Chapitre 10 - Un Rêve Troublant
Quand vous regardez le mur entier en face, vous voyez une porte béante. Devant, une grande caisse noire est posée sur le sol. Celle-ci est entourée de statues sinistres à l’intérieur de leurs niches. Les parois, recouvertes de lierre, paraissent murmurer des secrets tandis que le vent siffle à travers les fissures. Aux alentours, le paysage baigne au cœur d’une lueur sale. La scène est d'une étrange rigidité, rien ne semble bouger. Progressivement, derrière le décor funèbre se développe une musique céleste. Enfin, une forme ténébreuse, revêtue d'un linceul maudit, se tient muette à l'angle de l’ouverture. Le visage est figé, invisible aux mortels. Le panorama est plongé au milieu d’un brouillard blafard ; pas une ombre ne remue et aucune vie ne coule. Au sein de cet état de stupeur, un garçon erre sous les cieux privés de soleil. Il s'arrête face à la créature. Il est raide comme au garde-à-vous sur des sols mordorés. Il écoute, mais il n'entend rien. Le personnage perçoit intuitivement une chose dont il n'obtiendra une explication que tardivement. L'apparition lui fait signe de la main, le bras froid tendu.
— Viens à moi ! N'hésite pas, je t'attendrai sans trêve. Un jour, tu seras à moi.
Puis, des oiseaux sortent de nulle part et se mettent à voler. Ils vocalisent d'abord par des cris stridents avant de lancer des appels. C'est alors que, répondant aux volatiles, deux orbes jaillissent à leur tour. Des globes oculaires jaunes à pupilles de charbon qui se mettent à monter et à descendre. Après, comme si on lui avait ouvert un ailleurs imaginaire, le fantôme se disloque et disparaît tel un enchantement. Brusquement, il n'y a plus de détail, plus rien qu'une image manquant de relief. Tout devient sombre. Le noir absolu cède progressivement sa place à une obscurité plus familière. Les sens de Georges s'éveillent un à un, le ramenant doucement à la réalité de sa chambre.
Les contours familiers commencèrent à se dessiner au milieu de la pénombre, chassant les derniers vestiges de ce cauchemar oppressant. Le garçon sentit son cœur battre la chamade, tandis que la réalité reprenait lentement ses droits. Il sursauta et sentit un frisson parcourir son corps. Il transpirait beaucoup. Une forte odeur désagréable s’exhalait par tous les pores de sa peau. Il avait le sentiment d'avoir été plongé au fond d’un gouffre profond dont il peinait à sortir. Il était encore tôt, donc il devait retourner au sommeil. Par précaution, il se coucha dans un divan, le lit se révélant maudit. L'obscurité se dissipa petit à petit, laissant place à la douce lumière de l'aube. Il perçut par la fenêtre un rai de soleil doux et tendre, pareil à une mère aimante. Toutefois, il comprit que, pour l'instant, c'en était fini avec l’hallucination.
Le lendemain, l'esprit encore embrumé par les images de la nuit, Georges se rendit chez le curé. Le presbytère, avec ses murs de pierre patinés par le temps, lui semblait être un havre de paix après la tourmente nocturne. L'odeur d'encens et de cire qui flottait dans l'air le rassurait, comme si elle pouvait éloigner les ombres qui le hantaient. Il raconta son inquiétante nuit, à voix basse. Il conclut sa confession en évoquant son inquiétude.
— Est-ce que vous aviez un crucifix au-dessus de votre lit ? demanda le Père.
— Oui. Nous sommes une famille de pratiquants.
— Je le sais, je vous vois chaque dimanche à l’église.
— Donc, d'après votre saint avis, serait-ce le Diable qui m’aurait rendu visite hier soir ?
— Non, ne vous en faites pas. C’est quelque chose de courant à votre âge. Les médecins appellent cela une frayeur nocturne, une « pavor nocturnus », comme on dit en latin. Ce n'est pas grave. La croix vous a protégé du mauvais sort. Je vous conseille de prier avec encore plus de ferveur.
Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres du garçon. Il se sentait soudainement léger, sachant que ce songe n'était qu'une manifestation normale de son imagination. Malgré son assurance, le prêtre s'empressa de se signer à plusieurs reprises, exprimant son trouble. Cela ne mangeait pas de pain. On ne pouvait jamais être assez prudent. Les jours passèrent et l’oubli fit son œuvre, laissant derrière lui les terreurs de la nuit. Pourtant, parfois, au fin fond des recoins sombres de sa mémoire, Georges entendait l'écho lointain de cette voix spectrale : « Un jour, tu seras à moi ». Ces mots, telle une prophétie suspendue, attendaient patiemment leur heure. Le dimanche suivant, à l'église, Georges observa attentivement, pendant le sermon, les vitraux colorés par Amaut de Moles. Les figures saintes semblaient le regarder avec une nouvelle intensité. Il remarqua des détails qu'il n'avait jamais vus auparavant : l'expression douloureuse sur le visage du Christ, la lueur d'espoir dans les yeux de la Vierge Marie. Ces images sacrées le réconfortaient, comme si elles formaient un rempart contre les ténèbres qui l'avaient hanté. Cependant, au fond de lui, une petite voix lui murmurait que ce n'était peut-être qu'une illusion, un fragile bouclier contre des forces qu'il ne comprenait pas encore.
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