouges de sang, certains ongles d'Ilona étant en sang. Il se dit que même si elle savait écrire, elle ne pourrait jamais le faire correctement du fait qu'elle soit une barbare et du fait sa douleur.
De son côté, Ilona faisait de son mieux pour pouvoir de nouveau ridiculiser cet homme aussi arrogant qu'ignorant. Elle oublia sa douleur pour s'appliquer à chaque courbe, à chaque lettre. Elle était emplie de cette envie de prendre sa revanche, de lui montrer qu'il n'était rien face à elle. Jamais elle n'avait ressenti de manière aussi forte, jamais, elle avait ressenti ce besoin de montrer sa supériorité dans un domaine. Elle avait toujours été celle qui se réjouissait de la victoire de ses adversaires. Ce sentiment n'était cependant pas suffisamment fort pour s'appeler vengeance, Ilona était trop douce pour ressentir ce genre d'émotion. Non, ce qu'elle ressentait était plus proche de l'envie de refaire une partie d'un jeu que l'on vient de perdre. Bien que c'était sûrement une envie légèrement plus perverse, car Ilona n'était pas naïve et savait que quoi qu'elle fasse, elle perdrait davantage que lui. Pour chaque fois qu'elle le ridiculisait, il la faisait payer au centuple. Pourtant, elle voulait toujours lui faire comprendre qu'il ne serait pas non plus le vainqueur. Elle voulait lui montrer que jamais, il ne pourrait vraiment gagner face à elle.
Et pour gagner cette partie, elle jouait un jeu très simple. Elle voulait lui rendre une copie plus belle que l'original. Ilona avait deux façons d'écrire. Elle avait sa propre écriture, celle dont elle se servait tous les jours. Mais dans sa quête de pouvoir faire un travail en lien avec le monde terrestre, elle avait mis toutes ses chances de son côté en travaillant avec les copistes. En effet, si elle était devenue copiste, elle aurait eu de nombreuses occasions de descendre sur le continent pour prendre et remettre des commandes ou découvrir de nouveau recueille. C'était également un excellent moyen de découvrir toujours de nouveau livre. Elle était devenue apprenti copiste un an auparavant, profitant que chaque enfant de la mer puisse faire autant de formation qu'il souhaite. Cela faisait donc un an qu'Ilona avait passé deux heures par semaine à l'atelier de calligraphie pour assister les copistes. Elle n'avait certes pas encore le niveau pour faire une copie seule, mais elle avait le niveau suffisant pour ridiculiser le prêtre.
Ilona hésita même à reproduire jusqu'aux enluminures, mais sa raison reprit le dessus. Si elle le poussait trop loin, elle ne savait pas ce qu'il pouvait lui faire. Un prêtre n'avait sûrement pas l'autorisation de faire une blessure permanente une future izare. Toutefois, elle était sûre que cet homme ne savait pas se contrôler.
De son côté, Silur était rassuré de la voir écrire si lentement et se moquait d'elle sans retenu. Même en enfant écrivait plus vite qu'elle. Peut-être devrait-elle prendre conseil auprès d'un singe, car même lui ferait mieux. L'apprentie calligraphe l'ignora avec grâce, chaque injective la faisait sourire d'avance, imaginant sa tête quand elle lui révèlerait son œuvre. Car malgré la douleur, et même sans aucune enluminure, elle était très fière du texte qu'elle était en train de produire. Finalement, elle trouvait la paix dans cet exercice. Elle finit même par oublier son tortionnaire, ne voyant plus que la feuille et sa calligraphie.
Finalement, il lui fallut le reste du cours pour finir sa copie, mais quand elle l'eut fait, il était indéniable que son œuvre était incomparable aux pages d'imprimerie de piètre qualité qui lui avait servi d'exemple. L'air victorieux de Silur se figea quand il récupéra le parchemin. Aussi peu objectif qu'il soit, il ne pouvait qu'admettre que c'était parfait. Pire, s'il ne l'avait pas observé Ilona le faire sous ses yeux, il aurait juré que ce parchemin avait été réalisé par un moine. Remis du choc, une colère noire monta en lui cassant les dernière digue de contrôle qu'il avait. Cette sorcière le narguait ! Cette suppôt se moquait de lui ouvertement ! Il le voyait dans son regard, il pouvait presque entendre ses rires. Il fallait qu'elle paye, elle méritait de bruler sur un bûcher comme l'hérétique qu'elle était !
La porte s'ouvrit, le stoppant dans son élan. L'izar apparut sur le seuil, grand, puissant et dangereux, coupant Silur dans son élan.
— Que se passe-t-il ici, tonna Roan.
Le prêtre hésita. Après tout, lui aussi était un être infâme venant d'un peuple barbare. Encore un sauvage qui haussait se croire supérieur à lui, encore un sauvage qui le méprisé. Mais la lâcheté de Silure prit le dessus quand l'izar fit un pas dans la pièce. Un izar était le représentant d'un élu en son absence. Et il pouvait parfaitement décider de le punir sans que quiconque puisse l'en empêcher.
Serrant les dents, Silur finit par cracher :
— Cette sorcière impie, cette suppôt de sirène, a osé critiquer ouvertement le Dieu créateur et ses serviteurs !
Le prêtre ponctua son mensonge par un sourire haineux. Peu importe qu'il soit également un sauvage, l'izar se verrait dans l'obligation de punir lui-même cette horrible gorgone, cette sorcière impure, cette salle sauvage !
La respiration d'Ilona se coupa. Elle ne s'attendait pas à un tel coup bas. Elle ne craignait pas Silure qu'elle trouvait pitoyable mais si Roan le croyait, et le racontait à Thalgarion, elle retournerait dans cette abominable cage. Il lui ferait payer d'une telle manière qu'elle finirait par craquer, qu'elle serait détruite. Ou alors, il la tuerait tout simplement…
— Il ment ! Cria-t-elle. Je n'ai fait que recopier un texte sa…
— SILENCE, hurla Silur à sans casser la voix, se précipitant vers elle, la main levée.
Ilona se replia sur elle-même, en larme. Elle ferma les yeux. Attendu le coup. Attendu…
— Prêtre Silur, intima calmement l'izar en s'interposant. Ni vous ni moi ne sommes habilité à punir une apprentie izar en l'absence de son maître. Je vous demande de me confier les écrits de cette apprentie et d'attendre la convocation de son excellence Thalgarion.
— Vous ne la croyez tout de même pas, protesta le prêtre. Cette sorcière n'est qu'une vile menteuse. Je n'ai ici que les textes que nous avons étudiés lors de cette leçon ! Dans qu'elle monde une sauvage et capable de faire de tel écrit !
— Comment osez-vous me parler sur ce ton, tonna Roan, menaçant. N'oubliez pas, Silur, qui je suis ! N'oubliez pas que ma parole est celle de son excellence en son absence. Si vous avez foi en votre propre témoignage, il n'y a pas de raison de refuser de me donner ces parchemins. Je peux vous assurer que son excellence sera ravie d'entendre ce que vous avez à dire.
Le prêtre prit un air victorieux. Il savait que Sir Thalgarion serait forcément de son côté, cette sorcière allait payer pour ce qu'elle avait fait ! Qui croirait qu'un tel parchemin ait été fait par une sauvage ? Bien sûr que son mensonge était réaliste, et ce serait donc la parole d'un prêtre pieux contre celle d'une hérétique impie.
Ilona arriva de son côté au même conclusion. Une grande détresse s'empara d'elle et des larmes silencieuses laissèrent des traces blanches sur ses joues ébène. Pourquoi avait-elle tant voulu gagner ? Pourquoi avait-elle souffert pour rendre un parchemin aussi parfait ? Seules les quelques traces de sangs pouvaient contredire la version du prêtre, mais elles étaient si petites. Par son envie de revanche, elle s'était elle-même condamnée…
— Ilona, nous y allons.
Trop bouleversée pour protester davantage, Ilona le suivit. Dans sa détresse, elle avait oublié l'état de ses chevilles. La douleur fut-elle que sa vision ce noirci et qu'il lui fallut beaucoup de courage et de force pour ne pas s'évanouir. Gardant le peu de fierté qui lui restait, elle réussit tant bien que mal à sortir de la salle la tête haute sous le sourire sadique de l'ignoble Silur.
L'izar observa à instant, une lueur d'inquiétude brillant dans son regard. Rapidement, Roan retrouva son air impassible et il ne fit aucun mouvement pour lui venir en aide.
Le retour avait été long, fastidieux et silencieux. Ilona avait fait de son mieux pour ne pas se faire remarquer, serrant les dents pour que l'izar ne l'entende pas geindre. Elle craignait qu'il puisse se retourner à tout moment pour la punir comme aller le faire son maître. Mais il n'en avait rien été, au contraire, Roan avait marché très doucement pour qu'elle puisse le suivre et ils avaient fini par atteindre sa chambrette.
— Prépare-toi, déclara-t-il sévèrement alors qu'il s'apprêtait à l'enfermer. Peu importe ce qu'il s'est passé, tu iras à ta leçon de cette après-midi.
Et il partit sans un regard de plus, sans aucune compassion.
La femme la rejoint rapidement, un air inquiet sur le visage. Un air qui s'aggrava quand elle vit dans quel état était Ilona. Après avoir déposé le plateau repas sur le bureau, elle se jeta au pied de la jeune fille.
— Oh mademoiselle, s'exclama-t-elle avec tristesse. Ma pauvre enfant, que vous avais-je dit ?
Devant une telle compassion, devant la douceur maternelle avec laquelle la femme commença à prendre soin de ses blessures, les larmes d'Ilona se transformèrent en de longs sanglots. La femme prit son temps pour la soigner, s'assurant de ne pas lui faire mal et chantonnant dans un patois qu'Ilona ne comprenait pas. Apaisée par cette douce berceuse, les larmes de la jeune fille finirent par se tarir. Elle finit par retrouver un semblant de calme.
Pour une fois, la femme resta à ses côtés durant son repas. Sa présence n'avait plus rien de pesant, elle était devenue apaisante. Ilona avait l'impression d'être avec sa seule alliée. Elle savait que ce n'était qu'une illusion, mais pour l'instant, elle avait envie d'y croire.
Puis, elle dut quitter la sécurité illusoire que lui offrait sa chambre pour se rendre jusqu'à la bibliothèque alors que chaque pas était une souffrance. Pourtant, malgré toutes ses afflictions, le fait de retrouver son précepteur l'apaisait également. Elle savait que le temps qu'elle serait avec lui, elle oublierait tout des évènements du matin.
Bien qu'inquiet au vu de l'état de son élève, le scribe commença la leçon sans poser aucune question. Il sentait sa volonté de participer malgré la douleur et l'angoisse. Il comprit son besoin de s'occuper l'esprit pour oublier un temps ses soucis. Alors, il donna à son élève ce qu'elle souhaitait. Il refusa qu'elle prenne des notes, ses mains étaient trop abîmées, mais sinon, il déroula son cours comme la veille, alternant entre question et débat.
Il commença par ailleurs à lui parler de l'étiquette en règle dans l'empire. C'était assez fastidieux, car pour bien la comprendre, il fallait comprendre la différence de rang, comprendre la hiérarchie. Chose assez ardu pour une jeune fille ayant toujours vécu dans une société parfaitement égalitaire. Ce fut donc l'occasion pour Ilona de redécouvrir l'aristocratie zhikerhote, un sujet qu'elle avait déjà étudié sur Brise-vague, mais qu'elle qui ne l'avait jamais vraiment passionné. Elle apprit que selon la hiérarchie, les formules de politesse et les révérences changeaient. Avant de faire une salutation à un interlocuteur, il fallait savoir son statut. Et pour cela, il n'existait qu'une méthode infaillible, connaître un maximum de visage. Quand, ils eurent fini la leçon, Althar confia donc à Ilona le livre de la noblesse qui répertoriait toutes les familles aristocratiques de l'empire, leur différent membre et leur héritier. Il lui demanda d'en mémoriser les dix plus grandes familles pour commencer.
Un devoir qui ne plaisait guère à Ilona qui malgré plusieurs heures de conversation ne voulait pas comprendre l'utilité de toutes ces simagrées. Elle assura tout de même à son percepteur qu'elle le ferait. Et à son grand regret, ils se séparèrent sur cela.
Le temps de la leçon, Ilona s'était détendu, elle avait oublié ses blessures. Elle avait oublié le sort qui l'attendait quand Thalgarion rentrerait. Mais dès qu'elle fut de retour dans sa chambre, dès que la femme la laissa seul, l'angoisse revint, plus violente qu'auparavant, lui enserrant douloureusement la poitrine. Douleur qui grandit quand elle se rendit compte que le lendemain, à la même heure, elle serait sans doute de retour dans cette cage qui hanté ses cauchemars, cage qui provoquait chez elle une véritable terreur. Douleur qui grandit encore quand elle découvrit que ce scénario était sûrement celui qui lui était le plus favorable.
Elle avait déjà lu une fois à quel genre de punition était condamné les hérétiques et tous ceux qui osaient médire sur le Dieu unique. Cela lui avait paru si horrible qu'elle avait refusé d'y croire. Elle n'avait pas pu croire que l'on puisse faire subir de telle horreur à des gens qui pensaient juste différemment de nous. Elle commençait à comprendre que ces écrits n'étaient pas exagérés.
Thalgarion la condamnerait-il au bucher s'il la croirait coupable ? Autoriserait-il à des inquisiteurs de la torturer avant, pour qu'elle avoue les crimes qu'elle avait soi-disant commis ?
Cette nuit-là, elle dormit peu. Elle s'installa en tailleur sur son bureau, observant la vie de la cité qui ne semblait jamais s'endormir. Malgré la noirceur de la nuit sans lune, elle se laissa hypnotiser par les silhouettes se faufilant sous les réverbères. Elle se laissa bercer par l'agitation constante d'un des quartiers les plus illuminés dans la nuit. Elle crut y deviner des tavernes, des restaurants, des auberges. Elle était tellement plongée dans sa contemplation, qu'elle crut même entendre les rires, les cris, les chants et les musiques. C'était impossible, mais elle les entendait comme si elle y était. Comme si, au lieu d'être enfermé dans cette minuscule chambre, attendant un avenir incertain, elle se trouvait parmi ses gens festifs et joyeux qui buvait en appréciant la vie. Elle chantait, dansait et riait avec eux. Elle écoutait ce troubadour venu conter les nouvelles du reste de l'empire. Elle criait avec le public pour réclamer une histoire. Une histoire qui la ferait s'évader encore plus loin.
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