Chapitre 17 - Les Rockeurs Désaccordés

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Dans la lumière dorée du déclin, les toits de Toulouse paraissaient être la scène d'une pièce théâtrale. Le soleil y jouait son dernier acte. Au premier rang, les rues applaudissaient des pas hâtifs des passants comme une symphonie urbaine en mouvement perpétuel.

À l’intérieur du studio de répétition enfumé, les FirePigs se préparaient à une rencontre déterminante avec un critique musical, un artiste local réputé comme tourneur.

Les murs étaient tapissés d’affiches de concerts passés, de guitares suspendues et de vinyles dédicacés. L’air se chargeait d’une électricité palpable, mélange d’adrénaline et de passion. Les membres du groupe, chacun absorbé par son instrument, ne formaient plus qu’un avec les notes qui les habitaient. Les jeunes, rayonnants, échangeaient des regards complices. Cette rencontre, ils la sentaient, était le début d’une aventure qui les mènerait loin, très loin. Sous le ciel de Toulouse, une nouvelle étoile naissait, prête à briller sur la scène musicale. Les nerfs palpitaient dans l'air chargé d'électricité, mêlant l'excitation à l'appréhension.

Le visage concentré, Patrick ajustait une dernière fois le microphone, ses pensées naviguant entre le désir ardent de réussir et la crainte de la désillusion. Georges martelait les tambours avec une intensité frénétique, exprimant un rythme à connotation de détermination farouche. Alain, la guitare à la main, peaufinait les accords, son regard fixe trahissant une volonté à toute épreuve.

Michel Lanaha entra dans la pièce, avec un scepticisme à peine dissimulé. On le connaissait pour deux choses. D’une part pour son goût du paradoxe et d’autre part pour ses excentricités. Exemple, s'acheter une moto de forte cylindrée et un équipement de motard coûteux afin de s'amuser à rouler la nuit. Puis, s’arrêter et sonner à deux heures du matin aux carillons électriques des maisons individuelles. Enfin, partir en trombe tel que le ferait un enfant de dix ans grimpé sur une trottinette.

Le regard du tourneur balaya la petite scène, évaluant chaque détail avec une rigueur implacable.

— Montrez-moi ce que vous avez en magasin. Envoyez du pâté, les gars, disait-il d'un ton neutre, mais incisif.

Lanaha, l’artiste au talent incontesté et à la renommée grandissante, s’asseyait dans un coin, observant les jeunes musiciens avec un mélange de curiosité et de scepticisme. Il avait accepté de les rencontrer après avoir entendu parler de leur énergie débordante et de leur style unique. Le benjamin des Roche s’approcha de lui avec une assurance non feinte.

— Monsieur, c’est un honneur de vous avoir ici. Nous espérons que nos morceaux sauront vous toucher autant que les vôtres nous ont inspirés.

Michel souriait, son regard pétillant trahissant son enthousiasme.

— J’ai hâte d’écouter ce que vous avez à offrir. Le rock est un langage universel et je suis toujours à la recherche de nouvelles choses qui me surprennent.

À la suite de ces mots, il sortait un énorme chillum, un ami l’allumait et il commençait à tirer sur l’embout.

Les premières notes s’envolaient alors. Le studio s’illuminait d’un dynamisme brutal. Les FirePigs jouèrent avec une ferveur qui ne laissa pas Michel indifférent. Les accords étaient un feu d’artifice de sons et les rythmes un appel au meurtre. Patrick livra sa voix, déployant une intensité inouïe, les paroles brûlant comme des flammes de rébellion et de désir. Georges assurait le tempo avec une précision approximative, son jeu de batterie injuriait la simple mesure pour devenir une pulsation bizarre. Alain se lança dans un solo fiévreux, ses doigts dansant sur les cordes, démontrant une virtuosité passionnée qui dénotait par rapport au niveau musical basique des deux frères.

Le critique écoutait, son visage impassible. L’homme pensait intérieurement :

— Ces jeunes, croient-ils réellement qu'ils peuvent conquérir le monde avec ce ramassis de bruits discordants ? Pathétique. Je ne peux même pas croire que je sois obligé de les écouter, de subir cette torture auditive. Le chanteur donne de la voix avec une intensité enflammée, mais tout ce que j'entends, ce sont des cris désespérés afin d’être remarqués, pour être pris au sérieux. Ridicule. Le batteur assure le rythme avec une précision approximative, pensant que le tempo se fait en tapant n'importe comment sur une batterie. Quelle ignorance. Le guitariste n’est pas mauvais. Mais, je vois juste un amateur qui vise trop haut. Ha ! Comme si j'allais admirer cette farce. Ils peuvent avoir de la détermination, cependant cela ne fait pas un bon groupe.

Lorsque la dernière note s'éteignit, pleine d’un écho vibrant, un silence tendu s'installa. Michel se leva, applaudissant mollement. Puis, il rangea son chillum à l’intérieur d’une petite valise.

Bien que réputé pour son oreille musicale fine, il était également connu pour avoir une langue acérée et un penchant pour l'ironie. Lorsqu'il s'adressa aux FirePigs, son ton était doucereux, presque mielleux.

— Vous avez du potentiel, c’est indéniable, disait-il avec un sourire qui ne touchait pas ses yeux.

Il reprenait d’un ton poli, condescendant et hypocrite :

— Votre « band » a… une âme et c’est ce qui fait la différence. Mais, cela ne suffira pas. Le monde du show-business est impitoyable. Vous devez être prêts à tout donner, à vous surpasser à chaque instant. Personnellement, je pense que vous êtes des jeunes très doués, trop doués même. Avec votre talent, vous devriez vous employer à faire autre chose dans la vie que… de la musique.

En réalité, Michel trouvait leur performance chaotique et peu inspirée, mais il préférait jouer avec les mots plutôt que de les décourager brutalement. Sa manière de jongler entre compliments et sarcasmes était une façon habile de masquer son véritable jugement, laissant les jeunes musiciens perplexes quant à la sincérité de ses propos.

Malgré ces paroles peu amènes, voire cyniques, les yeux des garçons brillaient d'une détermination renouvelée. Ils savaient que, comme précurseurs, la route n'était que le début d'une longue saga semée d'embûches. Ils se sentaient tels des innovateurs incompris. Ils pensaient que c’était la jalousie qui avait alimenté les commentaires du censeur. Leur passion dévorante les poussait vers l'avant, ignorant les billevesées des professionnels dépassés. Dans leurs esprits, ils représentaient l'avenir du rock et Lanaha incarnait le passé. Leur volonté inébranlable les aiderait à conquérir les scènes pour faire résonner les FirePigs au plus profond des cœurs du public.

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