Chapitre 14 : Siège

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23 août 2115

Loyva

Quartier Général de l'Armée

« Quelle idée, une semaine de siège... » soupira le général Hanrel.

En effet, depuis une semaine, les forces de police de la capitale, assistées de la Garde Royale, maintenaient les issues du QG complètement bloquées. Les militaires suspectés de connivence avec les Terriens et les officiers dissidents étaient arrêtés dès que possible pour être interrogés puis mis en permission. Pour les membres du Conseil, il fallait coûte que coûte stopper cette rébellion avant qu'Hanrel, inconnu du public mais extrêmement populaire dans l'Armée, n'attire d'autres défections à sa cause. Malgré le danger de l'action et la sévérité de la réponse, les membres du Conseil et le Grand Kanonmar acceptèrent de donner l'assaut sur les bâtiments du chef de l'Armée. Dans ce but, plusieurs vaisseaux de débarquement et de nombreux véhicules de transport convergeaient vers la place qui donnait sur l'entrée principale. A l'intérieur, l'Etat-major était en train de faire le point :

« Voilà où nous en sommes. Deux cents gardes et agents à la porte Nord, cinquante à la porte Est et encore cinquante à la porte ouest. Ils sont trois fois plus nombreux que nous. Ajoutez à cela quelques dizaines de machines qui passeront forcément par les toits, et voilà le rapport de forces.

-S'ils attaquent, nous devrons nous défendre sur au moins quatre fronts en même temps, avec des effectifs réduits. J'ai connu des situations meilleures que celle-ci.

-Je ne sais pas si nous pourrons tenir.

-Nous tiendrons au maximum messieurs. Notez bien que vous règlerez tous vos armes sur les rayons paralysants. Je ne veux pas d'un bain de sang fratricide, entendu ? »

Les officiers retournèrent à leur travail en demandant aux hommes de régler l'armement, tandis que le général Hanrel rédigeait une missive au Conseil, afin de les inciter à ne pas verser de sang inutilement. Mais pendant qu'il tentait de maintenir un semblant de paix, ou au moins de calme, l'opération gouvernementale avait déjà commencé. Un groupe de machines avait débuté le crochetage de la porte principale, comme le premier jour du siège. Le commandant Koggs s'en aperçut sur les écrans de contrôle, et déclencha la défense électrique. De haut en bas et de gauche à droite, le seuil de l'entrée était balayé de rayons chargés d'électricité, ce qui fit totalement griller les intrus. Devant cette riposte efficace, le commandant de la Garde envisagea une solution plus directe. Il ordonna que deux véhicules de combat se positionnent sur la place et ouvrent le feu pour exploser la porte. Sous les yeux stupéfaits des militaires assiégés, deux sortes de chars d'assaut venaient d'arriver et s'avançaient. Leurs canons pivotèrent et ciblèrent l'entrée.

« A couvert ! », hurla Varong, qui défendait ce passage. Les deux tirs d'artillerie parurent n'en faire qu'un, et la porte fut arrachée et réduite en morceaux. Sur un cri du commandant royal, les machines s'élancèrent pour donner l'assaut. A peine arrivés dans le premier couloir, ils se heurtèrent à une première barricade : les soldats en avaient disséminés dans tous les bâtiments pour stopper la progression ennemie. Varong et ses hommes tiraient avec l'appui d'une mitrailleuse et les épaves de machines commençaient à encombrer la voie. Mais sous le nombre croissant, le commandant demanda à ses hommes de se retirer au poste suivant. Ils se retranchèrent donc dans une pièce carrefour d'où partait les différents couloirs vers les autres bâtiments. Trois postes de tirs formaient un arc de cercle en face de la porte : les machines qui rentraient étaient automatiquement prises à partie par les tireurs et n'avaient pas même le temps d'ouvrir le feu. Après qu'une bonne quinzaine de machines soient détruites, le calme survînt, mais les hommes savaient que ce ne serait que momentané. Dans le bâtiment central, Hanrel faisait ses dernières recommandations aux officiers :

« Souvenez vous que nous devons à tout prix les empêcher d'arriver ici. Si cette pièce tombe, c'est tout notre commandement qui s'effondre. Ils mettront la main sur tout notre travail, notre renseignement, et surtout sur nos hommes : nos efforts auront été inutiles. Chacun devra accomplir son devoir en résistant jusqu'au bout. Il va falloir anéantir leurs machines, et s'ils envoient des gardes, paralysez-les. Nous n'aurons pas de quoi les faire prisonniers alors chargez la dose, qu'ils soient hors de combat quelques jours.  »

Mais du côté de l'entrée, la situation se compliquait. On aperçut à l'autre bout du couloir deux machines armées de lance-roquettes qui ciblaient le poste central, qui était pile face au couloir. Les hommes sautèrent par-dessus les tables et rejoignirent les postes latéraux, au moment où les missiles faisaient sauter la position. Le temps qu'ils se ressaisissent, les ennemis étaient de nouveau entrés et engageaient le combat. Il en venait toujours plus, et elles avançaient en tirant, laissant de la place pour les suivantes. Malgré les pertes importantes, elles arrivaient presque aux retranchements improvisés. Varong lança alors :

« Retraite couverte ! Grenades ! »

Tous les hommes en lancèrent alors une explosive, qui ravagèrent les rangs mécanisés jusqu'à la porte. Puis, une seconde, qui projetèrent une fumée grise très épaisse, brouillant les capteurs de leurs adversaires. Tout en tirant dans le nuage de fumée, les soldats évacuèrent la salle et se replièrent dans les différents couloirs pour rejoindre les autres postes défensifs. Une fois la fumée dissipée, les machines reprirent leur mission. Mais au lieu de se diriger dans tous les couloirs pour briser tous les points de résistance, elles ne firent qu'en bloquer les issues. La majeure partie de leurs forces emprunta le couloir principal qui menait à la salle de contrôle, pour frapper directement le cœur du QG. Lorsqu'Hanrel en fut informé, il ordonna au commandant Nazar de les stopper dans le couloir et de ne les laisser passer sous aucun prétexte. Celui-ci prit donc dix hommes avec lui et en demanda une autre dizaine en réserve.

« Avec les trente hommes qui défendent les autres couloirs, c'est déjà la moitié de nos forces retenues. Nazar, vous devez repousser cette attaque jusqu'à l'entrée principale, pour permettre au reste de nos hommes de revenir ici. Nous ne pouvons pas nous éparpiller sans courir de graves dangers ».

Le commandant se rendit donc dans le couloir et initia la contre-attaque, minutieusement. Au dehors, le Grand Kanonmar venait d'arriver sur la place. Il observait avec inquiétude le bâtiment qui fumait, les épaves de machines et les agents inconscients qui sortaient sur des brancards. 

« Commandant ! Où en est l'assaut ?

-Nos forces progressent dans les bâtiments, sire. Le premier est tombé entre nos mains, et nous allons bientôt entrer au cœur du bâtiment principal, où ils sont tous rassemblés. Cela aura été beaucoup plus facile que prévu ».

Mais son communicateur grésilla et la voix d'un subalterne se fit entendre :

« Mon commandant, les soldats reprennent la main ! Ils nous repoussent vers la première pièce. Nos pertes sont très importantes, et ils tirent sur les agents aux rayons paralysants. Ah ! ».

Un bruit retentit dans l'appareil, comme si une lourde pierre était tombée sur le sol.

« Il a été touché par ces rayons. Je retire ce que j'ai dit, ils n'ont pas dit leur dernier mot.

-Anéantissez leur résistance commandant ! »

Au même instant, les machines et les quelques agents entrés ressortirent en courant du Quartier général. L'un d'entre eux arriva jusqu'à son supérieur et fit son rapport :

« Commandant ! Le capitaine a été fait prisonnier, comme la moitié de nos agents. Quant aux machines, les trois quarts ont été mises hors de combat. Ils ont réussi à reprendre la première salle, mais il me semble que ce n'est que pour extraire les hommes qui étaient bloqués dans les autres couloirs.

-A présent, ils vont se retrancher dans la salle de contrôle, tous ensemble. Ce sera dur de la forcer en une attaque. Il va falloir combiner tous nos assauts. Envoyez l'ordre aux autres capitaines de se tenir prêts. A mon signal, nous attaquerons par les trois entrées en même temps, et les vaisseaux devront débarquer leurs troupes sur les toits. Pour le moment, je vais exiger leur reddition. »

Le commandant fit avancer son véhicule de commandement devant l'entrée, puis se saisit d'une sorte de mégaphone très puissant.

« Général Hanrel ! Je vous demande de cesser le combat immédiatement. Que vos hommes sortent, déposent leurs armes et se rendent à notre autorité. Vous en ferez autant, avec votre Etat-major et les deux Terriens qui sont en votre compagnie. Vous avez été déclarés coupables de trahison et de rébellion par le Conseil. Si dans dix minutes, je n'ai aucune réponse positive, je me verrais dans l'obligation de déclencher un assaut qui signera votre arrestation. Evitez la violence des combats et sortez ! »

Toutes les troupes du Quartier Général avaient entendu l'ultimatum et tous les regards se tournaient vers le chef.

« Mon général ? Vous n'allez tout de même pas vous rendre ?

-Ce n'était pas mon intention, je vous rassure. Mais je ne veux pas aggraver votre cas. Que tous ceux qui veulent partir partent, cela vaudra mieux. Capitaine Tenson, lieutenant Federico, je m'adresse surtout à vous. Cela ne vous concerne plus, il s'agit d'un combat entre deux types de pensées chez les Martiens, et je ne veux pas non plus vous mêler à cela. En sortant maintenant, vous pourrez sans aucun problème obtenir votre retour dans votre base.

-Nous ne rentrerons certainement pas dans notre base tant que vous serez menacé. Nous restons.

-Capitaine...

-Non général. Je ne vous abandonnerai pas. Hors de question.

-Mon général ! Si les Terriens refusent de partir, nous refusons également. Nous sommes tous avec vous.

-Pour Hanrel ! »

Des applaudissements et des cris guerriers se firent entendre, résonnant à l'extérieur.

« Vous trouvez qu'ils sont prêts à se rendre ? » dit cyniquement Kanonmar.

Sans répondre, le commandant s'empara de son communicateur et donna d'un air rageur l'ordre d'attaque, avant même la fin du délai annoncé. Dans les trois rues qui menaient aux trois accès, les machines chargèrent de nouveau. Mais tout le long des premiers couloirs, des mines et autres pièges explosifs avaient été entretemps posés : les détonations se faisaient entendre dans tout le quartier, et les épaves volaient de tous côtés, en morceaux. Péniblement, les troupes mécanisées arrivaient dans les derniers couloirs : les palissades garnies de mitrailleuses recommençaient à bloquer le chemin, décimant les colonnes d'attaques. Des lance-roquettes revinrent encore, mais des tireurs les abattaient à vue, ne leur laissant pas même le temps de viser. On avait l'impression que toutes les machines de combat de la planète donnaient l'assaut sur le Quartier Général, tant leur nombre était impressionnant. Cela était bien moins dense lors de l'attaque du campement terrien au premier jour. Elles marchaient désormais sur des lits de carcasses métalliques et trébuchaient parfois, toujours sous le feu des militaires. Mais bientôt, les couloirs Est et Ouest commencèrent à lâcher prise : il fallait immédiatement se replier sur la salle de contrôle, ce qui fut fait. Le couloir de l'entrée principale était littéralement submergé d'ennemis tirant à tout va, et chaque seconde passée à recharger dans le camp des militaires permettait aux robots de s'avancer toujours plus. Sous la pression constante, ils furent contraints de refluer eux aussi dans la salle principale. Mais des bruits se firent entendre au plafond.

« Ils ont débarqué, préparez vous ! »

Des explosions retentirent aux trois portes : les machines s'ouvraient un passage à la grenade et tentaient de déstabiliser la défense. Un bruit métallique très strident s'éleva tout à coup dans le bâtiment. Federico le reconnut :

« Ils chargent mon capitaine ! Ils attaquent au corps à corps ! »

Au pas de charge, les machines se ruèrent aux portes et s'engouffrèrent dans la salle, se jetant sur les hommes ou utilisant leurs fusils pour frapper. Les hommes d'Hanrel ripostèrent de la même façon, et une furieuse mêlée s'engagea. Après quelques minutes de violence, des morceaux de plafond cédèrent et s'écrasèrent au sol : d'autres machines de combat se laissaient tomber par les brèches et rejoignaient le combat, brisant le cercle défensif que les hommes avaient réussi à former. Désormais, il n'y avait plus aucune formation de combat. Ce n'était qu'une lutte composée de duels entre machines et soldats, et une lutte bien inégale. Les ennemis ne cessaient d'affluer et pour l'un d'entre eux qui était détruit, c'en était deux autres qui faisaient irruption. Au centre de la pièce, Hanrel était sur la table, un genou à terre, et abattait à bout portant avec son pistolet les machines qui tentaient de s'approcher. Les commandants formaient un cercle autour de ladite table et servaient d'ultime rempart. Quand aux Terriens, ils se rendaient dans tous les recoins de la pièce pour affronter leurs adversaires et encourager les hommes. 

Mais bientôt, Tenson se retrouva encerclé par quatre robots. Ils se jetèrent tous sur lui : il en tua un au pistolet, réussit à en faire tomber deux. Mais le quatrième l'empoigna par la taille et le plaqua au sol. Le capitaine le dégagea et lui logea une balle, avant de se rendre compte que trois autres arrivaient. Maintenant qu'il était au sol, il devenait une cible prioritaire. Hanrel, voyant le Terrien ainsi menacé, sauta de la table et s'élança à son aide, immédiatement suivi de Zalos, qui refusait que son chef affronte la menace seul. Une machine visa de son fusil le général, mais le commandant lui tira dessus. Touchée, elle dévia son arme et le tir alla se loger dans une console de commandes juste à côté. Le général, frappé d'un coup par un autre robot, s'effondra dans sa course, et dut lui aussi abattre les ennemis qui se jetaient sur lui pour l'arrêter. Zalos se mit à courir et sauta sur les deux qui se tenaient au dessus de son supérieur, les faisant s'écraser sur le sol. Puis il se releva, mais reçut un coup au visage, suivi d'un autre dans le dos. Hanrel, immobilisé au sol par deux combattants, vit alors Zalos être saisi par les bras et traîné vers la porte Est. Il pointa son pistolet, tua l'une des machines qui le portait, mais ne put empêcher l'autre de l'enlever. Donnant un formidable coup de pied, il dégagea la machine qui était sur lui, et se saisit de la tête de la seconde pour la fracasser violemment contre le sol. Il se releva également, cherchant des yeux Tenson. Mais il n'arrivait pas à le trouver.

« Général ! »

Hanrel se retourna et eut le temps d'esquiver le coup d'un ennemi, avant de sortir son sabre et de le trancher en deux. Il fit un signe de tête reconnaissant à Podamis, qui venait de le prévenir, et qui désormais soutenait Federico. Les soldats Martiens réussissaient à faire durer le combat et à détruire une quantité phénoménale de machines de combats. Un second bruit métallique résonna alors, et elles firent toutes demi-tour sans demander leur reste, rejoignant leurs positions initiales à l'extérieur des bâtiments. La salle de contrôle était ravagée, et seuls quelques écrans avaient miraculeusement réchappés à ce qui pouvait être considéré comme une bataille.

« Cherchez Tenson ! », cria le général.

On chercha et on chercha encore, même sous les tas d'épaves, mais le capitaine Tenson restait introuvable. Le lieutenant Federico paraissait inquiète à ce sujet. Elle ouvra les yeux en se rendant compte d'autre chose.

« Où est Zalos ? »

Les commandants, qui étaient déjà en train de le chercher, redoublèrent d'efforts. Mais le général Hanrel s'approcha de la Terrienne, l'air sombre.

« Zalos est venu à mon secours quand je suis parti aider le capitaine. Il s'est fait enlever par des machines, elles l'ont emmené par la porte Est. J'ai essayé de les en empêcher, mais j'ai été moi-même immobilisé. J'ai bien peur qu'il ne soit arrivé la même chose à Tenson.

-Ils ont fait quoi ? »

Le lieutenant s'élança d'un trait, comme une furie, vers la porte par laquelle Tenson et Zalos avaient été emmenés, mais le général la retînt.

« Lieutenant, non ! Vous ne pouvez pas sortir comme cela, plus maintenant. Ils vous arrêteront aussi et vous nous manquerez ici. J'ai besoin de vous comme j'ai besoin de chacun de mes hommes.

-Je vous préviens mon général. Je ne laisserai ni le capitaine Tenson ni le commandant Zalos entre leurs mains.

-Moi non plus. Mais nous devons réfléchir à cela, pas nous précipiter. Que tout le monde se remette sur le pied de guerre. Il est probable qu'une nouvelle attaque se produise, et si c'est le cas, nous devrons êtres prêts. Soufflez, reposez vous. Sortez les vivres, que nous puissions reprendre des forces. Nous allons en avoir grandement besoin ».

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