Chapitre CXXVI (1/2)

4 minutes de lecture

Orcinus avait mis toutes ses tripes dans son petit discours improvisé, et pendant un moment, il sembla comme suspendu, le cœur au bord des lèvres, l’esprit un peu opaque, un peu perdu. Je pouvais presque lire, dans l’ambre éclatant de ses iris, une tempête de questions auxquelles j’étais bien incapable de répondre. Que signifiait ce silence étrange, inattendu, qui avait suivi la prise de parole de mon cher et tendre ? J’étais aussi déboussolée que lui, et je commençais à me dire que mon idée de face-à-face avec les loyalistes était tout sauf judicieuse.

Une demi-heure plus tard, alors qu’Orcinus et moi nous étions repliés dans la cabine pour ne pas mourir de froid, le fameux Sonu franchit la passerelle d’un pas aussi rigide que solennel. Nous nous précipitâmes sur le pont pour le rejoindre, mais il ne prononça pas une parole. Il fit signe à deux de ses compatriotes qui, à leur tour, montèrent à bord. Sous nos yeux silencieux, ils déposèrent devant nous une grande jarre d’eau claire, un fagot de bois et un baluchon de toile plein de victuailles. Puis les porteurs repartirent comme ils étaient venus, et Sonu les suivit. Restés seuls, Orcinus et moi échangeâmes un regard, puis un sourire (Au moins, nos hôtes n’avaient pas l’intention de nous laisser mourir de faim, de soif ou de froid !) avant de transporter ces étonnantes offrantes jusque dans la cambuse. Manifestement, nous étions autorisés à dormir sur le navire jusqu’à nouvel ordre…

Après un repas simple, mais chaud, pris les yeux dans les yeux et les pieds sous les couvertures, nous fîmes une brève sortie sur le pont pour vérifier les amarres et prendre le poul de l’atmosphère qui nous entourait. L’air était glacial dans ce pays minéral et il faisait un froid de cathédrale. Mais la nuit était belle comme un manteau de neige, dans une alternance de nuances blanches et bleutées, avec une lumière sombre, coupante, fantomatique. C’était d’une beauté incroyable, presque romantique ! Mais ni Orcinus ni moi n’avions le cœur à la bagatelle.

Et lorsque nous rejoignîmes la couchette, un peu plus tard, je me collai à lui très chastement et, tandis que sa respiration devenait plus douce, plus profonde, sous les assauts du sommeil, je laissai mon esprit vagabonder entre espoir et désespoir. Par instants, il me semblait tout à fait certain que j’allais rejoindre mon père, mes neveux, ma sœur Ruti, Tempetus et tant d’autres au royaume des anciens dieux ou dans les profondeurs perdues de l’Atlantide pour ne jamais en revenir. Et que je verrais plus jamais la lumière de la vie danser dans les yeux de mes petits… Mais à d’autres moments, je ressentais la chaleur si moelleuse, si présente, si confiante, du corps d’Orcinus allongé près de moi, sa main sur mon ventre, son souffle dans mes cheveux. Et je me disais que nous étions solides et forts et que nous allions vivre, parce que nous voulions vivre ! Mais une chose était sûre : cette attente insupportable ne devait pas durer trop longtemps. Sinon, je craignais de devenir folle…

Etions-nous prisonniers ? Nous n’avions pas de liens, pas d’entraves. Nous étions libres de nos mouvements, et tant que nous demeurions à bord du seul et unique navire dont disposaient les loyalistes, nous avions le loisir de leur fausser compagnie à notre guise. Cela ne ressemblait guère à une détention ! Cela me paraissait même plutôt bon signe quant aux intentions des pirates à notre égard. Mais j’avais senti l’inquiétude d’Orcinus, qui avait passé le dîner à regretter tel ou tel de ses propos, à dire qu’il avait été trop maladroit, trop affirmatif, trop péremptoire, qu’il aurait mieux fait d’utiliser tel mot plutôt que tel autre, que les loyalistes ne lui pardonneraient pas de leur avoir parlé sur ce ton… Et il n’avait peut-être pas tort. Aussi passai-je une bien mauvaise nuit, entre soucis et insomnie, sur ce bateau abandonné dans les bras incertains de terres gelées.

Heureusement pour nous, les loyalistes se manifestèrent dès le lendemain matin, aux aurores. Et nous avions à peine fini notre collation quand nous entendîmes la voix ferme et sonore de Sonu, visiblement porte-parole de son peuple. Nous lui proposâmes de nous rejoindre à bord et de s’asseoir avec nous, ce qu’il fit. Orcinus lui servit une coupe de tisane aux algues, et si notre invité regarda d’un œil méfiant ce breuvage Lointain et iodé, il l’accepta cependant poliment. Puis il prit la parole, sur un ton étonnamment doux, avec respect.

« - Prince Lomu…

- Je m’appelle Orcinus.

(Sonu prit une grande respiration, dans un effort visible).

- Bien ! Prince Orcinus…

(Mon cher et tendre ouvrit la bouche pour répliquer, avant de renoncer.)

- Je t’écoute, Sonu.

- Eh bien… Un renoncement n’est pas toujours facile à prononcer à haute voix.

- Que veux-tu dire ?

- Orcinus, fils de Lomu, je suis venu te dire que notre peuple t’a entendu. Il n’y aura ni cérémonie, ni annonce publique, mais… Tu es notre prince, que tu le veuilles ou non. Et…

- Et ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0