Chapitre 46 : Voyage vers l'Inévitable
Le ciel était bas, annonçant une journée chargée d'émotions. Georges Roche avait toujours été proche de son ami d'enfance. Mais, aujourd'hui, une atmosphère étrange flottait entre eux.
— Alain, je te remercie de me prêter ta voiture.
Son camarade, les bras croisés, semblait réfléchir intensément. Il se dressait devant le jeune homme, ses yeux exprimant une compassion sincère mêlée d'inquiétude. Il lui dit :
— Tu sais que je suis là pour toi, peu importe ce qui se passe. Tu peux croire que je suis heureux de t’aider dans cette situation. Mon poteau, je ne peux qu'imaginer ce que tu traverses. Mais, tu n'es pas seul. Nous sommes tous les deux dans cette épreuve. Promets-moi d'être prudent et de me tenir au courant dès que tu le pourras.
Georges baissa le regard un instant, sentant le poids de ses émotions sur ses épaules. Il hésita un moment, faisant planer un silence. En retour, une main réconfortante se posa sur son bras. Ensuite, il déverrouilla la portière de la berline d'un geste nerveux. Il leva les yeux, la gratitude se mêlant à sa peine. Il s'approcha pour une étreinte rapide. Puis, il ajouta :
— Écoute, c'est important pour moi de me rendre là-bas. Vraiment primordial pour moi. Merci. Tu es un vrai pote. Je te raconterai tout dès que possible, je te le jure. Merci pour tout. Je vais me rendre à Figueras maintenant. Je te tiendrai au courant.
Les deux hommes se séparèrent alors, chacun ressentant le poids du moment. L’esprit déjà rempli de pensées sombres et de questions sans réponse, Georges démarra lentement, le moteur ronronnant comme un écho de son anxiété grandissante. La route, qui s'ouvrait devant lui, représentait bien plus qu'un simple trajet vers une destination physique ; c'était le début d'un voyage incertain vers la vérité, un voyage où chaque kilomètre parcouru le rapprocherait de l'inconnu qui l'attendait en Espagne. Il arriva à midi à la frontière : c’était bloqué. Il patienta. Ses réflexions tourbillonnaient dans un flot incessant de questions et de conjectures, se perdant parfois dans de sombres scénarios hypothétiques. Son impatience était palpable, se manifestant par des gestes nerveux et des regards fréquents vers les autres véhicules. Chaque son, chaque bruit extérieur, amplifiait son état d'alerte, le faisant sursauter à la moindre sollicitation de ses sens. Le poids de l'incertitude pesait sur ses épaules, intensifiant son désir d'en savoir plus, de mettre un terme à cette attente insoutenable. Chaque minute qui passait était une torture émotionnelle, alimentant son anxiété et ses craintes les plus profondes. Georges cherchait désespérément à occuper son esprit pour ne pas sombrer complètement dans l'angoisse. Il parcourait des souvenirs, essayant en vain de trouver un semblant de réconfort ou de réponse dans les méandres de ses pensées agitées. Mais, malgré tous ses efforts, l'attente demeurait implacable et dévorante, laissant le garçon prisonnier de son propre tourment.
La circulation se fluidifia et la voiture se dirigea ensuite vers Figueras. Elle passa par la Rambla. Des personnes riaient sur l’agora. Le Français eut envie de les tuer. Dix minutes plus tard, l’automobile longea les jardins de Puig Pujades. Roche jeta un coup d’œil rapide à une sculpture érigée en l’honneur du monde du théâtre. Il poursuivit tout droit jusqu'à Ronda del Sud où il tourna à droite pour tomber sur Passeig del Cementeri. Le garçon suivait à la lettre les directives qu’on lui avait données la veille, comme un automate. Arrivé devant le funérarium. Il descendit du véhicule. Les arbres encadraient le bâtiment, leurs feuilles bruissant comme des murmures. On gagnait le lieu à travers une végétation de laquelle on voyait le clocher de l’église San Pere. Dans d’autres circonstances, Georges aurait voulu s’asseoir là toute la journée. Pour le moment, il marchait sur un chemin parsemé de feuillage bleu. Soudain, les cloches se mirent à sonner. Elles rompaient l’humeur léthargique et sombre du jeune homme. Celui-ci avançait, les pas lourds, le cœur en étau. Le porche s’ouvrait devant lui, un passage vers l’inévitable. Il détaillait les environs comme si le temps s’était figé. La Rambla, les rires sur l’agora, la sculpture du théâtre. Tout semblait flou, sauf cette dernière étape. Funerària Vicens. Les mots résonnaient dans sa tête, en échos funestes. Sa fiancée l’attendait là. Mais, maintenant, Roche hésitait. Il inspira profondément et poussa la porte. L’odeur de chrysanthèmes et de cire lui saisit les narines. Une personne patientait, c'était une femme. Elle se tenait là, calme et réservée, le regard empreint d'une empathie sincère. Elle était vêtue sobrement, avec une expression compatissante qui reflétait la lourdeur du moment. Le Français, le visage tendu par l'attente et l'anxiété, s'approcha d'elle avec une démarche hésitante. Il posa une question :
— Bonjour. Vous devez être la personne que je dois voir ici ? Mon nom est Georges Roche.
— Bonjour, oui, le mien est Sofia. Je parle le français. Ma mère vient de votre pays.
Le ton de la femme était doux, mais ferme, comme si elle avait l'habitude de gérer des situations difficiles avec délicatesse. Le jeune homme la remercia :
— Merci d'être là. Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre.
— Je comprends, ces moments peuvent être très éprouvants. Venez, suivez-moi, nous allons rencontrer le responsable.
Sofia guida le garçon à travers les couloirs silencieux. Chaque pas semblait résonner avec le poids de l'incertitude qui pesait sur Roche.
Celui-ci fut reçu par le directeur. Le Français dit immédiatement :
— Où se trouve le corps ?
— Vous aurez tout le temps voulu plus tard. Nous devons d’abord remplir quelques formalités administratives.
— Est-il sûr que ce soit-elle ? C’est Jessica Alonso ?
— La police a retrouvé les papiers de la 2 CV à votre nom et sa carte d'identité à elle, il n'y a aucun doute.
Georges baissa la tête, submergé par un flot d'émotions confuses. Chaque mot du directeur était comme une piqûre de réalité dans son cœur déjà meurtri.
— Je n'arrive pas à croire que tout cela soit, gémit le garçon.
Le responsable lui serra la main avec compassion, lui offrant un soutien silencieux, mais profondément ressenti. Il ajouta :
— Il était impossible de le savoir. La vie est parfois imprévisible, malheureusement. Mais, vous êtes ici maintenant, c'est ce qui compte.
Georges sentit son désarroi monter en lui, un mélange de chagrin, de culpabilité et de colère envers l'injustice de la situation. Il demanda :
— Je veux juste connaître ce qui s'est passé, comment cela a pu arriver.
— Son automobile a dévissé d’une montagne dans la nuit, pour un motif inconnu, au niveau du monastère de Sant Pere de Rodes. La police a récupéré le corps au petit matin. Pour l'instant, prenez le temps de respirer et de faire face à ce moment difficile.
Le dialogue entre le jeune homme et le directeur était empreint d'une profondeur émotionnelle, soulignant la douleur et la confusion qui régnaient dans l'esprit de Georges Roche face à la perte de sa fiancée.
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