CHAPITRE 1 — La valise qui sent le renfermé
À quarante-six ans, j’ai claqué ma démission comme on claque un leash pour vérifier s’il tient encore. Il tenait. Moi aussi. Deux enfants, vingt ans de boulots cosmétiques, un cœur qui sonnait l’alarme à chaque réunion PowerPoint. J’ai tout mis dans une valise : deux chemises, trois remords, et mes jambes, les seules qui m’ont toujours ramené au pic.
J’ai débarqué à Miami avec une gueule de type qui a trop attendu le bonheur, comme un client de SNCF coincé depuis vingt ans sur un quai de RER.
L’aéroport m’a accueilli avec son parfum de clim moisie, de friture latino, et de touristes en tongs qui sentent la sueur sous Red Bull. C’est ça, Miami : le soleil pour les Instagrammeuses, l’humidité pour les autres. Moi, j’avais déjà les deux.
Le taxi, un Cubain nommé Romero, lunettes miroir, sourire de vendeur de cercueils. Il m’a demandé ce que je venais chercher ici.
— Du vrai.
Il a rigolé.
— Ici, amigo, tu trouves du faux tellement bien foutu que ça devient vrai.
Pas con, Romero. Le type avait résumé ma vie : 16 ans de couple, dix métiers de merde, et une carrière de comptable. Oui, comptable. Pas “expert-comptable”, non, même pas. Comptable tout court. Un soldat de l’ennui, un mercenaire du tableur Excel, payé pour transformer des vies en colonnes B et C.
Je vendais pas uniquement des fenêtres, des piscines ou des surgelés pour rendre les gens heureux. Non. Moi, maintenant, je calculais des listes de médocs juste pour savoir par combien il fallait multiplier la marge pour entuber les consommateurs et que ça ait l’air légal.
Ma chambre de motel sur Collins Avenue ressemblait à un décor de film porno low cost : clim qui tousse comme une vieille pute asthmatique, moquette collante, rideaux qui puaient le divorce.
Parfait. Je venais justement refaire ma vie dans la capitale mondiale du mensonge en string.
Je sors une photo de mes gosses. Elisa, 18 ans, qui a déjà compris que son père est une énigme mal rédigée. Gaëtan, 14 ans, qui doit se dire que j’ai préféré le surf et les bimbos en bikini. Il n’a pas tort. Je les aime, mais j’ai merdé. Je suis ce père qui a confondu “sécurité familiale” avec “coma social”.
5h42. Réveil. Pas à cause du jetlag. À cause de cette petite voix qui me répète depuis des années : Hugo, t’as raté ta vie, mais il te reste peut-être trois rides à sauver.
Je loue une planche dans un shop miteux. Une 6’2 cabossée, plus de cicatrices que ma dignité. Je waxe, je trace.
L’océan. Enfin.
Le premier take-off, c’est comme une gifle d’ex. Tu sais qu’elle te déteste encore, mais au moins tu sens quelque chose.
Je pars late, exprès, parce que j’aime flirter avec la noyade. Bottom appuyé, carve, re-entry. Le corps n’a rien oublié. J’aurais pu être pro. J’aurais pu sponsoriser des crèmes solaires. J’aurais pu baiser dans des vans VW remplis de brunes australiennes tatouées.
À la place, j’ai vendu des piscines hors-sol à des couples hors-jeu.
Un vieux moustachu sur un longboard me crie :
— Nice ride, old man !
Je lui rends son pouce. J’ai pas honte. Être vieux et savoir surfer, c’est comme être chauve et riche : tu fais fermer ta gueule à tout le monde.
Je sors de l’eau, lessivé, heureux. J’achète un café américain. C’est pas du café, c’est de l’eau de vaisselle avec des ambitions. Le croissant a le goût d’un sextoy en caoutchouc. Mais j’avale quand même. Parce que putain, tout a meilleur goût après une vague.
Je note dans mon carnet :
Ne plus jamais vendre autre chose que ma sincérité.
Reprendre mes heures de mer.
Appeler mes enfants sans leur mentir.
Acheter une planche neuve avant un grille-pain.
En marchant, je regarde les joggers qui transpirent comme des cochons pour fuir la mort. Sérieusement, courir le long d’Ocean Drive avec un t-shirt fluo, c’est comme aller pisser dans une boîte de nuit : tu crois que tu séduis, en vrai tu pues.
Moi, j’ai choisi le surf. Si je dois crever, je préfère que ce soit en gueulant sur une vague plutôt qu’en faisant un infarctus sur un tapis de salle de sport Planet Fitness.
Et là je la vois : Kendra Velasquez.
Allongée sur le sable, lunettes miroir, tatouages de monstres sur tout le corps qui racontent plus d’histoires que Wikipédia, short noir, sourire de hyène tendre. Elle me regarde comme si j’étais une pub pour Viagra.
— Tu surfes bien.
— Merci. C’est mon seul diplôme.
— Tu peux m’apprendre ?
— Je peux essayer. Mais attention : je prends cher en wax et en promesses ratées.
Elle rit. Le genre de rire qui sent l’alcool fort et le désastre heureux.
Je sais pas encore qui elle est. Mais je sais déjà que c’est le genre de fille que tu croises pas par hasard. Le genre de fille qui va te foutre ton emploi du temps en l’air. Et vu que mon agenda est vide, ça tombe bien.
Je me balade sur Ocean Drive, torse encore mouillé, short collant, cheveux en bordel.
Ici, tout le monde transpire comme un cochon sous coke, mais tout le monde fait semblant que c’est du style. C’est simple : Miami, c’est l’endroit où même la cellulite a un abonnement OnlyFans.
Je vois passer une famille allemande en short à fleurs. Le père a un bide de bière, la mère un accent qui peut faire tomber un drone, les enfants hurlent comme s’ils testaient le Dolby Surround.
Et je me dis : voilà la preuve que Dieu existe — et qu’il déteste le tourisme.
Je m’assois à une terrasse. Le serveur arrive. Je commande un café. Il me ramène un seau d’eau tiède.
— Ça, c’est du café ?
— Yes sir, Americano.
— Non. Ça, c’est de l’urine filtrée par un stagiaire.
Il me regarde mal. Je m’en fous. À quarante-six ans, quand t’as plus de carrière, plus de réputation, et plus de femme qui croit encore en toi, tu deviens libre : tu peux insulter ton café en public.
Sur la table d’à côté, trois influenceuses alignent des selfies. Elles mâchent leur salade comme si elles auditionnaient pour un porno vegan.
L’une dit :
— Hashtag blessed.
Je note dans mon carnet : Hashtag constipated.
Sérieusement, ces filles croient qu’elles vont sauver le monde avec des stories où elles boivent du jus vert. Si c’était vrai, mon ex serait déjà mère Teresa : elle a bu tellement de smoothies que même ses pets devaient sentir le kale.
Flashback.
Mon ex, parlons-en. Dix-sept ans ensemble. Elle m’a trompé avec un mec qui vendait des panneaux solaires. Un écolo sponsorisé par EDF. Le gars qui fait semblant de sauver la planète en te vendant des mensualités. Voilà le type qui m’a remplacé.
Pas un surfeur, pas un poète, pas même un dealer avec un peu de panache. Non. Un VRP en watt.
Putain, ça fait mal à l’ego.
Bref, retour à Miami.
Je marche, je croise un jogger torse nu, bronzé, tatoué, cheveux gominés, écouteurs Beats. Il court comme s’il fuyait ses impôts.
Moi je le regarde et je me dis : voilà le futur cadavre parfait. Un infarctus, un selfie, et bim, trending sur TikTok.
Je passe devant un club. À l’entrée, des mecs en chemise trop serrée, parfumé comme des bouchers libanais, qui font la queue pour payer 200 balles une bouteille de vodka coupée à l’eau de pluie.
J’ai envie de leur dire : les gars, si vous voulez baiser, achetez une planche de surf. Ça coûte moins cher, ça dure plus longtemps, et au moins l’océan, il vous répond.
Je rentre au motel. La chambre pue le détergent industriel et le désespoir. Le lit grince plus fort que mes articulations.
Je m’allonge, et je pense à mon futur.
Avant, mon futur, c’était : payer mes factures, regarder TF1, crever discrètement.
Maintenant, mon futur, c’est : surfer, rencontrer des gens louches et surtout, rire comme un bâtard.
J’écris une phrase dans mon carnet :
“La normalité, c’est comme les capotes : ça rassure, mais ça t’empêche de vraiment sentir.”
Hugo Novak, quarante-six ans, ancien comptable, futur emmerdeur professionnel, est de retour. Et cette fois, j’ai plus rien à perdre.
Je sors marcher. Collins Avenue, 10h du matin, déjà 35 degrés.
La chaleur colle à la peau comme une ex jalouse. Je sue, je pue, je vis. Ça fait vingt ans que j’avais pas senti ça : la sueur qui dit la vérité.
À Stockholm, tout était climatisé, calibré, neutre. Les gens sentent la neutralité. Leur haleine, c’est du consensus.
Ici, non. Ici, ça pue la friture, la sueur, le fric, la coke, les rêves foirés. C’est vulgaire, donc c’est honnête.
Un vieux Cubain vend des cigares sur le trottoir. Pas de stand, pas de licence, juste une glacière.
Je lui demande :
— C’est des vrais ?
Il me regarde avec son œil jaune et me répond :
— T’es vrai, toi ?
Touché. Je lui en prends un. Dégoûtant. Je le fume jusqu’au bout. Parce que c’est comme la vie : dégueulasse, mais t’arrêtes pas, sinon ça sert à rien.
Je croise une église évangélique qui crache de la musique gospel. Des gens lèvent les bras comme si Dieu allait leur envoyer des coupons de réduction.
Je me marre.
J’ai toujours trouvé ça fascinant, les religions. Ces boîtes de nuit sans alcool, où tu danses pour un mec invisible.
À Stockholm, j’ai vu les luthériens : eux, c’est l’inverse. Zéro musique, zéro joie, juste des chaises qui grincent et des regards de poissons morts.
Franchement, entre les deux, je préfère les Cubains avec leurs cigares douteux. Eux au moins, ils font semblant pour de vrai.
Je m’arrête à un fast-food. Cheeseburger dégoulinant, frites grasses, soda qui peut dissoudre un cadavre. Je croque dedans comme dans la normalité : ça te remplit, ça te tue, mais sur le moment, t’as l’impression que t’existes.
Une famille s’installe à côté de moi. Le gamin veut des nuggets. La mère négocie comme si c’était une opération du FMI. Le père regarde son téléphone, il a déjà démissionné.
Et là je me dis : putain, c’était moi.
Le père zombie, le père qui regarde pas, le père qui croit que “payer le loyer” c’est être un héros.
J’ai envie de me lever, de secouer le gamin et de lui dire : “Écoute, petit, ton père, il est foutu. Toi, sauve-toi, deviens guitariste, danseur, dresseur de dauphins, mais fais pas ça. Ne deviens pas moi.”
Je dis rien. Je bouffe mes frites. La lucidité, c’est pas toujours partageable.
Flashback boulot.
J’ai vendu des cuisines pendant deux ans. J’ai vu des couples discuter de la couleur d’un plan de travail comme si ça allait sauver leur mariage.
— Chérie, granite ou stratifié ?
— Si tu m’aimes, granite.
Ils sont divorcés six mois après, mais le granite, lui, tient toujours.
Putain, j’ai gâché ma vie à vendre des illusions solides.
Je passe devant une salle de muscu. Les mecs soulèvent de la fonte comme si la guerre froide allait revenir. Des pectoraux huilés, des abdos photoshopés en vrai.
Je rigole.
À mon âge, je lève plus de fonte. Je lève des verres. Et j’ai encore des épaules pour ramer, donc ça suffit.
Sérieusement, ces mecs, ils vont finir comment ? Enterrés avec un t-shirt moulant et la mention “mort sous stéroides” ?
Pause café dans un autre boui-boui.
À côté de moi, deux vieux discutent politique américaine. L’un dit :
— Trump était mieux.
L’autre dit :
— Non, Biden est mieux.
Je m’immisce :
— Les gars, vos présidents, c’est comme choisir entre deux MST. Ça gratte différemment, mais ça gratte quand même.
Ils me regardent, bouche ouverte. Moi je souris, j’avale mon jus de chaussette, et je repars.
Je m’assois sur la plage. Le sable est brûlant, les mouettes me volent mes miettes. J’écris dans mon carnet :
“Le bonheur, c’est pas un crédit sur vingt ans. C’est un take-off bien planté.”
“J’ai passé vingt ans à être fidèle à une femme qui ne l’était pas, et infidèle à moi-même qui ne demandais qu’à l’être.”
“Un comptable en vacances, c’est un surfeur castré. J’ai décidé de me faire repousser les couilles.”
Le soir tombe. Miami s’allume. Les néons clignotent comme des putes qui font du morse. Les SUV roulent fenêtres ouvertes, musique à fond.
Je marche et je me dis : bordel, c’est ça que j’ai raté pendant vingt ans ?
Pas les SUV, pas les néons. Non. La sensation d’être là, au mauvais endroit, mais de l’avoir choisi.
Je rentre au motel. Le lit grince comme une vieille salope asthmatique. Je m’allonge. Je pense à mes gosses. Je pense à ma vie. Et je me dis :
Demain, je recommence. Et cette fois, j’oublie de m’excuser.
Je me pointe dans un diner, un vrai, celui avec des banquettes rouges qui collent aux cuisses et des serveuses qui te tutoient sans te connaître.
La mienne s’appelle Brenda. 60 balais, chewing-gum coincé entre les dents, regard de sniper. Elle prend ma commande :
— Eggs ?
— Fried.
— Coffee ?
— Strong.
Elle note rien. Elle me sert une omelette cramée et un café qui ressemble à une fuite d’huile moteur.
Je lui dis :
— C’est immonde.
Elle me répond :
— That’s America, honey.
Et là, je me dis : putain, cette femme a résumé 300 ans d’histoire en trois mots.
Brenda sera là souvent, j’en suis sûr. Elle a cette gueule de témoin du déclin. Le genre qui a vu défiler trop de touristes, trop de rêves ratés, et qui s’en branle royalement. Elle me plaît.
Je retrouve le vieux vendeur de cigares. Il s’appelle Ernesto, il tient également un bar dans le coin et c'est aussi, sans le savoir, le cousin de ma future patronne au surf shop.
On parle en mélange de français pourri, espagnol cassé, anglais approximatif. Il me dit :
— Le bonheur, chico, c’est comme un cigare. Si tu tires trop vite, tu t’étouffes. Si tu tires pas, ça s’éteint.
Je le regarde.
— Donc la vie, c’est un gros truc qui te crame les doigts et te file le cancer ?
Il rit :
— Exactement. Mais t’as quand même envie d’en rallumer un autre.
Je note dans mon carnet : philosophie cubaine : mourir en rigolant, mais bien parfumé.
En bas de ma chambre, je croise Nathan, 32 ans, surfeur local hight level, tatouages de prison. Il traîne toujours dans le couloir, canette à la main.
Il me dit :
— You here for business or pleasure ?
— Neither. I’m here for revenge.
Il m’a regardé sans cligner des yeux. Puis il a éclaté de rire et m’a filé une bière.
Nathan, c’est le genre de mec qui connaît toutes les combines de Miami. Je le garde sous le coude. Je sais pas encore si c’est un pote ou un emmerdeur, mais il sera utile.
Je passe devant un surf shop en rentrant. La vitrine sent la wax et la liberté. Dedans, une nana en débardeur, bronzée, cheveux noirs en chignon, parle espagnol au téléphone. Maya Rojas. Je le saurai plus tard.
Elle lève les yeux, me jauge. Je sens tout de suite qu’elle a ce regard des gens qui reconnaissent un vrai surfeur d’un touriste avec planche en plastique.
— You need something ?
— Yeah. A life.
Elle rigole pas. Elle dit :
— We don’t sell that. But we sell boards.
Je passe mon chemin. Pas encore. Mais je sais que je reviendrai. Les boutiques qui sentent la mer, ça finit toujours par devenir des églises pour moi.
Le soir, je m’ouvre une bière. Je pense à mon ex.
Je me rappelle de la fois où elle m’a reproché de “pas être assez ambitieux”. Putain. Ambitieux de quoi ? Vendre plus de cuisines ? Grimper dans une hiérarchie qui pue le déodorant Lidl ?
Moi, j’étais ambitieux. Ambitieux de tenir un tube à Hossegor. Ambitieux de pas finir obèse sur un canapé Ikea. Ambitieux de baiser sans horaires de babysitter. Mais ce genre d’ambition, ça compte pas. Pas pour la société.
Je me marre.
La vérité, c’est que j’ai toujours eu raison trop tôt. Et maintenant, j’ai raison trop tard.
Sur la plage, je croise un couple de Français. Touristes. Lui, bedaine, maillot Décathlon. Elle, bronzée comme une merguez, seins pendants, accent du Nord.
Ils s’engueulent parce qu’il veut prendre un mojito et elle un smoothie detox.
Et moi, je craque. Je me mets à rigoler comme un malade. Ils me regardent.
— Quoi ?
— Vous êtes la preuve vivante que la France mérite de perdre toutes ses guerres.
Ils partent outrés. Moi je continue à rire. Ça faisait dix ans que j’avais pas ri comme ça. Un rire qui gratte, qui salit, mais qui sauve.
Je note dans mon carnet :
“Les couples, c’est comme les Airbnb : au début t’es content, à la fin t’as juste envie que la caution soit rendue.”
“La société adore les mecs comme moi : discrets, utiles, transparents. J’ai donc décidé de devenir inutile. C’est mon acte le plus politique.”
“Le bonheur, c’est pas une putain de cuisine équipée. C’est une planche rayée et du sable dans le cul.”
6h du matin. Je retourne à la plage. L’eau est lisse, l’air colle, le soleil se lève en exhibo.
Et là, je vois cette horde de joggers. Des mecs bodybuildés, des nanas gainées comme des mannequins Zara, tous en short fluo, casque vissé, sourire crispé. Ils courent comme s’ils fuyaient un huissier.
Je les regarde, et je me dis : c’est quoi ce délire ?
Les types veulent vivre plus longtemps, mais à quoi bon ? Pour finir par mourir à 93 ans en maison de retraite, perfusés de compote et de rétrospectives Michel Drucker ?
Moi, je préfère claquer à 70 ans en prenant une vague, plutôt qu’à 93 en chiant liquide sur un lit médicalisé.
Je croise des vendeurs immobiliers sur Ocean Drive. Costume trop serré, dents trop blanches, Rolex qui brille comme une boule à facettes.
Ils me balancent :
— Sir, interested in a condo ?
— Non, merci. J’ai déjà vendu mon âme, ça me suffit.
Le pire, c’est qu’ils insistent. L’Américain, il croit qu’un “non” est une ouverture. Moi, je crois que c’est une insulte.
Franchement, acheter un condo à Miami, c’est comme épouser une strip-teaseuse : ça te coûte une fortune et ça finit toujours mal.
Flashback.
Moi, vendeur de fenêtres. J’allais chez des vieux, je leur disais :
— Avec ce double vitrage, vous entendrez plus le bruit de la rue.
En vrai, c’était pour qu’ils entendent pas leurs propres disputes.
Je leur vendais du silence, et eux, ils me payaient pour oublier qu’ils se détestaient.
Voilà, ma carrière : coller du silicone sur des fissures de couple.
Midi. Je retourne au fast-food. Cheeseburger dégoulinant, frites molles.
À côté de moi, deux ados. Casquette à l’envers, jean qui tombe. Ils parlent fort :
— Bro, j’vais devenir rappeur.
— Moi, influenceur.
J’ai envie de leur dire : putain, les gars, visez plus bas. Président, pompier, dresseur de lions, mais pas ça.
Le monde est déjà saturé de rappeurs ratés et d’influenceurs en slip.
Je note dans mon carnet :
“Les jeunes rêvent de devenir connus. Moi, je rêve de devenir heureux. C’est peut-être moins sexy, mais au moins, c’est atteignable.”
Flashback encore.
Magasin de piscines. Je vendais des bassins à des mecs qui bossaient 60 heures par semaine et qui avaient jamais le temps de se baigner.
La piscine, c’était le symbole parfait de la connerie humaine : tu payes 20 000 balles pour un trou d’eau dans lequel tu plonges trois fois par an, et que tu passes l’hiver à couvrir d’une bâche qui sent la moisissure.
Ça résume ma vie avant : acheter des rêves qu’on utilise jamais.
Je passe devant un centre de yoga. 40 dollars la séance pour apprendre à “respirer avec son âme”.
Franchement, payer pour respirer, c’est comme payer pour chier : ça devrait rester gratuit.
Je me dis : les religions, les sectes, le yoga, c’est la même came. Des gens qui te vendent une méthode pour supporter l’insupportable.
Moi, ma religion, c’est l’océan. T’y crois pas, il te noie. T’y crois trop, il te noie aussi. Mais au moins, c’est clair.
Le soir, je rentre au motel. Nathan, mon voisin surfeur alcoolique, m’attend devant la porte.
— You surf ?
— Ouais.
— Good. You don’t look like a tourist.
Il me tend une bière tiède. On boit en silence.
C’est ça, l’Amérique que j’aime : deux types paumés qui boivent une bière dégueulasse devant un motel pourri, sans se demander si c’est Instagrammable.
J’écris dans mon carnet, allongé sur le lit :
“La famille, c’est un club privé où tu payes une cotisation mais où t’as pas choisi les membres.”
“Le mariage, c’est une start-up. Ça commence avec des pitchs enflammés et ça finit en liquidation judiciaire.”
“J’ai raté ma vie parce que j’ai écouté des cons. Maintenant, j’ai décidé d’écouter que moi. Et moi, je suis peut-être un con, mais au moins ça me fait du bien.”
Retour au diner. Brenda, fidèle au poste, chewing-gum collé comme une prothèse, me sert son jus de pneus.
— Coffee ?
— Tu veux dire : potion d’embaumement.
— Drink it, honey. Keeps you alive.
— Alive ? Non. Constipated, maybe.
Elle rit. Enfin, ce qui ressemble à un rire. Un truc entre une toux de fumeur et un orgasme raté.
Brenda, c’est l’Amérique : ça grince, ça colle, mais ça te laisse pas tomber.
Je la regarde et je me dis : voilà une femme qui a dû rêver de New York, qui a atterri à Miami, et qui finira à Fort Lauderdale. Une trajectoire en toboggan. Mais elle tient. Elle te sert ton café comme elle servirait son sang.
Je note dans mon carnet :
“Les serveuses, c’est comme les prêtres : elles écoutent tes conneries et elles te refilent une dose d’oubli en échange de pourboires.”
Je retrouve Ernesto, mon Cubain philosophe, toujours avec sa glacière pleine de cigares douteux.
— T’as l’air fatigué, chico.
— Normal. J’ai 46 ans. À cet âge, chaque réveil est une agression.
Il éclate de rire, me tend un cigare.
— Tu sais, la vie, c’est pas d’être heureux. C’est d’être occupé à survivre.
— Super. Donc je suis heureux comme un cafard, en gros.
— Exacto. Mais toi, t’as l’océan. Le cafard, lui, il a la salle de bains.
On fume ensemble. Je tousse mes poumons. Lui, il a l’air immortel.
Ernesto, c’est le genre de mec qui crève demain mais qui aura l’air d’avoir gagné la partie.
Soirée au motel. Nathan, toujours planté devant sa porte, canette à la main.
— You surf good.
— Ouais. Je surfe mieux que je vis, en tout cas.
Il éclate de rire.
— You married ?
— J’ai été en couple 16 ans avec la mere de mes enfants et 8 ans avec une suédoise.
— Me married. A disaster.
— Moi, pas veritablement , mais c’était une catastrophe nucléaire.
On trinque. Sa bière est chaude, imbuvable. Mais elle passe quand même.
Je passe devant le surf shop. Maya est encore là. Elle range des boards dans des rack comme on aligne des cadavres dans des cercueils.
— You back ?
— Ouais. J’ai pas trouvé ma vie encore, alors je reviens.
Elle lève un sourcil, continue son inventaire.
— You ride good. Not a tourist.
— Merci. C’est ma seule compétence.
Elle hoche la tête, retourne à son boulot. Pas un sourire, pas une phrase de trop.
Maya, c’est l’océan en version humaine : froide au début, mais si tu respectes, elle te laisse entrer.
De retour au motel, je gratte :
“Brenda : prêtresse du café merdique.”
“Ernesto : philosophe qui sent le tabac froid.”
“Nathan : prophète rideur de la bière chaude.”
“Maya : juge silencieuse du line-up.”
Et moi, Hugo Novak, 46 ans, futur roi des ratés qui décident de ne plus l’être.
Je me couche. La clim crache sa tuberculose mécanique.
Je pense à Stockholm, à ma vie passée. Et là, je me rends compte d’un truc :
j’ai plus besoin d’être aimé.
C’est ça, ma libération. J’ai passé 46 ans à vouloir plaire : à ma femme, à mes boss, à mes parents, à mes voisins, même à mes putains de collègues de bureau.
Et tout ça pour quoi ? Pour me retrouver dans un appart à Stockholm, en train de payer intégralement le loyer exorbitant pour des murs qui m’étouffaient.
Maintenant, j’ai plus besoin d’être aimé. Je veux être vrai. Même si ça veut dire être détesté.
Je ferme les yeux. Demain, je retourne à l’océan.
Parce que le seul endroit où je suis sûr d’être accepté, c’est dans une vague.
Et les vagues, elles, ne jugent pas. Elles te cassent la gueule, mais sans hypocrisie.
Le diner sent la graisse baptisée. Brenda me voit entrer, elle lève le menton comme on salue un survivant.
— Coffee ?
— Fais simple : mets-moi ta meilleure potion d’embaumement, et une omelette qui a honte d’elle-même.
— Omelette honteuse, j’adore. T’as l’air moins mort qu’hier.
— J’ai surfé. L’océan m’a fait un lavage de cerveau sans facture.
Elle pose la tasse. Je goûte. Mes papilles rédigent une lettre d’adieu.
— Tu sais, Brenda, votre café c’est un test de personnalité. Si tu le supportes, tu peux vivre à Miami.
— Ou mourir proprement. Ça dépend des jours.
Une famille de touristes occupe la banquette d’en face. Le père consulte TripAdvisor avec l’intensité d’un urgentiste, la mère photographie des pancakes comme s’ils allaient témoigner. La petite réclame un milkshake “à la licorne”. Je ricane. Brenda ricane aussi.
— Les licornes sont en rupture, je dis. À la place on a un poney obèse et un pégase au SMIC.
— Tu veux que je te recrute pour le service ? lance Brenda. Y a prime cynisme.
— Je suis surqualifié. J’ai fait quinze ans de réunions.
Je laisse un billet. Brenda claque la caisse comme on ferme une tombe : avec dignité.
Note carnet : “Les diners sont des églises honnêtes. On y vient pécheur, on repart avec le cholestérol de ses actes.”
Le Cubain m’attend à son coin d’ombre, glacière cabossée, casquette qui a connu trois régimes politiques.
— Tu marches comme quelqu’un qui vient de gagner une embrouille avec lui-même, chico.
— J’ai arrêté d’essayer d’être normal. Je crois que c’était mon dernier cancer.
— Normal, c’est une insulte en costume, souffle-t-il. Tiens, prends un cigare. Celui-là est presque légal.
On fume. La fumée dessine un futur où je m’en sors.
— Tu sais ce qu’il y a de pire que rater sa vie ? Dit Ernesto.
— La réussir selon les autres.
— Exacto. Tu parles bien pour un Français brûlé.
Je le remercie. Il me répond par une tape sur l’épaule, geste de père qu’on ne mérite pas mais qu’on prend quand même.
Note carnet : “Ernesto : prophète low-cost. Ses sermons tiennent dans une volute.”
Nathan émerge d’un nuage de bière. Il a la dégaine d’un avertissement sanitaire.
— Yo, Hugo Boss.
— Pitié, ne m’appelle jamais comme une marque de parfum pour cadres moyens.
— J’ai un plan boulot pour toi.
— Si ça implique un coffre de voiture et un marais, je passe.
— Mieux : mon cousin gère un set demain. Il cherche quelqu’un pour faire ce que tu sais faire : l’homme qui fait que rien ne pète.
Je le fixe. Les infos de Nathan sentent souvent la cellule de dégrisement, mais parfois elles brillent.
— Tu me files le contact. Si je finis arrêté, je mets ton vrai nom dans mon autobiographie.
— Deal. Et ce soir, bar à homards, promo “décadence deux-pour-un”.
— J’ai déjà une relation compliquée avec le cholestérol, merci.
Il rote une bénédiction. Je l’aime bien, Nathan. Il me rappelle que je suis encore au-dessus de la ligne de flottaison.
Le surf shop de Maya est une cathédrale en wax. Elle range des dérives comme un bijoutier.
— Tu reviens tourner autour des planches ou tu vas en épouser une ?
— Je suis prêt à divorcer d’un grille-pain pour une 6’1.
— Montre-moi tes pieds.
Je grogne mais obtempère. Elle regarde mes appuis, ma voûte, l’usure de mes tongs : radiographie de surfeur.
— Tu charges late, tu serres trop au genou. T’as gardé un réflexe d’ado. C’est mignon, ça casse des lombaires.
— Je prends cette insulte comme une déclaration d’amitié.
— Samedi, clinic avancé à Haulover. Si tu veux coacher trois touristes argentés et deux locaux menteurs, je te file des heures. Et une remise.
— Vendu. Je facture en rires et en cash, dans cet ordre.
Elle incline la tête. Premier millimètre de respect.
Note carnet : “Maya : chef d’orchestre minimaliste. Elle parle en syllabes, ça suffit.”
Je croise trois types en combi shorty neuve. Casquettes plates, lunettes qui coûtent un loyer. Ils tiennent leurs planches comme on tient une vérité fragile.
— Coach, vous parlez français ? On a vu vos bottom turns. On voudrait les mêmes.
— Les mêmes non. Les vôtres, oui.
Je les aligne sur le sable. Correction de postures. Phrases claires, vannes chirurgicales.
— Regarde là où tu veux aller, sinon tu iras où tu regardes. Ça marche aussi pour votre couple, mais je facture double en thérapie.
Ils rient, donc ils apprennent. À l’eau : deux frayeurs, une quasi-collision, puis un miracle. Le plus grand se lève trois secondes. Il hurle comme un converti. Ses potes applaudissent. J’applaudis aussi : on ne boude pas la lumière.
Ils me paient, généreux. L’un glisse : “On dirige une boîte de consulting à Paris, si tu veux revenir dans un bureau…”
Je lui serre la main comme on referme une porte.
— J’ai arrêté la prison à rayures diplomatiques. Bonne mer, garçons.
Note carnet : “Règle d’or : ne jamais confondre fierté et rechute.”
Fin d’aprem. Ocean Drive clignote comme un sapin sous stéroïdes. Les vendeurs te promettent la nuit éternelle, les videurs t’expliquent la métaphysique du dress code, les DJ reçoivent des transfusions d’ego.
Je marche, j’absorbe, je taille.
— Les clubs, c’est comme les thérapies de couple : beaucoup de bruit pour éviter de s’entendre.
— Les SUV vitres fumées : cercueils horizontaux pour vivants nerveux.
— Les smoothies à 14 dollars : indulgences modernes. “Pardonnez-nous nos burgers comme nous pardonnons à ceux qui ont faim.”
Je m’offre une glace vanille que j’arrose de rhum cheap. Mixe ta morale avec ton diabète, ça clarifie.
Au loin, un rire claque. Je tourne la tête juste avant que mon cerveau décide de remarquer. Une silhouette : short noir, tatouages qui écrivent des chapitres, lunettes miroir. Elle parle à une nana en bikini doré, gestes précis, rire éraillé. Kendra, version épiphanie périphérique. Elle ne me voit pas. Parfait. Le destin aime les entrées de côté.
Je détourne les yeux comme si j’avais pas compris que la suite venait d’entrer sur scène.
Je retourne chez Brenda pour un burger du soir. Nathan me rejoint, odeur de houblon et d’emmerdes bénignes.
— Tu sais, Hugo, dit Brenda en posant l’assiette, je vois des types comme toi toutes les semaines. Ils arrivent, ils brillent deux jours, ils repartent trois mois après.
— Je ne brille pas. Je réfléchis la lumière d’un truc plus grand que moi.
— L’océan ?
— Le fait d’avoir arrêté de mentir.
Nathan lève sa canette.
— À la vérité, et à la bière tiède qui la supporte.
On trinque sur un comptoir poisseux. Le bonheur, ce soir-là, a le goût exact d’un burger trop salé.
6h. Le ciel a cette teinte de fruit agressé. L’eau est propre, la houle polie. Je rame jusqu’au pic : quatre locaux, un papy inoxydable, deux touristes qui confondent priorité et prière.
Je prends la première late, laisse la gravité m’insulter, taille un bottom plein pot, carve franc, petit snap pour rappeler au cartilage qui paye le loyer. Le papy siffle.
— Toujours là, vieux ?
— Tant que mes dents serrent le leash.
Entre deux séries, j’enseigne le b.a.-ba à un jeune qui “tape tout droit”.
— Tu vas où tu regardes, champion. Là, tu regardes ta chute. Devine la suite.
Il rit, corrige, progresse. J’aime quand les choses simples fonctionnent. On a tellement compliqué la vie qu’on appelle “miracle” un conseil de bon sens.
Le contact de Nathan me texte l’adresse. Petit plateau porno propret dans un studio climatisé. Je fais ce que je sais : checklists, horaires, consent forms, tests à jour, boundaries affichées en grand. Deux scènes, trois egos, zéro drame. J’apaise, j’anticipe, je sers d’humain tampon.
Pendant la pause, une actrice me demande si je “crois en l’amour”. Je réponds : “Oui, mais pas en Excel pour l’organiser.”
On finit à l’heure. Derek me claque l’épaule.
— Tu fais tenir les gens mieux que des vis. Reviens demain.
— Je viens si on garde les mêmes règles.
— Les règles, c’est ce qui nous sauve du cirque.
Je rentre à pied. J’ai gagné de l’argent sans vendre ma honte. Sensation neuve, presque médicinale.
Ocean Drive, 22h. Vitrines pleines d’objets qui brillent parce qu’ils n’ont pas d’âme. Je marche. Dans un reflet, je crois apercevoir de nouveau les lunettes miroir. Rire en tessiture grave. Kendra traverse le champ comme une phrase qu’on n’a pas fini d’écrire.
Je ne cours pas derrière. Les bonnes choses savent te re-trouver quand tu tiens ta ligne. C’est valable en surf, en ville, et dans la vie.
Je rentre. Le lit grince sa vieille chanson. J’ouvre le carnet :
“Je commence à me ressembler. Ça fait peur comme une vitre propre.”
“Ce que je veux vendre : du courage de débutant à des adultes fatigués.”
“Ce que je refuse : recommencer à demander la permission d’exister.”
“Kendra (nom supposé) : apparition latérale. Ne pas forcer le montage. Laisser la vague venir.”
Je ferme. La clim racasse. Miami ronfle. Mon cœur bat comme un tambour mal accordé mais opiniâtre.
Demain, je recommence : aube, sel, Brenda, Ernesto, Maya, Dwayne, la logistique qui paye et l’ironie qui protège. Et de temps en temps, un reflet de lunettes miroir pour me rappeler que la trajectoire a décidé d’être intéressante.
Le matin, je décide d’être adulte : bureau d’immigration, chemise propre, sandales. Dans la file, des regards de candidats à la dignité. Devant moi, un type en costume tropical qui transpire comme un glacier qui pleure.
Au guichet, une employée me sourit avec la neutralité d’une guillotine.
— Purpose of stay?
— Vivre honnêtement de peu, surfer beaucoup, travailler sans avoir honte.
— (tapote) Other.
Elle me réclame un formulaire que personne n’a jamais vu, nommé I-quelque-chose, version Z. Je lui demande où le récupérer.
— On line.
— Et quand on n’a pas de on line ?
— Library.
— Et quand on lit mieux l’océan que les notices ?
— You wait.
Je sors, cocu par la bureaucratie. J’achète un donut gras pour me consoler : le sucre est la morphine des humiliés.
Note carnet : “Les guichets créent des fantômes administratifs. Solution : rester vivant dehors.”
Samedi, 7h. Haulover. Maya a aligné dix débutants en rang d’oignons : trois banquiers en crise mystique, deux mères de famille en état de renaissance, un ado insolent, quatre “j’ai fait du skate en 2007 donc je gère”.
Maya parle peu. Elle me laisse la scène. Je sors ma voix de comptable repenti.
— Bienvenue à “Sunset Fix – édition aube et probabilité de ridicule”. Règles : respect du line-up, pas de selfie dans l’impact zone, et si vous tombez… on applaudira. Pas pour vous, pour la gravité.
Rires. On part dans l’eau par petits groupes. Je corrige, je gueule propre, je vanne en cadence.
— Toi, t’as un pop-up de fonctionnaire : ça bouge mais l’âme suit pas.
— Toi, t’es un chat : tu retombes toujours sur le cul. Essaie les pieds, c’est mieux pour la glisse.
Maya me regarde coacher comme on regarde une perceuse qui n’abîme pas le mur. À la fin, elle hoche ce fameux millimètre.
— Tu reviens demain.
Côté caisse, le CA sourit. Côté plage, des gens se félicitent d’avoir osé. Côté moi, tout s’aligne : enseigner sans se trahir. Ça vaut toutes les primes.
Pluie tiède. Ernesto a mis un sac plastique sur sa casquette. Il vend ses cigares comme on vend des souvenirs.
— Aujourd’hui, je ne fume pas, Ernesto.
— Tu as peur de mourir?
— J’ai peur de ne plus savoir pourquoi je vis.
— Alors bouge. Les réponses aiment la circulation.
Il me raconte Cuba, un frère perdu, une danse avec la police, un amour qui a choisi l’avion. Sa voix a la texture d’un vin rouge renversé sur une nappe qui a tout vu.
Je pars avec un cigare “juste pour le rituel”. La vie est courte, mais les symboles allongent la conversation.
Nathan m’embarque dans un bar où les tabourets ont des récits judiciaires. Il me présente Two-Fingers, un barman qui a perdu trois phalanges.
— He’s clean, dit Nathan. Surfer. Fixer. No drama.
— No drama? You’re in Miami, man, says Two-Fingers. Drama is the tap water.
On parle emplois précaires, tournages qui payent, shops qui recrutent. Nathan me refile trois numéros, deux fiables, un dangereux. Je sais déjà lequel appellera le premier.
Note carnet : “Réseau = filtre. Laisser passer l’eau potable, retenir l’égout.”
Dimanche, swell plus vif. Un type m’arrache une priorité : casquette plate, planche trop courte pour son ego.
— Bro, I didn’t see you.
— Normal, tu regardes ton nombril. Il est large.
Le line-up écoute. Je parle calmement.
— Règle simple : priorité au plus à l’intérieur. Et respect. Sinon, c’est roulette russe avec nos clavicules.
Il rigole, tente un “j’suis chaud”. Je lui propose un deal : il prend la prochaine, je lui colle au cul et je lui montre la ligne sans le toucher. Il accepte, vexé.
La série vient. Il rame, je rame. Il droppe, je shadow. Il sent, corrige, brille un instant. En sortant, il me serre la main. Fierté avalée. Victoire discrète.
Note carnet : “La morale du surf tient en une phrase : tu n’es pas seul dans la vague.”
Diner, 14h. Brenda sert, juge, sauve.
— Alors, le héros, on devient professeur de glisse?
— Prof de modestie, surtout.
Je lui demande sa vie. Elle rit en tableau Excel :
— Trois mariages, deux chiens, quatre voitures, zéro retraite. J’ai eu mieux dans mes rêves mais j’ai servi pire sur assiette.
— Tu regrettes?
— On regrette quand on a le temps. Moi je finis tard, je commence tôt. Pas le temps. Alors je vis.
Je lui laisse un pourboire qui ferait pleurer un banquier. Elle me lance :
— Tu sais, t’as une tête de type qui va réussir sans permission. Garde-la.
Dans la glace du bar, un flash : lunettes miroir. Une silhouette qui passe derrière moi. Le reflet me sourit ou m’insulte, je ne sais pas. J’évite de me retourner. Ça viendra.
Je campe à la bibliothèque pour remplir l’énigme I-quelque-chose. Des rangées d’âmes perdues, des claviers qui claquent comme des menottes. Une bibliothécaire me chuchote la procédure avec la compassion d’une psy non rémunérée. J’imprime, je signe, je scanne, je jure sur l’honneur que je ne suis ni terroriste ni animateur d’afterwork.
En sortant, j’ai gagné un ticket de plus dans la loterie de l’existence légale. C’est peu, mais c’est propre.
Chez Derek, journée pleine. Deux scènes, cinq techniciens, trois artistes, un manager envahissant que je reconduis poliment vers la porte en lui proposant une eau. Je suis huile de joints : on glisse, on tient.
Pause déjeuner : catering correct, discussions sur les contrats, assurances, limites. Je dis oui au boulot, non aux débordements qu’on regrette. On finit à l’heure. Tout le monde est payé à l’heure. Miracle banal, miracle réel.
Derek, à la fin :
— T’es un rare, Hugo. Tu tiens les gens sans les casser.
— Je les tiens comme je tiens une trajectoire : ferme, souple, clair.
— Reviens mardi.
— Mardi, shop le matin, set l’après-midi. Je cumule l’honnêteté.
Le soir, Maya compte. Je sens les chiffres qui respirent.
— Tu veux des heures régulières?
— Oui, mais pas au point d’oublier l’océan.
— On n’oublie pas l’océan. On s’aligne dessus. Deux matinées par semaine, plus les clinics du week-end. Et quand je t’appelle, tu viens.
— Et je te pique des idées marketing et je te rends du cash.
— Si tu montes des events propres, je te file une commission.
On serre la main. Contrat oral mais solide : respect mutuel, pas de promesses grasses, des actes.
Note carnet : “Je travaille pour Maya. Je travaille avec Derek. Je travaille pour moi.”
Ocean Drive, minuit. Un orage au large met des flashs dans le ciel comme un photographe invisible. Vitrine de magasin de fringues : elle. À dix mètres. Rire grave, tatouages qui écrivent une carte, short noir, démarche de cyclone apprivoisé. Son regard accroche le mien dans le reflet. Un dixième de seconde de lucidité partagée. J’avance. Elle tourne la tête. On se croise sans mot. Bien. Les histoires sérieuses savent attendre leur chapitre.
Motel. J’ouvre le carnet, je pose une structure, oui, je redeviens comptable mais du vivant :
Lundi/Jeudi : shop (matin), océan (aube), paperwork l’après-midi.
Mardi/Vendredi : set Derek (après-midi), océan (matin), récupération cerveau (soir).
Week-end : clinics + surf + dîner Brenda + cigare Ernesto + bière Nathan (optionnel) + rien (obligatoire).
Tous les jours : appeler ou écrire aux enfants. Zéro excuse.
Je relis. C’est simple, tenable, joyeux. Ce n’est pas le plan d’un héros. C’est la routine d’un homme qui se ressemble.
Je ferme. Je dors. Pour de vrai.
Aube suivante. Le swell est là, poli comme un couteau neuf. Je rame, je prends, je trace. À la sortie, Maya me lance :
— Mardi, 14h, Derek. Je t’ai déjà couvert la matinée pour récupérer. Et samedi prochain, clinic “avancés” : on fait payer plus cher, on donne plus juste.
— Oui, chef.
Mon téléphone vibre : message de ma fille. “Papa, c’est cool de te voir heureux sur les vidéos que tu m’envoies. N’oublie pas ma remise des prix le 18.” Réponse immédiate : “Le 18, je suis là. Promesse datée.”
Derek, en texto : “Tu fais une double journée possible mercredi ? Bonus si zéro drama.” Je réponds : “Oui si contrats signés, horaires tenus, respect strict. Sinon non.” Quelques secondes. “Deal.”
Je m’assieds sur le sable. Le soleil grimpe. Le monde s’agite. Moi, je signe. Je prends les deux jobs. Je garde l’océan devant, les enfants au centre, la honte au vestiaire.
Je me lève. J’ai faim de tout ce qui vient.
Je retourne au diner. Brenda me balance son café homicide.
— Alors, héros de plage, t’as trouvé un boulot qui pue pas la mort ?
— Deux.
— Deux ? Tu veux mourir plus vite ?
— Un au surf shop, un dans le porno.
Elle cligne des yeux.
— Sérieux ?
— Sérieux. Je préfère gérer des acteurs X que des réunions PowerPoint. Au moins, eux, ils jouissent vraiment.
— Tu vas finir par me dégoûter du bacon.
— Impossible, Brenda. Le bacon, c’est le seul orgasme accessible à la classe moyenne.
Elle secoue la tête. J’aime Brenda : elle ne juge pas, elle constate. Comme l’océan.
Ernesto me tend un cigare qui sent le décès honorable.
— Tu bosses dans le porno maintenant ?
— Ouais. Enfin, je gère les plannings, les papiers, les horaires. Je suis comptable du désir, quoi.
— C’est bien. Les Cubains, on dit toujours : “Mieux vaut compter des orgasmes que des dettes.”
— Moi j’ai compté que des dettes toute ma vie. Là, j’équilibre le tableau.
On fume. Il crache par terre.
— Tu sais, chico, y a deux façons de mourir : étouffé par ce que tu n’as pas vécu, ou fatigué par ce que tu as trop vécu.
— Et toi ?
— Moi, j’ai choisi de mourir debout. Comme un cigare trop long.
Nathan me croise devant le motel.
— Bro, tu sais qu’on parle de toi ?
— Qui ça ?
— Les mecs de la plage. Le Français qui surfe bien et qui bosse dans le X. Ça circule.
— Super. Je vais finir sur Yelp : “Surfeur/porno, cinq étoiles, service rapide.”
— Fais gaffe. Ici, la rumeur, c’est comme l’humidité. Ça rentre partout.
Il me tend une bière tiède. J’accepte.
Nathan, c’est l’ange gardien surfeur qui pue l'iode et la Budweiser.
Au shop, Maya me file un carnet.
— C’est pour toi. Tu prends les réservations, tu gères les clinics, tu organises les events. Si tu veux des boards, tu demandes.
— Et si je veux des congés ?
— L’océan décide, pas moi.
On trie les planches, on parle technique, on parle clients. Elle me dit qu’elle m’a vu coacher avec “style de vieux mais précision de chirurgien”. J’encaisse le compliment comme une vague molle : pas spectaculaire, mais ça porte.
Fin d’après-midi, plage. Je waxe une planche sur le sable. Une ombre se pose.
Je relève les yeux. Lunettes miroir. Tatouages. Short noir. Sourire qui dit : “Je suis le problème que tu cherchais.”
— Tu t’appelles comment ?
— Hugo. Et toi ?
— Kendra. Tu surfes bien. J’veux apprendre.
— T’as déjà une planche ?
— Non. J’ai mieux. J’ai de la motivation.
— La motivation, c’est bien. Mais sans planche, c’est comme le sexe sans partenaire : ça finit toujours par un truc triste et collant.
Elle éclate de rire. Un rire grave, rauque, qui sent le whisky et la sueur de club.
— Alors tu m’apprends ?
— Si tu promets de pas poster ça en story.
— T’inquiète. Moi je filme jamais… sauf quand on me paie.
Je la fixe. Elle sourit. Je comprends pas encore, mais je sens que je viens d’ouvrir une porte qui ne se refermera pas.
Allongé sur mon lit grinçant, je note :
“Brenda : cynisme de cafetière.”
“Ernesto : cigare de sagesse.”
“Nathan : bière prophétique.”
“Maya : chef d’orchestre minimaliste.”
“Kendra : problème annoncé, solution potentielle.”
Je ferme le carnet. La clim tousse. Le motel pue la fin de règne.
Moi, j’ai l’impression que la vraie partie commence.
Le matin, je me réveille avec la clim qui tousse plus fort qu’un sdf asthmatique. J’ai l’impression de dormir dans un frigo soviétique.
Je coupe tout. Je préfère suer comme un porc vivant que grelotter comme un cadavre réfrigéré.
Je sors. Miami pue le sable chaud et l’essence, un parfum de foutoir tropical. J’adore.
À Stockholm, ça sentait l’ordre. Ici, ça sent la sueur, donc la vérité.
Sur Ocean Drive, les joggers reviennent, les mêmes, clones fluo.
Ils courent comme s’ils fuyaient la vieillesse.
Je crie :
— Hé les gars, spoiler : la mort vous rattrape toujours, même en short Nike !
Un type me fait un doigt. J’applaudis.
Note carnet : “Insulter des joggers le matin, c’est mon yoga.”
Je retourne au diner. Brenda me sert son café homicide.
— Alors le surfeur du X, ça avance ?
— J’ai deux jobs. Un dans les vagues, un dans le cul. Je suis devenu multipotentiel.
— Et tu dors quand ?
— Quand j’arrêterai de bander pour la vie.
Elle lève les yeux au ciel.
— Si t’étais mon mari, je t’aurais déjà empoisonné.
— Rassure-toi, Brenda, personne ne mérite cette punition.
Elle me ressert sans que je demande. C’est ça, l’amour. L’amour, c’est quelqu’un qui t’empoisonne mais qui remplit ta tasse.
Je pense à mon ancienne vie.
Un samedi, avec mon ex, on a passé 6 heures à Ikea. 6 heures. Pour acheter un meuble télé. On a failli clasher à cause de la couleur des poignées.
J’ai compris ce jour-là que j’étais mort.
Quand tu hésites trois heures entre “bouleau clair” et “chêne blanchi”, c’est que t’as raté ta vocation. Moi, je voulais hésiter entre Bali et Hawaï, pas entre deux putains de tiroirs.
Ernesto m’accoste :
— Alors, chico, t’as l’air heureux.
— Non, Ernesto. J’ai l’air libre. C’est mieux.
Il crache sa fumée.
— Tu sais ce que je regrette ?
— Quoi ?
— Rien. Et c’est ça qui me tue.
Je lève mon café en carton comme un calice. On trinque à la négation.
Nathan débarque avec sa bière tiède.
— Yo, Hugo, tu sais que t’es devenu mon psy ?
— Tu me paies pas assez.
— Normal, j’ai pas de thunes.
— Moi non plus. C’est pour ça qu’on est amis.
On s’assoit sur le trottoir. Il me raconte son divorce, son ex qui est partie avec le chien.
— Elle a pris le chien, mec. Pas moi. Le chien.
— Normal, Dwayne. Le chien, il rapporte encore un peu de bonheur. Toi, t’étais qu’un loyer.
Il rit. Ça me fait du bien de le faire rire. Rire à deux, c’est déjà un bout de dignité.
Au shop, Maya me demande :
— Pourquoi t’enseignes ?
— Pour voir des gens sourire sans avoir besoin d’un iPhone.
— Bonne réponse. Mais souviens-toi : le surf, c’est pas que sourire. C’est aussi bouffer de l’eau et se relever.
— C’est pour ça que j’enseigne. Pour apprendre aux gens à tomber sans crever.
Elle me regarde, perplexe. J’aime ça. Quand une personne laconique s’arrête une seconde, c’est une déclaration d’amitié.
Allongé sur mon lit qui grince comme un vieux lit d’hosto, j’écris :
“Le mariage, c’est un contrat à durée indéterminée sans période d’essai. L’arnaque du siècle.”
“Les joggers fuient la mort. Moi je la drague. C’est plus franc.”
“Le bonheur, c’est pas une cuisine équipée. C’est un take-off réussi.”
“Si Dieu existe, il est surfeur. Sinon, il est commercial en panneaux solaires comme l’amant de mon ex. Et dans ce cas, je comprends pourquoi il est détesté.”
Je ferme le carnet. La clim crache. Moi aussi. Mais je me sens vivant.
Supermarché, Miami Beach. Les rayons brillent comme un casino de la malbouffe.
Je pousse mon caddie bancal. Une roue claque, l’autre gémit. Mon caddie a la gueule de ma vie d’avant.
Au rayon “organic”, des Américaines en leggings Tiger choisissent des avocats comme si elles sélectionnaient des embryons.
— This one is too soft.
— This one is too green.
Je passe à côté, je balance :
— C’est des fruits, pas des maris. Prenez-en un, il finira par mûrir.
Elles me fusillent du regard. Je prends deux paquets de chips gras et un pack de bière tiède. Moi au moins, je sais ce que je veux : du cancer immédiat.
À la caisse, une caissière obèse mâche son chewing-gum comme si elle négociait un traité de paix. Elle me lance :
— Do you have a membership card?
— J’ai déjà eu une carte de couple en panne de désire. Ça m’a suffi, merci.
Elle rit pas. Moi si.
Je balance mes fringues dans une machine qui sent la lessive industrielle et la sueur d’immigrés fatigués.
Une nana replie ses culottes avec une précision militaire. Je lui dis :
— Vous savez, vous pouvez aussi les froisser. Ça empêche pas la vie de continuer.
Elle me répond pas. Elle me regarde comme un pervers. Peut-être que je le suis. Ou alors je suis juste honnête.
Une vieille latino me demande de l’aide pour ses pièces. Je l’aide. Elle me remercie avec un sourire édenté qui vaut plus que toutes les primes de Noël que j’ai jamais eues.
Note carnet : “À la fin, c’est toujours une vieille dame édentée qui t’apprend ce qu’est la vraie grâce.”
Je marche avec ma bière ouverte. Une patrouille me stoppe. Deux flics, gilets pare-balles, regard bovin.
— Sir, no alcohol on the street.
— Pas d’alcool dans la rue ? Mais vos bars crachent de la vodka à 200 dollars le verre sur le trottoir, non ?
— It’s the law.
— La loi ? J’ai été n couple plus de 15 ans, les gars. Ça c’était la vraie dictature. Votre amende, c’est des vacances.
Ils me fixent. Je leur tends 20 dollars cash. Ils haussent les épaules, repartent.
Je bois une gorgée triomphale.
Note carnet : “La police est comme un ex : elle t’emmerde, mais elle repart si tu payes assez vite.”
3h du matin. Je commande un burger dégoulinant. Derrière moi, un type bourré vomit dans sa casquette.
Je dis à la serveuse :
— Ajoutez des frites, c’est pour lui.
Elle me répond :
— Sir, that’s disgusting.
— Non. C’est la métaphore de la vie. On mange mal, on gerbe, on recommence.
Je m’assois. Un clochard me demande une frite. Je lui tends le sachet entier.
— Tu veux pas garder un peu pour toi ? dit-il.
— Non. Si je garde, je deviens toi dans six mois. Alors autant que tu continues le rôle.
Il rigole. On bouffe ensemble. Deux types paumés, un sachet de frites, une vérité simple.
Devant un supermarché, quatre ados font du skate. L’un d’eux tombe comme une merde. Ils rient. Je m’approche.
— Vous voulez que je vous montre un vrai ollie ?
Ils me regardent comme un vieux fou. Je prends la planche, je claque un ollie pas parfait mais encore vif.
Ils hurlent.
— Woooah, respect !
— J’ai 46 ans et je surfe mieux que vous skater. Alors bougez vos culs.
Ils me checkent, comme si j’étais devenu une légende locale. Dix secondes de gloire, ça vaut tous les PowerPoint du monde.
Je retourne à la bibliothèque pour mes papiers. Silence, clim, têtes penchées.
Une étudiante me demande :
— You’re French ?
— Oui. Ça se sent ?
— You smell like sea and cigarettes.
— C’est ça, être français.
Je lui explique deux formulaires, elle me remercie comme si je venais de sauver son visa. Moi, j’ai l’impression d’être enfin utile pour un truc qui n’implique pas une facture.
Sur mon lit grinçant, j’écris :
“Un caddie bancal, c’est la métaphore de ma vie. Mais j’avance quand même.”
“Les flics aiment les billets comme mon ex aimait les panneaux solaires.”
“Les clochards partagent mieux que les cadres sup.”
“Les ados savent encore dire merci, les adultes non. Voilà pourquoi je les préfère.”
Je ferme. Je m’endors. La clim tousse. Moi, je ris encore de mes propres conneries.
Je vais faire un check-up. Pas parce que je suis inquiet. Parce que j’ai envie qu’un type en blouse blanche confirme que je suis encore vivant.
La salle d’attente ressemble à un salon funéraire avec des magazines. Une vieille dame tousse comme un moteur diesel. Un gosse pleure. Je suis coincé entre les deux : futur et passé en mode stéréo.
Le médecin arrive. Accent cubain, blouse propre, sourire commercial.
— Vous fumez ?
— Oui.
— Vous buvez ?
— Oui.
— Vous avez une vie sexuelle active ?
— Pas assez, mais plus que toi avec cette blouse.
Il me regarde, note quelque chose.
— Vous devriez ralentir.
— Docteur, j’ai 46 ans. J’ai ralenti toute ma vie. Maintenant j’accélère.
Il soupire, me prescrit des vitamines. J’ai payé 80 dollars pour un sermon que j’aurais pu recevoir de ma mère.
Note carnet : “La médecine, c’est l’art de te rappeler que tu payes pour mourir en ordre.”
Nathan m’embarque dans un club. File d’attente interminable, videur bodybuildé qui choisit les gens comme on trie des fruits.
— Toi tu rentres, toi non.
Quand il me voit, il hésite. J’ai une chemise froissée, une gueule de type qui a déjà perdu.
— What’s the dress code? je demande.
— Rich.
— Alors c’est mort.
Nathan file un billet. On rentre. Dedans, la musique cogne comme une migraine. Les filles dansent comme si elles cherchaient une caméra. Les mecs transpirent en buvant du champagne tiède.
Je regarde tout ça et je me dis : voilà la caricature de la vie moderne. On paie pour suer et se toucher sans parler.
—Bande de morts-vivants c’était quand la dernière fois que vous avez baisé sans miroir ?
Silence. Puis un rire. Puis des insultes. Nathan me tire. On sort.
— Mec, tu peux pas t’empêcher de foutre le feu.
— Non. Je suis allergique au silence.
Je veux ouvrir un compte. La conseillère est maquillée comme un cercueil de luxe.
— Mr Novak, what is your source of income?
— Surf, porno, ironie.
Elle fronce les sourcils.
— Please, seriously.
— Sérieusement : je surfe, j’aide à tourner des pornos, et je fais rire des inconnus. C’est mes trois lignes de revenus.
Elle me dit qu’il faut remplir un formulaire de 12 pages.
— Pourquoi 12 pages ?
— Compliance.
— Ma vie tient sur une vague et une bite, mais vous avez besoin de 12 pages ?
Elle ne rit pas. Moi si. Je signe quand même.
Marre du motel qui pue le divorce. Je visite un studio. 1 500 dollars par mois. 25 mètres carrés. Une cuisine qui ressemble à une punition.
La proprio me dit :
— Perfect for a single man.
— Non, madame. Parfait pour un hamster dépressif.
Deuxième appart. 2 000 dollars. Vue sur un mur. La proprio dit :
— It’s quiet.
— Oui, c’est un caveau.
Troisième appart. Trop cher. Mais terrasse, vue océan. Je me dis : si je crève ici, au moins je crève avec un horizon.
Je retente les courses. Une Américaine devant moi paye avec 200 coupons de réduction. Elle prend 20 minutes. Je perds patience.
— Madame, vous sauvez des cents alors que vous perdez des années. Prenez juste vos frites et mourrez dignement.
Elle hurle. Le caissier appelle un manager. Moi je ris, je sors. J’ai gagné : je me suis senti vivant.
Allongé, j’écris :
“Le médecin m’a prescrit des vitamines. J’aurais préféré un orgasme.”
“Les boîtes sont des cimetières avec des néons.”
“Les banques veulent des formulaires, pas des hommes.”
“Un appart, c’est pas une cage. C’est une fenêtre. Sinon, je préfère dormir sur la plage.”
Je ferme. La clim râle. Moi aussi. Mais j’ai survécu à une journée de conneries, et c’est déjà une victoire.
J’entre dans un salon. Un Cubain tatoué me demande :
— Style ?
— Ressuscité.
Il me rase les côtés, laisse le haut. Je ressemble à un acteur porno fatigué.
À la fin, il me dit :
— You look younger.
— Plus jeune ? Non. Juste plus cher à enterrer.
Je paye, je sors, j’ai l’impression d’avoir perdu dix ans de normalité.
Par curiosité, je teste une salle. Des mecs hurlent en soulevant des haltères, comme si pousser du métal allait rallonger leur bite.
Un coach vient me voir :
— Sir, do you want to build muscle ?
— Non. Je veux juste vivre sans respirer comme un tracteur.
Il me propose un abonnement à 200 dollars.
— Pour 200 dollars, je préfère me payer du rhum et un massage. Ça me rendra plus heureux, et peut-être plus musclé au lit.
Je repars. Les mecs me regardent comme un hérétique. Je souris.
Je croise un groupe de Français en terrasse. Chemises blanches, lunettes de soleil, “entrepreneurs digitaux”.
— Ah, un compatriote ! me lance l’un. Tu fais quoi ici ?
— Je surfe et je bosse dans le porno.
Silence.
Un autre dit :
— Non mais sérieux ?
— Plus sérieux que vos startups qui vendent des applis pour commander des clopes à domicile.
Ils rient jaune. Je me casse. Ces mecs sont venus à Miami pour fuir Paris, mais ils recréent Paris avec du mojito. Pathétiques.
Je me fais un contrôle. La dentiste a des gants roses et un accent russe.
— Vous fumez ?
— Oui.
— Vous buvez ?
— Oui.
— Vous avez beaucoup de tartre.
— J’ai surtout beaucoup de regrets. Vous avez un produit pour ça ?
Elle ne rit pas. Elle gratte mes dents comme si elle sculptait une tombe. À la fin, elle me dit :
— Vous devriez sourire plus.
— Je souris, docteur. Mais de l’intérieur.
Je sors avec la bouche propre, mais le cœur toujours sale.
Par curiosité, je teste Tinder. Je “matche” avec une Américaine. On se retrouve dans un bar.
Elle me dit :
— So, what do you do ?
— Surf, porno, ironie.
— Haha, you’re funny.
— Non. Je suis tragiquement sérieux.
Elle me parle de ses voyages spirituels, de Bali, de son chaman personnel.
Je réponds :
— Moi aussi j’ai un chaman. Il s’appelle Ernesto, il vend des cigares.
Elle part aux toilettes et ne revient jamais.
Note carnet : “Tinder, c’est la version moderne du fast-food : ça sent bon, ça nourrit mal, ça te laisse vide.”
Je visite une école de surf “premium”. Bâtiment blanc, musique lounge, profs en polo, boards neuves.
Une cliente demande :
— Is it safe ?
Le coach répond :
— Totally safe.
Moi je rigole.
— Le surf, c’est jamais safe. Si c’est safe, c’est pas du surf, c’est de l’aquagym.
On me regarde mal. Je pars.
Note carnet : “Le surf de luxe, c’est comme le sexe avec capote et contrat : légal, propre, mais sans goût.”
Notes du soir :
“Le coiffeur m’a rajeuni. Mais je suis toujours vieux à l’intérieur.”
“Les salles de sport, c’est la dictature de l’ego. Moi je préfère l’anarchie de l’océan.”
“Les expats français recréent Paris partout. Ils devraient rester coincés dans le périph.”
“Le dentiste a nettoyé mes dents, mais pas ma vie.”
“Tinder, c’est une poubelle où tout le monde croit être une perle.”
“Le surf de luxe est un oxymore. Comme le mariage heureux.”
Je ferme. Le lit grince. Moi aussi. Mais je dors avec le sourire.
Je me promène. Un parc rempli de chiens en laisse, de maîtres en legging.
Un caniche aboie sur moi. Sa maîtresse s’excuse :
— Sorry, he’s aggressive.
— Normal, il est castré. Moi aussi je serais agressif si on me coupait les couilles.
Elle part outrée. Le caniche me regarde comme s’il comprenait. J’ai gagné un frère de misère.
Je teste un cours gratuit de yoga. Une prof sourit trop, voix douce, musique zen.
— Breathe in, breathe out… connect with your inner self.
Je ferme les yeux.
Je pense à mon ex, à Ikea, à mes factures. Je me reconnecte à mon envie de hurler.
La prof dit :
— Empty your mind.
Je crie :
— C’est fait, j’ai été en couple 17 ans, c’est déjà vide !
Silence. Je sors. J’ai gagné ma journée.
Je m’assois sur un banc. À côté, un vieux lit la Bible. Il me demande :
— Do you believe in God ?
— Oui. Il s’appelle Océan Pacifique, et il m’a déjà mis deux claques ce matin.
Le vieux me regarde, perplexe. Moi je souris. J’ai ma religion, et elle est salée.
Je dépose ma chemise. La dame me dit :
— Tomorrow ?
— Si elle revient vivante, demain, sinon enterrez-la.
Elle rit pas. Moi si.
Notes du soir :
“Les chiens castrés aboient comme les maris fidèles.”
“Le yoga est une secte low-cost pour désespérés.”
“Ma religion a un leash et des vagues.”
“Au pressing, on croit laver des chemises. Moi j’y lave mes regrets.”
Je monte dans un bus parce que je suis trop fauché pour un Uber. Odeur de sueur, clim glaciale.
Un SDF parle tout seul au fond. Une mère hurle sur son gosse. Deux ados écoutent du rap sur haut-parleur.
Je m’assois. Une femme s’installe à côté de moi. Elle me dit :
— Do you know Jesus ?
— Bien sûr. On a surfé ensemble à Nazaré. Il m’a dit de ne jamais faire confiance aux planches en mousse.
Elle ouvre grand les yeux, change de place.
Le SDF me regarde, éclate de rire. On se tape dans la main. Voilà, complicité immédiate.
Le bus, c’est une église pour pauvres. Y a des prophètes, des possédés, et des mecs comme moi qui attendent l’arrêt.
Je retente Tinder. Cette fois, une Colombienne tatouée. On se retrouve dans un bar salsa.
Elle me demande :
— What do you do ?
— Surf teacher. And porn assistant.
— Haha, porn ? For real ?
— Ouais. J’organise des tournages. C’est comme être wedding planner, mais sans les fleurs.
Elle rigole, elle boit, elle danse. Je la regarde, je me dis que peut-être Tinder n’est pas qu’une poubelle. C’est une loterie. Et moi, j’ai déjà perdu assez de temps pour refuser de jouer.
Je croise ma voisine de chambre, une strip-teaseuse. Elle porte un peignoir rose, clope au bec.
— You’re the French guy ?
— Oui.
— You surf ?
— Oui.
— I dance.
— Moi aussi, mais sans musique et sans public.
Elle rit, m’offre une clope. On fume ensemble dans le couloir qui pue le tabac froid et le désespoir.
Note carnet : “Les couloirs de motel, c’est comme la vie : ça sent la fin, mais on y croise des gens.”
Je retourne bosser mes papiers. Une étudiante me sourit timidement.
— You always write in that notebook ?
— Oui. C’est mon psy. Mais lui, il est pas cher et il me juge pas.
— What do you write ?
— Que tout le monde court après la vie alors qu’il faudrait juste la surfer.
Elle rit. Elle prend mon carnet, lit une phrase. Elle dit :
— That’s good. You should publish.
— Non. Si je publie, je deviens sérieux. Et sérieux, c’est la pire maladie.
Notes du soir :
“Le bus est une église. Les prophètes sentent la pisse, mais ils disent vrai.”
“Tinder est une poubelle, mais parfois tu trouves un diamant coincé entre deux sacs.”
“Les voisins de motel te rappellent que t’es pas seul dans la misère.”
“Si je publie, je meurs. Si j’écris, je survis.”
Je ferme. Le lit grince. La clim râle. Moi je ris. Je suis vivant.
L’enfer a une adresse : le Department of Motor Vehicles.
Je fais la queue deux heures. Des mômes hurlent, des écrans annoncent “Now serving B127” alors que je suis B666. Logique.
Je passe enfin au guichet. Une fonctionnaire au regard mort me demande :
— Proof of residence ?
— J’habite au motel “Blue Flamingo”. Chambre 23.
— That’s not valid.
— Pourtant c’est bien réel : ça sent la moisissure et la solitude, je vous assure.
Elle lève pas la tête. Elle tamponne un papier au hasard.
Je sors avec un ticket, pas un permis.
Note carnet : “Le DMV, c’est comme le mariage : tu fais la queue, tu signes, et tu sors sans avoir ce que tu voulais.”
Je décide de jouer le touriste cultivé.
Une salle blanche, une toile avec juste un carré rouge. Un guide explique :
— This piece represents the emptiness of modern society.
Je dis :
— Ou alors, c’est juste un carré rouge.
Tout le monde me regarde comme un barbare. Moi je continue :
— J’ai fait pareil en primaire avec un Stabilo. Personne m’a payé 2 millions.
Un gosse éclate de rire. Sa mère me fusille du regard.
Note carnet : “L’art moderne, c’est un meuble conforama sans notice : t’achètes, tu comprends rien, mais tu fais semblant.”
Par curiosité, je teste une psy américaine. Cabinet beige, fauteuil moelleux, diplômes encadrés.
— So, Hugo, why are you here ?
— Parce que c’est à la mode. Tout le monde a un psy, je voulais tester.
— How do you feel ?
— Comme un surfeur coincé dans un bureau depuis 25 ans. En apnée.
— And what do you want ?
— Du soleil, deux femmes, et zéro facture.
Elle note.
— That’s unrealistic.
— Non. Ce qui est irréaliste, c’est d’acheter une maison à crédit 30 ans. Moi je veux juste être heureux trois jours d’affilée.
Elle ne rit pas. J’ai pas prévu de revenir.
Je cherche un appart. Une annonce : “coloc cool, ambiance relax”.
J’arrive. Trois mecs. Un DJ raté, un vegan militant, un complotiste.
Ils me demandent :
— Tu fumes ?
— Oui.
— Tu manges de la viande ?
— Oui.
— Tu crois que la terre est plate ?
— Non. Mais ton cerveau oui.
Ils me virent en cinq minutes. J’ai pas insisté.
Note carnet : “La coloc, c’est pire qu’un couple: t’as pas l’amour, juste les emmerdes.”
Je fais la queue. Une mère hurle sur son gamin parce qu’il veut un paquet de bonbons.
Je me penche :
— Prends-les, petit. Les bonbons c’est mieux que les regrets.
La mère :
— Don’t talk to my son !
— Relax, madame. Je suis pas pédophile, je suis philosophe.
Elle appelle un vigile. Je sors en courant avec mes chips.
Je retourne me couper les cheveux. Le Cubain me demande :
— You want same cut ?
— Non. Je veux la coupe “nouvel homme”.
— What is that ?
— La coupe de quelqu’un qui a arrêté de faire semblant.
Il rigole. Il me rase presque tout. Je sors avec une gueule de moine punk. J’adore.
Notes du soir :
“Le DMV est la preuve que l’enfer est administratif.”
“L’art moderne, c’est du Stabilo sur toile. Le vrai art, c’est une vague qui te claque.”
“Les psys veulent te faire rentrer dans une case. Moi je veux sortir de toutes.”
“La coloc, c’est une secte sans charisme.”
“Un gamin veut des bonbons, sa mère veut qu’il ferme sa gueule. Devinez qui a raison ?”
“Un coiffeur, c’est un prêtre avec des ciseaux.”
Je ferme. Je m’endors. La clim tousse de plus en plus. Moi, je ris encore.
Nathan m’entraîne dans un karaoké miteux. Des Américains bourrés massacrent du Bon Jovi.
Je prends le micro. Je choisis un truc français : “L’aigle noir”. Personne comprend.
Alors je traduis à ma sauce :
— This song is about depression, incest, and birds. It’s French, don’t worry.
La salle me regarde comme si j’étais un terroriste culturel. Je chante faux, je gueule, je balance le micro. Ovation.
Note carnet : “Chanter faux, c’est encore une preuve d’honnêteté.”
Je passe devant un cimetière. Je vois des gens enterrer quelqu’un. Je m’arrête.
Un prêtre parle : “He was a good man.”
Je pense : Tous les morts sont de bons hommes. Sinon, personne vient.
Une vieille dame me demande si je connaissais le défunt.
— Non, mais je connais le futur. Je vais y passer aussi, alors autant m’entraîner.
Elle sourit tristement. Je repars.
Note carnet : “Les enterrements, c’est comme les anniversaires. Sauf que le gâteau est plus petit.”
Je rentre dans une salle de jeux vidéos. Des ados hurlent devant des écrans.
Je prends une manette. Je bats un gamin à Street Fighter. Il me dit :
— You’re old !
— Oui, mais je t’ai niqué quand même. Tu devrais réfléchir à ta carrière, petit.
Les autres rigolent. Le gamin ragequit. Moi je me sens jeune cinq minutes.
Je monte dans un Uber. Chauffeur cubain, playlist salsa à fond. Il roule comme s’il fuyait la CIA.
— Relax, mec !
— No relax ! Miami is a jungle !
Je me retiens de vomir. À l’arrivée, il me dit :
— Five stars ?
— Je te mets dix. Pas pour ta conduite. Pour ton courage de pas être déjà mort.
Je me laisse tenter. Lumières rouges, filles sur scène. Une danseuse vient me voir.
— Wanna dance ?
— Non, je veux juste discuter.
— About what ?
— Pourquoi t’as choisi de montrer ton cul plutôt que ton sourire ?
Elle rigole. Elle dit :
— Because my ass pays rent, my smile doesn’t.
Touché. Je lui file 20 dollars. Pas pour son cul. Pour sa franchise.
Je dois renouveler mon passeport. Salle d’attente remplie de Français qui puent le mal du pays.
Un fonctionnaire me demande :
— Profession ?
— Surfeur, assistant porno, philosophe à mes heures.
Il tape “sans emploi” dans son ordi.
Je proteste :
— Mais j’ai deux jobs !
— Monsieur, vous n’avez pas de fiche de paie française. Donc vous n’existez pas.
Voilà. La France me tue même à 8 000 km.
Note du soir :
“Chanter faux, c’est chanter vrai.”
“Un enterrement est un pot de départ sans gâteau.”
“Street Fighter est la seule compétition où j’ai encore mes chances.”
“Un Uber peut être un manège de la mort pour 12 dollars.”
“Les strip-teaseuses vendent la vérité avec leur cul. Plus honnête que beaucoup de mariages et de couples.”
“La France t’efface, même quand tu crois lui avoir échappé.”
Je ferme. Je m’endors. La clim tousse, moi aussi. Mais j’ai survécu à un autre jour de connerie.
Je vais à un parc. Les files d’attente : 2 heures pour 2 minutes de sensations. Exactement comme un mariage.
Un gamin vomit son hot-dog après un grand huit. Les parents applaudissent.
Je crie :
— Bravo ! Première performance artistique de sa vie, et c’est du vomi. On dirait BFM TV.
Un vegan distribue des tracts contre les hot-dogs. Je lui dis :
— Mec, arrête. Les cochons sont déjà morts, faut bien honorer leur sacrifice. Sinon c’est du gâchis spirituel.
Il me regarde comme si j’étais Hitler. Moi je bouffe un hot-dog en le fixant. Victoire.
J’entre dans une salle où 20 retraités jouent au bridge. Silence de cathédrale.
Une mamie me dit :
— Vous connaissez les règles ?
— Oui. C’est comme la politique : tout le monde triche, mais on sourit en le faisant.
Les vieux rigolent. Je me sens adopté.
Note carnet : “Les vieux, au moins, ils savent perdre sans faire un tweet.”
Je tente speedating wokiste. Dix tables, dix femmes qui cochent des cases.
La première me demande :
— Are you feminist ?
— Oui. Mais à ma manière : je crois que les femmes devraient avoir le droit de mentir autant que les hommes.
La deuxiéme :
— Do you recycle ?
— Oui. Mes ex. Ça s’appelle la branlette nostalgique.
Galerie branchée. Des gens en noir, des coupes de champagne, des photos floues accrochées.
Une fille me demande :
— What do you think ?
— Je pense que c’est mal cadré, mal payé, et mal baisé. Bref, parfait pour Miami.
Elle rigole pas. Moi si. Je bois son champagne.
Je tombe sur une marche “Save the Planet”. Des pancartes, des slogans.
Un étudiant me dit :
— Join us !
— Mec, j’ai 46 ans, j’ai déjà raté la planète. Sauve-la sans moi. Moi je sauve ma peau.
Il insiste.
— If we don’t act now, we’ll all die.
— Tu découvres ça à 20 ans ? Bravo. Moi je le sais depuis Ikea.
Notes du soir :
“Les parcs d’attractions sont des stages pour futurs maris : 2h d’attente, 2 min d’extase, puis vomi.”
“Les vieux au bridge sont plus drôles que les jeunes sur Twitter.”
“Les wokistes veulent sauver le monde mais savent pas se sauver eux-mêmes.”
“L’art contemporain, c’est la photo floue de ta gueule dans le miroir.”
“La planète crame. Moi aussi. Au moins, on sera synchrones.”
Je claque mon carnet comme on claque les fesses de sa meuf. Voilà. La purge est faite. J’ai raclé le fond de mes boyaux, j’ai vomi tout le goudron, j’ai pissé sur la société, j’ai traité mes fantômes comme des huissiers. J’ai tout balancé : les boulots qui te stérilisent, les familles en carton, les slogans à la con... Bref, j’ai fait mon procès, j’ai tiré la chasse.
Maintenant, fini la merde. On avance.
Et avancer, ça veut dire quoi ? Ça veut dire waxer une planche jusqu’à la faire jouir. Ça veut dire croiser cette Nana sortie de nulle part, tatouée comme une apocalypse en bikini, et lui laisser foutre un bordel que ni mes carnets ni mes factures n’ont jamais réussi à inventer.
Le surf pour me sauver, Elle pour me détruire.
Allez, ride numéro deux, let's go Novak !
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