Asphalte
As-tu pensé à moi ? Marchant près des quais
Triste Seine encore nous relie
Et peut-être quelque pensée, lorsque sur le dais
Je souris.
Déambulons dans le vieux Rouen
Tu fais du monde grisant un monde gris
Chacun de tes mots pourrit
Et renait dans l’odeur du pain brulant
Penses-tu à moi sur les pierres froides de la place
Quand tu t’assois seul et qu’elle ne répond pas ?
Quand je tins ma promesse et fis taire la foule lasse
Pour que résonnent tes pas.
Le spectre de ce que nous vîmes de meilleur
N’a d’égal aucune peine
Et quand ton rire comme un éclat me saigne
Je replonge en de sombres heures.
As-tu feint frissonner sur le carrelage
Aux heures avancées de la nuit, repoussant encore
L’heure de te coucher, l’heure de notre mort
Cherchant un mot pour me parler davantage ?
As-tu regretté un instant ? Pourtant tu n’appelles pas
Parle-moi, dis-moi que tu ne m’aimes plus,
Que tu ne m’aimes pas. Alors je tairai jusqu’au glas
Les milliers de mots qui te sont dus ;
Et nos secrets que les ours gardent
L’un d’eux dans une benne à ordure, l’œil décousu
Me juge pour ses plaies ; éventré jusqu’à la garde
Il tient compagnie aux chiens battus.
As-tu menti, la tête sur mon épaule posée
En te disant heureux ?
Ou en affirmant sans oser me regarder
N’avoir jamais été sérieux ?
D'aucuns je n’avais puisé l’asphalte des yeux
Asséché l’encre des prunelles
Puits dans lesquels se noient les sirènes et les vœux
Elevant pourtant sa voix au rang des immortelles.
As-tu pensé à moi ? Jamais sans doute
Quand tu t’assois avec elle et que vous riez aux éclats
Heureux ou misérable, pour ce qu’il en coûte
C’est mieux que tu n’appelles pas.
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