Chapitre CXXX (2/2)

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Suni et moi étions fatiguées… Et dès que les enfants furent à nouveau confortablement installés dans la cabine, la raison aurait voulu que je les imite en me laissant gagner par le sommeil. Mais la raison n’était pas toujours mon fort, et encore moins celui de ma filoute de petite soeur ! Aussi passâmes-nous un bon moment, serrées l’une contre l’autre dans le noir, allongées sur le lit, à papoter comme deux gamines en cachette de leurs parents.

« - Si tu savais, Sunette, comme je suis contente d’être là… Avec mes loupiots. Mes amis. Ma sœur chérie. Et mon amoureux ! Même si quelque chose me dit qu’il ne sera pas frais, demain.

- Il fait ça souvent ?

- Quoi donc ? Boire toute la nuit avec des Lointains rigolards en me laissant seule avec les enfants ?

- Euh… Je ne l’aurais pas dit comme ça, mais oui.

- Eh bien non. Ne t’inquiète pas ! Orcinus est assez sage, il ne boit presque jamais… Et en général, quand il prolonge la soirée sans moi, c’est parce qu’il travaille avec Alexandrius. En fait, celle qui traîne au réfectoire à jouer aux cartes et à rigoler avec ses amis, c’est plutôt moi… Mais j’imagine que je vais devoir adapter un peu mon rythme, maintenant que je suis mère de famille à temps plein.

- Tu aurais préféré que les petits restent à Héliopolis ?

- Non… Bien sûr que non, Sunette. A une époque, j’ai dû choisir entre mes enfants et tout le reste de ma vie. J’ai renoncé aux Lointains, à ce bateau, à mon métier, juste pour les regarder grandir. Alors si aujourd’hui, je peux enfin vivre ma vie normalement, avec Tempeta et Delphinus, mais aussi avec leur père, c’est un immense soulagement.

- Comment ça s’est passé, avec Orcinus, quand tu lui as dit que vous aviez deux bébés ?

- Oh… Comment dire… Au départ, pas très bien ! Je n’arrivais pas à lui en parler. Et lui, il pensait que je les avais faits avec quelqu’un d’autre ! C’était horrible, et j’ai cru que j’allais le perdre pour toujours. Et puis je le lui ai dit. Il est tombé des nues, évidemment. Mais il m’a écoutée. Et il a compris.

- Et avec les bébés, il se débrouille bien ?

- Il est un peu maladroit. Parce qu’il n’ose pas. Parce qu’il ne les connaît pas ! Il a à peine eu le temps de les voir qu’il a fallu que nous partions, que nous les abandonnions encore une fois, pour venir jusqu’ici discuter avec ces soi-disant loyalistes.

- Courage, Lumi, si tout se passe bien, dès demain, tu seras débarrassée d’eux.

- Pourvu que tu aies raison ! Bon, et toi, Sunette, comment vas-tu ? Ton séjour forcé sur l’île-capitale n’a pas été trop difficile ? Telle que je te connais, tu as dû sacrément tourner en rond, enfermée sur cette toute petite île.

- Au départ, c’était affreux ! J’ai cru que j’allais devenir folle, dans cet hôpital certes poétique, aquatique, mais tellement solitaire… Et puis petit à petit, j’ai rencontré de nouvelles personnes. J’ai pris plaisir à soigner les malades, à écouter leurs histoires de mer et leurs récits de vent. Maintenant, je connais presque toutes les troupes, presque tous les Lointains ! Les navires vont et viennent, tout le monde se retrouve, échange, écoute. C’est un peuple extraordinaire… Quand je pense qu’à Champarfait, nous étions cloîtrées dans ce château, avec toujours les mêmes nobles plus ou moins ennuyeux, plus ou moins rébarbatifs… Je ne sais même pas comment j’ai pu survivre dans notre pays, pendant toutes ces années.

- Moi, je le sais. En lisant tous les livres de la bibliothèque, en écoutant Père nous apprendre l’égalité des hommes et en jouant avec les garçons de cuisine dès que tu en avais l’occasion.

- Euh… Oui, c’est à peu près ça. Enfin bref. Finalement, j’ai adoré ma punition ! En plus, presque tout le monde m’a félicitée et remerciée d’avoir tué Rotu. Comme si j’étais une vraie justicière ! Et une vraie célébrité, finalement.

- Je ne te remercierai jamais assez, Sunette.

- En vrai, Lumi, je n’ai pas réfléchi. Il te faisait du mal, je l’ai frappé. Point. Je n’ai pensé à rien d’autre.

- Alors continue ! Tu m’as sauvé l’honneur, et peut-être la vie. C’est tout ce qui compte.

- J’ai quand même tué un homme. Un homme mauvais… Mais un homme quand même.

- Je le sais bien… Moi aussi, j’y pense, de temps en temps. Car c'est pour moi que tu l'as fait.

- …

- Bon, et Anguillus ?

- Eh bien, il est au réfectoire, à vider nos réserves de liqueur d’anémone avec ton amoureux et le reste de l’équipage.

- Et quand il n’est pas au réfectoire, est-ce qu’il s’occupe bien de toi ?

(Elle rougit comme la gamine qu’elle n’était plus.)

- Oui.

- Et ?

- On se dispute souvent… On se taquine. Mais dans le fond, je l’apprécie beaucoup.

- Et ?

- Et si nous étions à Champarfait, je pense qu’il aurait déjà demandé ma main.

- Mais nous ne sommes pas à Champarfait…

- Non. Et puis, j’ai besoin de temps…

- De temps ?

- Oui. Il m’a proposé de vivre ensemble, de partager officiellement un bateau-lit. Mais je ne suis pas prête. Je suis peut-être capable de tuer un roi. Mais vivre avec un homme… Coucher avec un homme… En fait, ça me fait terriblement peur. »

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