Chapitre CXXIII (2/2)
Finalement, la seule chose qui me donna vraiment du fil à retordre était l’incontournable discussion que je devais avoir avec mon amoureux lorsque je voulais lui appliquer l’onguent que Milos m’avait confié pour soigner ses brûlures. Orcinus râlait que ça ne servait à rien, que sa peau avait cicatrisé depuis longtemps, que ça ne changerait pas quoi que ce soit et que je n’avais qu’à m’habituer à vivre avec. A chaque fois, j’avais droit à la même grimace et aux mêmes arguments. Alors un soir, alors que le jour commençait à décliner, je me plantai devant lui, posant ma main sur sa bouche pour qu’il se taise. Et je lui dis tout de go que si, c’était utile, qu’il n’était pas médecin, que Milos ne m’aurait pas donné cet onguent s’il avait pensé qu’il ne servirait à rien, que j’avais encore mal pour lui à chaque fois que mes yeux se posaient sur ses brûlures et que j’avais juste besoin de pouvoir faire quelque chose aujourd’hui parce que je n’avais rien pu faire avant. Je finis ma tirade avec les larmes aux yeux, et Orcinus ne contre-argumenta plus du tout lorsque j’ôtai mes doigts de sa bouche pour me placer derrière son dos… Il baissa le nez, leva les bras pour enlever sa tunique, et resta ainsi devant moi, franc comme un cessez-le-feu, avec son torse nu, solide et vulnérable.
Je lui appliquai la pommade avec soin, non sans garder un œil sur la route du navire et le comportement des voiles. Puis je déposai un baiser léger entre ses omoplates en lui glissant à l’oreille que ce n’était finalement pas si difficile… Il répondit d’un geste, en se tournant vers moi et en attrapant ma main sur laquelle il posa ses lèvres tout doucement. J’eus alors bon espoir d’avoir mis fin pour de bon à ses éternelles pantomimes sur le sujet ! Et j’avais raison d’y croire : à partir de ce jour, je n’eus plus besoin ni de lui rappeler qu’il fallait le soigner, ni de batailler pour qu’il se laisse faire. A l’heure dite, il descendait dans la cabine prendre l’onguent qu’il m’apportait sur le pont, me présentant le dos sans autre forme de négociation.
Cela devint notre petit rituel… Et sous prétexte de vérifier l’effet que cela avait sur l’élasticité de sa peau, je ne me privais pas de le caresser au passage, ce qu’il semblait plutôt apprécier. Un soir, alors que nous venions tout juste de terminer, le ciel devint soudain très sombre, très menaçant, et il nous suffit de lever le nez pour voir qu’un énorme nuage noir avait élu domicile juste au-dessus de nous. Au loin, le ciel était clair comme un brasier, mais nous étions entre les bras peu accueillants d’un grain tropical. Très vite, Orcinus entreprit d’affaler les voiles d’avant, et à nous deux, nous réduisîmes la toile sur la grand-voile et la misaine. Puis nous unîmes nos forces pour tenter de tenir la barre dans la tempête. Pendant une dizaine de minutes, nous fûmes secoués dans tous les sens, les lames s’entrechoquaient sous la coque et les voiles claquaient dans la pénombre. Orcinus prit un cordage pour nous attacher à un taquet et éviter que l’un de nous ne passe par-dessus bord…
Une pluie torrentielle s’abattit sur nous, cinglant le pont dans une violence inouïe ! Puis le nuage s’éloigna, le soleil nous prit dans ses bras, et nous nous regardâmes comme les survivants d’une antichambre de l’enfer. Le bateau avait tenu, nous étions sains et saufs : tout allait bien. Orcinus, qui était resté torse nu, était trempé de la tête aux pieds. Il ôta son pantalon en quelques secondes, entreprit de l’essorer et de le mettre à sécher sur un étai. Puis il s’approcha de moi. Il était presque nu, sa peau était humide et chaude, et son œil brillait d’un éclair affamé lorsqu’il me dit : « En général, je préfère tes habits Lointains, cintrés et colorés, plutôt que l’éternel lin blanc de tes tenues héliopolas. Mais là… C’est plaisant. Très plaisant. »
Je suivis son regard jusqu’à ma poitrine et réalisai alors que l’orage avait rendu mes vêtements complètement transparents ! Ma tunique me collait à la peau, ne cachant plus grand-chose de mon anatomie, et si j’en fus gênée pendant quelques secondes, cramponnée à la barre comme si j’espérais encore me cacher derrière, mon ressenti changea très vite au contact des mains d’Orcinus.
Il avait le regard impatient mais ses gestes se firent étonnamment lents lorsqu’il entreprit de me caresser. Il plaça d’abord une main sur ma hanche et l’autre sur mon sein, et me poussa délicatement jusqu’à ce que je me trouve adossée au gouvernail. Le bois était dur et inhospitalier, mais Orcinus était doux et chaud. Ses mains explorèrent ainsi, très doucement, mon ventre, mes épaules, mon cou, mon visage, puis mes mollets, mes cuisses, remontant au passage le bas de ma tunique. L’eau qu’elle contenait encore me dégoulinait dessus, et le contraste entre sa fraîcheur et la peau ferme et conquérante de mon amoureux me faisait frissonner…
Puis il enleva complètement mes vêtements et je demeurai debout dans le soleil couchant. La lumière était dense, intense, le pont brillait encore des assauts de l’orage et la mer semblait presque floue, tremblante. Fort heureusement, il n’y avait pas une voile à l’horizon ! Nous étions seuls et nus au milieu de nulle part… La jeune Champarfaitoise bien élevée que j’avais été un jour était assez choquée de cette situation. Mais désormais, j’étais adulte, j’étais Lointaine, et j’étais libre de faire l’amour en mer comme ailleurs.
Je vérifiai donc, une nouvelle fois, qu’aucun bateau ne pouvait nous voir. Puis je bloquai la barre avec deux cordages bien solides, et je m’approchai d’Orcinus comme on apprécie un délicieux gâteau au miel. Il me regarda, m’embrassa avec appétit et je m’emparai de son érection sur laquelle je laissai aller et venir mes doigts sans trop de pudeur… Nous fîmes ainsi l’amour sur le pont, seuls après la tempête. Orcinus se montra comme toujours aussi vorace que délicat, et lorsque je repris mon souffle et mes esprits, coincée entre le bois humide du pont et la moiteur souriante de sa peau, je ressentis un bien-être absolu, un apaisement total, comme s’il avait fallu se confronter ainsi à la puissance des éléments pour réaliser pleinement, totalement, la force de ce lien qui nous unissait.
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