Chapitre 41 : L'amour Face à l'Adversité

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Le visage de Jessica commençait à se déformer à cause de la maladie. Le mal avançait telle une ombre dévorante. Il effaçait peu à peu les traits du minois de la fille. Alors que la situation devenait alarmante Georges ne sut que faire. Il espéra obtenir des conseils auprès de ses parents. La mère ne fit que dramatiser l’affaire. Avec des trémolos dans la voix, elle lui confia qu'elle n'avait pas de réponses claires, en suggérant toutefois que c’était une affection d'ordre mental. « Je vous recommande vivement de l’emmener consulter un médecin. » Identique au rôle tragique d'une actrice sur une scène, ses yeux larmoyaient, témoignant d’une profonde tristesse. Chaque mot prononcé semblait chargé d'une douleur silencieuse. Elle fut incapable de soutenir le regard du garçon comme si l'impuissance l'accablait. Ses mains tremblaient, trahissant une terrible terreur. Les phrases se brisaient par moments, révélant l'angoisse contenue. La détresse de voir sa fille souffrir sans pouvoir l'aider demeurait palpable, ajoutant une note poignante aux paroles.

*

Un matin les rues de la ville étaient baignées par l'éclat du soleil. Georges se mouvait tel un mécanisme d’horlogerie. Chaque coin de rue accentuait son malaise. Ses pas nerveux laissaient ses pensées vagabonder alors qu'il observait les façades colorées et les étals multicolores des commerçants qui se préparaient pour la journée. Tout cela attirait les passants. À l'ntérieur, les étagères brillaient pareilles à des joyaux. Chaque produit promettant une parcelle de rêve. Les diverses marchandises, aux étiquettes prestigieuses, semblaient délivrer une identité clé en main « Achetez-moi ! Vous serez chic, branché, désirable. » Les clients s’y engouffraient, avides de cette illusion de grandeur, de cette validation éphémère. Cependant, derrière les miroirs sans tain et les comptoirs, les âmes s'évanouissaient comme des volutes de fumée.

Le trottoir usé de l’avenue Lafayette mena le jeune homme devant la boutique élégante de prêt-à-porter Hippolyte pour se changer les idées. En effet, dans ce lieu travaillait Henri Loverman. Loverman était connu pour son amour de la chansonnette et sa dextérité avec la guitare. Celui-ci défaisait la décoration de la devanture. Il aperçut le garçon qui, après avoir échangé un salut, entra dans le magasin. La guitare d’Henri, posée négligemment près de la caisse, semblait murmurer « Chantez, dansez, mais n’oubliez pas que tout ceci n’est que de la poudre de perlinpinpin. » Au milieu d’un tourbillon de tissus et de sourires factices, elle se demandait si la vraie vie se cachait ailleurs, loin des vitrines élégantes et des gondoles correctement rangées.

Le visiteur se laissa aller à quelques aveux :

— Je traverse un passage à vide. Ma compagne vit une période délicate.

— Écoute, il est important que quelqu’un soit là afin d’entendre et de conseiller. Peut-être que converser avec moi pourrait éclaircir les choses. Je peux m’absenter du magasin.

Le jeune homme acquiesça, reconnaissant pour ces phrases réconfortantes.

— Tu as raison. Peut-être qu'une bonne réflexion autour d'une boisson serait la bienvenue.

Ils décidèrent d’aller prendre un verre au Bibent. Arrivés à destination, les deux amis furent attirés par la même table à l'ombre d'un parasol noir et se lancèrent dans une conversation animée. Un verre de vin à la main, ils partagèrent leur passion de la musique. Au plus profond de cet instant suspendu, entre les volutes de fumée de cigarette et les éclats de rire des clients, s’installa une atmosphère calme et détendue pendant laquelle on se laissa aller. Leurs regards s’illuminaient et leurs bouches esquissaient des sourires intempestifs, alors qu'ils opinaient du chef à chaque remarque ou point de vue avancé, leurs mains taquines ébranlant le plateau.

— J’ai une adoration pour les mélodies envoûtantes de la chanson française. Tu sais, j'ai appris une chanson moderne. Je te la jouerai un jour, dit Loverman en se penchant en avant.

Son interlocuteur sourit.

— J'aimerais beaucoup cette chose.

— Tu m’as parlé des difficultés que tu rencontrais.

Georges expliqua ce dont souffrait Jessica et demanda :

— Connais-tu un bon médecin ?

Henri leva les yeux vers lui, comprenant le poids de cette question. Mais, sa réponse déroutants créa de la confusion. Il était connu pour passer du coq à l’âne.

— Non, toutefois j’en connais un que je ne te conseille pas.

— Lequel ?

— Théodore Morille.

— Drôle de nom.

— En vérité, c'est un pseudonyme ; son vrai patronyme est Morellovich.

— Pourquoi en avoir changé ?

— Afin de masquer ses origines juives.

— Il ressemble à quoi ?

— Physiquement, il est gras comme un cochon, laid comme un pou et grossier comme un charretier.

— Comment le connais-tu ?

— Mon frère est son client. Il a des troubles gastriques entraînant des flatulences intempestives.

— Cela le gêne-t-il ?

— Énormément, surtout dans son travail. Il exerce le métier de coiffeur pour dames. Ses clientes le fuient. Et ce n'est pas tout…

— Il y a autre chose ?

— Lorsqu’il embrasse ma belle-sœur, il laisse un goût désagréable au plus profond de la bouche.

— Qu'a fait Morille dans le but de le soigner ?

— Il a prescrit de la strychnine et du Mutaflor. Un cocktail de bactéries prélevées parmi les matières fécales.

— Cela a-t-il été efficace ?

— Non. Et pour couronner le tout, il lui a enfin proposé de la testostérone. Conclusion, sa femme a accouché de triplés.

— A-t-il été guéri des douleurs intestinales ?

— Absolument pas.

— Bon, tu as raison, je n’irai pas le voir.

*

Quelques jours plus tard, la mère avait trouvé un spécialiste.

— Le professeur Dupont est doué pour guérir l’âme des blessures invisibles. J’ignore s’il pourra la secourir, en revanche il est réputé dans le domaine.

— Merci, je vais réserver une rencontre pour nous deux.

*

L'infirmière accueillante reçut le couple le matin du rendez-vous. Lui était très enrhumé, et elle était très bougonne. La soignante leur offrit une chaise confortable et une boisson chaude. Le jeune homme la baratina un peu comme il le faisait souvent sans vraiment savoir ce qu'il disait. Le spécialiste semblait occupé avec ses patients, ce qui montrait que son commerce médical se révélait très populaire et prospère.

On les appela et ils entrèrent. Le bureau, sobrement décoré de diplômes et de livres sur la psyché humaine, reflétait un dévouement à la médecine. Dupont était connu pour son approche rigoureuse et son écoute attentive, traits qui lui avaient valu une réputation solide dans son domaine. La jolie rousse s’installa sur le fauteuil en cuir, observant les nuances de la lumière qui filtraient à travers les stores.

Le professeur était un homme d'une cinquantaine d'années, à l'allure soignée et au regard perçant. Toujours vêtu de costumes impeccables, il dégageait une aura de confiance et de compétence. Mais, paradoxalement, il était détaché et indifférent au malheur des autres.

Le docteur sifflotait en nourrissant des poissons rouges qui nageaient au milieu d’un aquarium dans un coin de la pièce à côté d'un téléphone. Georges toussa et chercha son mouchoir, sauf qu’il ne le trouva pas. Le médecin lui lança le sien, en soie, cousu d’or fin.

— Prenez, c'est celui de mon père qui est mort en déportation. C’est un souvenir. Il est propre, je ne m'en suis pratiquement pas servi

— Non, merci, dit le jeune homme en reniflant. Il pensa : « un linge personnel, cela ne se prête pas, tout comme les chaussures, question d'hygiène. C'est le terme pratiquement qui me gêne. »

Le praticien haussa les épaules, se pencha et remit le mouchoir dans la poche de sa blouse. Il écouta savamment le garçon qui décrivit en détail le comportement de Jessica expliquant ainsi le but de la visite.

— Comment vous sentez-vous, mademoiselle, aujourd'hui ? Vous me paraissez préoccupée, nerveuse, demanda le praticien.

— Je ne me sens pas trop bien.

— C’est pas étonnant, vous transpirez beaucoup. Bon, enlevez votre chemise s'il vous plaît. Nous allons commencer par un bilan général.

La jolie rousse s'exécuta, ses yeux trahissant une inquiétude profonde.

— Bon, bien, allons-y. Respirez. Expirez. Toussez. Merci. Remettez votre habit. Je vais vous poser quelques questions. Étes-vous mariée ?

— Non.

— Avez-vous des enfants ?

— Non, non, répondit Jessica en rougissant d’une façon étrange.

— Travaillez-vous ?

— Je suis femme au foyer.

— Buvez-vous de l’alcool ?

— Non.

— Fumez-vous ?

— Deux cigarettes par jour en moyenne.

— Votre fiancé vient de me dire que vous n’alliez pas très bien. Auriez-vous l'amabilité de me parler de ce qui vous chagrine ?

— Oh, c'est juste un peu de stress, vous savez. Rien de bien grave.

— Le stress ne peut pas être très grave, en effet. Cependant, lorsque la chose devient constante et vous incite à vous absenter de votre domicile sans explication, cela peut indiquer quelque chose de plus profond. Avez-vous remarqué des changements dans votre humeur ou votre comportement récemment ?

— Pas réellement. Enfin, je veux dire, peut-être que je suis juste fatiguée, vous savez.

Le docteur se leva et alla chercher un carnet sur une étagère.

— Parlez-moi de vos nuits, dit-il doucement. Avez-vous des cauchemars ? Des insomnies ?

— Non.

Le spécialiste prenait consciencieusement des notes, son stylo glissant sur le papier tel un danseur solitaire.

— Êtes-vous ouverte à l'idée de parler de vos émotions et de ce qui pourrait être à l'origine de votre attitude ?

— Je préfère ne pas trop m'étendre là-dessus pour le moment, si cela ne vous dérange pas.

— Entendu, je comprends. Cependant, il est important que vous puissiez partager vos sentiments et vos préoccupations. Vous inquiétez votre ami.

— Oui, je sais... mon partenaire est très attentionné, alors que je suis sûre que ce n'est rien de grave. Je vais faire des efforts dans l’espoir de rendre nos relations plus agréables.

— C'est une bonne démarche, mais à mon avis pas suffisante.

Le docteur se releva, tourna le dos au couple. Puis, il recommença à nourrir les poissons. Enfin, il se retourna. Georges le regardant dans les yeux demanda :

— Qu'est-ce qui pourrait guérir ma fiancée ?

— Des électrochocs.

Le jeune homme, d'une manière interrogative :

— Quoi ?

— Des électrocutions devraient vous aider. Je peux vous recommander une clinique très bien équipée.

— Vous plaisantez ? Pas d’électrochocs, plutôt mourir, cria Jessica.

— C'est votre affaire. Je suis désolé, mais votre état de santé n'est pas fameux.

Au moment où le spécialiste finit de parler, il alluma une cigarette d’un air distrait. À l'autre bout de la pièce, la sonnerie du téléphone retentit, interrompant la conversation. Il se redressa, curieux de répondre à l'appel. Néanmoins, il hésita en lançant un regard. Il se ravisa et s'assit. C'est alors que le son strident se mit de nouveau à sonner.

Comme il trouvait la consultation ennuyeuse, pour changer de sujet, le professeur soupira. Puis il se leva et traversa le cabinet. Il alla décrocher le combiné, en jetant son mégot à l’intérieur de l’aquarium.

— Allo ? Bonjour, qui est à l'appareil ? demanda-t-il, d’un phrasé commercial aussi lisse qu’un patin sur la glace. La personne à l’autre bout du fil répondit. C'était un client qui souhaitait avoir une visite.

— Ah oui ? Pour quelle raison ? Bien sûr que oui ! Je peux vous dire que je suis un excellent spécialiste de l’hypothermie digitale et de l’augmentation de poids inexpliquée. Attendez, ne raccrochez pas ! Je vous offre une consultation gratuite. Est-ce que cela vous intéresse ? Non ? Comment ça non ? Je vous offre une gratos et vous me dites non ? Allez-vous au moins me donner un bon argument ?

Il y eut un silence, puis le spécialiste reprit d'une voix posée :

— Ah, je comprends... Puisque je vous dis que je suis expert en la matière.Ce serait une bonne raison pour que vous changiez d'avis, n'hésitez pas à me rappeler, au plaisir.

Il raccrocha et secoua les épaules.

— Je vous prie de m’excuser, revenons à nos moutons. Où en étions-nous ? Ah ! Oui ! Alors, qu’avez-vous contre les électrochocs ?

— C’est un peu extrême comme soin. Je pense qu'une thérapie comportementale peut grandement convenir, répondit Georges.

— Une thérapie comportementale, pourquoi pas.

Sans plus attendre, le docteur se dressa, tourna les talons et se dirigea vers ses poissons qu’il se mit à contempler avec fascination. Les deux jeunes gens se levèrent à leur tour.

Dupont reprit :

— Je m’aperçois que vous êtes pour les méthodes douces. Revenez me voir, je pense que je peux vous aider même dans ce domaine. Cela vous fera du bien. Nous pouvons collaborer afin de trouver des solutions qui vous conviennent. Bon, vous me devez vingt-cinq francs. Ma secrétaire prendra les rendez-vous.

— D'accord, je le ferai, répondit Jessica.

— De rien, madame. Prenez soin de vous et n'oubliez pas que vous n'êtes pas seule à affronter cette épreuve.

*

Au cours du mois qui suivit, le couple fit deux autres visites qui ne donnèrent guère plus de résultats. Alors le spécialiste prescrivit trois médicaments. Ainsi, au sein de l’ombre des diagnostics et des potions, le couple se tint la main, prêt à affronter les vents contraires. Car l’amour, même face à la maladie, est un appui comme un autre. Cet effort ne fut par contre pas récompensé et la jeune fille continua à dépérir. Le trouble résistait aux traitements.

Le garçon, découragé, était désespéré devant l'incapacité de la médecine à améliorer l'état de santé de sa bien-aimée. Ne sachant plus comment la soutenir, il se trouvait souvent à errer à l’intérieur de la ville aspirant à se changer les idées. Les rues familières de Toulouse paraissaient lui offrir un réconfort temporaire alors qu'il tentait de faire face à la situation difficile à la maison. Malheureusement, il ne pouvait plus rencontrer ses amis. Parfois, dans l’espoir de tomber sur quelques-uns, il parcourait les allées du Jardin des Plantes. Là, il croisait d'anciennes maîtresses. Lorsque le cas se présentait, il faisait semblant de ne pas les voir. Mais, ce qui lui plaisait à faire, c’était de louer des cassettes vidéo et de se rendre chez Alain afin de les regarder. Le jeune homme s'installait devant la télévision et posait ses pieds sur la table que la tante Muriel avait achetée. Puis, il sortait de l’appartement et allait boire un verre au Blendy. Il discutait souvent avec une habituée, la patronne de l’Ubu, qui racontait les folles soirées passées en compagnie du fils du maire et de la famille du roi d’Espagne. Ces interactions sociales offraient au garçon un bref répit, bien que la préoccupation pour Jessica fût omniprésente dans son esprit.

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