Chapitre CXXIX (1/2)

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C’est entourée d’une nuée d’enfants piailleurs et suraigus que je fis mon entrée dans le réfectoire, non sans être arrêtée toutes les trois secondes pour saluer tel ou tel membre de la troupe. J’étais si contente de les revoir ! Et de sentir, juste derrière moi, la présence joyeuse et sarcastique de mon ami Perkinsus, fidèle au poste comme à lui-même.


Malgré le froid de la nuit qui enserrait le navire, malgré les glaces qui flottaient, au loin, comme autant de menaces silencieuses, l’intérieur du voilier était chaleureux comme un paradis, accueillant comme des bras ouverts, gai comme une fin de soirée. Orcinus était là, entouré comme un enfant prodigue. Il était presque nu, son pantalon trempé gisait à ses pieds, devant l’âtre, et d’immenses couvertures d’un bleu éclatant protégeaient sa peau et sa pudeur. Ses cheveux noirs lui tombaient sur le front en petites mèches courtes et libres tandis que ses sourires éclairaient presque autant que le feu dans la cheminée. Il était heureux, et cela se lisait sur son visage et dans ses gestes. Comme si tout ce que nous avions traversé, lui et moi, n’avait finalement d’autre but que de nous mener là, sur ce bateau, avec cet équipage, dans cette pièce, à cet instant.


Je laissai mon amoureux profiter de ses retrouvailles avec Alexandrius et tous les autres, et je m’assis à une table voisine avec Anguillus, Rutila, Perkinsus, Galaô-té et Salmus. Pendant deux minutes, les mots dansèrent de l’un à l’autre, chacun demandant des nouvelles sans vraiment écouter la réponse. Puis le silence se fit, très doux, très chaleureux, très enveloppant. Orcinus se tourna vers notre capitaine, et elle lui posa la question qui lui brûlait les lèvres.


« - Es-tu libre de tes mouvements, Orcinus ? Ou doit-on s’attendre à voir débarquer une horde de loyalistes déchaînés ?

- Je crois que le pire est passé, Rutila. Enfin, ils ont promis de ne plus me poursuivre de leurs rêves de trône et de pouvoir.

- Donc il est inutile de t’enfermer dans la cale ? Ou de te préparer une fausse identité ?

- Dans la cale ? J’y mourrais en deux heures… J’ai été suffisamment enfermé comme ça ! Quant à la fausse identité… J’ai mon produit miracle, celui qui me donne les mêmes yeux que vous. Cela devrait suffire. D’ailleurs, je n’ai aucun papier d’état-civil, à part mon nom sur le registre de ce bateau, signé de notre scribe, le jour de notre arrivée à bord, avec Muraena.

- Euh… bafouillai-je. En fait, si, tu as d’autres papiers. Suni a trouvé ton acte de naissance, et celui de ta sœur, parmi les vieux documents de mon père, au palais de Champarfait.

- Quoi ? s’étrangla-t-il.

- Oui… Je t’expliquerai.

(Il me regarda quelques secondes avec ses yeux d’ambre et son air abasourdi, puis Rutila reprit la parole, sur un ton ferme mais bienveillant.)

- Bon, je crois de toute façon qu’il est bien inutile d’essayer de te cacher, ou de dissimuler ton identité, Orcinus. Cette histoire a fait bien trop de bruit, et dans de trop nombreuses contrées. Tout le monde sait désormais qui tu es ! Ou disons, qui étaient tes parents.

- …

- Il faut donc s’assurer que ces pirates te ficheront désormais la paix.

- Je… J’irai leur parler, demain à l’aube. Leur dire au revoir.

- Bien ! Salmus et moi viendrons avec toi.

- Moi aussi, décidai-je immédiatement.

- Non, Lumi, asséna Rutila. Toi, tu as du monde qui t’attend.

- Comment cela ?

- Quand tu seras réchauffée, je te conseille d’aller faire un tour dans ta cabine.

- Ma cabine ?

- Oui. Et je ne parle pas de la voilerie ! Mais de l’ancienne cabine du second, qui était devenue la tienne avant que tu ne quittes le bord.

- …
- C’est d’ailleurs pour récupérer cette personne-là que nous avons pris du retard dans notre traversée pour vous rejoindre. Nous avons fait un petit détour…

(J’ouvris la bouche pour l’interroger quand soudain, Milos fit irruption dans le réfectoire. Il avait les yeux gris comme des nuages d’été et ses cheveux flottaient autour de lui à la lumière du feu. Il alla droit sur Orcinus qu’il étreignit sans un mot pendant plusieurs secondes.)

- Oh ! repris-je. Vous avez fait un détour pour récupérer Milos ! Mais alors, les enfants sont aussi à bord ? Et qui veille sur eux, puisque Milos est là, tout ému dans les bras d’Orci ?

(Le médecin m’entendit, me sourit, s’approcha de moi, puis il me prit la main avant de m’embrasser sur les deux joues.)

- Les enfants sont là, oui, répondit Rutila d’un ton presque maternel. Mais de toute façon, nous devions repasser par Héliopolis : ce n’est pas pour ça que je parlais de détour ! Et ne t’inquiète pas, Lumi : ils ne sont pas seuls.

- Oh !

(Je me levai comme un ressort et me préparai à quitter le réfectoire.)

- Encore une seconde, ordonna la capitaine. Tes enfants sont à bord, en effet, et ils vont bien ! Mais ils doivent rester cachés tant que nous sommes en vue des côtes… Inutile que ces gens apprennent qu’Orcinus a des héritiers. C’est compris ?

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