Chapitre 8 : la punition
Quand la femme entra dans la petite chambrette le matin suivant, elle trouva Ilona parfaitement réveillé. Ses traits étaient tirés par la fatigue, tordus par l'angoisse, elle était abattue, mais parfaitement réveillée.
— Bonjour, mademoiselle, salua la femme. Je dois vous informer que vous êtes convoquée par son excellence. Nous avons tout juste le temps de vous préparer et de que vous vous restaurez, nous devrons donc faire vite. Je m'en excuse d'avance, mademoiselle.
— Bien, répondit tout simplement Ilona le cœur serré.
Elle profita de la toilette pour essayer de se détendre. Chose pas facile. Elle n'avait pas eu le temps de s'habituer à ce quelqu'un s'occupe d'elle ainsi comme si elle était une enfant et cette étrange pratique de se laver habillé la gênait toujours autant. Elle essaya donc de se concentrer sur le massage délicat des mains de la femme et sur la douce odeur de l'eau, du savon et des huiles utiliser pour la nettoyer.
Une fois qu'elle fut propre, que sa courte chevelure fut savamment coiffée, que ses bandages furent changés, elle eut le droit à un rapide repas. Repas qu'elle toucha à peine, le ventre bien trop noué pour avaler la moindre chose. Elle se força tout de même à avaler deux bouchés, se disant que ce serait peut-être son dernier bon repas avant longtemps.
Enfin, l'on finit de la vêtir. On lui mit une magnifique robe de soie verte qui lui allait à la perfection. Ilona y vit un mauvais présage. Elle avait l'impression qu'on l'avait bien habillé pour que son procès soit d'autant plus spectaculaire. Pourtant, elle suivit la femme jusqu'au porte du bureau de l'élu, sans se débattre, sans protester, la tête haute et fier. Elle avait fini de pleurer, même si ce devait être sa fin, elle se battrait avec sincérité et force.
— Je dois vous laisser là, mademoiselle.
La femme avait dit cela avec tant de tristesse et de compassion qu'Ilona faillit verser une nouvelle larme. S'il n'en avait tenu qu'à elle, elle l'aurait prise dans ses bras et elle l'aurait remercié d'avoir été l'une de ses rares alliées ici. Mais, le contacte physique était mal vu dans l'empire donc elle lui fit une révérence pleine de sincérité. Et elle la regarda partir, essayant d'oublier la tension qui l'étouffait.
Pendant qu'un serviteur annonçait son arrivée, Ilona prit le temps pour prendre de longues inspirations pour retrouver un peu plus de calme, puis, on l'invita à entrer. Elle passa la porte la peur au ventre, mais la tête haute. Cachant de son mieux son angoisse, elle fit la plus belle des révérences qu'elle sache faire.
— Relève-toi, jeune fille, ordonna la voix sévère de Thalgarion.
Alors, elle se redressa et plaça ses grands yeux verts dans son regard noir. C'était ce qu'il lui avait demandé, de le regarder dans les yeux. Elle sut alors ce qu'il y vit. Il y vit son angoisse, il y vit la terreur qui la tenaillait.
De son côté, elle n'arriva pas à déchiffrer son visage sévère et impassible. C'était cependant un visage qu'elle ne lui connaissait pas, en dehors de ses crises de colère, même quand il lui annonçait des choses horribles, il avait toujours le sourire. Elle comprit cela comme un mauvais signe, un signe qui n'était pas de son côté.
Pour autant, elle ne détourna pas le regard. Mais si elle l'avait fait, elle aurait remarqué qu'en plus de l'izar qui se tenait là avec un visage aussi imperturbable que son maître, se trouvait le prêtre. Ce dernier se tenait fièrement à côté du bureau de l'élu avec sur son horrible visage un sourire victorieux.
— Mon absence n'a duré que deux jours et dès mon retour l'on ne me parle que de toi, Ilona, déclara sévèrement l'élu. Le père Silur, ici présent, m'a déjà exposé sa version des faits durant près d'une longue heure. Ce que j'ai entendu n'ai pas très glorieux. Maintenant, il me semble juste d'entendre ta version des faits.
Ilona ne fut pas vraiment surprise, l'élu aussi terrible qu'il soit lui avait toujours paru avoir un certain sens de la justice. Toutefois, elle doutait toujours de sa partialité. S'il était déjà convaincu de sa culpabilité, se mettrait-il en colère si elle lui disait sa version des faits ? Prendrait-il pas sa vérité pour des excuses et des mensonges ? Elle se demanda un instant s'il ne fallait mieux pas allé légèrement dans le sens du prêtre pour atténuer la punition qui lui était réservée.
— Je te conseille de me dire la seule vérité, jeune fille, l'informa Thalgarion comme s'il entendait son dilemme. Si j'entendais ne serait-ce qu'un mensonge, ta punition sera bien pire que ce que tu peux imaginer. Seule la vérité te permettra de t'en sortir.
Pour beaucoup, ce discours les aurait poussés à mentir. Ce discours pouvait donner l'impression que l'élu avait déjà sa version des faits et qu'importe ce que dira Ilona, elle sera punie. Nombre aurait vu en ce discours un appel à avouer une faute qu'elle n'avait pas commise. Ilona ne comprit pas cela de cette manière. Au contraire, ces paroles finir de convaincre la jeune fille qu'elle devait absolument dire la vérité. Peut-être était-ce encore une forme de naïveté ? Peut-être était-ce dû à son passé sur la barge sur laquelle il n'y avait rarement de sous-entendu dans les phrases ? Le peuple de la mer était sage et incitait toujours à parler librement pour résoudre un conflit.
Mais cette folle décision de prononcer sa vérité était provoqué par le regard de Thalgarion. Bien que par une fois, il l'avait trompé, bien qu'il fût le premier homme qu'elle n'ait jamais haï, bien qu'il soit sa plus grande crainte, à cet instant son regard, aussi indescriptible qu'il soit, la poussait à lui faire confiance. Elle se rappela également qu'elle était rentrée la tête haute, bien décidée à raconter sa version des faits. Alors, elle se lança :
— Je ne nierai pas que j'ai dû commettre des fautes, toutefois, je doute que ce soient celles qui vous ont été contées. Ma première faute, il est vrai, ce fut de mettre assis derrière un pupitre avant l'arrivée du père Silur et sans autorisation. C'était une chose que j'avais l'habitude de faire chez moi et l'on ne m'avait pas encore appris que cela ne se faisait pas ici. J'ignorais que cela était ici considérait comme un grave manque de respect…
— Bien sûr, comment une sauvage…
— Père Silur, coupa sèchement l'élu. Je vous demanderai de ne pas prononcer de tel mot en ma présence. Et, il me semble vous avoir clairement demandé de laisser Ilona s'exprimer sans l'interrompre. Vous avez eu tout votre temps pour vous exprimer.
Silur perdu toutes couleurs et son sourire s'évanouit. Ilona n'avait pas bronché durant cet échange, elle avait gardé un regard profondément ancré dans celui qui tenait son sort dans ses mains. Elle avait toutes les peines du monde à garder son angoisse sous contrôle, qu'elle refusait de se laisser perturber. C'était à peine si elle avait entendu Silur.
— Ilona, tu peux continuer, ordonna Thalgarion d'un ton neutre.
— Je reconnais donc cette faute, et j'accepte la punition de dix coups de baguette sur les mollets qui en a découlé. Pour ce qui est du reste de la matinée, comme je ne suis pas sûre d'avoir commis de fautes, je vais la raconter. Le père Silur n'a interdit de parler sans son autorisation, consigne que j'ai entièrement suivi. Par conséquence, je n'ai pas pu l'informer que je connaissais déjà le récit de la création du monde, le continu du cours de ce jour-là. Le premier exercice qu'on me donna fut de mémoriser et de répéter toutes les phrases de père Silur. J'ai reçu durant cet exercice un certain nombre de punitions pour mon accent incompréhensible, des fautes de langage qui je dois l'avouer me paraissais inexistante, ou pour d'autre raison que je ne comprenais pas.
Le concerné, outré, voulu protester, mais un seul regard de l'élu suivit à le faire taire. Ilona continua donc avec toute honnêteté.
— Je pense que je dois ici avouer une deuxième faute si je veux être honnête. Au bout de quelques punitions me paraissant immérité, mon esprit s'est révolté. J'ai alors commencé à corrigé les enseignements par pour esprit de revanche. Quand père Silur commettait une faute de langage ou une exactitude dans son enseignement, je changeais légèrement la phrase que je devais répéter pour les corriger. Ainsi, je peux comprendre que peut-être les coups qui suivirent ces phrases étaient méritées…
— Vous ne pouvez pas la laisser tenir de tel propos, s'exclama avec rage Silur. C'est de la pure calomnie ! Comment une sirèniste pourrait en savoir plus qu'un prêtre de notre sainte Église ?
— Il me semble que je vous ai demandé le silence, gronda l'élu dont le calme de sa voix se fit menaçant.
Le prêtre se ratatina, se rendant compte qu'il ne pouvait pas se risquer à prononcer ne serrait qu'un nouveau mot. Il avait atteint une dangereuse limite qu'il ne souhaitait pas dépasser, surtout s'il voulait avoir le plaisir de voir cette sorcière punie. Il baissa la tête et recula pour attendre son heure.
— Ilona, continu.
— Après mon effronterie, le prêtre m'a interdit de parler tout court, prétextant qu'il ne comprenait pas mon charabia. L'exercice suivant a donc consisté à tester mes connaissances. Il m'a posé des questions auxquels je ne pouvais répondre que par "oui, mon père" ou "non, mon père". Je n'ai commis aucune erreur au long de cet exercice, le père m'a alors puni pour d'autre raison. J'avais une mauvaise posture ou un mauvais regard. C'est ainsi que c'est terminé ma première leçon avec le père Silur.
Ilona fit enfin une pause pour avaler sa salive. La peur et sa longue explication lui avaient asséché la bouche. Toutefois, les interventions de l'élu avaient légèrement calmé ses angoisses. Thalgarion semblait réellement vouloir être impartiale.
— Penses-tu avoir mérité ces punitions, demanda alors ce dernier.
— Honnêtement, je ne vois pas qu'elle était le problème avec ma posture, surtout que les explications était souvent contradictoire. Un coup, j'avais le dos trop vouté, puis, après, j'étais trop droite, trop fière. Pareil pour mon regard, je n'avais pas le droit de le regarder dans les yeux, mais il était mal poli de regarder ses pieds. Alors si je dois être honnête, je dois avouer ne pas penser avoir mérité ces punitions.
Silur se redressa, révolté par les propos de la jeune fille. Il dut prendre beaucoup sur lui pour ne pas réagir. Il ne fallait pas qu'il se mette l'élu à dos au risque que la sorcière ne soit pas punie.
— Très bien, et que s'est-il passé hier, puisque c'est là la source des plaintes du père Silur ? Demanda Thalgarion.
— La première partie de la leçon fut en tout point semblable à celle de la veille, si ce n'est que les punitions se sont accentuées. J'ai reçu une trentaine de coups sur les mollets et près du double sur les doigts. Comme précédemment, si vous me le demandiez, je vous dirais ne pas comprendre pourquoi je méritais ces punitions. Ensuite, le père Silur m'a demandé, pour que je mémorise mieux ses enseignements, que je recopie un texte sacré sur les premiers élus. Je crois que je vois le parchemin que j'ai copié sur votre bureau. Il est sûrement ma dernière erreur. Je me suis appliquée à calligraphier le texte avec la plus belle calligraphie et non de mon écriture naturelle. Je n'ai pas fait cela pour répondre à l'exercice. Je l'ai fait de manière délibérée sachant que cela blesserait l'égo du père Silur. J'ai cherché délibérément à lui faire du mal. Et c'est certainement anecdotique, mais j'ai écrit volontairement plus lentement, car tant que j'écrivais, je ne recevais pas de coups. C'est au moment où je rendais ce parchemin que l'izar Roan est arrivé.
Le récit d'Ilona prit enfin fin. Thalgarion était resté impassible tout du long, l'écoutant avec beaucoup d'attention. Silur lui avait eu beaucoup de mal à se contenir, cela se voyait sur son visage écarlate dont les yeux affichaient clairement sa haine et sa rage.
L'élu retourna à son bureau et se saisit des parchemins. Il les étudia avec attention avant de déclarer :
— Tu affirmes que tu as écrit des pages. Malgré les coups que tu avais reçus.
— Ce n'est pas seulement que j'affirme, je les aie faits, retourna-t-elle en soutenant le regard de l'élu.
Ce dernier se tourna vers le prêtre et planta son regard impérieux dans le sien. Silur n'eut pas la force de soutenir ce regard et baissa les yeux.
— De votre côté, mon père, vous affirmez que c'est des manuscrits que vous avez emmenés avec vous pour travailler dessus ?
Heureux de pouvoir enfin s'exprimer, le prêtre cracha tout son venin :
— Bien sûr, c'est l'évidence même. Vous pouvez vous-même le constater. Ces pages calligraphiés sont d'une trop grande qualité pour que cela puisse être l'œuvre d'une sauv… d'une hérétique. Cette sorcière vous ment éhontément ! Sait-elle seulement lire ces parchemins ?
Thalgarion, toujours impassible, se tourna de nouveau vers Ilona :
— Montre tes mains.
Ilona n'eut aucune hésitation et lui obéit. Elle ne put s'empêcher de frémir quand il prit avec une étrange délicatesse ses paumes blessées dans les siennes agréablement chaude. Elle dut faire un effort pour ne pas les retirer et même si elle n'eut qu'un petit sursaut comme réaction, Thalgarion vu sa crainte. Il pouvait sentir les doigts frêles de la jeune fille trembler dans ses mains. Il continua toutefois son observation, étudiant avec attention les pansements frais d'Ilona. Il bougea précautionneusement certaine articulation sans pour autant lui faire mal. Il finit par lui rendre ses mains, demandant avec une étrange politesse de voir ses chevilles.
Sous le regard méprisant et moqueur du prêtre, elle souleva ses lourdes jupes. Ilona remarqua le regard du pitoyable individu et fit le rapprochement avec les moqueries qu'il avait faites deux jours plus tôt. Mais elle ne comprenait toujours pas. Pourquoi devrait-elle avoir honte de dévoiler ses mollets ? Si par miracle, elle s'en sortait, il faudrait qu'elle pose cette question à Althar.
Le fait de ne plus voir le visage de l'élu, alors qu'il observait ses chevilles, fit soudainement renaître l'angoisse d'Ilona. Elle se questionna sur les raisons qui le poussaient à étudier d'aussi près ses blessures. Réfléchissait-il à sa prochaine punition ? Voulait-il savoir comment lui faire du mal ? Malgré la terreur qui commençait à lui embrumer la tête, son instinct lui chuchotait qu'il n'en était rien. Thalgarion possédait bien d'autre moyen de la faire souffrir en commençant par la cage. Il savait sans nul doute qu'elle craignait bien plus la cage que les coups.
Quand Thalgarion se releva, il était au bord de l'une de ses sautes d'humeur. Ilona pouvait le ressentir plus que le voir. En effet, son visage était resté imperturbable, Ilona avait à peine eu le temps de voir l'éclat d'une violente colère dans son regard avant qu'il ne retrouve son calme sévère. L'izar dut le ressentir aussi, car il s'agita, prêt à agir. L'arrogant prêtre fut le seul à ne pas ressentir le changement. Il était également le seul à ne pas être sensible à la magie, le seul à ne pas pouvoir percevoir les vagues de pouvoir qui dansaient dans la pièce au rythme de la colère grandissante de l'élu.
Une telle démonstration de pouvoir ne fit qu'accroitre la terreur d'Ilona qui ne put retenir un mouvement de recule. Si la colère de l'élu était tourné contre elle, elle ne voyait pas comment elle pourrait en sortir vivante. Elle ne pourrait pas en ressortir indemne. L'image de la cage se fit plus nette de son esprit et elle se mit à trembler. Il ne l'avait pas cru, elle en était persuadée à présent. Il ne pouvait pas la croire elle, alors que celui qui l'accusé était un prêtre de l'Église. Elle était une étrangère tandis que l'autre était un zhikerhote.
Silur n'en avait jamais douté. Bien que l'élu prendrait son parti. Malgré l'atmosphère tendue de la pièce, il avait retrouvé son sourire victorieux et fière. Il allait enfin voir cette sorcière payer de s'être moqué de lui ainsi !
— L'un de vous me ment, déclara lentement Thalgarion dont la voix basse ne laissait pas la place à la discutions. Celui qui le fait à encore une dernière chance de tout avouer avant de devoir répondre entièrement de ses actes.
Ilona trembla de plus belle, le pouvoir écrasant de l'élu l'étouffait, mais elle ne détourna pas le regard. Peu importe ce que croyait cet homme, il était trop tard pour se rétracter. Plus serein, Silur garda le sourire et garda sa bouche bien fermée.
— Bien, je vois que vous avez fait votre choix.
Avec lenteur, il se tourna vers l'une des personnes qui attendait son jugement. Il plongea son regard ténébreux dans le sien :
— Ilona.
Cette dernière sentit son cœur s'arrêter. Son souffle se coupa. Sa fin était arrivé.
— Je te félicite, jeune fille, finit Thalgarion avec une étrange douceur.
Sonnée, Ilona cligna des yeux. Elle avait sûrement mal compris. Il ne pouvait pas la féliciter alors qu'il l'a pensé coupable.
— Roan.
Un seul mot, un ordre impérieux. La voix de l'élu avait claqué dans l'air comme la lame d'une guillotine. D'un seul geste, l'izar mit le prêtre à genou devant son maître, une main sur sa nuque. L'action s'était déroulée si vite qu'Ilona ne comprit pas immédiatement ce qui se passait. Étourdie par e changement soudain, elle ne réagit même pas quand, Thalgarion, au lieu de se tourner vers le pauvre homme qui se débattait, s'approcha d'elle et lui caressa la joue :
— Tu me rends fière de jour en jour. Tu n'es pas encore mon izare, mais je vois déjà en toi mon assistante. Si tu avais menti dans l'espoir d'alléger une possible punition, j'aurais été déçu de toi. Mais en plus de m'avoir dit ce qui s'était passé, tu as eu l'honnêteté de m'avouer que tu as eu des pensées répréhensibles.
Ilona le regarda avec de grands yeux. La pression retombant, elle ressentit d'abord un profond soulagement qui finit d'éloigner le brouillard de l'angoisse. Et plus ce brouillard s'éclaircissait, plus le soulagement laissé place à l'indignation. Maintenant, c'était l'évidence même, il ne l'avait jamais cru coupable. Il savait la vérité depuis le début. Cette mise en scène n'avait été là que pour la tester.
— J'aime également ton regard de tigresse, jeune fille, continua Thalgarion amusé par la réaction d'Ilona. Cependant, je suis désolé, je sais que tu ne vas pas apprécier ce qui va suivre. Je peux toutefois pas te laisser partir. Cela fait également partie de ton apprentissage.
Laissant Ilona dans l'incompréhension, il se tourna enfin vers Silur qui n'avait pas arrêté de gesticuler et de protester. Il était à présent tout essoufflé, écarlate et en sueur. Un seul regard de l'élu suffit pour qu'il se taise, s'étouffant dans sa propre salive. Sans même qu'elle puisse le voir, elle savait que l'homme avait perdu son contrôle et qu'il avait laissé la colère prendre le dessus. La magie tournoyait à un rythme tel qu'elle n'en avait jamais vu. Même les turbulences magiques annonçant une tempête étaient moins violents. L'instinct d'Ilona la poussa à faire un pas vers la porte. Elle souhaitait à cet instant, encore plus qu'auparavant, être loin de ce bureau.
Ce fut avec une étrange douceur que l'élu se saisit du menton du prêtre dont les yeux étaient à présent rougis par les larmes.
— Il est grand temps de commencer, tu ne penses pas Silur. Les règles sont assez simples, pour chaque mensonge qui sort de ta petite bouche, tu seras soigné par ta propre médication. Un mensonge, des coups.
Une lueur d'espoir naquit dans le regard de Silur. La punition n'était pas bien lourde pour avoir menti à un élu. Peut-être était-ce la preuve que l'élu ne le croyait pas encore entièrement coupable. Ou alors, malgré son mensonge, l'élu était complaisant, car il ne pouvait pas le punir à cause d'une sauvage.
Puis de sa main libre l'izar sorti son artefact. Il se concentra et aussitôt l'objet se transforma en une fine baguette semblable à celle qu'utilisé le prêtre pour punir Ilona. À une seule exception. Cette baguette était recouverte d'épine. L'izar tendit alors cérémonieusement l'objet à son maître.
— Ne t'en fait pas Silur, on ne fait que commencer, susurra Thalgarion en se saisissant de la baguette. Vois-tu bien que leur magie soit une hérésie, les mages féänorien pratique une magie très intéressante qui une fois mis au service de Dieu peu faire des merveilles. Ils pratiquent la magie de la forme, c'est pour cela qu'il a été si simple à mon izar de modifier la forme de son artefact. Les présentations sont faites, les règles ont été annoncées, il est donc temps de commencer.
— Votre excellence, je vous en prie, pleurnicha Silur. Je suis un prêtre pieu et fidèle ! Vous ne pouvez me faire ça à cause d'une sauvage !
— Tututu, ne t'ai-je pas déjà dis que je ne voulais pas entendre ce vilain mot dans ta bouche ? s'amusa cruellement l'élu en caressant la joue du prêtre avec la baguette. Laisse-moi tout de même te corriger. Il faut d'abord que tu comprennes que pour moi, celle que tu nommes sauvage à bien plus d'importance que ta ridicule existence. Elle m'appartient et c'est pour cela, que même si tu n'avais pas osé me mentir, il n'aurait fallu te punir pour avoir abimé l'une de mes possessions. J'espère que tu comprends.
Le prêtre secoua la tête en sanglotant, le regardant comme s'il était fou.
— Après, soyons claire également sur le fait que tu ne retrouves pas dans cette position par la faute de ma future izare. C'est entièrement ta faute si l'on se retrouve ici. J'ai beaucoup de mal à croire que ce soit Ilona qui ai demandé d'être battu au sang ou qu'elle t'ait incité à mentir au risque de sa vie.
L'élu fit une pause pour jauger son prisonnier avant de poursuivre avec ce même sourire cruel.
— Bien, je pense qu'il nous reste plus qu'à parler de ce terme que tu sembles tant affectionner. Sauvage, et j'imagine que tu aimes tu autant sa variante barbare ? Bien sûr. Ça en dit long sur toi. Penses-tu aussi que mon izar soit un sauvage ?
L'élu se tut, faisant paraissant d'attendre une réponse du pauvre homme qui s'était totalement liquéfié. Mais dès que ce dernier essaya de prononcer une réponse, Thalgarion le coupa :
— Je te demande ça parce que j'ai un problème. Normalement, si tu avais osé t'en prendre à mon izar de quelque façon que ce soit, je l'aurais invité à participer à ta punition. Cependant, tu t'es attaqué à Ilona. Cette jeune fille est trop gentille et innocente pour pouvoir lever la main sur toi. Or, ce serait trop doux pour toi et trop cruel pour elle. Alors comme tu les vois de la même manière, je me suis dit que tu ne verras pas de différence si c'était Roan qui donner les coups qu'aurait dû te donner Ilona. Un mensonge sur deux, ce sera mon izar qui te donnera ta punition.
Le prêtre jeta un coup d'œil inquiet au féänorien qui avait hérité de la silhouette imposante et musculeuse de son peuple.
— Nous allons donc réécouter ta version des faits. Tu as affirmé qu'Ilona avait fait preuve d'un grand manque de respect à ton égard dès que tu étais rentré dans la salle d'étude. Qu'elle t'avait insulté et qu'elle avait blasphémé. Tu gardes cette version des faits ?
— Oui, oui, geignit Silur entre deux sanglots. Elle a avoué elle-même m'avoir manqué de respect…
Thalgarion soupira en secouant la tête, comme un père grondant son enfant :
— Tu ne dois pas déformer ses propos. Elle a juste admis s'être assise sans autorisation. Ce n'est peut-être pas respectueux, mais ce n'est ni insultant ni blasphématoire.
— Mais… mais, bafouilla le prêtre. Elle ment !
— Hélas, j'ai l'impression que tu oublies que je suis un élu. Je sais quand l'on me ment. Et si tu ne fais pas forcément un piètre menteur, Ilona n'est vraiment pas difficile à déchiffrer. Elle n'a jamais eu besoin de mentir jusqu'à présent, elle ne sait juste pas comment faire. Toi, tu es différent. Tu es vicieux et manipulateur. Dommage que tu te sois imaginé qu'il soit simple de me tromper. Tu seras également puni pour cela. Mais nous verrons cela plus tard.
Un signe de tête suffit pour que l'izar pousse le pauvre homme qui s'éclata violemment la tête au sol. Il n'eut pas le temps de relever le menton, laissant apercevoir son nez en sang que déjà Thalgarion se tenait un genou sur sa cuisse.
— Bien, commençons par quatre coups, fit-il en feignant la réflexion. Deux pour le mensonge initial, plus deux pour avoir déformé les paroles d'Ilona.
Et ile leva son bras. Quand le premier claquement retentit dans la pièce, deux cris suivirent. Celui du supplicié, dont la douleur lui avait arraché un cri puissant et un flot de larme. Et celui d'Ilona qui n'avait pu le retenir devant la violence du coup qui avait laissé une longue marque ensanglantée sur le mollet du prêtre. Ç'avait été un coup bien plus fort que tous ceux qu'elle avait reçus. Les épines avaient déchiqueté la peau, éclaboussant même la tunique de l'élu. Avant même qu'elle puisse réagir, un deuxième coup s'abattait tout aussi puissant, tout aussi destructeur. Les pleures d'Ilona rejoignirent ce de Silur.
— Arrêtez… Je vous en supplie, arrêtez. Je n'ai jamais voulu ça. Il… Si vous continuez, il ne pourra plus jamais marcher…
L'élu se redressa, il la regarda avec intensité. Se levant, il rendit la baguette à son izar. Doucement, il s'approcha d'Ilona avec de la tristesse dans son regard. La jeune fille recula. Thalgarion, malgré son air redevenu doux, l'effrayait plus que jamais. Comment pouvait-il faire preuve d'une telle violence pour ensuite la regardait avec tant de douceur ?
Elle continua à reculer, s'éloignant de lui à mesure qu'il avançait. Puis son dos rencontra le mur, elle ne pouvait plus retarder sa progression inexorable par moi. Et il fut devant elle, avec lenteur, il leva les bras. Et il la prit dans ses bras. Un geste qui aurait pu être rassurant, réconfortant, s'il n'avait pas été à l'origine de son état, s'il n'était pas l'homme qu'elle craignait, si elle ne venait pas juste de la voir mutiler un homme et s'il n'avait pas encore le sang de cet homme sur les mains. Plus simplement, un câlin l'aurait réconforté, calmé s'il avait été donné par une tout autre personne.
Un frisson parcourut le dos d'Ilona, un froid la saisie malgré la chaleur de l'étreinte. Mais les larmes avaient cessé, Ilona était trop stupéfaite pour pleurer.
— Tu es bien trop pure, innocente et naïve pour ce monde, susurra-t-il d'une voix grave et douce. Il est de mon devoir de t'endurcir.
Il recula d'un pas, lui caressant la joue. Il la regarda avec, comme si ce qu'il s'apprêtait à faire lui briser le cœur. Et enfin, il se retourna vers son prisonnier, retrouvant une lueur cruelle dans ses yeux :
— Tu vois la bonté de cœur de cette enfant. Alors que tu la frappais au point qu'elle puisse à peine marcher et que ses mains ne puissent plus lui servir ; alors que tu lui aies réservé un sort pire que la mort en inventant tes sales mensonges, elle, elle pleure pour toi, elle compatit à ton sort. Tu as souhaité son malheur, elle me supplie d'arrêter ta punition. Finalement, celle que tu nommes sauvage et sans nul doute bien plus humaine que toi.
Alors que son maître prononçait ces mots d'une voix suave, l'izar maintenait la tête du prêtre de sorte qu'il ne puisse pas détourner le regard d'Ilona dont les larmes étaient revenues. Dans le regard de Silur, il n'y avait aucune reconnaissance pour elle, juste de la haine. Une haine violente et à l'état pur. Pour lui, elle avait beau réclamer la clémence, elle était à l'origine même de son malheur. Si elle n'avait pas été là, il ne suffirait pas ainsi.
Thalgarion se tourna de nouveau vers Ilona. Il la dévisagea avec tendresse et saisit ses joues entre ses deux grandes mains. Il posa avec douceur son front contre celui de la jeune fille. Ses pouces caressèrent doucement les joues d'Ilona, essuyant ses larmes :
— Il va falloir que tu sois forte, mon enfant. Tu vas devoir rester ici et regarder ce qui arrive à ceux qui se moquent d'un élu ou de ses izars. Je sais que c'est difficile pour toi, mais c'est un ordre. J'ai besoin que ton cœur pur se durcisse.
Thalgarion lui donna une dernière caresse avant de faire un signe à son izar tout en restant au côté de la jeune fille. Roan donna un puissant coup sur le mollet du prêtre qu'il hurla ses poumons. Au deuxième coup, Ilona voulu détourner la tête, mais l'élu l'en empêcha :
— Je suis gentil avec toi et t'apprécie particulièrement, mais tu as intérêt à suivre mes ordres. Ne détourne pas le regard. Montre-lui ta force.
Et Ilona obéit. Elle n'obéit pas pour montrer sa force. Cela n'avait aucun sens pour elle. En quoi regarder un homme se faire torturer était une forme de force. Non, elle obéit, car elle avait peur. Elle avait peur se retrouver à la place de ce pauvre homme, elle était terrifiée d'être la cible de la colère de l'élu. L'ombre de la cage planait toujours au-dessus d'elle.
Ce fut la matinée la plus longue de sa vie. Les mensonges de Silur était nombreux et l'élu et son izar donnaient chaque coup avec force. Dans les débuts, le prisonnier essaya d'argumenter, de négocier, mais à chaque fois qu'il faisait preuve de mauvaise foi, il fut puni par coups violents. Puis quand Thalgarion lui rappelait les mensonges qu'il avait déclarés avant l'arrivée d'Ilona, le prêtre nia l'avoir dit et clama son innocence. À ce stade, c'était à peine s'il restait conscient à l'aide d'une prière de l'élu, et il avait déjà perdu une grande partie de sa raison. Mais malgré son état de demi conscience, ses mensonges furent toutes autant punis. Peu de temps après, il ne prononça plus rien d'intelligible. De sa bouche ne sortait plus que de la bave et des faibles crie à chaque coup.
Les pertes de conscience du supplicié se firent de plus en plus fréquente, toujours aussi implacable, Thalgarion le réveillait grâce à la magie à chaque fois.
Quand la torture prit fin, les muscles des mollets du supplicié étaient déchirés, sans soin magique de qualité, l'homme ne pourrait plus jamais marcher correctement. Et ses mains étaient tellement déchiquetées qu'on pouvait voir les os.
Ilona, recroquevillée contre le mur, les jambes repliés contre la poitrine, les mains sur sa bouche, elle avait cependant toujours les yeux grands ouverts. Ils étaient remplis de larmes qui coulaient sans discontinuer, sa robe était trempée d'eau salée et ses joues ébène humide. Elle était dans un état second, totalement apathique.
Si au début son esprit s'était rebellé, cherchant à comprendre comment l'on pouvait commettre de telles atrocités sur d'autre être vivant. Elle s'était révolté de cet horrible spectacle. Elle s'était aussi sentie coupable, elle avait l'impression d'être la responsable du sort de cet homme. Peut-être que si elle ne s'était pas rebellée, si elle n'avait pas cherché à le ridiculiser, il ne serait pas là. Elle se sentait aussi coupable d'être un simple spectatrice, d'accepter la situation sans plus protester, d'accepter les ordres par peur de subir la même punition. Où était passé son courage ? Où était passé son sens de la justice ?
Puis petit à petit, elle avait perdu pied. Sa conscience l'avait abandonnée, ne supportant plus les horreurs qui se déroulaient sous ses yeux. Elle était toujours éveillée, mais elle n'était plus là. La peur, l'horreur, le dégout, la culpabilité, tous avaient fini par disparaître pour ne laisser que le vide, le néant. Ilona était vide, plus de pensée, plus d'émotion. Rien que le vide.
Elle ne remarqua pas quand les cris cessèrent, quand les sanglots se tarirent. Elle regardait, mais elle ne vit pas quand les coups cessèrent et que l'izar emporta le corps inconscient du supplicié hors de la pièce. Elle ne remarqua pas dès qu'elle se retrouva seule avec l'homme qui enteraient ses cauchemars toute sa vie.
L'élu s'approcha d'elle avec lenteur. Il s'accroupit auprès d'elle. Ilona réagit à peine, seuls ses grands yeux verts suivaient les mouvements de l'homme sans parvenir à le voir. Alors, avec une infinie douceur, l'élu la prit dans ses bras avec un regard paternel. Il alla la déposer délicatement dans un fauteuil et il s'agenouilla face à elle. Sa voix grave résonna de nouveau de la pièce, maintenant dépourvu de toute colère :
— Ilona, mon enfant, c'est fini, il faut que tu reviennes. Tu as été très courageuse.
La voix douce et reposante de Thalgarion réussi à parvenir à la conscience endormit d'Ilona. Elle émergea avec lenteur et il la prit dans ses bras pour la réconforter, lui chuchotant des mots rassurants. Quand la vie revint dans son regard, ce fut accompagné par un nouveau flot de larme.
— Chut, c'est fini, répéta-t-il en essuyant ses larmes. Je suis vraiment désolé, mais c'était nécessaire. Ce qui vint de se passer n'était pas une punition, et je ne veux pas que tu le considères ainsi. Tu vins de recevoir une leçon très importante. C'était aussi une leçon que je suis heureux d'avoir pu te donner avant que tu ne partes à l'institut. Je préfère que tu vois ce spectacle de ma main, que tu le découvres d'une autre manière. À l'institut, comme partout dans l'empire, les punitions corporelles sont très courantes. Cela peut aller jusqu'à la section de membre et la plupart du temps, elles sont données en public. Il est très important qu'à l'institut, lors d'une sentence public, tu ne réagisses pas comme tu l'as fait aujourd'hui. Moi, je sais que ces larmes sont en réalité la preuve de ta grande force, mais pour beaucoup d'autre, elles ne seront que la preuve de ta faiblesse. Et quand les gens te croient faible, ils te prennent pour cible. Là où tu te rends, le simple fait que je t'ai choisi pour devenir mon izare suffira pour te faire jalouser et haï. Par les autres apprentis, mais aussi hélas par certain de tes professeurs. Je ne serais pas surpris que tu reçoives des punitions injustes comme celle que tu aurais pu recevoir si j'étais suffisamment naïf pour croire ce prêtre arrogant. Je me doute qu'avec cette démonstration de force, tu me vois encore plus comme un monstre, mais j'espère que cette leçon te permettra de t'éviter d'autre souffrance d'un pire.
Il lui caressa une dernière fois la tête avant de se redresser. Durant tout le long de son discours, sans qu'Ilona ne remarque, il lui avait ôté ses chaînes. Il lui avait également retiré ses entraves des chevilles. Il alla les déposer sur son bureau, lui laissant le temps et l'espace pour assimiler ses paroles.
Bien qu'elle soit encore bouleversait, Ilona avait écouté avec attention les mots de Thalgarion. Elle avait compris ce qu'il cherchait à lui dire. Elle avait compris qu'il cherchait à l'avertir qu'elle n'était plus dans l'univers sécurisé et plein de bonté de la barge. Il voulait qu'elle comprenne que maintenant la norme, c'était ce qu'elle venait de vivre. Mais elle refusait d'admettre que ces paroles puissent avoir du sens, que ces paroles soient réellement sa nouvelle réalité. Il ne pouvait y avoir aucune rationalité à estropier à autrui, peu importe le crime qui avait été commis. Une punition corporelle ne pouvait rien apporter de bon. En plus de se rabaisser à commettre un acte potentiellement plus horrible que le crime d'origine, cela apporte plus de problème à la société que ça n'en résolvait. Le condamné, s'il était trop gravement estropié, pouvait devenir un poids pour la société. Et cela ne semblait pas si dissuasif si on avait si souvent recours à cette sentence.
Même sur la barge, il y avait des crimes de commit. Il était rare et toujours résolu dans l'intimité. Les sentences étaient le plus souvent des corvées en plus et des rendez-vous obligatoires avec des conseillers de l'esprit pour comprendre ce qui avait poussé le criminel à passer à l'acte. Le criminel travaillé sur ces raisons pour qu'il ne récidive pas. Et il y avait bien peu de récidive sur la Barge. Comme quoi la justice n'était pas une affaire de vengeance et de punition.
Ilona ne voulait pas s'habituer à un système dans lequel l'on blesse d'autre être, où on légitime la violence sous prétexte de justice.
Plongée dans ses pensées, elle ne prêta pas attention aux serviteurs en train d'installer le couvert sur la grande table au centre du bureau. Elle n'aperçut pas que la femme qui s'occupait d'elle était entrée dans le bureau et avait déposé une trousse de soin devant elle avant de ressortir.
Quand tous les serviteurs furent sortis, Thalgarion revint vers Ilona. Il s'agenouilla et commença à lui retirer avec douceur ses bandages.
— Vous n'avez pas à faire ça, protesta faiblement la jeune fille d'une voix enrouée. J'ai été soigné avant de venir ici.
— Mais je tiens à le faire. Les bandages sur tes chevilles doivent être changés, cela fait déjà deux jours qu'ils sont en place.
Il avait parlé d'un ton autoritaire, mais calme. Ilona ne contesta pas, elle n'en avait plus la force. Son ravisseur, lui, semblait aller parfaitement bien. Le sang de celui qu'il venait de torturer avec tant de violence était encore humide sur ses vêtements, mais il souriait avec douceur et lui prodiguait des soins avec délicatesse. Il venait de détruire les jambes, les mains et la raison d'un homme, mais ne paraissait même pas ébranlé.
Sans qu'elle ait ressenti aucune douleur, l'homme avait déjà fini de changer les bandages. Il se releva, la colère était revenue dans son regard :
— Cet homme n'aurait jamais dû te faire ça. Même si tu avais réellement fait ce dont il t'accusait, il n'avait aucun droit de punir une apprentie izare désignée. Seul son maître le peu. Ma punition a été trop douce.
Ilona le regarda avec horreur avant de détourner son regard :
— Pourquoi faire tout ça ? Chuchota-t-elle. Jamais ses chevilles ne pourront être soignées, mais à quoi a bien pu servir une telle sentence ? Cet homme, jusqu'au dernier moment, était persuadé que j'étais la seule responsable de son état. Il n'a pas compris la faute que vous l'accusé avoir commise, il ne se repentira jamais. Cette sentence ne lui rien apporterait, si ce n'est de me haïr davantage. Et malgré ce que vous avez fait, les autres porteront toujours le même regard sur moi. Pour eux, ma peau sombre leur suffit pour me condamner, pour penser de moi les pires choses. La justice que vous avez appliquée n'a aucun sens.
Ses paroles avaient été susurrées dans un souffle, ses yeux brillant de crainte n'avaient pas quitté ceux de Thalgarion. Mais loin d'être en colère, le visage de ce dernier s'illumina d'un sourire fier.
Elle était encore sous le choc de ce qu'elle venait de vivre, pourtant elle lui tenait à nouveau tête. Alors qu'elle était effrayée par lui, elle plantait son regard rempli de bien trop de gentillesse sur lui. C'était pour cela qu'il l'avait choisi. Elle serait une parfaite izare, elle serait lui dire le fond de sa pensée, malgré le respect et la loyauté qu'elle aura pour lui. Il savait que l'apprentissage pour devenir izar, faisait perdre cette capacité de contredire un élu, mais elle lui semblait différence. Elle n'avait l'air de rien, pas très grande, presque frêle avec de grands yeux innocents. Mais elle portait en elle de puissante conviction qui renforçait son esprit.
— La vision de la justice du peuple de la mer est sage et juste, mais elle n'est pas applicable dans l'empire, expliqua simplement l'élu. La justice zhikerhote en plus d'être une justice, elle est une messagère. Elle apporte le message de la puissance de l'empire, de la grandeur de notre Dieu. En punissant ainsi Silure, je rappelle à tous que l'on ne touche pas impunément à la possession d'un élu, encore moins quand c'est ma possession. Si je n'avais rien fait, j'aurais laissé le message que j'étais trop faible pour défendre ce qui m'appartient. Ou alors, ce serait pour certain la preuve que tu ne m'importes pas et qu'ils pourront à leur tour s'en prendre à toi.
— Ce dont tu me parles n'a rien avoir avec la justice, répliqua Ilona.
— C'est pourtant ce que nous appelons justice ici.
Ilona fronça les sourcils, elle avait décidément bien du mal à comprendre les terrestres. Elle avait envie de lui objecter qu'elle ne lui appartenait pas, qu'aucun être pouvait être la possession d'autrui, mais elle savait ce sujet glissant. Elle s'était donc contenté de lui parler de justice. Mais leur différence culturelle semblait trop grande pour qu'elle soit en accord avec lui. Pour elle, la justice ne pouvait être transformée si facilement. Pour elle, la justice ne pouvait être associée à la vengeance ou être une démonstration de force ou de pouvoir.
L'élu s'assit confortablement à table et changea de conversation :
— Parlons de chose plus positive. Comme tu l'as remarqué, je ne t'ai pas remis tes entraves. Je pense que tu as mérité que je t'accorde un peu de confiance. Cela te permettra également de guérir au plus vite. Tu comprendras cependant que je te laisse tes bracelets et ton collier. Je ne doute pas que si je te rends ta magie, tu en profiteras pour fuir.
Ilona regarda ses chevilles devenues plus légères avant de chuchoter de mauvaise grâce :
— Merci.
Bien sûr, elle n'était pas reconnaissante, mais il restait l'homme qu'elle craignait et si elle lui disait ce qu'elle pensait réellement, elle craignait qu'il rentre dans une grande colère.
— Viens donc, me rejoindre à table, jeune fille.
Elle se leva doucement, ses jambes la faisaient toujours souffrir. Elle se dirigea lentement jusqu'à la chaise qui avait été installé pour elle. Malgré sa lenteur, Thalgarion ne parut pas agacé, il la regarda patiemment se mouvoir. Il y avait une forme de compassion dans ses yeux, mais il ne se leva pas pour l'aider.
Quand, elle se fut enfin assise, l'élu fit un signe et des serviteurs entrèrent dans le bureau portant des plateaux chargé de victuaille. Plusieurs plats leur furent présentés et on remplit l'assiette d'Ilona. Elle se rappela sa leçon avec Althar la veille, elle attendit donc que Thalgarion prenne sa première bouchée pour manger à son tour. Chaque plat étaient délicieux, aussi délicieux que le festin qu'on lui avait servi le premier jour. Se rappelant ses souvenirs peu agréables, le souvenir que ce succulent repas n'avait servi qu'à la droguer, le souvenir qu'elle s'était réveillés dans une cage, son appétit se coupa. Son appétit n'était déjà pas bien grand à cause des horribles images de ce qui venait de se produire dans cette pièce. Elle ne pouvait à présent plus rien avaler. Chaque bouffée lui donnait la nausée, l'appétissante odeur devenait pour son nez un écœurant fumet.
Pourtant, malgré la rébellion de son corps, Ilona se força à porter sa fourchette à la bouche encore et encore. Elle se forçait à avaler avec difficulté. Thalgarion lui semblait réellement heureux de partager son repas avec elle malgré les atrocités qu'il venait de commettre. Sans attendre de réponse de sa part, l'élu lui parlait de chose est d'autre sur ses devoirs, sur les devoirs des izars, mais également sur sa ville portuaire qu'il paraissait sincèrement apprécier. La jeune fille de la mer ne voulait pas l'énerver en lui montrant que ce plaisir n'était pas réciproque, alors elle continua à manger.
Thalgarion avait bien remarqué qu'Ilona avait du mal à manger, il voyait qu'elle était dégoûtée et qu'elle ne souhaitait qu'une chose, quitter ce bureau. Malheureusement pour elle, il était bien décidé de faire ce repas avec elle. Il était important pour lui qu'elle réussisse à dépasser ce qu'il venait de se passer, il était important qu'elle s'endurcisse pour que plus personne ne puisse profiter de son cœur pur, comme il le faisait lui. Alors, quand il fut sûr qu'elle l'écoutait, il commença à lui poser des questions. Des questions qui n'avaient rien avoir avec ce qu'elle avait vécu ici. Il la questionna davantage sur sa vie sur la barge, sur sa famille, ses amis.
Si Ilona était d'abord trop réticente pour lui répondre, le charisme de l'homme qui arrivait à tenir la conversation sans même qu'elle ne lui réponde et son envie d'oublie la matinée la poussa à parler. Elle parla, lui répondit. Elle le détesta aussi plus. Elle le détesta pour cette capacité qu'il avait à se rendre captivant dans n'importe quelle situation. À cet instant, elle aurait préféré qu'il soit davantage comme Silur, ainsi, elle ne risquait pas d'oublié tout le mal qui lui avait fait. Car, même si elle savait que c'était l'homme qui avait fait d'elle une prisonnière, même si elle avait été témoin de sa cruauté, même si elle savait qu'il se pensait supérieur à tous, dès qu'il ouvrait la bouche, à rien le rendait intéressant. Elle aurait presque eu envie de le suivre sans plus réfléchir. C'était un homme intelligent, civilisé et sociable.
Finalement, le repas se déroula rapidement et Ilona fut ravie d'en voir la fin, espérant qu'enfin, elle serait renvoyée loin de cet homme qui la rendait folle.
— Je vais devoir travailler, finit par décréter Thalgarion une fois que la table fut débarrassée par les serviteurs.
Ilona se redressa sans dissimuler son espoir, ce qui fit sourire l'homme qui poursuivit avec malice :
— Tu vas rester un peu dans mon bureau en attendant que je parle à quelqu'un Tu as le droit de prendre les livres que tu veux et de t'installer dans les fauteuils.
Sans plus de discussion, Thalgarion sortit de table et alla s'asseoir derrière son bureau, la laissant seule à table dans une certaine incompréhension. Que pouvait bien lui vouloir cet homme ? Pourquoi n'acceptait-il pas de lui laisser un peu de paix. Après l'avoir foudroyé du regard alors qu'il avait le dos tourné, elle se leva à son tour. En boitillant, elle se rendit avec jusqu'aux étagères, plus de livre. Après tout, il lui avait donné l'autorisation et elle était curieuse de voir qu'elle serait les livres qu'il trouvait suffisamment importants pour les garder dans cette pièce et non à la bibliothèque.
Son regard parcourut avec attention les étagères. Elle pourrait ainsi mieux comprendre son ravisseur, mais également ne pas se laisser submerger par ses sombres émotions qui revenaient de plus belle. Ce fut sans grande surprise qu'elle vit beaucoup de livre de théologie, de recueil d'écrit d'anciens élus. Pour la plupart écrivent en zhikerhote impérial, mais elle en trouva aussi en commun. Mais le reste des livres qui peuplé ces étagères étaient très variées. Il y avait en profusion des livres d'économie, de gestion, des textes de loi. Toutefois, ce qui l'a surpris le plus, c'est le grand nombre de livres scientifique. Les zhikerhotes étaient méfiant vis-à-vis de la science qui cherchait un peu trop à comprendre les secrets de Dieu.
Puis, elle s'arrêta sur un livre assez singulier. Un livre de poésie en commun. Elle le prit, intriguée et fut d'autant plus surprise de voir que ce n'était pas une traduction, mais bien la version originale. Il était très rare qu'un livre soit directement écrit en commun, comme le commun n'était une langue natale pour aucun peuple. Les rares livres directement en commun étaient pour la grande majorité de livre de science, d'histoire, de politique, de géographie, en aucun cas des textes de fictions ou même de poésie. Le commun n'était la langue natale de personne et ne servait que pour communiquer entre les peuples. Certes, c'était une langue connue de tous les peuples du continent, mais elle ne servait que pour le commerce, les traités ou tout autre échange avec deux peuples ne parlant pas la même langue. C'était une langue dont les origines étaient mystérieuses. Elle se parlait d'un bout à l'autre du continent, sur chacune des archipels d'île, elle avait très peu de variation et son évolution était très lente. Certains prétendaient que le commun était à langue primitive des humains, parlait par le tout premier peuple humain. C'était une langue suffisamment vieille pour qu'on la retrouve sur les plus vieux écrits de l'humanité. Cette théorie voulait que tous les langages que l'on parlait à présent n'était que l'évolution de cette langue originale. Et que l'on aurait conservé le commun pour pouvoir échanger entre tous les peuples. Cependant, beaucoup de savant remettait cette théorie en doute. Une langue qui se serait propagée sans évoluer sur tout le continent et qui aurait continué à exister durant plusieurs millénaires, cela semblait assez irréaliste. Il y avait autre chose derrière cette étrange langue. Il fallait d'ailleurs ajouter aux bizarreries, que si le commun avait bien influencé des langues pour quelques mots, il était difficile de retrouver d'autre point commun entre chaque langue et le commun. Des penseurs avaient théorisé que c'était en réalité une langue bien plus ancienne. Ils pensaient que cela pouvait être une langue qui existait avant les humains, elle pouvait être la langue qui servait aux différentes espèces pensantes de communiquer entre eux. Les dragons, les sirènes, les nains et les elfes était là bien avant les humains. Il existait donc bien la possibilité que, malgré la règle qu'ils s'étaient imposé de non-intervention, certains d'entre eux étaient allés à la rencontre des humains et leur avait transmis cette langue. Bien sûr, le savant du peuple de la mer avaient bien essayé de demander aux sirènes, mais comme à leur habitude, elles les avaient invités à trouver la réponse par eux-mêmes.
Toujours était-il, qu'aucun humain n'avait pour langue maternelle le commun, que le commun était utilisé pour le commerce, la politique et la science. Il y avait de rares livres de fiction en commun, mais c'étaient toujours des traductions. Les copistes du peuple de la mer aimaient notamment faire des traductions d'histoire ou de poésie en commun, pour que ces textes soient diffusés auprès d'un grand nombre de peuples. C'était également avec des romans et des recueils de conte qu'Ilona avait perfectionné cette langue. Mais c'était bien la première fois de sa vie qu'elle voyait une œuvre de littérature directement écrite en commun. Intriguée, elle se saisit du livre et retourna en clopinant jusqu'aux fauteuils.
Plongée dans sa lecture, elle ne vit plus le temps passer, étonnée de découvrir dans cette poésie tant de beauté et d'harmonie, bien loin du chaos du matin. Elle commença même à apprendre certain des poèmes qu'elle préférait.
Elle fut coupée au milieu de sa lecture par l'arrivée du scribe Althar. Ce n'est qu'à ce moment qu'elle se rendit compte qu'il était effectivement déjà l'heure pour sa leçon de l'après-midi. Elle déposa son livre sur la table basse et se leva, observant le savant entrer et faire une belle révérence :
— Ô grand guide, je remercie Dieu de vous avoir envoyé. C'est un honneur d'avoir été appelé par vous, votre excellence.
Puis, il se tourna vers Ilona :
— Je suis également heureux de vous voir. J'ai eu peur de ne plus vous revoir.
Soulagée par la présence douce et apaisante d'Althar, Ilona lui rendit son sourire. Elle aussi était heureuse de le voir.
L'élu observa leur échange d'un œil sévère. Il ne savait pas si la relation entre son maître scribe et sa future Izare lui plaisait. Il appréciait grandement le scribe qui faisait partie des rares savants du pays à être capable de faire preuve d'esprit ouvert et comprendre le monde en dehors des dogmes de l'Église. Il avait de grandes connaissances et n'hésitait pas à lui faire part de celle-ci même quand cela allait contre les paroles de l'élu. C'était un élément rare, un bon et sage conseillé. Il ne s'était pas fait de soucis en lui confiant Ilona. Il savait que le scribe s'occuperait bien de lui apprendre ce dont elle aurait besoin et que lui plus qu'aucun autre respecterait la jeune fille de la mer malgré ses origines. Pourtant, les voir si proches, le mécontenté sans qu'il n'en connaisse la raison.
Mais il était un élu, de par son éducation, il avait appris à mettre de côté ses émotions. Il quitta le siège de son bureau pour aller s'asseoir sur un fauteuil, invitant avec majesté le scribe et Ilona à en faire de même :
— Je suis également heureux de vous revoir, Maître Althar, déclara Thalgarion avant de se tourner vers Ilona. Maître Althar est venu ne trouvait tôt ce matin pour vous soutenir. Il a assuré que son élève n'aurait jamais commis d'outrage assez grand pour mériter ce qui lui arrivait. Il m'a dépeint un portrait de toi qui m'a réjoui.
Il s'adressa ensuite au scribe :
— Je te suis reconnaissant d'être venu défendre Ilona. J'apprécie grandement ta loyauté et ta clairvoyance. Je souhaite te récompenser pour cela. Tu me diras plus tard ce que tu souhaites, mais je t'ai convoqué pour autre chose. Il faut que l'on parle de ta nouvelle élève et de ses dons. J'aimerais beaucoup que vous étudiez ceci.
L'élu fit glisser des parchemins sur la table basse qui le séparé du scribe. Ilona reconnu immédiatement les parchemins qu'elle avait calligraphiés la veille, ceux à cause desquels elle se retrouvait dans cette situation.
— Je veux que tu me donnes ton avis, demanda l'élu en plaçant ses mains croisé sous son menton.
Le savant recoupera les écrits et les étudia de son œil expert, ne remarquant pas le regard anxieux d'Ilona. Pour la jeune fille, le scribe était un de ses enseignants et elle voulait toujours plaire à ses enseignants.
— Pour vraiment être sûr, il faudrait que je connaisse l'origine de ce document, commença le scribe. Si on parle de sa valeur monétaire, ces parchemins ne valent pas grand-chose. Le parchemin et l'encre utilisaient son de piètre qualité, je dirais que ce sont ceux dont on se sert pour l'apprentissage. De plus, un texte manuscrit sans enluminure vaut de nos jours moins qu'un texte calligraphié. Malgré cela, je trouve ses parchemins fort intéressants. Bien que les traits soient légèrement tremblants, la calligraphie est impeccable. Cette dernière me fait beaucoup penser à celle des copistes du peuple de la mer. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je pense que ces textes ont été recopiés soit par un apprenti copiste particulièrement talentueux ou par un ancien maître copiste dont l'âge a fait perdre de la précision à sa main.
Un sourire qu'elle ne put retenir grandit sur le visage d'Ilona. Elle était fière que son maître voie dans ses écrits le talent d'un copiste de son peuple. Elle était fière qu'il reconnaisse le savoir son talent. Elle était si fière et heureuse que la chaleur lui monta aux joues.
L'élu resta un instant songeur avant de déclarer sans préambule :
— Ces parchemins ont été calligraphiés par Ilona.
Le savant ne put cacher sa surprise en regardant Ilona :
— Ilona ? Mais quand ? Demanda-t-il. Je veux dire, ces deux derniers jours, elle n'avait pas les mains en état pour tenir une plume.
Ilona eut un sourire crispé en regardant ses mains encore bandé. Elles étaient encore douloureuses et elle ne pouvait que se souvenir de l'abnégation qui lui avait fallu pour écrire ses lignes. Puis ses pensées l'amenèrent naturellement vers le prêtre Silur, elle le revit couvert de sang et elle fut prise de nausée. Elle se concentra sur les voix des deux hommes qui poursuivait leur conversation pour ne pas se laisser submerger par ces horribles souvenir.
— Elle les a écrits hier matin, informa Thalgarion. Quand je l'ai vu, j'ai été surpris du travail sans même connaître l'état de ses mains.
— Hier matin… répéta pensivement le savant. Tu as dû tant souffrir, Ilona.
La voix de l'homme était pleine de compassion et Ilona lui répondit d'un sourire timide. Elle ne lui dit pas que ce n'était pas la douleur qu'elle regrettait, que ce qu'elle regrettait c'étaient les conséquences lourdes qu'avaient eues ces fichus parchemins. Si elle n'avait pas été si orgueilleuse, si elle n'avait pas cherché de revanche, si elle s'était contenté de lui obéir sans vouloir le ridiculiser, le prêtre Silur aurait peut-être encore l'usage de ses jambes et de ses mains. Repenser à tous ça lui donna le vertige. Son visage se crispa et elle commença à perdre pied. Quand, soudainement, la voix réconfortante de l'élu raisonna étrangement fortement à ses oreilles :
— Ilona, j'aurais puni cet homme même si tu n'avais pas écrit ses lignes, même s'il n'était pas venu faire ses accusations mensongères. Ce n'était pas son rôle de te punir. Dès qu'il a levé ses sales mains sur toi, il devait être condamné. L'état dans lequel tu te trouves suffise pour que je réclame sa mort. Et il me semble qu'il n'a pas eu le temps de te punir après que tu es fini d'écrire. Donc, il aurait été puni, peu importe que tu es calligraphié ce texte ou non. Il n'a pas été puni juste pour ses mensonges, mais également pour les blessures qu'il t'a infligées.
Ce discours ne permit pas d'apaiser le cœur de la pauvre fille, elle était convaincue qu'elle aurait évité l'horreur qu'elle venait de vivre si elle avait su taire son orgueil. Mais, les mots de l'élu, le son grave et rassurant de sa voix, lui avait permis de retrouver le calme.
Le savant observa Ilona avec beaucoup de compassion et de douceur. Il en connaissait suffisamment sur le peuple de la mer pour savoir que quoiqu'ait vu la jeune fille au cours de cette matinée, elle allait avoir beaucoup de mal à l'accepter. La justice zhikerhote était bien trop différente de celle du peuple de la mer.
— Continuons, déclara l'élu comme si rien ne venait de se passer. Que penses-tu du potentiel de ma future izare ?
— Elle est l'une des élèves les plus talentueuses à qui j'ai eu l'honneur d'enseigner. Elle possède déjà à son âge de grande connaissance sur ce monde, sa maîtrise du commun ferait rougir la plupart de nos marchants. Elle a les connaissances de base dans plusieurs sciences. Et je viens de découvrir ses talents de scribe qui ne sont pas négligeables. Je ne doute pas qu'elle fasse une excellente izare.
Thalgarion hocha la tête avec fierté, tel un père heureux d'entendre que sa fille était talentueuse. Il continua à interroger le scribe sur des points plus précis pour savoir jusqu'où aller ses connaissances, quels étaient ses autres talents et au contraire sur quoi il faudrait travailler pour réduire ses lacunes. Les deux hommes passèrent l'après-midi à discuter d'Ilona et bien que cela aurait pu nourrir l'égo de la jeune fille, en vérité, elle n'apprécia pas cet échange.
Elle n'apprécia pas que Thalgarion continue de parler d'elle comme si elle lui appartenait. Elle ne fut pas heureuse que pour l'élu, elle n'ait pas d'autre avenir que celui d'être à ses côtés. Elle détesta davantage qu'Althar n'en soit pas choqué et qu'il réponde à l'élu comme si lui aussi ne l'imaginait pas ailleurs qu'au côté de l'élu. Elle se sentit trahir par son professeur qui faisait de son mieux pour la préparer à cet avenir qu'elle refusait.
Pourtant, elle n'apprécia pas non plus quand la discussion prit fin et qu'Althar. Car une fois le scribe congédié, ce fut un son tour de quitté le bureau en compagnie de la femme pour se rendre dans sa chambrette qui ne lui avait jamais semblé si sombre et minuscule. Car si elle n'avait pas apprécié cette conversation, elle lui avait quand même permit de ne plus se torturer l'esprit. Seule dans sa chambre, elle dut faire face à sa conscience.
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