Chapitre 9 : la liberté

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Ce soir-là, Ilona eut beaucoup de mal à s'endormir. Son esprit toujours hanté par les évènements de la matinée. Les cris et les pleurs de l'homme, le sang giclant, le regard indifférent et dur de l'élu et son izar. Quand enfin le sommeil vint la prendre, ce n'était que pour la plongée dans un monde cauchemar. Elle était à la place de Thalgarion donnant froidement de puissant cou s'en parvenir à s'émouvoir, mais elle était également Silur, recevant cou sur cou malgré ses suppliques. Soudainement, elle fut de retours sur la barge, dans le tribunal. Elle y était jugée pour avoir torturé violemment des gens, tout le monde l'accusée d'être devenu un monstre et elle ne parvenait pas à ouvrir la bouche pour se défendre. Finalement, on la déclara coupable et elle fut bannie de la barge, condamnée à l'exil sur terre. Ne s'arrêtant pas, le cauchemar continua à la torturer, la réveillant plusieurs fois en sueur et en pleur. 

Cette nuit-là, elle ne put ni se reposer ni faire la paix avec ses émotions. Et le soleil fit par se lever et elle se sentait toujours plus coupable et complice des atrocités commise par l'élu. 

Il lui restait à présent plus que quatre jours. Quatre jours avant qu'on l'envoie dans ce fameux institut. Et durant ces quatre jours, elle ne parvint pas à trouver d'opportunité pour fuir. Thalgarion avait décidé qu'elle ne quitterait plus le manoir. Elle n'avait pas besoin de cours de théologie pour l'instant, elle en savait déjà beaucoup et elle apprendrait le reste à l'institut. C'était un soulagement pour Ilona de ne plus avoir à se rendre à l'église. Il y avait là-bas bien trop de souvenir malheureux et douloureux. 

Étant constamment enfermée dans le manoir, sous garde renforcé, Ilona finit par abandonner l'idée de s'échapper durant son séjour en ces lieux. Elle se dit qu'elle aurait bien plus d'occasion de le faire quand il prendrait la route vers l'institut. 

Même si elle ne se rendait plus à l'église le matin, elle n'était pas pour autant libre durant ses matinées. Thalgarion demandait à ce qu'elle le rejoigne dans son bureau après son petit déjeuner jusqu'au repas. Ilona n'était pas heureuse de devoir passer ses matinées en compagnies de son ravisseur dans ce bureau où il avait torturé sous ses yeux un homme. Mais depuis son retour, l'élu tenait à ce qu'elle soit auprès de lui. Il ne se cachait d'apprécier grandement sa compagnie et sa bonté. Régulièrement, il lui demandait conseil sur ce qu'il pourrait faire pour améliorer la vie de la cité. Toujours, il écoutait sa réponse, sans se moquer, sans la méprisée. Il alla même jusqu'à lui confier de petites tâches. Le plus souvent, il lui demandait de lire une partie du courrier qu'il recevait en tant que seigneur de cette ville et de ses environs, elle devait ensuite les classer par ordre d'importance et lui faire un rapport. Elle était surveillée par un scribe quand elle faisait ce genre de tâche, mais Thalgarion semblait lui porter une étrange conscience.

En travaillant à ses côtés, Ilona découvrit un autre Thalgarion. Elle se rendit compte, qu'aussi clairvoyante qu'elle était sur les gens qu'elle côtoyait, elle avait eu de nombreux préjugés sur lui. Elle l'avait cru être un seigneur tyrannique suivant les valeurs zhikerhotes. Elle était persuadée qu'il entretenait les inégalités, lui qui parlait toujours comme si c'était une chose inévitable. Il lui avait fait remarquer à plusieurs reprises que sa vision du monde à elle était utopique et qu'une illusion. Elle en avait donc déduit que pour lui, il était inutile de lutter contre ce qu'il disait inéluctable. Mais, aussi terrible qu'il soit, bien qu'il soit son ravisseur, son tortionnaire, il n'en restait pas par ailleurs un homme avec une certaine bonté. Cette découverte fit beaucoup de mal à Ilona.

Thalgarion était celui qui avait œuvré depuis qu'il était arrivé à la tête de cette ville pour mieux répartir les richesses et réduire les inégalités. Ilona avait commencé à le comprendre quand elle s'était rendu compte que l'élu recevait autant voir plus de courrier de la part de personne des bas quartiers que de bourgeois. Le scribe qui la surveillait et la secondait lui avait appris que Thalgarion avait mis en place des bureaux de scribe dans chaque quartier pour que ceux qui ne savent pas écrire puisse quand même envoyer des réclamations au seigneur de la ville. Il y avait même des scribes qui parcouraient les quartiers au-delà des remparts pour que même eux puissent adresser des demandes. Ilona fut d'autant plus surprise quand on lui demanda de trier les courriers par ordre de priorité en ignorant le rang des personnes qui les avaient envoyés. Elle avait appris dans ses cours avec Althar que dans l'empire, le rang social des individus était considéré comme plus important que toute autre considération. Pourtant, Thalgarion ne semblait pas y prêter attention quand il gérait les demandes.

Ilona observa l'élu mettre en place une politique d'assainissement des quartiers pauvres alors qu'une simple guérisseuse des bas quartiers, sans formation ou reconnaissance officielle, lui apprit qu'il y avait un nombre de cas de dysenterie inquiétant dans le quartier du port. Il ne réfléchit pas juste à guérir les malades dans l'immédiat, il commanda une enquête pour comprendre les raisons de ce mal et ce qu'il faudrait faire pour l'atténuer. Ilona entendit les conseillers de l'élu protester qu'il n'y avait pas assez de cas pour que cela soit une épidémie, que faire une enquête pour une chose si insignifiante était une perte d'argent et de temps. Il ne fallut que quelques mots de Thalgarion pour leur faire comprendre que dans le quartier des ports vivent une grande partie de la main d'œuvre de la ville et que sans elle la ville ne pourrait plus fonctionner. 

Ilona put également voir Thalgarion prendre au sérieux le message d'une brave enseignante de la ville qui demande des financements pour qu'elle et d'autre volontaire descende dans les quartiers au-delà des remparts pour apprendre les lettres et les chiffres aux enfants de là-bas. Il demanda à voir cette femme par lui-même pour discuter ce qui pouvait être fait. 

Bien sûr, Thalgarion ne prenait pas que des décisions qui paraissait juste à Ilona. Il en prit même qui semblèrent inhumaines à la jeune fille de la mer. Mais ce qu'elle put observer à ses côtés, lui prouva que cet homme était loin d'être uniquement un élu froid et persuadait d'être supérieur et de travailler dans l'intérêt de Dieu. Et elle détesta cela. Elle détesta, car quand elle aima travailler pour lui. Elle trouva gratifiant d'aider un homme à rendre la vie de beaucoup meilleur. Elle apprécia qu'il écoute son avis et qu'il soit à l'écoute de tous. Elle vit en lui un homme prêt à faire le bien autour de lui et il réussit à lui faire oublier qu'elle devait le fuir plus que tout. 

En plus des matinées passées dans son bureau, Ilona devait partager sa table le midi. Cela l'agacé grandement, car lors de ses repas, elle finissait toujours par discuter avec lui malgré toutes ses bonnes résolutions. Et elle aimait ces discussions toujours passionnantes et enrichissantes. L'homme était un puits de savoir et de curiosité. Il savait aussi faire preuve d'humour. 

Ilona était soulagé de pouvoir passer ses après-midis loin de lui et de son charisme. Elle pouvait ainsi se rappeler qu'il avait mutilé un homme devant elle, qu'il l'avait enfermée pendant prêt d'un mois dans une cage juste pour lui imposer de se soumettre. Elle pouvait se remettre en mémoire que cet homme aurait choisi de la mettre en esclavage si elle n'était pas une future choriste. Mais si elle appréciait autant ses après-midis, c'était également grâce à Althar. Le scribe passionné lui enseignait toujours plus de choses et la lançait dans des débats passionnants. 

Il avait progressivement arrêté de lui parler d'histoire, bien que cela la passionne pour s'assurer qu'elle connaisse le plus de traditions, de croyance et de règle de la société zhikerhote. Il voulait que son élève soit le moins blessée la prochaine fois qu'elle serait confrontée aux traditions ou aux lois de l'empire. Il essaya de s'y prendre doucement, pour ne pas lui faire peur ou la dégoûter. 

Ainsi, un après-midi, il lui demanda :

— Que sais-tu ou qu'à tu compris du rapport entre les hommes et les femmes zhikerhotes ?

— Je ne suis pas sûre de comprendre cette question, répondit Ilona. Vous voulez peut-être parler des mariages ? J'ai lu quelque chose à ce propos. C'est quelque chose qui n'a pas d'équivalant chez nous. Sur la barge, on vit avec ceux que l'on aime sans avoir besoin de se lier par un serment. Si un jour l'amour disparait, chacun part de son côté. Mais pour cela, notre peuple semble être une exception, tous les peuples terrestres que je connais pratique leur version du mariage. Mais je dois avouer que je ne comprends pas tout. J'ai cru comprendre que pour les zhikerhotes le mariage n'est pas toujours un serment d'amour. À quoi cela peut-il bien servir de s'engager à vire avec quelqu'un, de lui jurer amour et fidélité éternel si cet amour n'existe pas ? Et pourquoi le mariage n'existe qu'entre homme et femme ? Ce n'est pas le seul amour qui existe.

Althar répondit à toutes ses interrogations par un sourire légèrement crispé. Ilona n'allait pas vraiment dans la direction dans laquelle il voulait l'emmener, mais elle arrivait à lui poser des questions qu'il ne s'était jamais vraiment posé. Il n'avait jamais réellement pensé au mariage tant cela lui semblait une évidence, il n'avait contre l'amour entre deux personnes du même sexe, mais il n'avait pensé qu'il puisse avoir envie de se marier. Toutefois, il reprit :

— Le mariage fait sûrement partie de la question. Mais ma question était posée dans un but plus large. Je pensais plus à quelles sont les interactions qui lient les hommes et femmes ? Comment l'on perçoit les hommes dans l'empire ? À quel point cette vision diffère de celle de la femme ?

— Je suis désolée, maître scribe, mais je ne comprends toujours pas. Pourquoi l'on verrait différemment un homme d'une femme. Les deux sont en soi assez semblables.

— Ceci est la vision du peuple de la mer, Ilona. Pour vous, homme ou femme ne change pas grand-chose. L'on vous donne la même éducation. Vous pouvez faire les métiers que vous voulez, peu importe votre sexe. Votre sexe n'a pas d'influence sur la façon dont l'on vous traite.

Ilona fronça les sourcils. Jusqu'ici ce que lui disait le scribe était évident, elle ne parvenait pas à comprendre où il voulait venir. Pourtant, elle n'était pas sûre de vouloir en savoir plus. 

— Dans l'empire, ce n'est pas ainsi que l'on voit les choses. Si tu demandes à n'importe quel zhikerhote, que ce soit un homme ou une femme, il te dira que les hommes sont supérieurs aux femmes. Par exemple, penses-tu que tout le monde puisse faire le même métier, qu'il soit homme ou femme ? 

— Bien sûr, répliqua sans hésiter Ilona déjà révoltée par ce qu'elle commençait à comprendre.

— Il n'en est rien dans l'empire. Pour les cercles les plus hauts de la société, que ce soit pour les aristocrates comme pour les bourgeois, il est impensable qu'une femme quitte son foyer sans son mari. Donc, tu t'imagines bien que travailler est imaginable. Même si elle souhaite sociabiliser, ce sera sous la tutelle de son mari qui l'accompagnera jusqu'au salon où seules les femmes sont autorisées à entrer. Salon qu'il lui aura bien évidemment choisi préalablement. Si chez vous, homme comme femme sont considérés comme adulte à quinze ans, dans l'empire une femme n'est jamais considérée comme adulte. Et même dans les classes les plus basses de la société, là où l'on ne peut pas se permettre que la femme ne travaille pas, elle fait souvent un travail ne nécessitant pas de sortir du foyer. Les seuls travaux qu'elles puissent faire en dehors de leur maison sont en lien avec le foyer et le ménage. Elles sont lavandières et servantes pour une plus noble maison. 

Ilona était incrédule. Tout cela lui semblait bien trop ridicule pour qu'elle puisse y croire. C'était une aberration telle qu'elle ne comprenait pas comment tout un peuple pourrait y croire. Et comment des femmes pouvaient se laisser traiter ainsi ? Comment les pères, les frères, ceux qui aimaient ces femmes pouvait les traiter de cette manière ? 

Elle finit par bredouiller :

— Est-ce que tout cela à un rapport avec le fait que je n'ai pas droit de voir mon propre corps quand je fais ma toilette ?

Althar rougit légèrement. Il n'avait pas l'habitude qu'une femme parle d'un tel sujet sans préambule. Mais il savait aussi bien qu'elle, et malgré son éducation, que cela ne devrait pas être un sujet aussi tabou et honteux. Alors, il répondit :

— En effet, une femme est censée rester pur et innocente. Le corps d'une femme incarne la tentation, si elle le regarde trop, les zhikerhote croit qu'elle deviendra esclave de ses pulsions. Il est également malvenu pour une zhikerhote de montrer trop de peau. Elle cachera ses chevilles, ses poignets et sa gorge. Il est même bien vu qu'elle cache ses cheveux.

— Tout cela est ridicule ! Mon corps n'est en rien indécent ! Et je vaux au moins tout autant que les hommes ! L'on m'a enseigné toute ma vie qu'aucune civilisation, aucune culture, aucun peuple n'était supérieur. Mais plus j'en apprends sur votre peuple, plus j'ai du mal à me rappeler ces enseignements. 

— Je ne doute que tu ne vois pas notre peuple sous un bon jour, répliqua calmement le savant. Je ne dis d'ailleurs pas que je suis d'accord avec ces croyances, pas plus que je veux que tu y adhères. Mais mon rôle est de t'apprendre ce que sont les zhikerhotes. Je dois te préparer au mieux à ce que tu vas vivre sur ces terres. Son excellence veut que tu sois prête à supporter tout ce que l'on pourra te montrer, te dire ou te faire. Je ne doute pas qu'à l'institut l'on va te rabaisser continuellement, te rappelant ta condition de femme. Plus tu comprendras, plus tu te prépareras, moins tu souffriras, moins ils pourront te briser. 

— Donc je dois faire quoi ? Accepter de baisser la tête, accepter que l'on me méprise ? Tout ça parce que je n'ai pas un truc qui pend entre les jambes ?

Althar fut interloqué. Jamais il avait entendu une fille ou une femme parler ainsi. Parlé de sexe était très tabou pour les femmes comme pour les hommes. Cependant, si ses derniers dérogeaient souvent à cette règle, jamais une femme de bonne éducation n'oserait parler aussi explicitement du sexe masculin, surtout devant un homme. Si cela surprit le scribe, il avait néanmoins l'esprit suffisamment ouvert pour ne pas s'en offusquer, même s'il ne put empêcher les rougeurs de lui monter aux joues. 

En réalité, ce qui surprit davantage Althar c'était la colère d'Ilona. Après toutes ces longues heures de cours, le savant avait remarqué que la jeune fille avait un tempérament très calme et posé. Jamais elle n'élevait la voix, jamais, elle n'avait un mot plus haut que l'autre. Ils avaient déjà abordé des sujets qui révoltaient la fille de la mer. Pourtant, à chaque fois, elle avait su dialoguer dans le calme. 

Cachant de son mieux son trouble, le savant repris calmement :

— Jamais, je ne te demanderai de penser ou d'accepter ces croyances. Moi-même, je n'y crois absolument pas. J'ai déjà rencontré nombre de femmes plus exceptionnelles que la plupart des hommes. Et tu en fait partie. Le sexe n'a pas d'influence sur l'intelligence et ce qui ne peut être fait par pure force physique peut être fait par astuce et intelligence. Ce que je veux que tu comprennes, c'est que pour l'instant, dans l'état des choses, que ce soit de par ton statut d'apprentie izare ou de par ton sexe, tu seras bien souvent méprisée en effet. Cela a toutes les raisons du monde de te révolter, je le comprends et je suis conscient que je serai sûrement bien en mal d'accepter le conseil que je vais te donner si j'étais à ta place. Si tu commences à protester et à luter dès à présent, si tu leur montres que la manière dont ils te traitent te semble injuste, cela ne t'apportera que souffrance et malheur sans pour autant faire changer les choses. Ce n'est qu'en devenant une Izare que ce que tu diras aura de l'impact et sera entendu. 

Ilona s'esclaffa, incrédule :

— C'est donc là où vous vouliez en venir ! Vous osez me demander de garder la tête baisée, de souffrir en silence, de ne pas protester devant les horreurs que je vais voir et subir ! Vous me dîtes de conserver mes valeurs, de me souvenir que j'ai raison, que les hommes et les femmes sont égaux. Vous me demandez de garder mon sens moral et mon amour de la justice ! Cela n'est-ce dont pas paradoxale ? Cela ne vous parait pas injuste ? Vous me conseillez d'attendre d'être devenu la chose de l'homme qui m'a tout enlevé, ma famille, mes amis, mon peuple et ma liberté, que c'est seulement quand j'aurai juré obéissance à mon ravisseur, mon tortionnaire, que je pourrai protester et œuvrer pour changer, pour rendre meilleure cette société qui me méprise pour ce que je suis et qui ne veux pas de moi. Vous croyez vraiment pouvoir me convaincre de cela.

Althar la regarda avec beaucoup de compassion et soupira. Il comprenait pourquoi Ilona était aussi révolté. Il ne pouvait imaginer ce que la pauvre fille pouvait ressentir en ce moment, mais il se doutait qu'elle n'apprécierait pas ce qu'il tenait à lui dire. Mais il aimait beaucoup cette enfant si intelligente et si savante, il fallait qu'il essaye de la protéger d'elle-même :

— Parfois, il faut savoir choisir ses combats. Il y a des fois des batailles que l'on ne peut gagner. Je sais que cela est dur à admettre, mais tu n'as plus aucune chance de t'échapper. Son excellence Thalgarion est connue pour ne jamais lâcher ce à quoi il tient. J'ai eu suffisamment de conversation avec lui pour savoir qu'il te gardera auprès de lui, peu importe les moyens qu'il devra employer. Il est malheureusement trop tard pour toi pour éviter le destin qu'il te réserve. Quoi qu'il advienne, tu seras son izare. Je me doute que cela est difficile à admettre ou même à croire. Mais seule, tu ne pourras jamais lutter.

Ilona serra les dents, prête à répliquer, mais le savant ne lui en laissa pas le temps, poursuivant toujours aussi tranquillement :

— Toutefois, il y a souvent plusieurs façons de voir une situation. Pour l'instant, cela te paraît horrible et révoltant, tu refuses de croire qu'il y a quelques choses de bon. Pourtant, ce n'est pas totalement vrai. Devenir Izare, te permet également de te donner accès à des choses dont tu ne pourrais rêver autrement. Il y a une chose que tu comprendras sûrement rapidement, surtout à l'institut, si jamais tu ne l'as pas encore comprise. Son excellence Thalgarion est de loin l'élu avec lequel tu t'entendras le mieux. Il est de loin le meilleur élu que tu puisses servir. Tout d'abord, parce qu'il est le premier élu que je rencontre qui respecte autant tous ses conseillers, peu importe d'où ils viennent, peu importe leur sexe, leur statut ou leur éducation, s'ils ont quelques choses à lui apporter, notamment si c'est dans la contradiction, il les écoutera toujours avec sincérité. Et les izars sont normalement les plus proches conseillers d'un élu, bien que nombre d'entre eux l'aient oublié. Tu as peut-être remarqué que son excellence traitait sir Roan avec beaucoup de respect et lui donnait beaucoup de liberté. Cela est très rare, surtout quand l'on voit que son excellence laisse régulièrement tout pouvoir à son izar. Son excellence aimerait même enlever toute restriction magique à sir Roan, malheureusement, faire cela serait mal vu. Et tu te doutes que ce ne serait pas son excellence qui en pâtirait, mais bien son izar. Dans l'empire, tout est affaire d'image. Mais je dois tout de même insister qu'en échange de ta seule loyauté, son excellence te laisserait toute liberté. Et bien que je sache que cela ne t'intéresse pas, ta loyauté sera en plus parfaitement récompensait. Tu pourras avoir toutes les possessions que tu désires. Des terres, des richesses, des accès aux meilleures bibliothèques de ce continent.

Althar se tut, observant les réaction de son élève. Ilona s'était calmée et elle écoutait avec attention les arguments du savant. Bien qu'elle comprît sa logique, le raisonnement du scribe ne lui plaisait pas. Aussi calme et logique qu'il soit, elle ne pouvait tout simplement pas l'accepter. Son instinct et sa morale lui soufflaient qu'elle ne pourrait jamais se plier à une telle logique, pourtant elle ne trouva pas les mots pour s'exprimer. C'était une chose qui lui arrivait parfois. Elle était persuadée d'avoir raison, mais face à un homme ou une femme qui paraissait plus sage qu'elle ou en savoir plus qu'elle sur un sujet, elle n'arrivait plus à organiser ses pensées correctement et se sentait bien trop petite. Elle n'appréciait pas cette sensation que sa jeunesse et son manque d'expérience découplé.

Pourtant, comme à son habitude, elle mit de côté ce sentiment, et se força à exprimer ce que lui dictait son instinct, peu importe si cela était maladroit :

— Je ne peux accepter ce futur que vous me dessinez, aussi confortable soit-il. Tout le confort du monde ne vaudra pas ma liberté. Vous m'assurez qu'en me pliant devant son excellence, en lui donnant ma loyauté, je vivrais une vie parfaite. Vous me vendez tout le savoir du monde, l'insouciance de mon confort matériel, et bien des choses dont j'ignore sûrement la valeur à vos yeux. Mais ce que je retiens que cette soi-disant loyauté, est juste la perte de ma liberté. On ne parle plus de loyauté quand contrevenir à un ordre est toujours et inconditionnellement considéré comme un acte de trahison. On ne parle plus de loyauté, quand même si l'on a le droit de donner son avis, à la fin le seul qui compte réellement, c'est l'avis de celui qui on donne cette fausse loyauté. La loyauté, ce n'est ni obéir aveuglément ni suivre sans réfléchir. La vraie loyauté, c'est de toujours faire ce que l'on pense être le mieux pour celui à qui on la donne. Et enfin, la loyauté se donne et ne s'achète pas. Non, ce que donne dans l'avenir si bon que vous dépeignez, c'est ma liberté. Car si j'accepte, je serai irrémédiablement lié à son excellence. Si je veux partir, si je veux retrouver ma famille, ma barge, mes amis, alors je serais de nouveau considéré comme une criminelle et abattu si l'on me retrouve. Je refuse votre liberté illusoire !

— Tu es une vraie fille de la mer, soupira Althar avec un léger sourire triste. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec toi, certes, je te parle d'une liberté qui se conditionne à la fidélité et la loyauté que tu accorderas à son excellence, mais ce que je veux que tu comprennes, c'est qu'il n'est pas comme tu penses. Quand tu lui auras donné ta loyauté et que tu auras su gagner sa confiance, tu auras bien plus de liberté que n'importe quel citoyen dans l'empire, tu en auras même plus qu'un certain nombre d'aristocrates. Tu auras une grande liberté et un confort et un accès au savoir bien plus grand que si tu étais restée sur ta barge.

— Je suis certaine que vous vous rendez compte vous-même que vos propos se contredisent, déclara fièrement Ilona en reprenant confiance. Comment la liberté peut-elle être soumise à condition ?

— Pourtant, tu me l'as déjà dit par toi-même quand tu affirmes que la liberté ne nous donne pas le droit d'agir comme on souhaite. Tu m'as toi-même énoncé que la liberté d'un individu ne doit pas entraver celle d'un autre. N'est-ce pas là une condition à la liberté ?

Ilona fronça les sourcils, croyant un instant que le savant avait su en effet mettre le doigt sur l'une de ses contradictions. Elle prit son temps pour réfléchir. Une réponse trop rapide pourrait la faire s'enfoncer dans des biais qui l'empêcheraient d'entendre les arguments de son interlocuteur. Mais après un temps de réflexion, elle secoua la tête.

— Non, vous vous trompez. J'ai en effet parlé de cela, mais dans un contexte différent. Ce que vous venez de rappeler est vrai, mais j'en ai parlé dans le cadre de la vie en société qui ne peut en effet se faire sans contrainte. Mais là, nous ne parlons pas de cela, nous parlons de ma liberté individuelle. Je sais que c'est une question vaste et difficile, surtout quand l'on sait que pour la plupart de nos choix, nous donnerons toujours la même réponse. Réponse nait de plein de facteur : l'instinct, l'éducation, notre culture, notre histoire, nos expériences… Si vous me laissez le choix de partir ou rester, alors dans n'importe quelle situation, je répondrai que je souhaite rejoindre ma barge. Où se trouve la liberté si l'on a toujours une seule réponse à un choix donné ? La liberté est justement dans le fait que j'ai le choix. Il est vrai que même si l'on me donne une infinité de choix, il y a de forte chance que ma nature me fasse toujours répondre de manière identique, mais au moins, j'ai eu le choix. Et oui, jusqu'à présent, j'avais suffisamment de liberté pour choisir de ne pas prendre de liberté quand cela entravait celle d'autrui. Mais j'avais le choix. Certes, en privant de liberté une autre personne sur la barge, je me serrais retrouvé banni. Mais j'avais la liberté de décidé que je souhaitais vivre sur la barge en suivant ses règles. Si je l'avais voulu, j'aurais pu quitter la barge sans que personne puisse s'y opposer une fois devenu adulte. C'est ça la liberté !

Ce fut au tour d'Althar de prendre un air grave et de prendre son temps pour réfléchir aux arguments de sa jeune élève. Il était impressionné qu'une enfant de tout juste quinze ans puisse parler ainsi. Depuis le premier jour, leur conversation l'avait passionné. Mais malgré son admiration pour l'esprit vif d'Ilona, il ne parvenait pas à être d'accord avec elle. Cependant, il prit conscience d'à quel point ce qu'il pensait n'était pas aussi objectif qu'il aimait le penser.

Il avait la conviction qu'il se sentait parfaitement libre. Pourtant, sa liberté, il la devait également à sa loyauté envers son excellence. Il savait qu'en tant que simple scribe venant des principautés du sud, il n'aurait jamais pu atteindre un statut élevé, surtout lorsque l'on sait qu'il était arrivé dans l'empire en tant qu'esclave. Certes, il avait conscience de s'être libéré de son ancien statut, en prêtant allégeance à son excellence. Mais pour lui, en faisant cela, il n'avait pas offert sa liberté à un nouveau maître. Non pour lui, ce jour-là, il avait retrouvé cette liberté dont il avait longuement était privé. C'est dans la contrainte de la loyauté qu'il avait enfin retrouvé sa liberté.

— Finalement, finit-il par répondre, si tu acceptais volontairement de donner ta loyauté à son excellence, tu serais libre. Comme lorsque tu choisis de suivre les lois de la barge. En quoi cela est différent ?

— Cela est totalement différent. Je choisis de suivre les lois de la barge, car j'ai la conviction profonde que les lois de la barge sont justes. Alors que devenir l'esclave personnelle d'un élu, jamais cela pourrait faire partie de mes convictions personnelles. De plus, je ne suis pas naïve. Ce n'est pas un réel choix libre que tu me présentes. Toi-même, tu me présentes l'issue de ce choix comme une manière de survivre. D'un côté, si je choisis de refuser, je perds tout, ma liberté, mon confort, voir ma vie. Mais si je l'accepte, je devrais renoncer « librement » à ma liberté pour sauver le reste. Je comprends en que faire le choix de prêter serment à son excellence est grandement avantageux pour moi. Mais ce n'est pas un choix libre. Tant que je le peux, mon choix sera toujours de retrouver ma barge d'une manière ou d'un autre, dès que j'en aurais l'opportunité. Car c'est cela la liberté, avoir tous les choix possibles !

Althar ne peut cacher son air désespéré. Il connaissait la jeune fille depuis peu de temps, mais il tenait déjà bien trop à elle. Il secoua la tête en répliquant :

— J'entends ce que tu me dis, et le comprends. Admettons donc que tu aies raison. Penses-tu réellement qu'il est préférable de se battre pour garder cette liberté au risque de tout perdre, à la perdre, mais vivre une vie sans souffrance, protégée de tout danger, avec tout ce que tu pourrais désirer à ta disposition ?

Ilona lève les yeux aux ciels, agacée, elle avait l'impression qu'ils tournaient en rond.

— Bien sûr que cela me semble préférable. Car si j'accepte volontairement de lui confier ma liberté, quelle autre concession devrais-je faire ensuite ? Tu parais lui faire grandement confiance. Mais moi, je ne le connais pas. La seule chose dont je suis sûre, c'est que son excellence est un humain. Et les humains changent, surtout quand ils ont du pouvoir. Qu'est-ce qui peut m'assurer que le temps passant, il ne finira pas par croire que ses autres collègues élus ont finalement raison ? Dans ce cas, une fois que je me serais lié à lui, que je ne pourrais plus faire marche arrière, qu'adviendra-t-il de moi ? Et quand bien même, il reste droit dans ses botes, que se passera-t-il s'il meurt prématurément ? Une fois izare, je serais obligée de servir un autre élu ? Pourrais-je le choisir ? J'en doute. Il y a donc toutes les chances que je me retrouve entre les mains d'un élu qui voudra juste de moi comme esclave. Vous le voyez bien, accepter de devenir une izare entrainera forcément d'autre sacrifice, car dès que j'accepterai, je serai lier à eux par la puissance de la magie et vous savez comme moi que cela est irréversible.

Le savant aurait aimé pouvoir la rassurer, lui expliquer qu'elle serait toujours en sécurité auprès d'un des plus grands élus qu'il soit, mais il n'eut pas le temps de répliquer que la cloche retentit. Aussitôt, l'esclave qui s'occupait de son élève se signala à la porte pour accompagner cette dernière à sa chambre. N'ayant pas d'autre choix, il la laissa partir.

Après cette conversation, ni l'un ni l'autre ne revinrent sur ce sujet. L'une étant bien trop ancrée dans ses convictions pour pouvoir changer d'avis. Elle attendait avec l'impatience le voyage qui la mènerait à l'institut, persuadait de pouvoir trouver une faille et s'enfuir loin de cet empire. L'autre sachant que c'était bien peine perdue de la raisonner. Il ne pouvait espérer qu'elle ne souffre pas trop à cause de ses convictions.

Finalement, les quatre jours passèrent et ce fut enfin la veille du grand départ.

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