CHAPITRE 2 - partie 3 - Le lendemain
Hugo se réveille au motel, gueule de bois en forme de marteau-piqueur. La clim fait un bruit de tracteur, le drap colle, il a du sable jusque dans le cul.
Il allume une clope, se parle tout seul :
- Voilà, Novak. Hier soir, t’as fait Jésus, Moïse et Malcom X réunis. Et ce matin, t’es juste un vieux con qui cherche un Doliprane.
Il ouvre son carnet, lit ses notes de la veille. Ça lui arrache un sourire. Il se dit : “Au moins, je me suis fait rire. C’est toujours ça de gagné sur la mort.”
Il traîne jusqu’ à un café de plage. Commande un espresso qui a le goût d’eau sale. Il observe les gens, joggers, couples qui s’embrassent, familles qui posent pour des selfies.
Il note : “Tout le monde fait semblant d’être heureux à 9h du mat. Moi je fais semblant d’être vivant. Égalité.”
Il écrase sa clope. Et c’est là qu’elle arrive.
Kendra. Lunettes miroir, short en jean, tatouages au soleil; visuellement pour Hugo un cul et une paire à tomber par terre. Elle commande un rhum coco… à 10h du matin.
Elle s’assoit doucement, sans demander. Elle sourit, mais ce n’est pas le sourire de la pornstar qui explose en cam. C’est fragile, presque hésitant.
- Hier soir… c’était toi, hein ?
Hugo rit :
- J’ai peur que oui.
Un silence. Elle joue avec sa paille, regarde son verre. Elle cherche ses mots.
- Tu sais… ça faisait longtemps que j’avais pas ri comme ça.
Elle rougit à peine. Elle déteste ça. Elle se mord la lèvre, se cache derrière ses lunettes.
- J’ai rien fait. J’ai juste parlé avec trop de rhum dans les veines.
- Justement.
Un mot. Juste ça. Mais dans sa voix, tout tremble.
Elle reprend, doucement :
- Dans mon monde, les gens… ils parlent pour vendre. Pour exciter. Pour manipuler. Toi, tu parlais pour rien. Pour rire. Et… je sais pas… ça m’a fait du bien.
Silence. Elle baisse les yeux. Kendra la pornstar “trash” gonzo ne se montre pas. Là, c’est la Kendra fragile, celle qui confond ses propres émotions avec un champ de mines.
Elle sourit. Hugo la fixe, intrigué.
- Ton monde ?
- On en parlera plus tard.
Elle boit une gorgée de son rhum, soupire
Elle ose un peu plus :
- Hier… je me suis dit qu’une amie à moi devait absolument t’entendre. Elle… elle a tout vu, tout vécu. Elle a besoin de ça. De quelqu’un qui arrête de jouer.
Hugo la fixe.
- Une amie ?
Elle hoche la tête.
- Oui. Une amie… très proche.
Elle se mord la lèvre. Elle n’en dit pas plus. Trop tôt. Mais dans ses yeux, il y a déjà une fissure, elle n’a jamais peur de parler de cul, mais là parler des sentiments, ça, ça la rend vulnérable.
Il écrase sa clope.
- T’es en train de me dire que j’ai fait un one-man-show pour touristes et locaux bourrés, et que ça a changé ta vie, et que ton amie à besoin d 'une séance additionelle ?
Elle rit, nerveusement.
- Oui, Peut-être… un peu.
Elle boit son rhum, trop vite. Elle se cache dans le verre.
Hugo baisse les yeux, marmonne :
- Putain, j’suis foutu.
Dans sa tête à elle c'est le gros bordel : “Putain Kendra, t’as tourné des dizaines de films hardcores à vomir, tu t’es fait défoncer en direct par plusieurs bites d'ours et tu trembles devant un mec qui parle de notre monde qui part en couille ?”
Mais c’est ça, la vérité.
Elle tremble. Parce que pour la première fois depuis longtemps, ce qu’elle ressent n’a rien à voir avec un cachet, un contrat ou une caméra. Pour la premiére fois elle vient de se faire défoncer le coeur.
Hugo regarde l’heure, finit son café dégueulasse.
- Bon, j’te laisse, j’ai une leçon de surf.
Kendra se redresse, un peu précipitée, comme si elle avait peur qu’il file trop vite.
- Dis… tu te rappelles, j’t’ai dit que je voulais apprendre ?
- Ouais.
- T’aurais un peu de temps pour moi ?
Elle se mord la lèvre, joue avec sa paille.
- Demain après-midi, par exemple ?
Hugo soupire, rit.
- Demain aprem’, pas possible. Je bosse au studio.
Elle lève un sourcil.
- Studio ?
- Ouais, studio. Il en dit pas plus. Ça reste vague.
Elle hoche la tête. Dans son monde on dit stage, pour elle “studio” égale musique, photo, un truc créatif. Elle sourit.
- Ok… alors une autre fois.
- Une autre fois.
Il sort son téléphone, vieux modèle rayé.
- File-moi ton numéro, j’te cale une session dès que je peux.
Elle tend le sien, écran dernier cri. Ils s’échangent leurs contacts.
Hugo lit : Kendra Velasquez.
Le nom sonne comme une vague, sensuel, lourd, presque fait exprès pour rester dans une bouche.
Il la regarde, sourit.
- Kendra Velasquez… ça claque. On dirait une héroïne de roman noir.
Elle rougit un peu, hausse les épaules.
- Ou juste une fille qui veut apprendre à tenir sur une planche.
Ils rient doucement. Puis chacun repart de son côté. Mais le fil est noué.

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