Chapitre 43 : Voile de Secret

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Puis, Georges se dirigea vers le porche de l’immeuble et il sentit qu’une personne le bousculait, pareil au vent de l'adversité soufflant contre lui, rappelant les paroles bibliques : « Lorsque le Seigneur ferme une porte, une fenêtre s'ouvre... ou parfois, quelqu'un vous bouscule sur le chemin ! » Celui qui l’avait percuté était le masseur tombé dans la folie qui se prenait maintenant pour le Fils de Dieu. C’était comme si le destin s’appropriait un malin plaisir de redire au jeune homme qu'il n'était qu'un simple mortel. Il sourit, laissant échapper un soupir de soulagement, mêlé d'une pointe d'amusement. Le masseur déclara :

— Tu viens d’effleurer Jésus-Christ, le Fils de Dieu, semblable à un modeste pèlerin tâtant la relique sacrée d'une ancienne église, imprégnée de la majesté divine et de la sagesse millénaire, cria le fou. Tu es dorénavant protégé, par mon auguste pouvoir. Toutes les personnes qui touchent mon corps sont sauvées. Amen.

Le garçon, perplexe, fixa le masseur délirant. Ses yeux s’écarquillèrent, oscillant entre incrédulité et amusement. Il n’avait jamais imaginé que sa journée prendrait une telle tournure. Cependant, une pointe de curiosité naissait en lui, analogue à une bouffée d'inattendu apportant un peu de légèreté dans une vie étouffante. Ce bizarre épisode était comme une parenthèse, une pause bienvenue dans le flux de ses pensées. En cet instant, il se permit un sourire timide, laissant l'absurdité de la situation éclaircir l'ombre de ses préoccupations. Il déclara tout de go :

— Eh bien ! mon cher Jésus, je suppose que c’est un honneur d’être touché par toi. Mais, dis-moi, est-ce que cela fonctionne également pour les factures impayées ?

Sa voix se teintait d'un réalisme aussi solide que les fondations d'une maison bien construite. Le fou, les yeux brillants de conviction, hocha la tête solennellement et répondit d’un air goguenard :

— Bien sûr ! Mon auguste pouvoir transcende les dettes terrestres. Désormais, chaque créancier qui ose te réclamer de l’argent sera touché par ma grâce. Ils oublieront leurs revendications, pareil à des orages emportés par le vent divin. Ils se mettront à fredonner des cantiques d'une symphonie céleste, apaisant ainsi leurs âmes tourmentées. Amen !

Roche éclata de rire. La folie du masseur était contagieuse et pour un instant, il se sentit léger. Peut-être que, dans ce coin de rue improbable, il avait trouvé une fenêtre ouverte vers l’absurde et l’inattendu.

— Merci, Jésus. Je vais garder ça à l’esprit la prochaine fois que ma facture d’électricité arrivera, amen, souffla Georges en faisant une génuflexion.

Le Christ se retourna, identique à un acteur dévoilant son costume de scène. En levant sa tunique sans couture, il se lança en courant sur la chaussée, tel le héros d'une pièce dramatique, prenant son élan pour un nouveau défi. La voie dorénavant libre, Georges se dirigea vers le porche de l'immeuble, d’où était sortie Jessica. Il sentit un zéphyr léger caresser son visage, comme si l'air dispersait l’événement étrange qu’il venait de vivre. Jésus semblait déjà loin derrière lui, emporté par cette douce brise. Georges poussa délicatement la porte sombre du lieu qui fit un bruit de crécelle rouillée, semblable au soupir rauque d'une âme prisonnière cherchant à s'échapper de son cachot sépulcral. Derrière, une vieille à lunettes épaisses balayait le hall. Elle leva les yeux vers lui. La doyenne, ridée à la manière d’un parchemin oublié, fixa le jeune homme avec un mélange de curiosité et de méfiance. Ses pupilles, deux étoiles fatiguées, paraissaient avoir vu des décennies de drames dans cet immeuble.

- Eh bien, eh bien, monsieur, bonjour. Que désirez-vous ? demanda la concierge.

Roche, lui adressa un sourire complice.

— Bonjour, Police nationale, Renseignements généraux.

La gardienne haussa un sourcil, balayant négligemment une miette imaginaire.

— Ah ! Madame, vous avez l’œil vif comme un détective ! Je souhaiterais vous poser quelques questions, reprit le garçon.

Il sortit de sa poche une fiche de paie froissée de la SNCF. Sur ce document, des mots techniques et des numéros étaient inscrits, signalant une vague authentification officielle. Bien que la femme, avec sa vue fatiguée, ne puisse distinguer les détails précis, elle remarqua le sérieux avec lequel le jeune homme le tenait. Ses doigts glissaient sur le papier comme s'il s'agissait d'un trésor fragile, révélant de la sorte l'importance de son contenu sans pour autant le dévoiler complètement. Cet élément visuel intrigua la vieille, suscitant en elle une curiosité mêlée de méfiance face à l'aura d'autorité que dégageait Georges. L'action avait été très rapide et la concierge était tellement myope qu'elle aurait pu confondre un lapin et un chat.

La binoclarde secoua la tête, mais un sourire fugace éclaira son visage. Elle lança :

— Eh bien, monsieur l’espion, vous avez choisi le mauvais immeuble pour vos petites affaires mystérieuses. Ici, le seul complot que nous avons, c’est celui de connaître celui qui a oublié un détritus dans l’escalier cette nuit. Qu’est-ce qu’on lui reproche à cette jeune fille ?

— Vous savez, la sécurité nationale, le secret défense, tout cela, tout cela. Roche fit un signe vague avec la main.

— Très bien. Que me voulez-vous ?

— J’ai comme mission de suivre la demoiselle qui vient juste de sortir. Je dois me renseigner dans les moindres détails de ses rencontres et de ses allers-retours.

— Cette jeune fille s’appelle…

La concierge s’interrompit.

— Oui ? demanda le garçon.

— Je ne sais pas, j’hésite à vous le dire.

— Vous ne devriez pas, c’est pour une question hautement primordiale pour la France.

— Ah ? Bon ? répondit la vieille, incrédule. Elle poursuivit. Si c’est pour une question d’importance capitale, je veux bien vous le dire. Cette demoiselle s’appelle Jessica Alonso. Elle vient tous les derniers jeudis du mois pour rendre visite à l’adoptante du second.

— Une adoptante ?

Alors que la gardienne continuait à parler, Georges se retrouva plongé dans un tourbillon de pensées tourmentées. Jessica Alonso, ce nom résonnait semblable à un écho dans son esprit, évoquant des souvenirs heureux mêlés à une inquiétude grandissante. Il se demanda ce que masquait cette histoire d'adoption, quelles étaient les motivations réelles derrière ces visites mensuelles ? Des questions surgissaient en lui comme des vagues impétueuses, menaçant de le submerger dans un océan d'incertitude.

— Oui, la femme du second et son mari adoptent des enfants qui ont été abandonnés par leurs mères, ajouta la femme.

Le jeune homme se demanda qui était cette mystérieuse adoptante et quel lien elle entretenait avec Jessica. Son esprit cartographiait les différentes possibilités, envisageant chaque scénario pareil à des pièces d'un puzzle complexe qu'il devait assembler pour comprendre la vérité. Ses pensées étaient un labyrinthe où se mêlaient des sentiments confus, entre l'amour qu'il portait à sa fiancée et le désir impérieux de savoir ce qui se cachait au-delà de ce voile de secrets. Il devait trouver la réponse rapidement.

— Je vous remercie pour votre aide, madame, articula Georges. Il salua la concierge et s’éloigna dans le couloir, se dirigeant vers l'escalier.

Il monta les marches jusqu'au deuxième étage, ses pas résonnant comme les pas d'un enquêteur approchant de la vérité et frappa à une porte tel un inspecteur tentant à percer le mystère qui se dissimulait derrière. Une femme aux cheveux dorés lui ouvrit. Elle le dévisagea un instant, ses yeux bleus scrutant le garçon essayant de révéler ses arcanes les plus intimes. Elle avait un air méfiant, mais aussi bizarre. Une personne amusante aux manières de fillette perverse. Elle agissait d’une façon analogue à quelqu’un ayant déjà vu passer des dizaines de Georges Roche par ce passage. Il déclina son identité réelle, puis ajouta :

— Je voudrais vous poser quelques questions.

— Que souhaitez-vous connaître ? demanda la blonde d'un ton neutre.

Elle ouvrit largement le battant, laissant le jeune homme pénétrer dans un vestibule sombre. Les murs étaient tapissés de vieux papiers peints défraîchis, comme des souvenirs fanés d'une époque révolue. L’odeur de renfermé flottait dans l’air tel un voile de nostalgie enveloppant la pièce.

Georges expliqua à la personne qu'il était fiancé à Jessica. Le ton du jeune homme était empreint d'une préoccupation sincère, montrant qu'il était profondément concerné par la sécurité et le bien-être de la demoiselle, semblable à un jardinier veillant avec tendresse sur sa plus belle fleur. La femme, consciente des limites éthiques de sa position, hésita d'abord à partager des informations confidentielles. Cependant, la détermination du garçon à comprendre la situation et à protéger sa bien-aimée était palpable. Il déploya des arguments convaincants, évoquant même des sentiments personnels, affirmant qu'il était amoureux et craignait réellement pour la vie de la jeune fille. Après avoir écouté attentivement ses explications détaillées et pleines d’empathie, la blonde consentit à révéler une partie de l’histoire. Elle avoua que Jessica avait par le passé eu une enfant âgée actuellement de six ans, qu’elle avait confiée aux services sociaux à sa naissance. Mais, avec une détermination touchante, elle avait trouvé où elle avait été placée ; depuis, elle s'arrangeait à la voir régulièrement, tout en ne lui donnant pas sa véritable identité. Cependant, la situation avait évolué récemment. L'enfant commençait à soupçonner la vérité, ce qui avait incité la mère à vouloir mettre fin à ces visites mensuelles pour préserver la stabilité mentale de la petite. L’adoptante avait à peine terminé son explication qu'entra dans la pièce une gamine rousse. À l'âge tendre de sept ans, la fille de Jessica émerveillait par sa ressemblance frappante avec celle-ci. Sa chevelure flamboyante rappelait les flots du soleil couchant, capturant l'éclat de la vie dans chaque mèche ondulée. Comme sa mère, elle portait un parfum subtil qui évoquait la douceur du printemps, un mélange délicat qui laissait une empreinte légère dans l'air. Son visage était une œuvre d'art en devenir, avec des traits fins. Ses grands yeux, d'un vert émeraude brillant, étaient identiques à des fenêtres ouvertes sur un monde de curiosité et de rêverie. À travers eux, on percevait déjà une intelligence vive, un mélange d'éclat et de réflexion propre à la jeune fille. Elle avait hérité de la peau claire de Jessica, mais avec une touche de chaleur rosée, rappelant les premières lueurs de l'aube. Lorsqu'elle posa son regard sur Georges, c'était avec la même intensité que sa mère, captivant l'attention par sa grâce naturelle. Dans ses bras, elle tenait une poupée, son jouet préféré, qui semblait presque aussi vivante qu'elle.

Le cœur de l’homme se serra devant cette innocence rayonnante qui contrastait avec le tumulte de sentiments qui l'envahissait.

— Bonjour monsieur, dit la gamine d'une voix douce, tel un souffle de vent léger.

— Bonjour, comment t’appelles-tu ? demanda le jeune homme, essayant de masquer ses propres tourments.

— Je m'appelle Virginie.

Le garçon sentit une bouffée d'émotion monter en lui. Cette petite Virginie incarnait tout ce qu'il avait perdu de son innocence.

— Tu as six ans, n'est-ce pas ?

— Non, six ans et demi ! dit-elle avec fierté, car pour elle chaque mois était une victoire. Êtes-vous un ami de la dame du jeudi ? demanda l’enfant, son regard se perdant un instant dans le lointain, emporté par une vague de mélancolie qui lui était coutumière.

Derrière cette question anodine se cachait peut-être bien plus de tristesse qu'il n'aurait pu imaginer. Après avoir échangé quelques mots avec Virginie, le jeune homme sentit un sentiment sincère l'envahir. Il prit une inspiration, cherchant à contenir les tourments intérieurs qui le submergeaient.

— Merci pour cette conversation. Tu es une enfant formidable, dit-il avec un léger sourire pour masquer ses émotions. Il se retourna et se dirigea vers la sortie, inhalant profondément l'odeur de renfermé qui chatouillait ses narines, puis lui adressa un dernier regard chaleureux avant de partir. Georges descendit les escaliers et poussa la porte noire avec ses mains moites. Chaque pas dans la rue libérait également les senteurs oubliées du passé. La brise caressa son visage, apportant un sentiment de légèreté. Chaque pas semblait marquer le tempo d'une mélodie sombre qui résonnait en lui, rappelant l'amertume et la confusion qui s'étaient emparées de son esprit. L'image de la fillette, avec ses yeux innocents et sa fierté enfantine, contrastait violemment avec le mystère qui entourait Jessica. Le jeune homme revint au Balto qu’il avait quitté trois heures auparavant, le cœur alourdi par le poids des révélations. Il poussa la porte du bar, comme si un fardeau invisible pesait sur ses épaules, ses pensées tourbillonnant dans un tourment incessant. Une tasse de café fumant lui fut présentée par le serveur au crâne chauve, une bouffée de chaleur dans ce moment de trouble. Il remercia distraitement le barman et plongea son regard dans le noir profond de la boisson, cherchant des réponses dans les volutes de vapeur qui s'en échappaient. Chaque gorgée ravivait ses pensées, chaque souffle sur la surface sombre du liquide était un murmure de questionnement. Devait-il dire à sa fiancée qu’il avait percé son mystère ? D'un côté, il ressentait le poids de la vérité qui paraissait l'étouffer et le poussait à avouer, mais d'un autre côté, il se demandait quelles seraient les conséquences d'une telle annonce. La jeune fille pourrait se sentir trahie, envahie dans son intimité la plus profonde.

Georges repensa à tous les moments de bonheur qu'il avait partagés avec la jolie rousse, à la façon dont elle l'avait soutenu dans les instants difficiles, à la complicité qu'ils avaient construite ensemble. Il se rendit compte que ce non-dit, bien que troublant, ne changeait rien à ses sentiments pour elle. Il l'adorait toujours intensément et la protéger de cette vérité douloureuse était aussi un acte d'amour.

Finalement, après avoir réfléchi, le garçon prit sa décision. Il garderait le secret pour lui. Il continuerait à chérir sa bien-aimée sans lui imposer le poids de cette découverte. Il trouverait d'autres manières de la soutenir, de lui montrer qu'il était là pour elle, sans avoir besoin de tout connaître de son passé. C'est ainsi que Georges décida de refermer la porte sur ce mystère, de le conserver soigneusement verrouillé dans un coin de son cœur, prêt à être oublié pour le bien de leur relation. Il savait que cette situation était difficile pour elle et qu'il devait lui offrir son soutien et sa protection. Et tandis qu’il montait les escaliers vers son appartement, il pensa au fou qui l’avait percuté. Il dit un : « Amen » et sourit à l’absurdité de la vie.

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