Le jaguar de Tigre  1/2

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Tigre – Argentine

Le fauve tourne et rôde, il se cache dans les fourrés. Il découvre tout juste les grands espaces, mais il n'a que faire de cette liberté nouvellement acquise. Il aimerait savoir comment font ses congénères, comment on vit ailleurs qu’en cage, ou dans un jardin clos. Ah, son existence était heureuse avant ! S'il avait pu ne pas grandir ! Il aurait voulu rester le petit chat gauche et pataud avec qui Alejandro adorait jouer ! Si ses pattes n’étaient pas devenues si larges, ses griffes si acérées, si ses miaulements ne s’étaient pas mués en rugissements, alors c'est sûr, Alejandro l’aurait gardé ! Désormais, le petit chat est grand, trop grand pour le jardin d’Alejandro, et celui-ci l’a relâché. Après un dernier câlin qui a fini en roulade au sol, Alejandro lui a ouvert la porte sur le monde, il l’a chassé d’un coup de bâton — le premier de son existence — il lui a demandé de faire attention à lui et, surtout, de ne jamais revenir !


Je n’ai pas encore la chance de connaître Venise, mais je ne désespère pas de m’y rendre un jour ! Pour moi, les voyages commencent avec l’Amérique du Sud et je ne m’en plains pas, car j’adore ce continent ! J’y découvre à chaque étape tant de choses fascinantes !

Depuis trois jours, nous sommes dans la ville de Tigre, au nord de Buenos Aires, et si je parle de Venise, c’est parce que Papa y a fait référence, et m’a dit qu’on surnomme Tigre « la Venise argentine », en raison de ses canaux.

C’est une jolie station balnéaire, construite sur le delta du fleuve Paraná et constituée d’un grand nombre de maisons sur pilotis. Beaucoup de «Porteños», ou Portègnes — c’est le nom rigolo des habitants de Buenos Aires — possèdent au moins une cabane à Tigre, où ils viennent faire des barbecues le week-end, loin du tumulte de la cité. Je récite presque par cœur ce qui est écrit dans mon livre de géographie, mais en vérité, Tigre est bien plus que cela : c’est un lieu magique, une bulle à part, un endroit indescriptible. Ce qui m’a impressionnée d’abord, lorsque nous sommes arrivés dans la petite ville de l’eau, c’est la quantité de bateaux qui se croisent et se frôlent toute la journée, sur un fleuve large comme une mer, et rouge comme un bol de soupe à la tomate. C’est en observant ces bateaux que Papa a évoqué Venise, et demandé à Maman si elle se souvenait de leur voyage de noces. Elle a répondu d’un sourire et je me suis rappelé que mes parents avaient eu une vie avant ma naissance...

À Tigre, chaque maison ou presque dispose d’un ponton, et l’été, des dizaines d’enfants passent leur temps à plonger depuis ces promontoires et à nager dans l’eau opaque en poussant des cris de joie. Maman ne veut pas qu’Alphonse et moi fassions de même, elle prétend qu’il y a des piranhas dans le Paraná. Moi qui aime les mots, cette phrase me fait rire, elle sonne comme une mauvaise poésie. Mais Papa se moque de Maman, il dit qu’elle n’a pas tort, mais que les piranhas n’occupent pas cette région du fleuve, et que les petites bêtes mangent rarement les grosses! Maman marmonne, mais ne cède pas: nous ne barboterons pas dans le fleuve rouge avec des poissons carnivores, un point c’est tout !

Enfin, quand je dis que tous les enfants sautent et nagent joyeusement dans le Paraná, ceci était vrai jusqu’à hier. Ce matin, je ne sais pourquoi, les eaux de Tigre sont étonnamment calmes : pas un seul enfant en vue et les hommes, à bord des rares bateaux qui circulent, affichent tous des visages inquiets. Les portes des maisons restent fermées et les échelles des pontons ont été relevées. Papa ne comprend pas ce qui se passe et Maman répète en boucle que quelque chose ne tourne pas rond.


Papa a discuté avec les hommes et ils lui ont tout expliqué : un jaguar se promène dans la ville, il a été aperçu à plusieurs reprises dans les jardins, et même en train de nager dans le fleuve ! Tigre est déclaré en état d’urgence, et tout le monde a reçu la consigne de rester cloîtré jusqu’à ce que l’animal soit capturé ! Tous les habitants sont abasourdis : on n'a pas vu de jaguars dans la région depuis un siècle, comment celui-ci est-il arrivé ?

Je n’osais pas imaginer que mon kaléidoscope puisse me donner des réponses, mais il se révèle être le meilleur des alliés, et à présent je sais où est le jaguar ! L’objet, assurément magique, me l’a montré, et je dois désormais faire preuve de ruse pour quitter la maison sans que mes parents s’en aperçoivent, pour aller à la rencontre de l’ennemi. J'ignore encore ce que je ferai sur place, et même si c’est raisonnable, mais je ne suis pas là par hasard et je sens qu’il est de mon devoir d’intervenir. Je vais juste préparer un mot à l’attention de Papa, pour lui indiquer où je suis partie et avec quel projet, au cas où les choses tourneraient mal...

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A suivre...

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