Chapitre CXXVIII (2/2)

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Pendant un instant, je crus qu’Orcinus était mort sur le coup. Je ne respirais plus, les yeux désespérément accrochés à la surface des flots… Puis il réapparut, mon corps se liquéfia de soulagement et il commença à nager en direction du canot. Il faisait sombre, je ne le distinguais pas vraiment, seule l’écume qui se formait au fil de ses mouvements me permettait de suivre sa progression. Au loin, j’entendais les cris de Rutila qui hurlait dans la nuit.

Lorsqu’il les rejoignit, Alexandrius et notre capitaine s’empressèrent de l’aider à monter à bord tout en l’abreuvant d’un mélange de bienvenue et de réprimandes qui semblait assez inaudible. Orcinus tomba dans les bras de son maître-conteur. Sa peau était d’un rouge presque phosphorescent, il dégageait une vapeur d’eau assez irréelle et évidemment, il tremblait de froid ! Alexandrius ôta alors son manteau pour l’enrouler autour de son apprenti tandis que Rutila, dont j’entendais désormais très distinctement les cris, hurla à Orcinus qu’il était fou, qu’il était idiot de risquer sa vie pour gagner deux minutes et qu’elle n’avait pas fait tout ce chemin pour récupérer un cadavre.

Puis elle se tut, Orcinus la regarda droit dans les yeux en souriant. Elle le fixa un court instant, puis elle le prit dans ses bras à son tour, sans un mot. Lorsque leur étreinte fut terminée, elle se tourna vers moi, et cria : « Lumi, nous devons retourner tout de suite au bateau, sinon cet imbécile va mourir de froid dans cette barque… Le temps de faire l’aller-retour, et nous reviendrons te chercher, d’accord ? »

Je hochai la tête en réponse, et je les suivis des yeux tandis qu’ils faisaient demi-tour, pointant leur étrave vers le voilier qui patientait sagement au loin, sur son ancre. Une fois arrivés à destination, ils amarrèrent pendant quelques minutes le canot au trois-mâts. Orcinus escalada la coque tant bien que mal, ses gestes visiblement engourdis par le froid, et Alexandrius le suivit. Toute la troupe était sur le pont, quelqu’un posa une couverture sur ses épaules et mon amoureux sembla passer de bras en bras, puis je le perdis de vue tandis qu’il disparaissait dans les entrailles du navire.

Restée à bord du canot, Rutila fut bientôt rejointe par Perkinsus et tous deux saisirent les rames pour venir me récupérer. Ils en avaient pour une dizaine de minutes avant de me rejoindre, aussi en profitai-je pour rassembler très rapidement nos affaires. A part quelques habits, Orcinus et moi ne possédions rien, aussi fus-je prête à temps pour aider les Lointains à amarrer leur canot le long du quai, tout près du deux-mâts. Quelques embrassades plus tard, je pris place à bord du canot et, lestés de trois baluchons de vêtements, nous mîmes le cap sur le voilier des Lointains. Rutila, capitaine avant tout, me tendit une rame dont je me saisis sans piper mot. Et c’est en rythme avec mon ami Perkinsus, dont je me réjouissais de retrouver la gouaille et la présence, que je m’efforçai de nous propulser vers le large. Même si je parlais peut-être plus que je ne ramais… Mais mes deux compagnons ne semblaient pas m’en tenir rigueur : nous n’étions pas aussi pressés qu’Orcinus !

« - Rutila, Perkinsus, merci d’être venus. Enfin, merci d’être revenus me chercher… Êtes-vous passés par Héliopolis ? Est-ce que mes enfants vont bien ?

- Nous sommes passés par Héliopolis, répondit la capitaine d’un air étrange, et tes enfants vont bien.

- Bon… Merci, Rutila. Merci pour les nouvelles. Et merci d’avoir mené ton équipage jusqu’ici juste pour nous.

- Tu m’as remerciée cinq fois en trente secondes, Lumi. Cela suffit. Ce que j’ai fait, n’importe quel autre Lointain l’aurait fait. Et je n’aurais jamais laissé quelqu’un d’autre vous récupérer à son bord, Orcinus et toi. Vous faites partie de notre troupe, pour le meilleur et pour le pire. Mais ton cher et tendre ne perd rien pour attendre : son petit exploit va lui coûter une belle corvée de vaisselle.

- Voilà qui le changera des loyalistes qui s’obstinent à le traîner comme un prince.

- Un prince qu’ils emprisonnent…

- …

- En tout cas, ce n’est pas parce qu’ils l’ont couvert de broderies et de dorures que nous le traiterons différemment, Salmus et moi.

- C’est tout ce qu’il demande, Rutila.

- Bien ! Alors nous pourrons nous entendre. Tiens, regarde : tous les enfants sont là à te faire signe depuis le pont ! Ils ont trouvé une bonne excuse pour ne pas aller au lit trop tôt, ce soir…

- Quelle joie de les revoir ! Quelle joie de vous revoir, tous.

- Bienvenue à la maison, Lumi… murmura doucement Perkinsus.

- Allez hop, ordonna Rutila, tout le monde à bord ! Dès demain, nous quitterons ce pays de glace et de malheur. Mais d’abord, nous allons manger tous ensemble. Et ensuite, il faudra que j’aie une bonne discussion avec mon maître-voilier. »

Je n’eus pas vraiment le temps de me demander si le ton sourd, lourd, de notre capitaine était ou non un mauvais présage : je fus accueillie sur le pont par mon fidèle Anguillus, le plus discret des chefs de tiers, et par le sourire étoilé de Galaô-té, avant d’être littéralement happée par mes élèves qui bondissaient tout autour de moi en hurlant comme des fous. Heureusement que nous n’essayions pas de nous enfuir discrètement car j’aurais juré qu’on pouvait les entendre depuis la cité loyaliste ! Mais j’étais bien heureuse, et très soulagée, de retrouver ainsi tout mon univers.

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