CHAPITRE 2 - partie 2 - La soirée de la plage

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La plage la nuit. Feu qui crépite, cercle de locaux, guitare approximative, bouteilles de rhum coco qui circulent, odeur de bois brûlé et d’herbe douce. Quelques rires timides, des histoires de surf, un jeune local raconte ses galères : job de merde, loyer trop cher, rêve de voyager mais pas les moyens. Il parle bas, s’excuse presque d’exister. Hugo le fixe, reconnaît sa propre jeunesse.

À quelques mètres, Kendra est là. Lunettes miroir posées dans ses cheveux, short effrangé, tatouages qui racontent une vie. Elle sirote son rhum, le regard sur Hugo depuis une heure. Elle attend. Elle sent qu’il va exploser.

Trois types débarquent. Rire gras, chemises ouvertes, chaînes en or, baskets blanches jamais salies, parfum qui pue la carte platine. Des gosses de riches en mode “vacances à Miami”. Ils repèrent le jeune local.


- Still flipping burgers, bro ?
- …Yes.
- Man, that’s cute. We invest in condos, you invest in ketchup.

Les rires claquent. Le gamin baisse les yeux. Les autres autour gênés. Hugo se lève. Pas vite. Pas héroïque. Mais il se lève.

Kendra sort son téléphone. Elle enregistre parce qu’elle sait que le volcan Hugo vient de se réveiller. Et que ça risque de clacher sévère.

Il s’approche. Rhum coco à la main.


- Salut les gars. Beau tableau. Trois paons en chemises Zara qui prennent un gamin pour un punching-ball. J’adore. Ça résume Miami : des fils de banquiers qui humilient des gosses qui bossent. Bravo. Vous êtes la bande-annonce wish de la décadence, trois fils de pute qui confondent richesse et virilité, la version masculine d’un sex-toy : bruyants, chers, et inutiles une fois débranchés.

Silence. Les types se retournent.


— Who the fuck are you ?


— Moi ? Je suis la version discount de vous. La même merde, mais sans le vernis, sans Rolex, sans villa, sans putes payées. J’ai juste un slip H&M et un casier de dettes. Mais au moins, j’ai pas besoin de papa pour me torcher le cul.

Rires autour. Les trois serrent les dents.

Le plus arrogant bombe le torse et lève la voix.


— You don’t know me.


— T’as raison. Mais en fait si. Je te connais par cœur. Tu veux que je te décrive ?

Hugo s’avance, le doigt pointé comme une sentence.

— T’es le mec qui croit tout savoir. T’as lu trois pages d’un livre de philo que t’as jamais fini, tu balances des citations sur Insta pour emballer des meufs qui rêvent de Dubaï. T’as un corps entretenu par une salle de sport, mais un cerveau de la taille d'un nugget qui a raté le bus. T’es blindé de fric, mais vide à l’intérieur. Et surtout… surtout t’es moi, si j’avais continué à mentir.

Hugo continue, implacable.

- Moi aussi j’ai fait semblant d’être ce qu’on attendait, j’ai joué la pièce de théâtre sociale : mari modèle, père sérieux, employé fidèle. J’ai joué le rôle. J’ai serré les dents. J’ai dit “oui chef”, “oui chérie”, “oui la vie”. Résultat ? Dix-sept ans de mariage pour finir cocu avec un vendeur de panneaux solaires. VINGT ans de taf à vendre des piscines à des mecs qui savent pas nager. Et tout ça pour un ratio pipes, sodomies, rêves, statistiquement proche du néant.

Explosion de rires. Les locaux hurlent. Kendra manque de recracher son rhum. Un mec tombe de sa chaise de rire. Les fils à papa deviennent rouges comme des homards.

- Ouais, j’suis un raté. J’ai 46 piges, j’ai plus de cheveux que de certitudes, je dors dans un motel qui pue la clope froide. J’suis obligé de noter ma vie dans un carnet sinon j’oublie pourquoi je me lève. Mais au moins, je suis vrai. J’ai arrêté de mentir. Vous, vous mentez encore.

- Moi au moins, j’ai rien. Mais c’est à moi. Vous vous avez tout, mais c’est pas à vous. Vous jouez au monopoly humain. Papa paie, maman pleure, et vous vous croyez des hommes. Vous êtes pas des hommes. Vous êtes des PowerPoints avec des baskets neuves, et croyez-moi ça c’est pire que d’être pauvre.

Les locaux hurlent, applaudissent, se lèvent. Le gamin du fast-food se redresse, fier. Les trois fils à papa reculent, vexés, incapables de répondre.

Hugo se tourne vers le public.

- La vérité ? Le monde part en couille. On vit dans un open bar de connerie. On est tous pareils. Nous nous mentons en boucle. On vit dans une société où on passe plus de temps à choisir un putain de filtre Instagram qu’à choisir sa vie. Les meufs veulent des mecs qui ressemblent à des pubs Dior, et les mecs veulent des meufs qui ressemblent à des actrices porno. Résultat ? Personne baise. Et quand ça baise, c’est aussi excitant qu’une pub pour le Crédit Agricole.

- On est 8 milliards à courir comme des cons. On a des vegans qui veulent interdire les œufs mais qui snifent de la coke produite par des gamins en Colombie. Les wokistes veulent réécrire la grammaire alors qu’ils savent pas écrire une lettre de motivation. Les politiques sont des influenceurs avec moins de followers qu’une meuf à gros cul sur TikTok. Les réseaux sociaux c’est des gamines à peine majeurs qui montrent leurs chattes pour des pédophiles en burn-out. Et pendant ce temps-là, on bouffe des chips devant Netflix en se branlant sur nos regrets. Voilà notre putain de civilisation. Voilà la morale. Le monde est un club échangiste sans capotes. Tout le monde baise tout le monde, et personne n’assume. Les riches baisent les pauvres, les pauvres se baisent entre eux, et les politiques baisent tout le monde

Il lève les bras, prend une voix solennelle :

- Mes chers compatriotes, je pourrais encore vous mentir, vous promettre moins de factures, plus de pipes, et des surf shops dans chaque états et chaques villes de ce pays ou bien qu'a partir d’aujourd’hui, tout citoyen aura droit à un jour férié payé pour chaque sodomie réussie. Mais je ne mentirais plus, je n'ai plus de programme à vous vendre, à me vendre car ma vie est tout simplement un echec, j’assume, je suis un raté magnifique, j’ai tout foiré sauf mon rire. Et ça, mes amis, c’est mon capital.

Hugo crache dans le sable, lève son verre.

- Alors je bois à ça, à ma vie de merde, mais au moins c’est ma vie de merde. Pas une location avec option d’achat.

Il termine son verre cul sec.

Rires énormes, tonnerre d’applaudissements, sifflements et même quelques “fuck yeah”.

Kendra rit, un rire sale qui secoue son corps tatoué. Elle essuie une larme. Elle pense direct à sa partenaire :

- Putain… Adrianna, c’est lui. Pas un beau gosse, pas un surfeur, pas un prince. Un connard magnifique, honnête, drôle, qui crache la vérité.

Elle vide son verre, regarde Hugo comme on regarde un miracle puis elle murmure pour elle-même :

- C’est vraiment lui bordel de merde !


Dans sa tête, la décision est déjà prise : Hugo va entrer dans leur vie.

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