Chapitre CXXVIII (1/2)

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Je répondis aux saluts de nos compagnons Lointains avec toute l’ardeur dont j’étais capable. Je me sentais aussi soulagée et aussi euphorique que mes petits élèves à l’heure de la récréation ! Comme si la solution à tous nos problèmes se trouvait là, à quelques centaines de mètres de nous, avec sa coque ventrue et rassurante, ses voiles impeccablement ferlées et sa proue souriante. Je pris une grande respiration, sentis se détendre mon cœur et mon estomac, serrai la main d’Orcinus très fort dans la mienne.


En me tournant vers lui, je vis soudain qu’il avait les larmes aux yeux. Il semblait avoir complètement oublié mon existence, tout son corps était tendu droit devant lui comme pour se rapprocher encore un peu plus de ceux qui l’avaient vu grandir. Je le sentis soudain étonnamment fragile, et profondément déraciné, comme s’il avait laissé ses dernières forces dans notre traversée entre Héliopolis et la citadelle loyaliste, au point de manquer de tomber au moment où, enfin, il touchait au but ou à la liberté.


« - Orci, est-ce que ça va ? Tu as l’air tout bizarre.

- Oui, ça va aller… Je suis si content de les revoir ! Je vais enfin pouvoir rentrer chez moi. Enfin, tu comprends ce que je veux dire. Reprendre la mer. Avec eux… Avec vous.

- …

- J’ai l’impression de ne pas les avoir vus depuis des siècles… Tellement de choses se sont passées depuis !

- C’est vrai… La guerre a changé beaucoup de choses.

- La guerre, oui. Et puis mon enlèvement, la mort de Tempetus, celle de Rotu, mon évasion avec Lumi, la naissance des petits où je n’étais pas là…

- Tu es là, maintenant. Notre vie va reprendre.

- …

- Tu crois qu’ils vont pouvoir s’approcher de la côte et venir nous chercher ? Les loyalistes nous ont dit qu’ils ne déclencheraient plus aucune hostilité, mais après tout…

- Je ne sais pas, Lumi. Et eux ne peuvent pas savoir ce que ces pirates nous ont dit.

- …

- Je veux les voir. Maintenant. On y va ?

- Comment cela, on y va ?

- Il suffit de mettre le canot à l’eau et de ramer un peu.

- Mais, Orci… On ne va pas voler le canot des loyalistes !

- On le laissera au mouillage dans la baie et ils viendront le récupérer plus tard.

- Quelque chose me dit que ce n’est pas une bonne idée… D’ailleurs, ce n’est pas la peine, regarde : nos amis sont en train de descendre le leur pour venir nous chercher.

- Tu as raison.. Je reconnais Perkinsus. Salmus, Rutila… Et Alexandrius ! Le pauvre, voilà des mois et des mois qu’il n’a plus d’apprenti…

- Il sera heureux de te revoir.

- Moi aussi. Si tu savais ! J’ai grandi collé à eux, Lumi. Nous n’avions jamais été séparés avant.

- L’heure des retrouvailles approche, Orci. Encore quelques minutes de patience… Tiens, voilà, Rutila arrive… Et Alexandrius semble partager ton impatience, puisque c’est lui qui l’accompagne. Tu vas le retrouver, ton maître-conteur.

(Orcinus avait les yeux mouillés et un sourire immense. Sans quitter des yeux le canot des Lointains, qui progressait vers nous très doucement, il arpenta le pont en large et en travers, d’une démarche fiévreuse et agitée. Puis il s’arrêta net et commença à enlever sa veste.)

- Bon, je vais au-devant d’eux.

- Quoi ?

(Il ôta sa tunique, puis ses chaussures.)

- Je vais les rejoindre à la nage.

- Orci, l’eau est glaciale.

- Je m’en fiche ! J’en ai vu d’autres.

- Tu n’es pas sérieux ? Tu ne vas quand même pas plonger dans une eau coupante comme un silex, froide comme la banquise, alors qu’il te suffirait d’attendre quelques secondes ?

- Certaines secondes sont plus longues que d’autres, Lumi.

(Il passa une jambe par-dessus le bastingage. À quelques encablures de là, Rutila faisait de grands gestes, comme si elle venait de comprendre ce qui se tramait, tandis qu’Alexandrius redoublait d’effort sur les rames.)

- Je te rappelle que tu as peur de la haute mer.

- Nous ne sommes pas en haute mer ! La côte est juste là.

- Mais tu es fou !

(Je tentai de le retenir en m’accrochant à son pantalon de toile.)

- Ne t’inquiète pas, Lumi. Nous reviendrons te chercher.

- Orci ! »

Il ne m’entendit même pas crier, car il avait plongé dans les eaux glacées.

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