Prologue 1.1

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451 après J.-C.

Un ciel sombre prenait place.

Les deux astres avaient une fois de plus joué à leur danse infinie et la lune adoptait doucement son juste rang au-dessus d’un voile de nuage. L’obscurité régnait dorénavant en maître, atténuant la moindre couleur. Émoussant jusqu'à la plus fourbue des déterminations.

Un homme, étendu parmi les cadavres, observait l'éternel en quasi étranger à son monde. Il sentait son esprit émerger, mais son enveloppe physique toujours engourdie se trouvait couchée à la face du corps céleste.

Une pensée, un nom lui revenait amèrement.

Aetius, murmura le romain. Aetius

Une douleur lancinante commençait à se faire ressentir au niveau de son front. Ses sens se réveillaient les uns après les autres. Une quinte de toux le secoua. La nuit avait apporté avec elle un froid mordant et il se mettait à trembler pareil à un enfant.

Il fallut au romain toute sa résolution pour relever son buste. Il luttait de manière pitoyable contre sa faiblesse apparente.

Seigneur…

La scène qui entourait le blessé se composait d’un champ empli de cadavre. D’une véritable fosse commune à perte de vue. Une vision toute droite sortie des passages apocalyptiques prophétisés par les Saintes Écritures. La forêt plus loin se trouvait, elle, criblée de flèches et de projectiles. Le hennissement de douleurs des chevaux brisait le silence en des plaintes lugubres. La fin des temps incarnée s’offrait au regard apeuré de Marcus.

La mémoire du romain lui revenait, il touchait son front. Ses doigts n'eurent pas effleuré la coupure qui zébrait sa peau qu’une sensation de brûlure lui arracha un gémissement. Il perçut un mélange de croûte et de sang se nicher là où son casque égaré lui avait jadis protégé la tête.

Le monde de Marcus se composait dorénavant d’un savant métissage de souffrance et de peur. Tel un naufragé, sans but ou compréhension du réel, il se redressa. Son souffle court le forçait à ménager ses reliquats de forces pour ne pas s’écrouler dans la terre abreuvée par la sève écarlate des guerriers. Sa condition lui arrachait des râles bestiaux et il put uniquement se tenir courbé en une caricature d'un vieillard souffreteux.

Son regard trouble se portait sur la masse de cadavres l’entourant. Romains et barbares se retrouvaient pétrifiés à jamais en de parfaites statues antiques. Ils se joignèrent une dernière fois dans la mort. Leurs visages proposaient une mosaïque d’expressions.

Marcus se figea lorsqu’il aperçut sa spatha. Son glaive, reconnaissable parmi tant d’autres avec son pommeau blanc ouvragé l’attendait non loin. Il se trouvait fermement planté dans le torse d’un homme. Le cavalier, reposé dos contre sa monture, avait gagné le confort des flancs de sa bête pour périr.

Marcus traîna son corps jusqu'à ce cadavre et se saisit de son arme. Le ruge arborait un visage figé dans la haine et la douleur. Une main sur la lame qui perçait son ventre et un dégoût apparent sur sa figure barbue. Son meurtrier tenta de retirer une première fois sa spatha, mais rien ne se passa. Même dans la mort l’adversaire de Marcus se jouait de lui.

Lors de son second essai, le romain prit son glaive à deux mains et tira de toutes ses forces. Dans un crissement d’acier, il se défit de la chaire et de la cotte de mailles en manquant d'entraîner Marcus au sol.

Son arme paraissait lourde.

Marcus essuya la morve et la bave qu'il expulsait après cette débauche d'énergie.

Un bruit d’aile se porta proche de lui, un corbeau se posait avec légèreté sur la tête de la monture. La corneille croissait de manière effrayante. Marcus fixait l'oiseau d’un air hébété, il plongea son regard dans les yeux ronds de la bête et ne vit que les ténèbres ainsi que son visage marqué par la journée de massacre.

Seigneur, chuchota à nouveau Marcus. Protège ton serviteur dans la plus terrible de ses épreuves.

La fresque des calamités ambiante fit douter Marcus de l'existence de quelque divinité, quelle qu'elle soit. Il n’y avait que la mort autour de lui, la mort et la fin des temps apportés par le fléau de Dieu.

Il se mit à avancer, Marcus désirait s'éloigner de cet endroit où tant avaient été fauchés comme le blé, il se faisait violence. Il progressait, un fantôme au-dessus des dépouilles, et prit une voie entre les corps qui se dirigeait vers le bois avoisinant. L’épreuve plus qu’une simple marche le vit arriver exsangue.

Là, Marcus fit une désagréable découverte. Il n’était pas seul.

Un homme approchait à son tour, il tentait de cheminer sous le couvert des ombres de la forêt. Il traînait sa fatigue dans ce labyrinthe sauvage. Il claudiquait en cherchant le soutien des robustes chênes en abandonnant sur leurs écorces une trace écarlate de sa main. Un legs des plus personnels.

Les arbres et leur parure de feuille bougeaient au gré du vent en de multiples complaintes lugubres. L’air chargé de morts portrait un écho lointain. L’étranger, l’émissaire de l'au-delà, ne manqua pas à son tour le romain face à lui.

La colère transpirait du hunni.

Cet autre égaré qui s’était battu sur les champs catalauniques s’approchait, cette fois comme prédateur devant sa nouvelle proie. Sa tunique de peau brunâtre marquée par les combats se voyait couverte de son sang et de celui de ses victimes. Son chapeau pointu bien curieux rappelait à Marcus ses mois de luttes face à ces dévoreurs de monde.

Le nomade dégaina son épée sans plus tarder et toisa Marcus. L’aigle et le cervidé déjà durement éprouvés se tournaient autour. Ils s'observèrent, se jaugèrent en tentant de connaître l'étendue des faiblesses de l’autre.

L’étranger à la peau brune affichait une expression de défis. Son corps trapu et ses membres robustes ne mettaient pas en confiance Marcus. Il avait une carrure effrayante, sa tête arborait des yeux en amande, un nez écrasé qui dominait une moustache toute juvénile. Le plus déroutant restait ses joues et les nombreuses coupures cicatrisées qui y prenaient place. L'adversaire de Marcus semblait les endosser avec fierté et se délectait de la peur apparente de son rival.

Le romain tenait droite sa spatha, le hunni fut le premier à ouvrir les hostilités.

En un éclair, le prédateur de Tengri se jeta sur Marcus comme si ses blessures ne lui importaient peu. Les coups portés aussi sauvages que puissants le firent reculer. L’arme du nomade sifflait dans l’air, les attaques se multiplièrent et le romain fit montre de ses talents martiaux.

La lutte était pourtant inégale, l’épée de son fil aiguisé vint effleurer le plastron argenté du romain en le rayant.

Le cœur de Marcus battait à en arracher son torse, l’écho résonnait jusqu'à ses oreilles.

Marcus maniant sa spatha malgré sa douleur et ne parvenait qu'à dévier les courbes dessinées par son agresseur. Les attaques brouillonnes essouflaient les deux combattants. Les yeux rivés sur le hunni, Marcus ne put apercevoir la droite qu’il lui asséna. Les phalanges du nomade s’imprimèrent sur la tempe du romain avec célérité.

Marcus vacilla durant un instant, un bourdonnement obscurcit sa vision et il vit l’épée de son adversaire s’abattre sur lui. La lame glissa contre les ptéryges de son plastron. Les lanières de cuir guidèrent l'acier jusqu’au bras du romain et coupa sa manche en assombrissant de rouge sa tunique.

Salaud !

Le romain serrait les dents, le hunni agissait comme le sauvage qu’il était. Il avait le goût du sang et ne s’en trouva que plus assoiffé. Marcus abdiqua, il laissa son adversaire gagner du terrain. Il avait plus de force que lui, lutter à sa hauteur aurait mené le romain à sa mort. Marcus le savait et attira toujours plus proche de lui le guerrier des steppes.

Il arrêta l’épée de son ennemi juste devant à son visage. Sa spatha contre la lame du barbare grinçait, c’était sa colère face à la sienne. Avec un regain de force, Marcus fit baisser la garde de son adversaire en lui assénant cette fois un rude coup de tête. Le nez du hunni se brisa en un craquement effrayant.

Meurs, donc sauvage !

Marcus saisit cette chance crûment et d’un coup sec planta sa spatha dans le ventre du nomade. L’acier coupa les habits et la chair avec facilité. Collé contre son agresseur, Marcus pouvait sentir son souffle chaud du hunni, sa fétide haleine et le sang qu’il vomissait couvrait le visage de Marcus.

Le hunni défiait une ultime fois le fils de la cité éternelle en le fixant de son regard haineux. Il poussa son dernier soupir en déglutissant toujours plus de pourpre. Sa masse se détacha toute seule de l'arme à Marcus en sécroualnt lourdement sur le sol.

Le calme revint d’un coup, les forces du romain le quittèrent en même temps que les battements insupportables dans son cœur. Sa respiration anarchique s’apaisait. Toutefois, sa main gauche tremblait, Marcus qui la leva aperçut son sang chaud qui s'égouttait. Le romain défit sa focale blanche et la noua à son bras. Il ne put que pincer ses lèvres face à cette énième blessure. Son sang rejoignait celui dans ses ancêtres sur cette terre sacrée, sur cette Gaule romaine.

Il ne pouvait que remercier le Seigneur pour sa vie sauve. Il serra la croix à son cou et la cacha derrière sa tunique. Malgré le froid, la gorge de Marcus se trouvait sèche, un brasier le déchirait de l'intérieur. Il lui fallait de l’eau, et vite !

Le romain s’enfonça dans la forêt en quête de quelque remède quant à ses souffrances.

Note :

- Spatha: Ce nom désigne l'épée romaine tardive qui succéda au très connu glaive. Elle se caractérise par une large lame ainsi que par une garde étroite et plate. Le mot latin spatha, pluriel spathae, provient du grec σπάθη / spathē, « épée à extrémité large et plate ». Cette lame fut fortement influencée par le monde celtique et germanique.

- Ruge : Nom donné au peuple germanique originaire des rives de la mer Baltique, aussi appelée ou Rygir, en grec Routiklioï.

- Hunni : Nom commun désignant le peuple des Huns originaire des steppes d'Asie centrale et qui déferla sur l'Empire romain d'Occident et d'Orient.

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