Chapitre CXXX (1/2)

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Orcinus enfila, avec un bonheur communicatif, un pantalon de toile noir et ample et une tunique ajustée de ce bleu sombre, lumineux, qui lui allait si bien. Je le trouvai beau, ainsi habillé en Lointain. Il semblait plus jeune, plus libre, plus souple que dans ses beaux habits de prince… Plus frileux, aussi, car il ne tarda pas à poser sur ses épaules une veste en peau de phoque aux reflets d’argent et d’ébène qui parut le réchauffer un peu.


Il me rejoignit au chevet de ses enfants de son pas de marin, léger comme un élastique. Il déposa un baiser rapide sur mes lèvres, presque sans y penser, puis il enroula ses bras autour de mon ventre, posa son menton sur mon épaule et enveloppa les petits de son regard ambré où dansait la chandelle. Et nous restâmes ainsi, sans mots ni gestes, pendant quelques minutes. Puis je posai les mains sur les siennes et je murmurai à voix très basse.


« - Ils sont si mignons…

- Oui…

- Si fragiles, aussi. J’ai tout le temps peur qu’on leur fasse du mal.

- Je les protègerai, Lumi.

- Et toi, qui te protègera ?

- Toi ! Tu es cent fois plus forte que moi : je le sais depuis le début.

(Je souris dans la nuit.)

- Orci, crois-tu que toute cette histoire soit enfin terminée ? Que nous allons pouvoir vivre normalement, tranquillement, sur notre bateau, avec nos enfants ?

- Franchement… Non, je ne crois pas. Mais peut-être que le pire est passé ? Au moins, maintenant, nous sommes ensemble.

- Je l’espère !

- …

- Tout le monde doit nous attendre, là-bas.

- Tu as raison. Allons les rejoindre.

- Et les petits ?

- Portons-les au réfectoire ! Ils dormiront bien sagement dans un coin pendant le repas. Personne ne pourra les voir depuis la terre. Et puis, tu dis qu’ils ont le sommeil lourd, alors…

- Alors tu as raison ! Allons-y : je prends les bébés, tu prends le berceau. »


Après un déménagement un peu délicat, mais tout en douceur, à travers les coursives et le pont de batterie, nous pûmes nous installer avec le reste de la troupe pour le dîner. Le repas fut très joyeux, très arrosé, très bruyant, mais ni Delphinus ni Tempeta ne sembla s’en rendre compte. Et la soirée défila gaiement, dans la nuit glaciale des terres du grand Nord.


Orcinus buvait trop, il riait comme un astre et cela me faisait du bien de le voir ainsi, presque insouciant, plein de joie et de confiance, après toutes les épreuves que nous avions traversées… Mais il n’avait pas l’habitude d’abuser ainsi de la liqueur d’anémone, contrairement à moi qui m’étais longuement entraînée au fil des parties de cartes avec Perkinsus et Tempetus ! Aussi décidai-je de rester sage et sobre, juste au cas où.


D’ailleurs, j’étais épuisée… Et je finis par rendre les armes, abandonnant mon amoureux à son sort qui n’avait rien de triste et à des amis qui n’en finissaient pas de l'interpeller dans tous les sens. Les rires et les blagues s’entrecroisaient sans queue ni tête, d’une table à une autre. Et vu leur éclatante ébriété, Salmus, Rutila, Alexandrius et Milos risquaient d’avoir un lendemain aussi difficile que mon amoureux ! Mais ils semblaient si heureux de se retrouver que cela faisait chaud au cœur.

J’interrompis quelques instants leurs jacassements pour les informer de mon départ, ma petite sœur sur les talons.


« - Orcinus, nous allons nous coucher, Suni… Je veux dire, Sunauplia et moi. Et nous emmenons tes enfants retrouver le calme de la cabine.

- D’accord, répondit-il excessivement fort. Bonne nuit.

- A toi aussi… Tu essaieras de te souvenir que nous ne dormons plus dans la voilerie, pour ne pas te tromper d’adresse, et de ne pas réveiller tout le bateau quand tu auras décidé de me rejoindre ?

- Mais oui… maugréa-t-il.

- Lumi, asséna Perkinsus d’une voix pâteuse, je le raccompagnerai moi-même. Et nous serons discrets comme des hippocampes, c’est promis.

- Voilà qui m’étonnerait beaucoup… En tout cas, je vous préviens : si vous réveillez les petits, ne comptez pas sur moi pour les gérer ! Il faudra vous débrouiller. »


Perkinsus ne m’entendit pas et Orcinus ne répondit rien ; mais quelque chose dans son regard m’indiqua qu’il enregistrait l’information quelque part. Et je quittai le réfectoire, les bras chargés de mes bébés endormis, tandis que Suni me suivait cahin-caha avec le berceau.

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